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Actualité internationale
Repères sur les systèmes éducatifs

Au Mozambique, un système éducatif entre progrès et défis multiples

Jean-Pierre Véran
p. 29-33

Texte intégral

La revue remercie le service de coopération et d’action culturelle de l’ambassade de France au Mozambique, pour ses informations et analyses précieuses qui ont permis la rédaction de cet article.

1Le Mozambique est un pays à faible revenu de 32 millions d’habitants dont le produit intérieur brut par habitant est inférieur à 600 dollars US. Le pays continue d’être confronté à de fortes inégalités, se classant au 181e rang de l’indice de développement humain en 2020. Environ 62 % de la population vivait dans l’extrême pauvreté en 2014, avec un revenu inférieur à 1,90 dollar par jour. D’après les projections, ce chiffre serait passé à 66,6 % (1,4 million de personnes) en 2020, du fait de la pandémie de Covid-191.

  • 2  Sources : Banque mondiale : https://dgxy.link/EcOgK ; Agence française de développement : https:// (...)
  • 3  Le Mozambique connaît l’un des plus forts taux de croissance démographique d’Afrique subsaharienne (...)

2Dans un environnement économique, sanitaire et sécuritaire fragilisé, le Mozambique tente de poursuivre une trajectoire de développement ambitieuse en matière d’éducation. L’effort budgétaire consenti par le gouvernement – 18,8 % du budget de l’État était consacré à l’éducation en 2021, contre 17 % en moyenne en Afrique subsaharienne2 – démontre que le secteur de l’éducation est une priorité. Cet effort se transforme en progrès importants en termes de capacités d’accueil au primaire et au secondaire (selon des standards de qualité et de résilience aux catastrophes naturelles ayant touché le Mozambique ces dernières années), de formation initiale des enseignants et de gouvernance locale (renforcement de l’encadrement local des établissements, en particulier autour des enjeux de scolarisation des filles). La très forte croissance du nombre d’enfants à scolariser3, la précarité des conditions d’accueil et le manque d’enseignants qualifiés, les fortes disparités (territoriales et de genre), l’impact du terrorisme sur les infrastructures et les personnes dans le nord du pays demeurent toutefois des facteurs de contrainte majeurs. Malgré les investissements réalisés, d’importants gains d’efficience sont à réaliser pour qu’un maximum de jeunes réussissent leurs parcours d’éducation et de formation.

Des progrès encourageants

  • 4  L’enseignement général est organisé en deux niveaux : l’enseignement primaire (composé de deux cyc (...)

3Depuis 2000, le réseau scolaire a continué à croître de manière significative, permettant d’atteindre un taux de scolarisation primaire de 94 % en 2019. L’effort porte désormais sur l’enseignement secondaire du deuxième cycle, où l’on observe une croissance de 12,6 % du nombre d’établissements. Le nombre d’élèves dans le système éducatif a augmenté à presque tous les niveaux d’enseignement à l’exception de l’EP14, l’accent étant mis sur l’EP2 qui affiche un taux de croissance de 14 %. Globalement, la croissance des élèves dans le système a été de 0,2 %. La participation par sexe aux différents niveaux tend à s’équilibrer. Néanmoins, face à la très forte croissance démographique, le taux net de scolarisation en première classe (6 ans) en 2021 a été de 71,2 % (70,4 % pour les filles), ce qui représente une légère aggravation par rapport à 2020 et un résultat très en deçà des objectifs initialement fixés pour l’année 2021 (95 %, dont 94 % pour les filles) dans le plan 2020-2029. La disparité entre les régions demeure forte, avec un indice de parité de 0,56 entre les régions ayant le plus élevé et le plus bas taux brut de scolarisation.

4Le personnel enseignant a augmenté de 2,9 % par rapport à 2020, et ce à tous les niveaux de l’enseignement, même si l’objectif de recrutement de nouveaux enseignants n’a pas été atteint. Le pourcentage d’enseignants ayant une formation pédagogique, à tous les niveaux, atteint 98,9 % en 2021, conformément à l’objectif fixé pour 2024 (98 %). La proportion d’enseignantes a augmenté à tous les niveaux, et atteint 52,1 % dans l’enseignement primaire. Le ratio d’élèves par enseignant en 2021 est de 65, en amélioration par rapport à 2019 mais supérieur à l’objectif cible de 63. Le taux de présence des enseignants est en progression et s’élève à 84,7 % (objectif 2021 atteint).

De multiples défis

Le préscolaire

5La croissance démographique au Mozambique (2,8 % par an en moyenne) exerce une forte pression sur l’ambition de la scolarisation universelle, car il faut davantage d’écoles, de salles de classe, d’enseignants et de matériels pédagogiques pour maintenir ou augmenter les niveaux actuels de scolarisation. Les enfants arrivent à l’école mal préparés. L’accès à l’éducation préscolaire, facteur avéré de préparation à l’école et d’achèvement du cycle primaire, est l’un des plus faibles de la région, moins de 4 % des enfants de moins de 5 ans ayant accès à des services d’éducation de la petite enfance et/ou à un programme de préparation à l’école. Le manque de salles de classe (les élèves étudient sous les arbres) et de bureaux (les élèves étudient assis sur le sol) est avéré.

La scolarisation pour toutes et tous

6Près de deux millions d’enfants en âge d’aller à l’école primaire ne sont pas scolarisés. Plus d’un tiers des élèves abandonnent avant la première cible du primaire et moins de la moitié achève le primaire. Ces chiffres sont bien en dessous de la moyenne des pays d’Afrique subsaharienne. Dans le second cycle du primaire, l’écart entre les sexes augmente, et davantage de filles abandonnent l’école prématurément. Les enfants fréquentent l’école 74 jours par an sur les 190 jours d’école prévus dans l’année, en particulier en raison du niveau élevé d’absentéisme des enseignants. Il existe dix fois moins d’écoles secondaires de premier cycle que d’écoles primaires, ce qui constitue un goulot d’étranglement redoutable pour les élèves qui souhaitent poursuivre leur éducation après le primaire. Le manque d’écoles est encore plus aigu dans les régions du nord et du centre du pays, tous les districts ne comptant qu’une à deux classes de secondaire inférieur pour mille enfants âgés de 10 à 14 ans. Une dégradation du taux de scolarisation s’observe dans la durée, à la suite des fermetures d’écoles et des déplacements d’enfants et d’enseignants. Entre 2017 et 2021, 125 000 élèves et 1 866 professeurs ont été affectés par les actions terroristes menées dans le Cabo Delgado. En 2020, on observe près de 75 000 enfants et 1 400 enseignants déplacés dans cette province.

L’éducation des filles

7D’autre part, les mariages précoces et les grossesses d’adolescentes affectent la fréquentation scolaire des filles. Le faible niveau de scolarisation des filles, les mariages et les maternités précoces sont étroitement liés. Le Mozambique a le dixième taux le plus élevé de mariages précoces au monde, près de la moitié des adolescentes âgées de 15 à 19 ans se déclarant mariées. On estime que moins de deux tiers des filles achèvent l’enseignement primaire, et que seulement une sur trois termine le premier cycle du secondaire. Les conséquences de l’abandon scolaire des filles sont graves et ont des conséquences permanentes sur la vie des filles et de leur famille, telles que :

  • l’augmentation de la probabilité d’une grossesse précoce ;

  • la diminution de la capacité de décision des femmes et de leur bien-être physique et psychologique ;

  • la réduction de leurs perspectives d’éducation future et d’un emploi de qualité ;

  • l’augmentation de la mortalité des enfants de moins de 5 ans et la malnutrition, entre autres.

  • Les difficultés d’accès à l’école sont l’un des principaux obstacles au maintien des filles dans le système éducatif, en particulier pendant l’adolescence (longues distances pour rejoindre l’école, coûts des transports, conditions de sécurité et infrastructures insuffisantes).

  • À cet égard, le plan stratégique pour le secteur de l’éducation aborde les questions de genre de manière transversale, à travers :

  • le dialogue politique qui inscrit la réduction des inégalités comme une priorité ;

  • le suivi d’indicateurs sensibles à l’équité de genre dans l’accès et le maintien des filles à l’école ;

  • le développement des infrastructures scolaires, avec un accent mis sur le secondaire, et de nouvelles installations adaptées aux besoins des femmes (inscrit dans le nouveau code de conduite pour la construction des bâtiments scolaires) ;

  • la mise en œuvre d’actions de prévention et de réponse à la violence contre les enfants à l’école.

8Le ministère de l’éducation et du développement humain (MINEDH) et ses partenaires, conscients de l’importance de l’éducation des filles, envisagent dans leurs stratégies et programmes de multiples activités qui ont des résultats significatifs, notamment en matière d’accès, de maintien et d’achèvement du niveau scolaire dans tous les sous-systèmes d’éducation.

Les inégalités territoriales

9Le Mozambique est un vaste territoire caractérisé par une grande diversité socioculturelle et des disparités régionales marquées, en matière de scolarisation. Les taux bruts et nets de scolarisation sont les plus faibles dans les provinces de Cabo Delgado, Niassa et Nampula, et la situation s’aggrave encore dans l’enseignement secondaire, pénalisant davantage les filles. Pour l’enseignement secondaire, il faut ajouter le fait que la distance entre le domicile et l’école est très longue, ce qui limite l’accès à ce niveau et pénalise encore plus les filles. Les taux d’échec restent élevés : 17,8 % en septième année, 26,9 % en premier cycle du secondaire et 22,6 % en deuxième cycle du secondaire. Ces taux d’échec, combinés aux taux d’abandon, révèlent un faible niveau de rétention scolaire.

Le défi des langues d’apprentissage

10Il convient également de noter qu’une grande partie des enfants commencent l’école avec peu ou pas de connaissance du portugais. Avec plus de quarante-trois langues bantoues, le pays présente en effet une grande diversité linguistique et plus de la moitié des enfants commencent l’école sans avoir été exposés au portugais. Cela devient un obstacle à l’apprentissage, en particulier lors du processus d’alphabétisation, puisque le vocabulaire oral est un aspect fondamental qui aide les enfants à faire les premières associations avec les lettres et les mots. Sans vocabulaire en portugais, le défi d’enseigner aux enfants à lire et à écrire devient beaucoup plus grand. L’expansion de l’enseignement bilingue reste lente et limitée à quelques provinces.

Le défi budgétaire

11Le budget de l’État est insuffisant et ne permet pas de couvrir les besoins du système. La violence armée dans la province de Cabo Delgado, les conséquences du changement climatique et le service de la dette sont des facteurs qui limitent l’allocation des ressources à l’éducation. La forte croissance démographique est un facteur de risque susceptible d’accroître les inégalités dans la fourniture des services. Les dépenses d’éducation sont hétérogènes, avec des différences notables dans les dépenses par élève dans les différentes provinces du pays.

Le défi de l’efficacité et de l’efficience

12Le ratio élèves/enseignant reste très élevé et l’absentéisme parmi les enseignants et la direction des écoles est toujours préoccupant. Trop d’enfants atteignent la fin du premier cycle de l’enseignement primaire sans avoir développé les compétences requises en lecture et en écriture. Les efforts réalisés en matière de recrutement et de formation des enseignants, en particulier continue, doivent être poursuivis.

13Le gouvernement consacre chaque année entre 18 et 22 % du budget des dépenses publiques au secteur de l’éducation. Un programme de distribution gratuite de livres scolaires et un programme d’appui direct aux écoles sont en place depuis 2003. Le recrutement annuel d’enseignants supplémentaires a permis de réduire le ratio élèves/enseignants de 65 à 60,2 entre 2021 et 2022.

14Bien que le ratio élèves/enseignants ait légèrement diminué, il reste élevé et est même plus important dans les provinces du nord et du centre du pays, à savoir Nampula (75), Zambézia (71) et Cabo Delgado (68). Dans le même temps, il est prouvé que le taux d’absentéisme des enseignants était d’environ 45 % et celui des directeurs d’école de près de 44 % en 2014.

Évaluation 2022 du secteur de l’éducation

15Globalement, l’année 2022 a été marquée par une faible mise en œuvre des activités du secteur en raison de l’impact du Covid-19 et du cyclone Gombe à Nampula, Zambézia et Sofala, d’une faible capacité de mise en œuvre technique et d’un manque de responsabilité à tous les niveaux, ce qui a eu une incidence négative sur les performances du secteur.

Des évolutions encourageantes

16Bien que l’évaluation générale ne soit pas satisfaisante, le secteur a enregistré quelques aspects positifs, notamment en ce qui concerne la réduction du ratio élèves/enseignants, qui en 2021 était de 65. En 2022, l’objectif 2020-2029 a été atteint, réduisant le ratio à 60,2. Outre l’embauche de nouveaux enseignants, l’introduction de l’enseignement unique en sixième année a favorisé la réalisation de l’objectif, car il y avait plus d’enseignants disponibles dans l’enseignement primaire.

17Le taux brut de scolarisation des filles dans l’enseignement secondaire a augmenté, pour atteindre 42,2 %, contre 36,6 % en 2021, et les différences régionales ont diminué en ce qui concerne la scolarisation des garçons et des filles dans l’enseignement primaire.

18Enfin, la politique nationale relative aux enseignants a été approuvée et les efforts de mise en œuvre (y compris le cadre des normes et des qualifications professionnelles des enseignants) ont été encouragés.

L’importance de l’aide internationale

19Le Fonds d’appui à la mise en œuvre du plan sectoriel (FASE) est un vecteur de renforcement de l’efficience de l’éducation au Mozambique. Il vise à financer la mise en œuvre du plan sectoriel d’éducation (PSE). Le FASE est une modalité d’appui financier à l’éducation privilégiée et encouragée par le gouvernement. Il finance le périmètre éducatif sous la responsabilité du MINEDH : enseignement préscolaire, enseignement primaire, enseignement secondaire, alphabétisation et éducation non formelle (notamment des adultes). Il prévoit une allocation concertée des ressources au financement des priorités sectorielles renouvelées chaque année, soutient l’amélioration de la planification, améliore la qualité de l’exécution de la dépense et contribue à la structuration d’une politique orientée vers la performance, la qualité du pilotage et le ciblage des priorités. Le FASE a réuni, en 2023, neuf partenaires techniques et financiers (la Finlande, l’Irlande, la France [Agence française de développement], le Portugal, l’Unicef, le Canada, la Banque mondiale et le Partenariat mondial pour l’éducation), ainsi que l’United States Agency for International Development (USAID) et prochainement l’Union européenne.

20La solidarité internationale est précieuse pour un pays aux ambitions éducatives réaffirmées mais marqué par les séquelles du colonialisme, le poids de la dette, les catastrophes naturelles, notamment les cyclones, renforcées par le changement climatique, les effets d’une longue guerre civile qui a cessé en 2019, et ceux du terrorisme islamique dans le nord du pays depuis 2017, qui a entraîné le déplacement de huit cent mille personnes.

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Notes

1https://dgxy.link/DlG57

2  Sources : Banque mondiale : https://dgxy.link/EcOgK ; Agence française de développement : https://dgxy.link/tXcwz

3  Le Mozambique connaît l’un des plus forts taux de croissance démographique d’Afrique subsaharienne (2,8 %), avec 45 % de sa population âgée de moins de 15 ans (Unesco).

4  L’enseignement général est organisé en deux niveaux : l’enseignement primaire (composé de deux cycles : EP1, de la première à la troisième année ; EP2, de la quatrième à la sixième année) et l’enseignement secondaire. À la suite de la loi d’éducation adoptée en 2019, la scolarité obligatoire va de la première à la neuvième année. La fréquentation de l’école primaire est gratuite dans les écoles publiques et est exemptée du paiement des frais de scolarité.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Pierre Véran, « Au Mozambique, un système éducatif entre progrès et défis multiples »Revue internationale d’éducation de Sèvres, 97 | 2024, 29-33.

Référence électronique

Jean-Pierre Véran, « Au Mozambique, un système éducatif entre progrès et défis multiples »Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 97 | décembre 2024, mis en ligne le 01 décembre 2024, consulté le 22 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/ries/15944 ; DOI : https://doi.org/10.4000/139br

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Auteur

Jean-Pierre Véran

Jean-Pierre Véran est membre professionnel du laboratoire Bonheurs, CY Cergy Paris Université. Inspecteur d’académie honoraire, membre du comité de rédaction de la Revue internationale d’éducation de Sèvres et expert auprès de France Éducation International en coopération éducative, il intervient sur des questions de gouvernance des organisations éducatives, de politiques éducatives et d’éducation aux médias et à l’information. Auteur de plusieurs ouvrages, il tient également un blog consacré à l’éducation sur Mediapart (http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-pierre-veran/) Courriel : jeanpierreveran2[at]gmail.com

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