Alain Bouvier, Pensées sur l’éducation
Alain Bouvier, Pensées sur l’éducation, Éditions du Panthéon, 2024, 328 p.
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Mots-clés :
pilotage des systèmes éducatifsKeywords:
education systems managementGéographique :
FrancePalabras claves:
gestión de los sistemas educativosTexte intégral
1Alain Bouvier poursuit ses analyses et réflexions sur l’école française. Dans ce nouveau livre, il propose non pas une thèse sur l’éducation mais bien plutôt un cheminement de pensées plurielles sur le système éducatif français, système qui peut paraître baroque à ceux qui tentent de le comprendre. En cinq parties de longueur inégale, il fait partager ses connaissances, son expérience et son dernier chapitre de conviction propose sa vision d’une école du futur. C’est ce qui fait certainement la saveur particulière de ce livre que de s’insérer dans un choix assumé par l’auteur depuis de nombreuses années : croire en une évolution raisonnée de l’école pour améliorer ses résultats, en militant pour une équité dans les parcours scolaires, offerte indépendamment de son origine sociale. Cette conviction, Alain Bouvier la partage avec Alain Boissinot qui conclut la préface par cette citation de Montaigne : « C’est ici un livre de bonne foi, lecteur. »
2L’auteur appréhende la complexité d’analyse du système éducatif français, dans une approche de pensées multiples qui soulignent, dans ce qu’il nomme des flashes, différents sujets qui permettent de mieux cerner la compréhension de l’école et ses enjeux. C’est à un voyage réflexif que nous invite A. Bouvier, avec le délicat passage du descriptif à l’explicatif qui fait toute la valeur didactique et l’intérêt de ce nouvel ouvrage, et sans doute aussi sa complexité.
3Dans les deux premiers chapitres consacrés à un bilan évaluatif du fonctionnement de l’école, A. Bouvier aborde tous les thèmes qui interrogent notre système scolaire en analysant les transformations internes et externes, propres ou transversales de l’école. Alternant données précises, références d’auteurs et questionnements problématisés, il permet au lecteur de forger sa propre réflexion. La qualité de ce rassemblement de pensées incite à une vue plus cohérente du fonctionnement de l’institution, de ses logiques, de ses contradictions. La limite de l’exercice réside toutefois, à partir de ce tableau volontairement hétéroclite, de bâtir une cohérence historique, fonctionnelle, qui puisse donner sens à une analyse de l’école d’aujourd’hui. De même certains flashes sont ancrés dans une actualité immédiate qui les rend, à la lecture d’aujourd’hui, un peu obsolètes à la date de parution de l’ouvrage. Il faut donc faire la part entre ce qui renvoie à des permanences du système et ce qui en fait l’actualité. C’est une lecture active et engagée que cet ouvrage exige. Pour autant, Alain Bouvier, par son analyse compréhensive, ne suspend pas son jugement et n’hésite pas à prendre position, assumant ses convictions et ses partis pris.
- 1 Face à de nombreuses questions posées, A. Bouvier, avec modestie, les laisse parfois sans réponse (...)
4C’est certainement le deuxième intérêt du livre. Recherchant un équilibre entre ceux qui prônent un maintien absolu du système et de ses prérogatives (qu’il appelle les statuquologues) et ceux qui défendent des évolutions radicales, A. Bouvier recherche des voies médianes en proposant une école apprenante et humaniste. Il reviendra au lecteur de faire la part entre les analyses objectivées et les prises de position. À ce propos, si l’on peut comprendre la charge de l’auteur contre les statuquologues, et le suivre dans sa critique, on peut retourner la démonstration et mettre en évidence que, face au désordre qu’il souligne, ces derniers peuvent parfois être un frein bénéfique, face aux tentatives d’évolution vers une école par trop libérale ou soumise à une « déréglementation » parfois cachée. La défense de l’acquis peut prévaloir sur les aventures, notamment quand les politiques souhaitent suivre sans réserve les opinions du moment. Dans les deux premiers chapitres, le lecteur aura ainsi un travail personnel de réflexion et de choix à formuler pour établir une meilleure compréhension du système scolaire. C’est une approche didactique qu’Alain Bouvier nous propose pour envisager une lecture apprenante1.
- 2 En 2002, pour 40 300 postes proposés, seulement 34 400 agents ont été recrutés.
5Les troisième et quatrième chapitres conservent la même approche, mais sur ces sujets essentiels que sont les ressources humaines et la gouvernance. C’est le troisième intérêt de l’ouvrage que de proposer dans ces deux parties une meilleure intellection du système éducatif, en montrant comment ce dernier gère son personnel et pilote une organisation « monstrueuse ». A. Bouvier démontre que la prétendue uniformité nationale de l’éducation nationale est en fait un kaléidoscope, où l’influence du territoire, prégnante, de même que la diversité d’investissement des acteurs et les influences sociétales viennent rebattre sans cesse les cartes, remisant l’uniformité du système aux rayons des fausses idées. Il prend ainsi la crise des vocations pour étayer son analyse en soulignant que le seul aspect financier ne peut expliquer cette désaffection, et que d’autres raisons, diverses et complémentaires, sont à rechercher. La perte du sens à donner à l’éducation et à l’instruction, par exemple, contribue à cet effondrement2. Face à ce constat, A. Bouvier en appelle in fine à une révolution de la gestion de l’école.
6Enfin, il convient de souligner l’intérêt majeur de sa réflexion synthétique et argumentée sur le temps scolaire : celui des élèves, celui des enseignants, celui du système dans sa globalité. L’auteur démontre que l’école française ne sait pas gérer le temps scolaire (celui des élèves comme celui des personnels) et que les résultats constatés des élèves ont peut-être à voir avec un temps d’exposition moindre aux apprentissages que dans la plupart des pays de l’OCDE. Quand les responsables politiques vont-ils enfin percevoir que les 144 jours d’école pour l’enseignement primaire (et parfois moins), la pesanteur de la journée scolaire, le nombre de jours de vacances sont une atteinte à la réussite de nombreux élèves ?
- 3 Le numérique, de nouvelles formes scolaires, une horizontalité de pilotage, un nouveau métier d’en (...)
- 4 Gauchet, M. (2024). Le nœud démocratique : aux origines de la crise néolibérale. Gallimard.
7Reprenant le titre d’un de ses ouvrages précédents, A. Bouvier décrit dans un dernier chapitre, « l’école de [s]es rêves », en constatant que l’école française est loin d’être une organisation apprenante. Son souhait d’une école apprenante et humaniste se conçoit avec une nouvelle organisation du système scolaire autour de cinq piliers identifiés3. C’est l’expression d’un programme pour l’école qui met au cœur de son projet l’humain, mais aussi l’évaluation de la satisfaction des élèves et de leurs parents (et les enseignants, les personnels ?), la formalisation d’une gouvernance inversée où la « technostructure nationale » serait appelée à accompagner et non à imposer des réformes et des directives uniformes. Si l’on suit largement A. Bouvier dans sa conceptualisation d’une autre école, il est certain que ses propositions pourront faire débat. Il serait loisible de lui demander si la pyramide inversée du pilotage ne peut conduire à des dérapages locaux, voire à des détournements de la philosophie qu’il développe. La question de la régulation d’un tel système et la conciliation, toujours délicate entre gouvernance horizontale, soucieuse de préserver les libertés, et gouvernance nécessitant une certaine verticalité au service d’une préservation de l’égalité, sont ici posées. Peut-être peut-on inviter A. Bouvier à écrire un nouveau livre qui, au-delà des propositions émises, nous donnera un mode d’emploi explicite et raisonné de cette nouvelle école, nous permettant ainsi de dépasser cette contradiction fondamentale au cœur du « nœud démocratique4 », et de définir une école humaniste et donc plus fraternelle ?
Notes
1 Face à de nombreuses questions posées, A. Bouvier, avec modestie, les laisse parfois sans réponse pour mieux permettre à la réflexion de se poursuivre et montrer qu’une réponse n’est ni immédiate ni certaine.
2 En 2002, pour 40 300 postes proposés, seulement 34 400 agents ont été recrutés.
3 Le numérique, de nouvelles formes scolaires, une horizontalité de pilotage, un nouveau métier d’enseignant, le développement d’un « commun éducatif ».
4 Gauchet, M. (2024). Le nœud démocratique : aux origines de la crise néolibérale. Gallimard.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Yannick Tenne, « Alain Bouvier, Pensées sur l’éducation », Revue internationale d’éducation de Sèvres, 97 | 2024, 46-48.
Référence électronique
Yannick Tenne, « Alain Bouvier, Pensées sur l’éducation », Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 97 | décembre 2024, mis en ligne le 01 décembre 2024, consulté le 21 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/ries/16044 ; DOI : https://doi.org/10.4000/139c7
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