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Actualité internationale
Notes de lecture

Frédéric Miquel, Notre école. Appel à ceux qui lui manquent. À la rencontre des familles gitanes

Champ social, 2024
Jean-Pierre Véran
p. 50-52
Référence(s) :

Frédéric Miquel, Notre école. Appel à ceux qui lui manquent. À la rencontre des familles gitanes, Champ social, 2024, 118 p.

Texte intégral

1Cet ouvrage constitue ce que l’on appelle une étude de cas, très précise, enracinée dans l’expérience professionnelle et humaine de l’auteur. Mais, comme toute étude de cas judicieusement choisie, elle ouvre sur une question fondamentale posée à toutes les écoles du monde : comment une école nationale peut-elle faire en sorte d’accueillir et d’inciter à la fréquenter les enfants de communautés minoritaires, éloignées de la langue de l’école et de la culture scolaire ?

2Ce qui en fait la forte originalité, c’est que cette étude de cas échappe à la norme d’un exposé académique. Elle prend la forme, si l’on en croit le sous-titre, d’un « appel » à ceux qui manquent à l’école, et, plus exactement, quand on entre dans le cœur du texte, d’une conversation dans laquelle l’auteur s’efforce de donner toute leur place à deux points de vue : celui des familles gitanes à qui il s’adresse, et celui des acteurs et actrices de l’école.

3Cette forme originale est sans doute ce qui fait la force de ce livre : les principes sur lesquels s’appuie la réflexion, les multiples exemples donnés, tirés de l’expérience personnelle de l’auteur, font que le propos ne s’éloigne jamais du réel, tout en se fondant sur des exigences éthiques, politiques et humaines très fortes.

4La lecture du sommaire permet de vérifier que l’auteur évite l’écueil d’un discours magistral à sens unique, adressé par celui qui connaît bien le système scolaire, grâce à son métier d’inspecteur d’académie, à ceux qui le méconnaissent. Certes, écrit-il, « vous devez aussi admettre votre responsabilité », mais, sitôt après, il ajoute : « l’école doit reconnaître ses limites ». La finesse de sa réflexion conduit Frédéric Miquel à constater que « nous avons fait alliance pour que chacun de nous reste dans ses murs sans déranger l’autre ». Cet arrangement apparemment gagnant/gagnant, comme on le dit, il le dénonce, en montrant ce que les deux parties y perdent : l’essentiel de leur humanité, dans un « exil immobile » qui les empêche d’éprouver la fraternité humaine.

5Voici donc, à partir de la question de la fréquentation de l’école par les enfants de la communauté gitane, posée la question de l’inclusion et de l’alliance éducative qui la fonde. Frédéric Miquel dénonce au passage les fausses solutions : se donner bonne conscience en créant des écoles au public scolaire exclusivement gitan, ou, au sein des établissements scolaires, des « classes gitanes » ne répondant en rien aux missions de l’école qui est de faire s’élever ensemble tous les enfants dans leur diversité linguistique, culturelle, spirituelle.

6Pour y parvenir, il faut vaincre au moins une double réticence, celle des familles gitanes et celle des familles non gitanes, et la résignation de certains personnels scolaires à l’évitement de l’école par les enfants gitans.

7Pour réduire les préventions des familles gitanes, l’auteur s’appuie par exemple sur le fait que ces familles n’ont aucun mal à se reconnaître dans des églises à vocation universelle, non spécifiquement gitanes, ou sur le fait que la fête gitane aux Saintes-Maries-de-la-Mer est un moment de partage entre gitans et payos (non gitans). Pour réduire celles des familles non gitanes, il rappelle que l’entre-soi qu’elles peuvent rechercher en évitant des écoles fréquentées par des élèves gitans est un appauvrissement de la socialisation scolaire, dommageable pour tous, y compris les élèves aux meilleurs résultats. Pour réduire la résignation de certains enseignants à l’évitement de l’école par les enfants gitans, il montre en quoi le renoncement à éduquer une partie des enfants signe l’échec d’une mission qui les concerne tous, dans une République porteuse d’égalité et de fraternité. Il donne aussi des exemples de réussite éducative avec les élèves gitans et montre à ceux qui se résigneraient à cette absence des élèves gitans qu’en fait, ces élèves leur manquent.

8Mais au-delà de cet appel à la reconnaissance, au dialogue et à l’adoption réciproque, Frédéric Miquel reconnaît volontiers que « jusqu’à présent, l’école a été faite sans vous » et qu’« il est temps de cesser de parler pour les autres et à leur place, de définir systématiquement sans eux quel est leur bien ».

9C’est sans doute la contribution la plus forte du livre à la réflexion sur la scolarisation des enfants de minorités dans une école nationale. Non seulement il démonte les faux discours d’autojustification immobiliste tels que « votre culture ne veut pas de l’école », mais il invite ceux à qui il s’adresse à dire « sincèrement, quelle est l’école que vous souhaitez. Merci de nous aider à inventer un système plus adapté à tout le monde ». On est bien loin, là, d’aménagements cosmétiques. Pour ne pas s’en tenir aux seules incantations au renouvellement de l’école, Frédéric Miquel ouvre alors quelques pistes :

Et si votre culture avait un peu plus de place dans ce qui est enseigné à l’école ? […] Si vous étiez davantage présents dans l’histoire enseignée et dans les personnalités dont parlent les programmes scolaires ? S’il y avait d’autres Gitanes que Carmen et Esmeralda, qui sont toujours des femmes magnifiques mais qui pactisent un peu avec le diable ? Si les Gitans des histoires n’étaient pas plus ou moins des voleurs et des criminels ? Si on parlait davantage de leur internement dans les camps de concentration […] ? Si l’école, la société, l’histoire étaient aussi les vôtres de manière très concrète ?

10Il observe également :

Vos enfants sont bilingues, plurilingues, vous aussi ! C’est une qualité rare dans une société comme la nôtre où la plupart des gens ne parlent que le français et ont du mal à apprendre les langues étrangères et régionales.

Cela le conduit à poser la question de la langue à l’école, de la langue de l’école :

Il faudrait je crois développer les projets scolaires qui donnent une place importante à la langue « maternelle » des élèves, le catalan ou, pour d’autres Gitans, l’espagnol. Après tout, cela fait partie de votre culture et de notre patrimoine universel. Et bientôt, en plus des jeunes qui l’apprennent à l’école, le catalan risque de ne plus être parlé que par des familles gitanes, ce qui montre que grâce à elles cette langue continuera à vivre.

  • 1  Un rapport récent de l’Unicef France alerte sur le fait que plus d’un tiers des élèves de ce pays (...)

11Ce point est essentiel. Au xxie siècle, le parti a été pris, par exemple en Finlande, de scolariser les enfants des minorités linguistiques dans leur propre langue, en proposant un curriculum scolaire plurilingue promouvant la diversité culturelle dès la petite enfance. Non pas pour enfermer les enfants dans leur langue maternelle, mais pour faire de tous les enfants, quelle que soit la langue parlée dans leur famille, de futurs citoyens plurilingues1. En Finlande, la langue samie est ainsi à égalité de dignité linguistique et scolaire avec le finnois et le suédois.

12Comme l’indique Philippe Meirieu dans sa préface, il est bon de rappeler, qu’à l’école, comme au cinéma selon Jean-Luc Godard, « c’est la marge qui tient la page ». Et Yannick Breton, dans sa postface, souligne à juste titre que Frédéric Miquel « a osé les termes d’une école partie prenante d’un dialogue et d’une négociation démocratiques ». En ces temps d’incertitudes sur l’avenir de l’école, le chemin de la co-construction de l’école avec tous les citoyens semble le plus sûr.

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Notes

1  Un rapport récent de l’Unicef France alerte sur le fait que plus d’un tiers des élèves de ce pays ne parlent pas français à la maison et qu’il est urgent d’envisager l’emploi des langues premières dans les premiers apprentissages scolaires. https://dgxy.link/TKHJJ (consulté le 21 novembre 2024).

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Pierre Véran, « Frédéric Miquel, Notre école. Appel à ceux qui lui manquent. À la rencontre des familles gitanes »Revue internationale d’éducation de Sèvres, 97 | 2024, 50-52.

Référence électronique

Jean-Pierre Véran, « Frédéric Miquel, Notre école. Appel à ceux qui lui manquent. À la rencontre des familles gitanes »Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 97 | décembre 2024, mis en ligne le 01 décembre 2024, consulté le 21 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/ries/16054 ; DOI : https://doi.org/10.4000/139c9

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Auteur

Jean-Pierre Véran

Jean-Pierre Véran est membre professionnel du laboratoire Bonheurs, CY Cergy Paris Université. Inspecteur d’académie honoraire, membre du comité de rédaction de la Revue internationale d’éducation de Sèvres et expert auprès de France Éducation International en coopération éducative, il intervient sur des questions de gouvernance des organisations éducatives, de politiques éducatives et d’éducation aux médias et à l’information. Auteur de plusieurs ouvrages, il tient également un blog consacré à l’éducation sur Mediapart (http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-pierre-veran/) Courriel : jeanpierreveran2[at]gmail.com

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