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Dossier - Choisir ses études

Portée et limites de la liberté de choix en éducation

Introduction
Freedom of choice in education – scope and limits. Introduction
Alcance y límites de la libertad de elección en educación. Introducción
Thierry Chevaillier
p. 53-63

Résumés

Les progrès de la scolarisation dans le monde se sont accompagnés d’une multiplication et d’une diversification des formations offertes par les systèmes éducatifs, afin, en particulier, de mieux préparer les jeunes à des métiers plus qualifiés et plus évolutifs. Les jeunes et leurs parents ont demandé et obtenu une plus grande liberté de choisir leurs parcours scolaires, ce qui a contribué à augmenter les risques de discrimination sociale et de déséquilibres dans le fonctionnement de l’école. Pour tenter de réduire ces risques, on a accru la flexibilité des parcours menant à l’emploi, rendant ainsi plus complexe l’orientation scolaire. Ce dossier présente dix études sur les cas de : Dubaï, l’Espagne, la Chine, le Burundi, l’Australie, l’Algérie, l’Estonie, l’Allemagne, l’Uruguay et la France.

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Texte intégral

1La liberté de l’éducation recouvre un ensemble de droits relatifs à l’éducation. Actuellement, dans le monde, rares sont les pays qui ne souscrivent pas à ce principe énoncé dans différents traités internationaux, dont la Convention internationale des droits de l’enfant des Nations unies en 1989. Pour nombre d’entre eux, ce principe est même inscrit dans la loi constitutionnelle. Il implique, pour les parents, la liberté de choix des modalités d’éducation de leurs enfants. Il a pour corollaire la liberté de l’enseignement, c’est-à-dire la possibilité que soient créées des écoles et des institutions qui ne dépendent pas des États. Les États sont cependant fondés à décréter l’obligation de donner une instruction aux enfants jusqu’à un certain âge. Ils sont également en droit de définir ou de réglementer les contenus de l’enseignement et les qualifications des personnes participant à l’enseignement. Ce dossier s’intéresse au choix des études dans plusieurs contextes différents les uns des autres : Dubaï, l’Espagne, la Chine, le Burundi, l’Australie, l’Algérie, l’Estonie, l’Allemagne, l’Uruguay et la France. Ces pays reconnaissent tous la liberté des choix en éducation et comportent tous un secteur privé d’enseignement, mais ils se différencient par la place et le rôle relatifs que ce dernier joue par rapport au secteur public et par l’importance des financements publics qui lui sont accordés, en contrepartie d’un droit de regard sur les programmes.

Les choix en jeu dans le domaine de l’éducation

2Dans l’éducation, comme ailleurs, les choix totalement ouverts n’existent pas. On choisit le plus souvent entre un nombre limité d’options dans un cadre fixé à l’avance et constitué de contraintes diverses.

3La liberté de choix des parents s’exerce dans le cadre d’un ensemble de règles définies par les pouvoirs publics qui ont la responsabilité d’organiser l’enseignement. Dans le cadre de la scolarité obligatoire, les parents pourront choisir les modalités de l’instruction donnée à leurs enfants. Ils pourront aussi choisir entre des écoles appartenant au secteur public ou au secteur privé. Ils auront par la suite la liberté de modifier ce choix, de changer d’école au sein d’un même secteur ou d’un secteur à l’autre. Lorsque le système scolaire offre des parcours différenciés, ils devront, parfois à plusieurs paliers de la scolarité, choisir entre plusieurs voies qui s’ouvrent à l’enfant. Devenus adultes, les jeunes pourront s’émanciper de la tutelle parentale et déterminer leurs propres options.

4Cependant, les jeunes et leurs parents ne sont pas seuls à devoir choisir et les pouvoirs publics sont amenés à faire des choix dans le domaine de l’éducation, choix qui rencontrent eux aussi des contraintes multiples et qui peuvent entrer en conflit avec ceux des parents ou des jeunes.

Choix du mode d’instruction

5L’instruction en famille, ou école à la maison, est l’une des modalités de l’instruction obligatoire. De ce fait, le choix de certaines familles de ne pas scolariser leurs enfants dans des écoles, publiques ou privées, est encadré pour éviter que des enfants ne soient soustraits à cette obligation. Devenu presque marginal avec les progrès de la scolarisation, il bénéficie actuellement d’un regain d’intérêt dans des pays occidentaux, où il est souvent le fait de familles socialement et culturellement favorisées.

6Du fait de l’obligation faite aux États de garantir l’accès de tous les jeunes à l’éducation, on trouve partout un secteur public qui accueille, sauf exception, la majorité des jeunes pendant la durée de la scolarité obligatoire. Il est financé et organisé par l’État, dans les pays centralisés, ou par des collectivités territoriales, États fédérés, régions, districts ou communes. Cette organisation porte notamment sur l’affectation des élèves et peut prendre la forme d’une carte scolaire où les enfants sont affectés d’office à l’école publique de leur secteur résidentiel.

7La liberté de l’enseignement conduit à l’existence d’écoles privées, indépendantes ou constituées en réseau, le plus souvent confessionnelles ou relevant d’une philosophie particulière de l’éducation. Un secteur privé d’éducation plus ou moins étendu existe partout et vient concurrencer l’enseignement public, dont il est parfois reconnu comme complémentaire et, à ce titre, financé et réglementé par les pouvoirs publics. À Dubaï, par exemple, comme l’indique Aziza Almokaddam-Dalil, l’enseignement public accueille moins d’un enfant sur dix. Les écoles publiques y sont réservées aux nationaux des émirats, très minoritaires dans la population. Les écoles privées les plus recherchées scolarisent une partie de la population émirienne et les étrangers les plus aisés, alors que les enfants des classes populaires, composées exclusivement de travailleurs expatriés, se tournent vers toute une gamme d’institutions privées ayant plus ou moins d’exigences académiques et financières.

8Lorsqu’il est bien implanté sur le territoire et scolarise une part importante de la jeunesse, l’enseignement privé réduit les capacités de gestion du système scolaire par les pouvoirs publics. Là où est instaurée une carte scolaire, les parents mécontents de leur école de secteur peuvent chercher à transférer leurs enfants dans des établissements privés qui n’ont pas à subir de contrainte de localisation comme les écoles publiques, ce qui crée des déséquilibres dans les flux d’élèves. Une concurrence s’exerce donc aussi bien avec le secteur public qu’à l’intérieur du secteur privé.

Choix de l’école

9Dans la plupart des pays existe un droit pour l’enfant à être scolarisé dans une école publique proche de son domicile. Pour s’inscrire dans une école publique appartenant à un secteur différent, il faut généralement bénéficier d’une dérogation, accordée par les autorités éducatives en fonction d’un certain nombre de critères. Sous la pression de l’opinion publique, favorable à une plus grande liberté de choix, on assiste actuellement dans de nombreux pays à un assouplissement de la carte scolaire ou à une extension des critères de dérogation.

10Les pays libéraux permettent aux parents de choisir plus librement l’école de leurs enfants et laissent plus d’autonomie aux écoles. En Australie, selon Laura Perry, les écoles, tant publiques que privées, ont pu se différencier pour se faire concurrence auprès des parents en s’appuyant sur leurs résultats, rendus publics par l’administration, et sur leur image. En Estonie, où l’enseignement privé est marginal mais où les écoles publiques ont une très grande autonomie, Krista Loogma note que

la qualité inégale et l’ardente concurrence entre les établissements, associées à la publication des tableaux de classement des écoles, ont généré un cercle vicieux dans lequel les établissements se font concurrence pour attirer les « meilleurs » élèves, tandis que parents et élèves sont en compétition pour décrocher une place dans les « meilleures » écoles.

Choix des élèves par l’école

11Certains établissements plus demandés que d’autres sont en mesure de choisir leurs élèves en opérant une sélection des candidatures. Le principe de cette sélection est généralement accepté mais ses modalités sont débattues. Dans les systèmes libéraux, une telle demande excédentaire pourrait se traiter par la fixation d’un niveau approprié du coût de l’inscription, mais si l’on veut soustraire l’éducation à la sphère marchande, on doit recourir à d’autres critères de classement des candidatures. Les écoles les plus demandées définissent et rendent publics les critères retenus, qui peuvent être la performance des candidats dans leur parcours scolaire précédent ou leurs aptitudes sportives ou artistiques. Ces critères sont intégrés par les parents ou par les élèves pour déterminer leurs choix ou pour préparer une future candidature. Si la sélection opérée sur ces critères ne repose pas sur le « mérite » des candidats, elle sera jugée discriminatoire et inéquitable, car contraire au principe d’égalité des chances, comme l’explique Marie Duru-Bellat dans son article sur la France.

Choix des parcours

  • 1  Aussi nommée école fondamentale ou compréhensive.

12L’organisation de la scolarité varie d’un pays à l’autre, souvent pour des raisons liées à l’histoire nationale. Dans une partie des pays observés, c’est le modèle de l’école de base1 qui prévaut, par exemple en Estonie, au Burundi, en Algérie et en Australie. Les jeunes, après le jardin d’enfants ou l’école maternelle, y suivent tous le même enseignement jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire à un âge allant de 15 à 17 ans, selon les pays. Cette filière unique implique l’identité des parcours de tous les jeunes et devrait signifier qu’il n’y a aucun choix à faire durant quelque dix années. Mais, dès lors que des différences apparaissent entre les écoles, on ne peut empêcher les parents de tenter d’accroître les chances de leurs enfants en sélectionnant d’autres écoles publiques ou privées plus réputées ou plus conformes à leurs aspirations. Ainsi, l’Estonie a hérité du modèle égalitaire soviétique. Le secteur privé y est limité, mais des « écoles d’élite » sont apparues au sein du secteur public. On observe la même tendance en Australie qui, à la suite de l’Angleterre, avait adopté ce principe de l’école compréhensive et voit se développer des établissements sélectifs dans le secteur public comme dans le secteur privé.

  • 2  L’article décrit les débats politiques quasi permanents pour mettre fin au système cloisonné tradi (...)

13À l’opposé de ce schéma, Werner Zettelmeier montre comment l’Allemagne a maintenu, à contre-courant2 des tendances européennes, un système de filières cloisonnées à partir de la fin de l’enseignement primaire, obligeant les parents à faire pour leurs enfants des choix précoces qui s’avèrent déterminants pour leur avenir.

14Les autres pays se situent entre ces deux positions. Ils distinguent une école primaire d’un enseignement secondaire composé de plusieurs cycles et dans lequel existent, plus tardivement, des possibilités de choisir de quitter la voie principale et d’opter pour des parcours spécifiques.

Au cours de la scolarité obligatoire

15À certains moments de la scolarité de leurs enfants, les parents sont donc invités à faire des choix entre différentes voies possibles dans le système éducatif. Ces paliers d’orientation sont plus ou moins précoces. En Allemagne, à la fin de l’école élémentaire, à l’âge de 10 ans environ, les parents doivent choisir entre trois voies distinctes pour les études secondaires de leurs enfants : l’une mène aux études longues qui permettent l’accès à l’enseignement supérieur, la seconde s’achève à la fin de l’enseignement secondaire et la troisième conduit rapidement vers l’apprentissage et la vie active. Ces trois parcours, très cloisonnés jusqu’aux années 1990, ont eu tendance, dans les dernières décennies, à devenir plus perméables grâce à l’aménagement de passerelles. La plupart des Länder ont conservé ces voies distinctes, malgré des pressions récurrentes en faveur de l’unification. Certains ont fusionné les deux derniers parcours et on a même vu récemment des établissements rassembler en leur sein ces trois voies parallèles habituellement séparées. Le prestige relatif de l’apprentissage, auquel on attribue en partie la réussite économique de l’Allemagne, explique qu’on maintienne le parcours spécifique qui y mène, malgré la discrimination sociale qu’il engendre.

16Au cours de l’enseignement secondaire, il peut exister des paliers d’orientation intermédiaires qui permettent d’infléchir l’orientation de certains élèves. Ils donnent accès à des parcours spécifiques, que l’on trouve dans plusieurs pays (France, Espagne) et qui peuvent être proposés ou prescrits aux jeunes qui ne sont pas adaptés aux contraintes de l’école ou qui désirent entrer rapidement dans le monde du travail. Les enseignants sont généralement les prescripteurs de ces changements de parcours et doivent s’efforcer de les faire accepter aux parents ou aux élèves, lorsque ces derniers s’y opposent du fait de la mauvaise image de ces voies. Des procédures d’appel sont alors prévues pour garantir la liberté de choix.

17Des parcours spécifiques peuvent aussi être proposés aux élèves tentés d’arrêter les études au cours de l’enseignement obligatoire et qui se retrouveraient à la fois hors du système éducatif et du monde du travail. L’abandon scolaire précoce ou décrochage scolaire préoccupe les autorités éducatives en France, mais surtout en Espagne. Dans l’article consacré à ce dernier pays, Magdalena Jiménez Ramírez et Juan Carlos González Faraco présentent de manière détaillée la situation de ces jeunes qui ne sont ni en emploi ni en études et que l’on appelle les « ninis » (ou NEET) et les mesures mises en place pour les réinsérer dans une formation ou dans un emploi.

En fin de scolarité obligatoire

18Le principal palier d’orientation, dans la quasi-totalité des pays observés dans ce dossier, se situe à la fin de la scolarité obligatoire, qui correspond soit à la fin de l’école fondamentale ou de base, soit à la fin du premier cycle des études secondaires, c’est-à-dire entre 15 et 17 ans. Les élèves et leurs parents ont à choisir entre des voies professionnelles destinées à mener plus ou moins rapidement à un métier et une voie dite « générale », qui mène à l’enseignement supérieur. Ceux qui se dirigent vers la voie générale auront également à choisir, peu après, différentes matières de spécialisation ou un ensemble prédéterminé de matières préparant aux diverses filières de l’enseignement supérieur (les anciennes « séries » du baccalauréat français ou les filières du bachillerato espagnol ou uruguayen). Ces choix supposent que les élèves (ou leur famille) se soient déjà fait une idée assez précise de leur avenir professionnel, ce qui explique qu’une formation à l’orientation soit intégrée aux parcours scolaires dans les dernières années de l’école obligatoire.

19Ce palier de fin de scolarité obligatoire concerne toute la population scolaire. Il a été largement étudié par la recherche, qui a montré quels étaient les déterminants des choix des élèves, les biais et les discriminations sociales engendrés à cette étape. On trouve un écho de ces recherches dans plusieurs des articles de ce dossier (en particulier dans ceux consacrés à la France et à l’Uruguay) ainsi que dans l’article bibliographique, élaboré par Hélène Beaucher et Anna Polewka, qui en donne quelques exemples pour des pays très divers.

Après l’enseignement secondaire

20Le palier d’orientation suivant se situe à l’entrée du premier cycle de l’enseignement supérieur menant vers de nouveaux paliers ultérieurs. Ce palier est largement conditionné par les choix effectués à la fin de l’enseignement obligatoire, en particulier pour les élèves qui ont suivi les filières générales du second cycle de l’enseignement secondaire. M. Duru-Bellat note qu’en France, les inégalités sociales d’accès à l’enseignement supérieur

s’expliquent avant tout par les inégalités d’obtention du baccalauréat (et avec quel profil), bien plus que par les inégalités sociales tenant spécifiquement aux choix d’orientation entre le secondaire et le supérieur.

21Les élèves peuvent se préparer aux choix qu’ils ont à faire à ces différents paliers et recevoir aide et conseils au sein du système éducatif, dans les établissements ou dans des services spécialisés, par exemple en Algérie, comme le rapportent Rosa Mahdjoub et Mohamed Miliani, mais aussi en Allemagne. Cependant, on assiste, dans de nombreux pays, à l’apparition et au développement rapide d’entreprises privées qui tirent parti de la complexité de l’orientation ou des insuffisances de l’aide existante pour offrir aux élèves et à leurs familles des conseils aux étapes cruciales de la scolarité.

Hiérarchie des parcours

22Dans la plupart des articles de ce dossier, les auteurs notent que, dans leur système éducatif, il existe une hiérarchie implicite entre les différentes voies offertes aux jeunes. Dans l’enseignement secondaire, la voie professionnelle est dévalorisée par rapport à la voie générale, conçue pour mener aux études supérieures qui débouchent sur des métiers mieux rémunérés, plus attractifs ou mieux considérés par la société. La voie générale elle-même peut être divisée en différentes filières hiérarchisées. L’orientation vers les formations professionnelles est vue comme pénalisante si elle enferme les jeunes dans des parcours peu qualifiants. Cette orientation ne s’effectue pas au hasard et les enfants des milieux populaires, des minorités ou des immigrés y sont surreprésentés.

23Réduire ou éliminer cette hiérarchie et les discriminations qu’elle induit est un objectif déclaré dans plusieurs pays, où l’on tente de placer la voie professionnelle sur un pied d’égalité avec les voies générales, en proclamant leur égale dignité. Mais ces hiérarchies sont souvent profondément ancrées dans l’opinion et ne peuvent être atténuées que très lentement. Le dossier fournit des exemples de mesures prises dans un tel but. La priorité de la politique éducative espagnole de ces dernières décennies a été le développement d’un enseignement professionnel au même niveau que l’enseignement général. En France, la création des lycées et des baccalauréats technologiques et professionnels a rendu possible l’accès à l’enseignement supérieur de tous les diplômés de l’enseignement secondaire. En Estonie, une flexibilité accrue a été instaurée dans l’enseignement pour faciliter l’accès à la formation professionnelle et l’enseignement supérieur a été ouvert aux diplômés des filières professionnelles. Ce pays a l’objectif plus ambitieux de reconnaître tous les apprentissages formels et informels, dans l’enseignement ou dans la vie courante, comme éléments de la formation tout au long de la vie.

Flexibilisation des parcours

24Pour limiter les risques d’erreur dans les choix de parcours et éviter le décrochage qui peut en résulter, certains pays ont cherché à introduire plus de flexibilité dans le déroulement de la scolarité. Cette flexibilité a pour but d’offrir aux jeunes la possibilité de changer de voie en cours d’études sans attendre le palier suivant, notamment grâce à la création de passerelles et d’équivalences.

25En Estonie, comme le souligne K. Loogma, la stratégie nationale pour 2035 en matière d’éducation vise à « rendre plus poreuses » les différentes voies et à promouvoir les « parcours horizontaux ». Nilia Viscardi Etchart cite le cas de l’Université de la République de l’Uruguay, qui a adopté un système de crédits accumulables et transférables qui permet aux étudiants ayant acquis dans une filière un nombre donné de crédits de s’inscrire dans un des autres parcours de formation qu’elle propose.

La détermination des choix individuels

26La littérature scientifique a amplement étudié la façon dont parents et élèves construisent leur projet, formulent leurs souhaits et arrêtent leurs choix dans différents contextes nationaux. Le choix d’une filière par les parents et les jeunes est conditionné par leur projet à plus ou moins long terme, qui prend en compte leurs caractéristiques propres, leurs goûts et leurs aptitudes ainsi qu’un certain nombre de facteurs externes, qui sont vus comme des contraintes imposées par l’entourage et la société. Ce projet s’affine ou se modifie tout au long de la carrière scolaire.

Motivations et influences

27Pour les choix concernant leurs enfants, les parents sont manifestement motivés par le désir de construire le meilleur avenir possible pour leurs enfants, mais tous ne disposent pas de mêmes moyens pour les élaborer.

28La « mobilisation familiale », selon les termes employés par M. Duru-Bellat, dépend principalement du capital social et culturel détenu par les parents, plus que de leur niveau de revenu.

29En Chine, on voit dans l’article de Dong Hui, Li Yutong et Peng Xiaoqian consacré à une filière de formation au football que les choix des parents ont des motivations différentes selon leur milieu social. Les parents aisés et plus éduqués développent une stratégie à long terme dont l’objectif est le meilleur accès à l’enseignement supérieur, alors que les parents de milieu modeste cherchent avant tout à assurer la sécurité et le goût de leur enfant pour le sport.

30Les jeunes, quant à eux, se déterminent par référence à leurs pairs ou à leurs amis, à leurs parents, à leurs enseignants et aux personnels spécialisés qui leur fournissent information et conseils. Les étudiants enquêtés en Algérie par R. Mahdjoub et M. Miliani font peu appel aux conseils des enseignants et des professionnels de l’orientation et au Burundi, selon l’article de Janvier Nizigiyimana, Révérien Nshimirimana et Innocent Ntwari, les étudiants sont largement livrés à eux-mêmes, en l’absence de soutien et d’information.

Des choix risqués

31Si les élèves mettent souvent en avant une vocation suscitée par des rencontres ou inspirée par des enseignants remarquables, ils ont plus tendance à considérer leur mode de vie futur et les avantages matériels qu’un métier leur procurera en cas de réussite de leur projet professionnel. Cet objectif est contrebalancé par le risque d’échec à différents niveaux du parcours envisagé. Les jeunes se livrent alors à ce que les économistes appellent un calcul rendement-risque, en prenant en compte les avantages qu’ils pourraient en tirer, notamment en matière de rémunération des emplois obtenus, les coûts de la formation et la probabilité qu’ils réussissent à terminer ce parcours. M. Duru-Bellat fait référence à cette approche, lorsqu’elle explique que ce risque est moins élevé pour les jeunes des milieux favorisés qui savent pouvoir bénéficier du soutien de leur famille pour persévérer dans une filière malgré d’éventuels échecs et qui peuvent donc faire des choix plus ambitieux que les autres. Les enfants des milieux populaires pratiqueront une autocensure en limitant l’ambition de leurs vœux et, à niveau scolaire identique, ceux des milieux aisés seront plus nombreux à choisir certains parcours longs et difficiles.

32Pour évaluer ce risque, il faut une bonne connaissance des capacités intellectuelles et du potentiel de réussite de l’élève, que n’ont pas toujours les parents, mais que les enseignants et les professionnels de l’orientation sont en mesure de détecter. C’est pourquoi on leur fait confiance pour accroître ou réduire les ambitions du projet de l’élève.

33Parmi les éléments externes à prendre en compte dans leurs choix par les parents et les élèves, la connaissance des programmes et des exigences académiques des parcours envisagés, confrontée à leurs propres performances et à leur attirance pour telle ou telle discipline, réduit le risque d’échouer et d’abandonner les études entreprises.

34Il est nécessaire de connaître les débouchés professionnels des formations envisagées, leurs contenus réels et leurs conditions de travail, car les ignorer fait courir un risque supplémentaire. Pour assurer que les élèves disposent d’une information suffisante sur ces points, dans des pays comme la France et l’Allemagne, les écoles organisent des stages de courte durée en entreprise et font intervenir des professionnels dans la préparation à l’orientation. C’est également la raison pour laquelle la profession exercée par les parents joue un rôle important (positif ou négatif) dans la détermination des choix, car c’est sur elle que les jeunes disposent le plus facilement de cette information, rappelle également N. Viscardi Etchart dans son article sur l’Uruguay.

Le rôle crucial de l’information

35La question de l’information est présente dans tous les articles de ce dossier quand les auteurs en viennent à aborder les déterminants des choix d’orientation des jeunes et des familles. On déplore tantôt une insuffisance, tantôt une surabondance d’information disponible ou accessible.

36Les parcours scolaires se sont diversifiés et multipliés et les métiers auxquels ils préparent sont plus spécialisés et évoluent sans cesse. Construire un projet demande donc une grande variété de connaissances qu’un élève, sa famille, voire ses enseignants, ne sauraient maîtriser. Il faut recenser les parcours existants, en connaître les programmes, les conditions d’accès, les prérequis et les compétences demandées, se faire une idée assez précise de l’activité professionnelle à laquelle on aspire et identifier les parcours de formation qui y mènent le plus sûrement.

37Au Burundi, des candidats à l’enseignement supérieur, interrogés dans le cadre d’une enquête par J. Nizigiyimana, R. Nshimirimana et I. Ntwari, attribuent les échecs de leur orientation à la faiblesse de l’information disponibles pour établir des vœux d’affectation qui aient des chances de réussite.

38De quelle information disposent les jeunes et leurs parents pour choisir leurs études ? Il y a encore quelques décennies, l’école, c’est-à-dire les enseignants et l’organisation scolaire au sens large, était capable d’apporter toutes les réponses aux questions qui lui étaient posées, car les parcours scolaires étaient peu nombreux, bien identifiés et stables. Aujourd’hui, on a le choix entre des centaines de parcours et, si le développement des réseaux numériques permet de disposer d’une quantité immense de données et d’un accès facile, l’internaute risque d’être noyé sous une avalanche de renseignements et de messages non vérifiés et non hiérarchisés. Dans ces circonstances, la présence d’organismes de confiance, qu’ils soient étatiques ou privés, est indispensable pour certifier, classer et hiérarchiser les multiples éléments disparates qui sont indispensables à la population et aux professionnels.

39En France, la plateforme Parcoursup d’affectation dans l’enseignement supérieur fournit aux candidats une masse considérable d’informations portant sur 23 000 parcours de formation disponibles, leurs prérequis, conditions d’accès et débouchés professionnels. Elle concentre des données qui étaient auparavant dispersées ou difficiles d’accès.

40L’Estonie, l’un des pays du monde les plus avancés dans l’utilisation du numérique dans l’organisation de la société, a choisi de constituer des bases de données cohérentes pour toutes les informations administratives existantes et de former la population à les utiliser, directement ou par le biais de plateformes publiques. La confiance de la population à l’égard de ces données est très grande, et chacun peut avoir accès facilement à leur ensemble.

Choix individuels et choix collectifs

Choix contrariés et choix contraints

41Les écoles, les filières ou les parcours choisis ne sont pas toujours obtenus par les jeunes ou par leurs parents. Dans certaines conditions, leurs choix ne peuvent être que des vœux qui seront soumis à un arbitrage. Lorsque les options offertes sont nombreuses et que les candidats sont en concurrence pour un nombre de « places » donné, le candidat formulera plusieurs vœux et les classera par ordre préférentiel. La réalisation de l’un de ces vœux apportera au candidat une satisfaction plus ou moins grande selon son rang dans le classement.

42Or il a été montré que la réussite dans un parcours dépendait assez largement de son adéquation aux choix des étudiants. L’enquête burundaise montre qu’une affectation ne correspondant pas au premier vœu des étudiants accroît substantiellement le risque d’abandon ou de redoublement en première année à l’université.

43Dans l’idéal, il serait souhaitable que tous les choix puissent se concrétiser, mais lorsque les demandes dépassent les possibilités d’accueil, l’impossibilité de les satisfaire est vue comme un déséquilibre qui provoque la frustration des élèves et des parents et auquel il faut trouver des solutions.

La régulation des flux

44Dans une économie de marché, la solution à un tel déséquilibre passe par la fixation d’un prix à un niveau qui égalise l’offre et la demande. Mais l’éducation ne relève pas de l’économie de marché dans la plupart des cas et cette solution ne pourrait être appliquée que dans certaines situations extrêmes.

45Dans les pays ayant une tradition d’intervention étatique dans de nombreux secteurs de la vie sociale, l’action publique dispose une variété d’instruments réglementaires et financiers permettant une régulation des flux. En agissant tantôt sur l’offre de formation des établissements, tantôt sur la demande d’inscription des jeunes ou des parents, les pouvoirs publics peuvent espérer réduire ces déséquilibres au niveau local ou au niveau national. Cependant, il est rare qu’ils puissent exercer un contrôle absolu des flux d’élèves et de l’offre scolaire comme ont pu le pratiquer certains régimes totalitaires dans le passé.

46Ils peuvent tenter d’infléchir ces choix des élèves et de leurs familles, et de les canaliser pour améliorer graduellement le fonctionnement du système éducatif. Le recours à l’information a été utilisé pour modifier l’image qu’ont de certaines filières les élèves et les familles. Comme le montre L. Perry pour le cas de l’Australie, l’information peut aussi contribuer aux déséquilibres, compte tenu de l’impact de la publication des indicateurs de performance des écoles sur la mobilité des élèves.

Tensions suscitées par les choix scolaires

Déséquilibres sur le marché du travail

47Dans la plupart des pays étudiés, on constate un autre type de déséquilibre au niveau national ou local, lorsque la structure ou la nature des qualifications obtenues par les jeunes à l’issue de leurs études ne correspond pas aux besoins des entreprises, ce qui se traduit par des déséquilibres observables sur le marché du travail. Le niveau très élevé du chômage des jeunes peut en partie être imputé aux défaillances de l’appareil de formation. En Espagne, selon M. Jiménez Ramírez et J. C. González Faraco, le pays dans son ensemble souffre d’un déficit de qualification intermédiaire et le chômage, qui atteint plus du quart des jeunes, affecte moins ceux qui ont terminé une formation professionnelle qualifiante. En Algérie, indiquent R. Mahdjoub et M. Miliani, le chômage concerne 51 % des hommes de 22-32 ans qui ont arrêté leurs études avant la fin de la scolarité obligatoire. Ces situations sont manifestement les conséquences de choix passés des pouvoirs publics et des familles.

Discrimination

48À l’exception de Dubaï, les pays ici présentés ont, pour leur système éducatif, un objectif d’équité et d’inclusion des populations présentes sur leur territoire. Ils tentent d’instaurer une égalité des chances qui permette à chaque jeune de réussir sur la base de ses capacités et non de sa naissance ou de son origine. Pour ce faire, lorsqu’ils mettent en place une sélection ou des mesures discriminatoires, ils doivent s’assurer qu’elles sont considérées comme justes et équitables par leur population.

49A. Almokaddam-Dalil rappelle que Dubaï est un cas particulier, car ses gouvernants ne cherchent pas à inclure ou à assimiler les étrangers qui représentent les neuf dixièmes de la population. Ils sont considérés comme expatriés et n’ont pas accès à l’enseignement public. Cela explique que l’enseignement privé scolarise 92 % des jeunes, taux le plus élevé du monde, et que se soit développé un marché de l’éducation très concurrentiel, mais segmenté du fait de la diversité des nationalités et des langues des expatriés.

50Les articles consacrés à l’Uruguay, à l’Espagne, à la France et à l’Estonie font état de discrimination sociale dans le système éducatif. Ces discriminations trouvent toujours leurs origines dans des différences de choix des parents et des élèves appartenant à différentes catégories sociales. La hiérarchie des filières détermine des différences d’accès selon les groupes sociaux. On observe une surreprésentation dans les formations professionnelles des enfants des zones rurales, des milieux modestes ou des immigrés.

51Il existe aussi une discrimination territoriale au niveau des enseignements secondaires et supérieurs, où tous les jeunes n’ont pas les mêmes possibilités de choix. L’offre de formation disponible localement ou à proximité est l’un des facteurs déterminants du choix des parcours possibles. Pour les jeunes issus de milieux modestes et habitant loin des villes où se concentre une variété d’établissements d’enseignement, les choix sont restreints, du fait des limitations de l’offre locale et du coût de l’accès aux offres distantes.

*
**

52Dans un monde où s’étend constamment l’emprise de l’individualisme, les hommes et les femmes cherchent à maîtriser davantage leur destin et revendiquent la liberté de choisir leur chemin par eux-mêmes. Dans le champ de l’éducation, où les parcours de formation s’allongent et se diversifient, les choix qu’ils ont à opérer sont plus complexes mais, étant plus éduqués, ils pensent être mieux armés pour les faire. Alors qu’ils sont, par ailleurs, favorables à une société plus équitable, ils s’efforcent d’obtenir la situation la meilleure pour eux et pour leurs enfants, au prix d’éventuelles discriminations sociales. Les pouvoirs publics, tout en leur accordant la liberté qu’ils demandent, s’efforcent de limiter les tensions et les dysfonctionnements qui peuvent en résulter. C’est dans cette direction que vont les principales tendances observées, au cours des décennies récentes, dans les pays étudiés dans ce dossier. On y trouve divers exemples de flexibilisation des parcours de formation qui permettent aux jeunes en difficulté de se maintenir dans le système éducatif ou d’acquérir une qualification débouchant sur l’emploi. On y voit également les mesures prises pour adapter la formation à l’évolution des besoins de l’économie. La complexité croissante de la société et des appareils de formation appelle à des adaptations des politiques publiques et des mentalités collectives pour permettre à tous les jeunes de trouver un chemin vers un avenir qui leur convienne.

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Notes

1  Aussi nommée école fondamentale ou compréhensive.

2  L’article décrit les débats politiques quasi permanents pour mettre fin au système cloisonné traditionnel.

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Pour citer cet article

Référence papier

Thierry Chevaillier, « Portée et limites de la liberté de choix en éducation »Revue internationale d’éducation de Sèvres, 97 | 2024, 53-63.

Référence électronique

Thierry Chevaillier, « Portée et limites de la liberté de choix en éducation »Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 97 | décembre 2024, mis en ligne le 01 décembre 2024, consulté le 22 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/ries/16073 ; DOI : https://doi.org/10.4000/139bt

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Auteur

Thierry Chevaillier

Thierry Chevaillier est professeur émérite d’économie de l’éducation à l’Université de Bourgogne et chercheur à l’Institut de recherche sur l’éducation (IREDU/Université de Bourgogne). Ses recherches portent sur le financement de l’éducation et plus spécialement de l’enseignement supérieur, et privilégient une approche comparative et institutionnelle. Il est membre du comité de rédaction de la Revue internationale d’éducation de Sèvres. Courriel : thierry.chevaillier[at]u-bourgogne.fr

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