1Si l’on devait nous demander de citer les traits les plus caractéristiques du système éducatif espagnol actuel, nous pourrions choisir, parmi de nombreuses possibilités, les quatre éléments suivants.
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Il représente un modèle « compréhensif » relativement consolidé, mais avec de « graves problèmes » concentrés dans l’enseignement secondaire.
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C’est un système structurellement unique, mais divisé au moins en trois secteurs éducatifs différenciés : public, avec 67,3 % de la population scolarisée non universitaire ; privé sous contrat ou subventionné avec des fonds publics (25,2 % des inscrits) ; et strictement privé, avec 7,5 % des élèves.
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C’est un système national, mais géré de manière décentralisée par les Communautés autonomes, avec de nombreux signes de déséquilibres et d’inégalités interrégionales, parfois très importants.
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C’est un système de plus en plus divers culturellement, en raison, principalement, des flux migratoires qui ont augmenté de manière significative au cours des dernières décennies, même si le degré de pluriculturalité est très variable selon les territoires.
2Il conviendrait d’ajouter à ces caractéristiques un autre élément qui, s’il est commun aux différentes politiques éducatives contemporaines, est particulièrement prononcé en Espagne. Nous voulons parler de la succession rapide et ininterrompue de réformes et de contre-réformes que chaque gouvernement promeut inévitablement, en transformant de facto l’éducation en un champ permanent de bataille politique et de distinction idéologique, non dépourvue de fortes doses de rhétorique. De la sorte, des normes et des lois s’accumulent peu à peu, et le sentiment s’impose que, en matière éducative, on n’arrivera jamais à un pacte ou à un accord viable et durable entre les différentes forces politiques et sociales. Et l’on a également l’impression que la politique éducative espagnole continuera à être plongée, sans le moindre remède, dans une instabilité et une incertitude chroniques.
3Dans cet enchaînement interminable de projets et de tentatives de réformes, accompagnés d’une surproduction législative, de nombreux décalages et problèmes surgissent qui se concentrent sur des moments et des niveaux précis du système, tout particulièrement les phases de transition entre les différents cycles. De manière plus concrète, les situations les plus problématiques naissent tout au long de l’éducation secondaire inférieure (en Espagne, l’école secondaire obligatoire qui s’étend de 12 à 16 ans), même si elles se manifestent de manière plus forte à la fin de ce cycle. En conséquence, on peut considérer que la continuité de la trajectoire éducative des élèves est sérieusement compromise, autrement dit, leur accès à l’éducation secondaire supérieure. Parmi les objectifs de la dernière réforme éducative, préconisée par le gouvernement socialiste et reflétée dans une loi de la fin de l’année 2020, il est fait mention, non sans inquiétude, de cette situation bien enracinée, qui se traduit tout d’abord par des données alarmantes pour ce qui est de l’échec scolaire (mesuré en termes de redoublement) et de l’abandon précoce qui donne lieu ensuite à du chômage juvénile. En ce qui concerne ces trois indicateurs, l’Espagne enregistre, de manière répétée, année après année, les taux les plus élevés de l’Union européenne et parmi les plus élevés de l’OCDE.
4Dans cet article, nous analyserons ces problèmes et leurs répercussions sociales de manière un peu plus détaillée. Nous nous pencherons à nouveau sur l’éducation secondaire, qui est le contexte où ceux-ci naissent, en identifiant les défis que doit relever cette étape éducative. Nous nous référerons aux politiques qui sont mises en place afin d’y répondre, parmi lesquelles s’imposent le développement et l’amélioration de la formation professionnelle, et tout particulièrement sa modalité duale, ainsi que le développement de différentes stratégies d’orientation et de conseil pour les élèves et leurs familles.
5L’éducation fondamentale et obligatoire, entre 6 et 16 ans, se divise en Espagne, comme dans d’autres systèmes scolaires, en deux étapes consécutives : l’éducation primaire (6-12 ans) et l’éducation secondaire inférieure ou obligatoire (12-16 ans). Cette période est suivie de l’éducation secondaire post-obligatoire, qui se subdivise à son tour en deux branches. D’un côté, le baccalauréat (16-18 ans) qui a toujours joui d’un plus grand prestige social et représente la voie naturelle d’accès aux études universitaires. Et de l’autre, la formation professionnelle, historiquement dévaluée, mais en plein processus d’expansion depuis quelques années. En effet, la formation professionnelle qui vit, en ce moment, une profonde transformation, attire chaque année davantage d’élèves et suscite de grandes attentes liées à quelques-uns des manques les plus graves de l’éducation espagnole, en particulier ceux qui affectent la formation des jeunes et leur insertion dans le marché du travail.
6La réforme de l’enseignement secondaire, en particulier celle qui porte sur sa première phase, a souvent comporté certaines ambivalences. Dans les pays où dominent les modèles compréhensifs, on l’a considérée, en substance, comme une simple ampliation ou continuation de l’éducation primaire. Dans d’autres, en revanche, on l’a conçue comme la première étape d’une trajectoire qui conduit à l’université. Dans le premier cas, on la tient pour une partie substantielle de l’éducation générale de toute la population et, par conséquent, comme une pièce maîtresse de la démocratisation de l’école en tant que moteur d’inclusion, d’équité et de mobilité sociale. Dans le second cas, on lui assigne une orientation académique qui permettra, de manière ouverte ou implicite, la sélection d’une minorité destinée aux études supérieures. À cette fin, les contenus disciplinaires de caractère propédeutique sont privilégiés à ceux de caractère pratique, dirigés vers la qualification professionnelle et l’emploi.
- 1 La classification internationale type de l’éducation ou CITE (ISCED pour International Standard Cl (...)
7Malgré ces ambivalences et contrastes, qui ont accompagné l’histoire de l’enseignement secondaire, et qui survivent encore d’une manière ou d’une autre dans l’imaginaire de beaucoup d’enseignants et de familles, le fait est que l’accès au secondaire s’est peu à peu généralisé à toute la population et que les indices de scolarisation en phase post-obligatoire se sont améliorés de manière sensible, même s’il existe des différences notables entre les différents pays et régions. Dans le cas espagnol, le taux de scolarisation de l’enseignement secondaire (niveau CITE 31) avoisine les 88 %, au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE (84 %) et de l’Union européenne à 25 pays (98,7 %). En revanche, les taux de finalisation du cycle se réduisent drastiquement jusqu’à tomber à 63,6 %. Tout aussi préoccupant est le pourcentage de jeunes qui abandonnent prématurément le système éducatif et celui de ceux qui n’étudient pas et ne travaillent pas (les « ninis »), taux qui sont respectivement de 13,6 % et de 12,3 % en 2023.
8Par ailleurs, l’entrée généralisée dans l’enseignement secondaire implique nécessairement l’augmentation de la diversité de ses élèves, ce qui provoque communément un malaise chez une bonne part des enseignants qui interviennent à cette étape éducative. Il faut tenir compte du fait que leur formation spécifique pour l’enseignement se limite à quelques mois de formation pédagogique, postérieure à leur spécialisation disciplinaire dans des institutions universitaires. Ce n’est que depuis une quinzaine d’années que ce maigre programme de formation enseignante s’est transformé en un programme post-licence (concrètement, un master d’une durée d’un an) à l’université. Il représente, bien évidemment, un progrès certain, jouit d’une forte demande, mais continue à être extrêmement insuffisant pour la formation initiale des futurs professeurs de l’enseignement secondaire. De fait, nombre de ses étudiants le perçoivent comme une simple procédure administrative, légalement indispensable pour accéder aux concours d’enseignement. Son programme est focalisé, surtout, sur la spécialisation didactico-disciplinaire, et la période de stage dans les établissements scolaires est très brève. Ainsi, du point de vue pédagogique, ce programme souffre de nombreuses carences, si l’on tient compte de la complexité et des difficultés de l’exercice du métier d’enseignant qui règnent à cette étape (González Faraco et al., 2011).
9Les taux élevés d’abandon précoce et le nombre considérable de jeunes « ninis » constituent des problèmes structurels, dont le traitement exige des stratégies appropriées, radicales et soutenues dans le temps et pas seulement pour des motifs éducatifs. Ils représentent un risque certain de pauvreté et d’exclusion sociale pour ceux qui n’obtiennent qu’une formation très médiocre, acquièrent une qualification professionnelle faible ou inexistante et qui, pour cette raison, n’ont que des possibilités limitées de participer au monde du travail.
10L’expression « abandon scolaire précoce » s’applique aux jeunes qui abandonnent leurs études avant de les terminer ou une fois terminée la période de l’enseignement obligatoire, autrement dit avant le baccalauréat ou la formation professionnelle de niveau moyen, qui constitue la première de ses deux étapes (la seconde étant appelée niveau supérieur). Le taux d’abandon précoce correspond au pourcentage de jeunes de 18 à 24 ans qui n’ont pas réussi à obtenir leur diplôme d’enseignement secondaire supérieur et qui présentent, par conséquent, une formation insuffisante selon les standards actuels. En Espagne, ce pourcentage a baissé peu à peu, quoique de manière inégale selon les différentes régions du pays. Il continue à être, avec 13,6 %, le plus élevé de l’Union européenne, où la moyenne est de 9,6 % (2023).
11En raison de l’importance de ces données, au cours des dernières années, les études sur ce sujet se sont multipliées, avec l’objectif de connaître et d’analyser ses causes. En se servant d’une perspective multidimensionnelle, certaines recherches ont décrit ce phénomène, en concluant qu’il affecte plus les garçons que les filles, les jeunes les plus défavorisés sur le plan social, économique et culturel et également, de manière chaque fois plus visible, les élèves qui proviennent de l’immigration. Ce phénomène entretient donc une relation étroite avec les inégalités sociales et les conditions de scolarisation, liées à leur tour au niveau socio-éducatif, culturel et économique des parents. De plus, dans certains de ces travaux, on a pu signaler l’influence qu’a la concentration d’élèves vulnérables et de nationalité étrangère dans certains établissements de la périphérie des villes (Tarabini et Rambla, 2015).
12Ces études apportent une information décisive sur le profil de l’élève qui abandonne le système scolaire prématurément, ce qui permettrait d’expliquer sa conduite et également ses décisions dans les processus de transition postérieures à sa scolarité obligatoire. L’abandon scolaire précoce finit par se transformer en un conditionnement social et professionnel qui accompagnera les jeunes tout au long de leur vie : il signifiera pour eux un net désavantage lorsqu’ils voudront participer à la vie sociale et économique, et une plus grande probabilité de souffrir des situations d’exclusion sociale (Gamboa Navarro et Moso Díez, 2023). Face à ce paysage désolant, la décision du ministère de l’éducation d’ajouter à son nom « et de la formation professionnelle » témoigne du fait que, comme nous avons pu le mentionner, son objectif est d’affronter ce problème par un développement considérable de ces enseignements, qui avaient été jusqu’à voici peu de temps négligés face à l’enseignement secondaire traditionnel.
13De fait, en Espagne, le système productif montre une physionomie très contrastée. On constate un excès de main-d’œuvre peu qualifiée et, au contraire, un manque manifeste de personnes avec des qualifications intermédiaires. Il s’agit d’un système qui se nourrit d’un grand volume de travailleurs au faible niveau d’instruction et de qualification, par conséquent « sous-formés », et, en même temps, d’un groupe, également important, de personnes qui ont un haut niveau éducatif, et sont fréquemment « sur-formés » pour les postes qu’ils se voient contraints d’occuper. Par ailleurs, lorsque l’on analyse le chômage juvénile important (actuellement la moyenne nationale est de 26,6 %), les données montrent avec clarté que ce pourcentage est sensiblement moindre chez les jeunes qui ont suivi l’une des spécialités de la formation professionnelle et ont obtenu le diplôme correspondant. Nous y reviendrons.
14Le concept de jeunes « ninis » s’est imposé depuis la grande récession économique de 2008, jusqu’à devenir une question d’intérêt public et un thème de recherche sociale et éducative. Ce terme « nini », en anglais NEET (Not in Employment, Education or Training), fait référence aux jeunes entre 15 et 29 ans qui n’étudient pas et ne travaillent pas, autrement dit des jeunes qui, indépendamment de leur niveau éducatif, se trouvent en situation de chômage ou sont inactifs et ne reçoivent aucun type de formation ou d’éducation. En Espagne, bien que le pourcentage de « ninis » ait diminué au cours des dernières années, il était encore de 12,3 % en 2023, alors que la moyenne de l’Union européenne est de 11,2 %. Réussir à faire baisser ce chiffre et le chômage juvénile est devenu, depuis quelques années, l’un des objectifs prioritaires des politiques espagnoles et européennes.
15Qui sont les « ninis » ? En principe, et si l’on s’en tient strictement à la dénomination, cette expression se réfère à des jeunes qui vivent à la marge de deux activités qu’ils devraient réaliser à leur âge : étudier ou travailler. Si elle se prolonge dans le temps, cette vie « à la marge » limitera leurs possibilités, augmentera leur vulnérabilité et peut les conduire peu à peu à un cadre d’exclusion sociale. De manière évidente, la condition de jeune « nini » est devenue une image stéréotypée, basée seulement sur quelques données statistiques mal interprétées, qui ne laissent pas voir et encore moins connaître, dans toute sa dimension, la véritable réalité de ces jeunes. Pour commencer, il s’agit d’un groupe humain complexe et hétérogène qui inclut des individus aux trajectoires de vie diverses et qui encourent un niveau de risque social variable. Il semble beaucoup plus approprié de les observer comme des jeunes en « situation de nini », c’est-à-dire comme des personnes qui ne se trouvent pas dans une condition permanente et inamovible, mais transitoire et changeante. Il s’agit donc d’un processus dans lequel convergent, outre des facteurs exclusivement individuels, d’autres de nature familiale, géographique, sociale, économique et politique, entre autres (García Fuentes et Martínez García, 2020).
16Eurofound (European Foundation for the Improvement of Living and Working Conditions) est une agence de l’Union européenne pionnière des recherches sur les jeunes « ninis ». Ses publications insistent sur des variables qui contribuent significativement à la configuration de cette catégorie sociale : bien évidemment, la situation de chômage et l’échec éducatif, mais aussi la condition d’immigré, le handicap et les maladies chroniques, outre les conditionnements familiaux comme le fait de venir de foyers aux revenus très faibles, d’avoir des parents sans emploi, ou de provenir d’environnements culturels et sociaux vulnérables, etc. Ces facteurs peuvent avoir comme conséquence, d’une manière plus ou moins forte, qu’un jeune finisse par être « nini ». À ces paramètres, il convient d’ajouter le genre : de fait, les femmes, spécialement celles d’origine étrangère, ont, selon les données disponibles, une plus forte probabilité de faire partie de ce groupe. Très souvent, le motif de non-poursuite d’études ou l’absence d’accès à un travail rémunéré est associé à l’obligation de se consacrer à prendre soin des autres dans le cadre domestique.
17Pour affronter ce phénomène de la jeunesse « nini », qui présente des expressions et des causes si variées, les États membres de l’Union européenne ont élaboré une proposition politique dénommée « Garantie juvénile ». Son objectif concret était que ces jeunes puissent recevoir une offre d’emploi, d’éducation ou de formation continue, y compris celle d’apprenti ou de stagiaires dans un délai de quatre mois depuis le moment où ils se retrouvaient sans emploi ou abandonnaient l’éducation formelle. Bien que le développement de cette initiative n’ait pas été aisé et qu’elle se soit même vue limitée dans la réalisation de son objectif, elle a réussi à faire diminuer le nombre de « ninis », même si le problème n’est pas résolu et continue à être très préoccupant en Espagne. Il semble donc inévitable d’entreprendre des changements structurels dans le système scolaire, qui aident à renouveler et à réorienter ces tentatives tronquées. Il est prioritaire de concevoir des passerelles ou des voies qui facilitent, de manière fluide et flexible, les transitions entre différentes étapes éducatives, d’orienter et d’accompagner de manière appropriée les élèves dans leurs choix, de façon que leur continuité dans le système se voie favorisée et qu’ils puissent établir des liens efficients avec le marché du travail.
18En 2022, la loi de formation professionnelle a été promulguée, un cadre législatif de très haut niveau dans lequel la politique du gouvernement a placé de nombreux espoirs afin d’améliorer la qualification professionnelle de la population et réduire le chômage des jeunes qui est élevé. La formation professionnelle, répondant à une tradition espagnole lacunaire, devient peu à peu le centre de toutes les attentions et le point stratégique de la réforme de l’éducation espagnole.
19Prenant pour référence d’autres pays de l’Union européenne, dans lesquels la formation professionnelle jouit d’une longue histoire et est l’objet d’une forte demande sociale, sa réforme en Espagne passe par la modalité duale, à l’instigation et avec le concours de l’Union européenne et de l’OCDE. Ces deux institutions ont communiqué de manière active, depuis quelque temps, sur les bénéfices de cette modalité et ont promu le transfert international des politiques qui reconnaissent les apprentissages acquis, sous une forme alternante et coordonnée, dans l’institution éducative et sur le lieu de travail. Il y a de nombreuses expériences, y compris en Espagne, qui permettent d’augurer que ce lien formateur avec l’entreprise peut faire surgir davantage d’opportunités pour l’intégration professionnelle et l’emploi des jeunes (Jiménez Ramírez et al., 2023). Pour y parvenir, on a étudié et planifié le développement de transitions éducatives efficaces depuis l’éducation secondaire obligatoire vers les différents cycles ou programmes de formation professionnelle, qui auront en totalité un caractère dual.
20Ce que l’on appelle le cycle de formation professionnelle de base est, d’une certaine manière, un cas particulier car il est destiné, depuis sa création, voici quelques années, à des étudiants d’au moins 15 ans qui n’ont pas eu la possibilité de finir avec succès l’éducation secondaire inférieure et d’obtenir, dans le délai prévu, le premier titre délivré par le système éducatif espagnol (González Faraco et al., 2019). Son objectif est d’éviter la désertion de ces étudiants, en général très démotivés et inadaptés, en leur offrant cette solution afin de reprendre et de poursuivre leurs études. Dans ce processus, en une période personnelle si critique pour l’élève, comme dans d’autres transitions éducatives importantes, le tutorat et l’orientation individualisée de la part d’une équipe multiprofessionnelle jouent un rôle primordial dans l’accompagnement des jeunes afin qu’ils prennent la bonne décision. La formation professionnelle de base, après environ deux années, peut leur fournir un titre d’ouvrier qualifié qui leur permettrait de continuer leur formation dans le cycle suivant de niveau moyen et même de présenter les épreuves pour obtenir leur diplôme de l’école secondaire obligatoire. Même s’ils n’obtiennent pas ce titre de technicien, les étudiants peuvent recevoir l’accréditation officielle d’une qualification de base, reconnue dans le marché du travail et reprise, avec le niveau 1, dans le catalogue national des standards de compétences professionnelles.
21On accède normalement au cycle de formation professionnelle de niveau moyen, qui est l’objet d’une forte demande chaque année, avec le titre de diplômé de l’éducation secondaire obligatoire et également, comme nous venons de le voir, à travers la formation professionnelle de base. Son programme de formation répond à l’apprentissage des activités professionnelles du niveau 2 de qualification et donne le titre de technicien. Son objectif est de permettre l’accès de ses élèves à des emplois de qualification moyenne, dans des branches ou familles professionnelles multiples, en consacrant une attention particulière à ceux qui souffrent le plus de désavantage social et de risque d’exclusion.
22L’architecture éducative de la formation professionnelle se termine par le cycle de niveau supérieur, auquel peuvent prétendre les élèves qui ont étudié et obtenu le titre de baccalauréat ou de technicien de niveau moyen. Il offre un niveau 3 de qualification, c’est-à-dire le plus haut niveau de spécialisation de la formation professionnelle. Ce cycle, qui est de plus en plus demandé, présente un faible niveau d’abandon éducatif, étant donné la qualification des élèves (Gamboa Navarro et Moso Díez, 2023).
23Il convient de rappeler que la nouvelle formation professionnelle se distingue de manière significative et sur différents aspects de l’éducation formelle conventionnelle, du fait qu’elle a été conçue comme un espace d’intersection entre l’éducation et l’emploi, entre l’école et l’entreprise. Et, en ce sens, elle est caractérisée par sa flexibilité. C’est ainsi que, par exemple, d’autres prérequis possibles pour accéder à ses cycles sont prévus, outre ceux qui sont communs et que nous venons de rappeler. Cette logique, plus proche du monde de l’entreprise et du travail, qui, par exemple, permet de reconnaître officiellement des compétences acquises tout au long de la vie, pourrait représenter un point d’inflexion dans notre manière de comprendre l’éducation. Et peut-être aussi une solution différente, sans doute ni absolue ni définitive, mais plausible face à l’abandon précoce et au chômage juvénile, si enracinés en Espagne.
24L’orientation et l’accompagnement des élèves, y compris de leurs familles, dans tous les processus de choix d’étude et, en général, dans toutes les transitions éducatives, est une question d’une très grande importance. Dans le cas de l’éducation secondaire actuelle en Espagne, elle est décisive, essentielle, incontournable, car c’est au cours de cette période de leur scolarité que se produit le naufrage de nombreux élèves. Le choix des parcours éducatifs que les jeunes doivent réaliser dans leurs transitions éducatives, aussi bien durant le cours de leurs études qu’à l’étape finale de leur éducation basique, s’avère de plus en plus complexe. La pluralité des options que le système éducatif leur propose, avec l’objectif, entre autres, de combattre leur échec et leur abandon scolaire anticipé, implique que les élèves prennent des décisions, parfois très importantes, sur leur avenir à des âges chaque fois plus précoces, sans connaissance ni capacité suffisante pour en mesurer toutes les conséquences. Pour quelques-uns, l’école est même devenue un milieu hostile, face auquel il n’y a de place que pour le désintérêt et, enfin, la fuite.
25Les réformes éducatives ont consacré une attention croissante à la diversité des élèves qui, visible dans l’éducation primaire, est de plus en plus visible dans ces phases éducatives critiques qui correspondent à l’adolescence. Le dernier de ces essais réformateurs, en date de 2020 et déjà mentionné, considère, pour cela, que l’action tutorale de l’enseignant et l’orientation éducative et professionnelle des élèves sont prioritaires, avec l’étroite complicité de leur famille et de leur environnement communautaire, en se proposant de garantir que nul élève ne sorte du système sans titre lui permettant de poursuivre sa formation. L’éducation secondaire obligatoire est, sans doute, l’étape clé pour acquérir des savoirs et des compétences culturelles fondamentales, de caractère humaniste, scientifico-technologique, artistique et physique, nécessaires pour les études secondaires post-obligatoires, et pour une insertion dans le monde du travail plus ou moins proche.
26Pour parvenir à cette fin, l’établissement scolaire, en s’appuyant sur son autonomie pédagogique et sa capacité d’autogestion, dispose d’un éventail d’actions parmi lesquelles il peut choisir d’en développer certaines : la possibilité de réaliser des adaptations d’un plan d’étude, l’organisation de regroupements flexibles d’élèves et le dédoublement temporel de groupes, l’application de programmes de renforcement et d’appui spécifique et de mesures de suivi personnalisé pour des élèves qui ont des besoins spécifiques, par exemple. Dans cet ensemble d’options, l’orientation académique et professionnelle ainsi que l’action tutorale, promues et développées par l’équipe d’orientation éducative (dans laquelle collaborent des psychologues, des pédagogues et même des éducateurs sociaux) et l’équipe enseignante de l’école jouent un rôle éducatif transversal et, bien évidemment, fondamental.
27À la fin de la deuxième année (soit la dernière du premier cycle) de l’éducation secondaire obligatoire (ESO), c’est-à-dire juste à mi-parcours, chaque élève et ses parents ou tuteurs légaux reçoivent des conseils d’orientation qui incluent un rapport sur son niveau de réalisation des objectifs et d’acquisition des compétences préétablies, ainsi qu’une proposition argumentée de l’option la plus appropriée pour la suite de sa formation. Le plus fréquent est, comme on peut le supposer, celle de poursuivre par la voie ordinaire le second cycle. Toutefois, si l’on tient compte de la progression scolaire variable de chaque élève, et parfois dans le but de faciliter une connexion plus précoce entre le processus de formation et la transition vers la vie active, on peut conseiller son intégration dans le programme de « diversification curriculaire » ou dans un cycle professionnel de niveau basique.
28Les programmes de « diversification curriculaire » s’adressent aux élèves qui, lorsqu’ils terminent la deuxième année de secondaire inférieur (ESO), ne sont pas en mesure de passer en troisième année à cause de leurs difficultés d’apprentissage et de leur retard important dans l’acquisition des compétences prévues à cette étape. Après une évaluation appropriée, et une fois entendus l’élève et ses parents ou tuteurs légaux, on élabore une adaptation du plan d’étude et de la méthodologie didactique pour qu’il atteigne les objectifs et compétences du second cycle de l’ESO. L’objectif principal est de lui offrir une trajectoire spécifique, adaptée, avec des lignes directrices et des ressources d’« attention à la diversité », qui lui permette d’atteindre le titre correspondant à cette étape éducative, absolument indispensable pour intégrer l’étape suivante post-obligatoire.
29Nous nous sommes référés aux « cycles formatifs de niveau basique » dans une section antérieure. Le choix de cette voie d’études professionnelles élémentaires, en réalité parallèle au second cycle (15-16 ans) de l’éducation secondaire conventionnelle, doit nécessairement être précédé d’une proposition de formation faite par l’équipe enseignante aux parents et tuteurs légaux, dont on demande l’accord explicite. L’élève doit avoir atteint 15 ans, ou les fêter au cours de l’année, et avoir déjà suivi, même si c’est sans succès, la troisième année de l’enseignement scolaire obligatoire ou, de manière exceptionnelle, seulement la deuxième. Les bénéfices que l’élève peut recevoir, s’il termine ce cycle avec succès, sont substantiels : un diplôme d’ouvrier qualifié et la possibilité de retourner dans l’enseignement secondaire pour compléter ses études. Dans tous les cas, il peut obtenir une certification de sa qualification professionnelle s’il ne termine pas le cycle. Éviter, à tout prix, le décrochage scolaire qui, tôt ou tard, conduit à des formes variées d’exclusion avec de lourds coûts personnels, tel est le but de ces parcours éducatifs alternatifs qui, malheureusement, risquent d’être perçus comme des voies de ségrégation qui, paradoxalement, peuvent provoquer de la discrimination et même de la stigmatisation (González Faraco et al., 2020). De nombreux chercheurs ont fait remarquer ce paradoxe dans lequel s’inscrivent les discours et pratiques pédagogiques « bienveillants » ou inclusifs. L’ironie, pour reprendre les termes de Thomas Popkewitz (2006), est qu’« alors que le propos de ces récits est d’inclure l’exclu, les pratiques d’inclusion se situent continuellement dans un contexte qui les rend simultanément exclusives ».
30Les étudiants qui n’atteignent pas le diplôme d’études secondaires (qui, rappelons-le, est le premier titre que délivre le système éducatif espagnol), ont également droit à une certification officielle dans laquelle figureront le nombre d’années d’études suivies et le degré d’acquisition des compétences. Cette certification est toujours accompagnée d’un conseil d’orientation individualisé. L’équipe enseignante et d’orientation y propose les différentes possibilités académiques et professionnelles qu’elle estime les plus appropriées pour qu’un élève donné puisse suivre sa formation, dans le cadre de ce que l’on a l’habitude de nommer l’apprentissage tout au long de la vie. L’une de ces voies possibles peut logiquement être l’accès à la formation professionnelle de base et, à partir de là, aux deux diplômes suivants. Cependant, l’impression générale est que le retour de ces étudiants dans le système scolaire est très faible. Autrement dit, ces rapports et conseils sont d’ordinaire des dispositifs plus rhétoriques qu’utiles, et d’une faible efficacité. Nous sommes face à des cas d’échec scolaire extrême que même les orientations novatrices, du moins sur le papier, de l’éducation secondaire ne sont pas parvenues à atténuer de façon significative.
31De fait, les documents qui ont inspiré les réformes récentes (OCDE, 2023) insistent sur le fait que la hiérarchie entre itinéraires et matières ainsi que les évaluations standardisées ou examens terminaux (revalidas), de nature sélective, ont été supprimées dans l’enseignement secondaire inférieur espagnol, au moins sur le plan formel. L’intention, dont la bienveillance n’est pas à mettre en doute, est que le système éducatif gagne en flexibilité et offre des chemins divers pour des personnes également diverses, avec l’aide indispensable de l’orientation et du conseil aux élèves et aux familles, dans leurs transitions et leurs choix les plus délicats. On souligne également la singularité de la formation professionnelle, ce qui justifie une stratégie d’orientation professionnelle propre ou spécifique, pleinement intégrée dans tous les processus de formation ou de validation d’études, qui offre à toutes les parties concernées des conseils personnalisés au sujet du choix sur les itinéraires professionnels les plus appropriés pour chaque étudiant. Pour le moment, la distance culturelle entre ces discours, avec les réglementations légales qui en découlent, et la culture scolaire est remarquable. La différence entre l’accélération effrénée de la production politique de réformes et le rythme de leur intégration effective dans les pratiques quotidiennes des institutions éducatives l’est tout autant. Les résultats de ces différentes dissonances et impostures sont manifestes : une amélioration lente et insuffisante de certains indicateurs éducatifs importants.