- 1 Expression utilisée par Xi Jinping le 1er juillet 2024, à l’occasion de la célébration du centième (...)
1Ces trente dernières années, la transformation néolibérale de la société et les réformes dans le champ de l’éducation ont propulsé l’idéologie de la parentocratie, les politiques publiques et les pratiques en matière de choix d’école au rang de phénomène mondial (Brown, 1990 ; Forsey, 2008 ; Golden et al., 2021). La réforme et l’ouverture de la Chine ont également déclenché un processus de transformation sociale « individualisée » (Yan, 2009). La conjugaison complexe de facteurs économiques, politiques, culturels et éducatifs a fait émerger un phénomène appelé « fièvre du choix de l’école » dans l’éducation de base, qui revêt en Chine des formes sensiblement différentes de celles observées dans les pays occidentaux. Le désarroi des parents, pour leurs stratégies, les interventions des autorités à intervalles réguliers et l’évolution des réformes de la scolarité ont façonné le processus de gouvernance de l’orientation scolaire au niveau gouvernemental au début du xxie siècle (Dong et Li, 2019). Cependant, la situation a changé depuis 2014. Tout d’abord, le gouvernement chinois a continué à renforcer les dispositions et les règles en matière de scolarisation à tous les échelons, intervenant à travers des politiques publiques de façon plus globale et systématique que jamais, réduisant ce faisant l’espace accordé aux choix des parents en matière d’éducation. De plus, les voix réclamant une éducation de qualité se sont fait entendre de plus en plus, notamment parmi les parents des classes moyennes et supérieures dont la préférence pour des écoles d’excellence est désormais plus marquée et s’accompagne de pratiques éducatives caractérisées par un suivi plus intensif des enfants. Troisième point : l’aspiration chinoise au « rajeunissement national1 » a élargi le spectre des prérogatives et des missions de l’éducation. Dans ce contexte, promouvoir la pratique du football dans les écoles afin de favoriser la constitution d’un terreau fertile a progressivement émergé comme l’un des objectifs stratégiques nationaux. Dès lors, comment les parents chinois interprètent-ils l’importance et la valeur du football lorsqu’ils choisissent de laisser – ou non – leurs enfants pratiquer ce sport ? Quelles différences peut-on observer entre les perceptions et les actions des parents en ce qui concerne la pratique du football, le choix de l’école et les projets d’orientation qu’ils conçoivent à long terme pour leurs enfants ? En outre, quels enseignements tirer de la mise en œuvre directe de politiques visant à promouvoir le football dès l’enfance ? Autant de questions dont traite cet article, en examinant des politiques publiques pertinentes et en présentant les processus réflexifs de parents d’élèves scolarisés dans deux écoles primaires spécialisées dans le football à Shanghai.
2Les performances footballistiques de la Chine dénotent avec son statut de puissance sportive à l’échelle mondiale. Il y a dix ans, le président Xi Jinping s’est personnellement impliqué, en dirigeant les efforts à consentir pour élever la réforme du football au rang de priorité stratégique nationale. Dans la foulée, le gouvernement chinois a lancé le Plan d’ensemble pour la réforme et le développement du football chinois, lequel identifiait explicitement le fait de « réformer pour faire avancer le développement de la pratique du football chez les jeunes » comme l’un de ses axes essentiels. Dans le même temps, associer sport et éducation a progressivement émergé comme un cap pour une politique visant à approfondir la réforme de l’enseignement de qualité, tout en favorisant un développement sain des enfants et des jeunes. Le football junior, caractérisé par des pratiques très populaires et par de faibles barrières à l’entrée, est devenu un vecteur essentiel de cette intégration. Au plus haut niveau, c’est le ministère de l’éducation qui a été chargé de piloter et de faciliter la mise en place d’initiatives idoines afin de soutenir la revitalisation du football chinois et, ainsi, de contribuer à créer une nation sportive résistante, un système éducatif solide et un pays en meilleure santé. Depuis 2014, un réseau d’organisations présentes à de multiples niveaux a été constitué pour favoriser la pratique du football des enfants et des jeunes, notamment « des écoles spécialisées, des comtés pilotes, des zones d’expérimentation, des camps d’entraînement et des équipes sportives ». Ce réseau est relié aux différentes étapes de l’enseignement – primaire, secondaire et supérieur –, formant ainsi un système complet d’épanouissement et de sélection des talents qui allie « curriculum, activités et compétitions ». De plus, des directives spécifiques ont été émises afin d’orienter l’enseignement et l’évaluation dans les écoles primaires et secondaires spécialisées dans le football. Les efforts consentis pour coordonner activement les ressources sociales, accroître le niveau de financement, assurer une véritable formation des enseignants et améliorer la coopération internationale ont entraîné une popularité croissante et une amélioration continue du football des jeunes en Chine (Dong et Li, 2024).
3Toutefois, dans un système éducatif structuré autour des examens, l’initiative en faveur de la pratique du football dès le plus jeune âge se heurte au défi considérable d’offrir aux élèves footballeurs une mobilité ascendante dans leur parcours scolaire. De nombreuses régions pilotes explorent actuellement la mise en place d’un système de suivi complet allant de l’école élémentaire à l’université, en s’appuyant sur les filières existantes pour les spécialisations en éducation physique. Ce système offre aux élèves footballeurs une transition en douceur au sein des équipes établies au niveau local et à l’échelle du comté. De plus, les politiques d’admission en vigueur permettent aux lycéens et aux étudiants qui intègrent un club de football professionnel de conserver leur statut d’élève ou d’étudiant. Grâce à la mise en place d’un système de sélection connecté au niveau horizontal et vertical, un nouveau paysage de la formation des jeunes footballeurs s’est progressivement dessiné.
4À Shanghai, par exemple, les écoles primaires dotées d’une spécialité football ont créé des canaux de recrutement avec les collèges de la même filière. Quant aux lycées, les établissements de référence qui proposent une spécialisation dans le sport (y compris le football) peuvent accepter des élèves des collèges de Shanghai dotés de la même spécificité. Les élèves préadmis peuvent assurer leur inscription définitive si leurs résultats scolaires atteignent la note minimum fixée par le gouvernement. Cela signifie que les élèves qui excellent sur un terrain de football peuvent accéder à des lycées prestigieux avec des notes pouvant être inférieures de cent points à celles de leurs pairs non-footballeurs. Depuis la mise en œuvre de cette nouvelle politique, l’inscription autonome dans les établissements scolaires de Shanghai continue de progresser chaque année. En ce qui concerne l’enseignement supérieur, les élèves particulièrement doués dans une discipline sportive disposent de trois voies d’accès à l’université. La première consiste à passer l’examen national unifié, la deuxième implique de passer un examen distinct, moins difficile sur le plan de la culture générale, tandis que la troisième implique une sélection dans une équipe sportive de haut niveau. L’approche de sélection intégrée des systèmes sportif et éducatif permet non seulement aux écoles de gagner en autonomie sur le volet scolarisation, mais aussi aux élèves et à leurs parents d’envisager une autre possibilité de carrière centrée sur le football.
- 2 « [En Chine,] la zone de résidence de chaque citoyen est définie par le hukou, le permis de réside (...)
5Dans le cadre de la politique de haut niveau conçue pour réformer le football national, Shanghai a été pionnière dans la mise en place d’un mécanisme de promotion du football, de l’école primaire au lycée. Aux fins de l’analyse, nous nous concentrerons ici sur deux cas typiques – deux écoles élémentaires de Shanghai spécialisées dans la pratique du ballon rond. L’école A est un fleuron traditionnel du football, situé dans un district où le modèle d’entraînement intégré à l’enseignement a été lancé en 1993, offrant dès lors aux élèves footballeurs un parcours progressif composé de trois écoles primaires, d’un établissement secondaire de premier cycle et d’un établissement secondaire de deuxième cycle d’excellence. L’école B a constitué son équipe de football en 2015 et a rapidement amélioré sa performance pour devenir une étoile montante au fil des années. L’école étant majoritairement fréquentée par des enfants de travailleurs migrants qui ne sont pas enregistrés en tant que résidents de Shanghai (selon la conception chinoise du hukou2), le choix du football semble être une manière légitime pour ces parents d’assurer à leurs enfants des opportunités éducatives à Shanghai. Bien que tous les parents d’élèves des deux écoles partagent un même enthousiasme pour les initiatives en faveur du football des jeunes, de nettes différences peuvent être identifiées en ce qui concerne leurs attentes, leurs projets et les stratégies qu’ils déploient.
6Dans le tableau fascinant du développement rapide du programme conçu pour le football des jeunes en Chine, les parents de milieux favorisés des classes moyennes et supérieures ne s’impliquent pas uniquement pour le plaisir et le bien-être de leurs enfants. Ils visent haut et attendent davantage de la pratique du ballon rond. Ces parents mettent toujours en œuvre leurs compétences élevées en matière de recueil d’information pour tenter de calculer les opportunités cachées entre les lignes des textes officiels et intègrent avec le plus grand soin l’apprentissage du football dans le planning éducatif de leurs enfants. Qu’ils cherchent à décrocher leur admission dans les écoles et les universités ciblées ou à développer des compétences non cognitives chez leur progéniture, les parents des classes moyennes et supérieures font montre d’intentions claires et nettes dans l’élaboration de projets footballistiques pensés pour doter leurs enfants des capitaux nécessaires dans un environnement concurrentiel.
7Notre recherche montre que de nombreux parents espèrent aider leurs enfants à intégrer plus tard des universités réputées grâce à l’apprentissage du football. Certains font même le choix d’emprunter la voie professionnelle à un stade très précoce de l’école primaire – ce pour quoi ils ont tendance à anticiper et à planifier systématiquement. Un père typique nous a raconté que son épouse et lui avaient détecté les talents innés de leur fils pour le ballon rond et décidé dès ses années au jardin d’enfants qu’il embrasserait une carrière de footballeur professionnel. À la recherche de conditions d’entraînement et d’un encadrement de premier ordre, ces parents ont quitté la province du Guangxi pour s’installer à Shanghai. Par contraste, la plupart des parents apprécient la possibilité donnée aux écoles spécialisées dans le football de promouvoir d’excellents joueurs afin qu’ils accèdent directement à des lycées d’excellence. Leurs stratégies peuvent donc se concentrer sur la manière d’assurer à leurs enfants une sélection par l’entraîneur de l’équipe afin que ces derniers avancent dans leur scolarité en intégrant un établissement clé. En outre, les familles qui considèrent pour leurs enfants une poursuite d’études à l’étranger ont souligné également que la pratique d’un sport collectif pouvait constituer une qualité qui les distingue d’autres candidatures auprès d’institutions étrangères. Et si leur performance sur le terrain est considérée comme cruciale pendant un processus de sélection très compétitif, les parents de milieux favorisés ne relâchent jamais la pression sur la réussite scolaire de leurs enfants. Ce qu’ils espèrent toujours, c’est la préservation d’un bon équilibre entre le football et la scolarité.
8Quant aux parents qui ne forgent pas de projet stratégique et détaillé en vue de choisir un établissement scolaire, ils expriment clairement leur désir de voir leurs enfants acquérir, à travers la pratique du football, des habitudes saines et une résilience pour toute la vie. Les attentes formulées par ces parents tournent souvent autour d’une bonne condition physique dont ils sont convaincus qu’elle sera le socle fondamental de tous les efforts à venir. En outre, la quête de l’excellence et l’esprit de compétition encouragés par le football influencent profondément le travail de leurs enfants pour réussir à l’école. Ces parents sont persuadés que, quels que soient les choix d’orientation que feront leurs enfants à l’avenir, les qualités acquises à travers l’apprentissage du football sont cruciales et qu’ils disposent ainsi des capacités essentielles dont ils auront besoin pour évoluer dans des environnements sociaux de plus en plus complexes et, in fine, réussir dans la vie. C’est cette compétence même que les parents anticipent et qui semble étroitement liée à l’habitus de la classe moyenne (Swanson, 2016 ; Kooistra et Kooistra, 2018).
- 3 Il s’agit de réduire la charge scolaire qui pèse sur les élèves de Chine en limitant à la fois les (...)
9Depuis la mise en place de la politique dite « de double réduction3 » par le gouvernement central en 2021, les parents issus de milieux défavorisés sont plus enclins à inscrire leurs enfants à des activités périscolaires autour du football. Néanmoins, leurs choix ne procèdent pas d’un recueil exhaustif d’informations sur le système ou d’un plan de carrière à long terme minutieusement préparé. En fait, les enfants de ces familles ont plus de chances de choisir le football par hasard. Leurs parents s’appuient souvent sur des éléments fortuits tels que les centres d’intérêt de l’enfant, l’invitation d’un entraîneur ou les encouragements des enseignants. Même si ces parents ne s’opposent pas à ce que leurs enfants jouent au football, ils se lancent rarement dans une planification éducative plus poussée, du fait de l’instabilité de leur propre situation professionnelle. D’une certaine façon, ils n’ont ni la volonté ni la capacité de préparer l’avenir de leurs enfants et attendent généralement qu’une quelconque opportunité se présente.
10Les parents défavorisés ont tendance à accorder plus d’attention aux expériences sportives offertes à leurs enfants et à ce que ces derniers en disent sur le plan émotionnel, notamment en soulignant les relations sociales entre pairs et camarades au sein de l’équipe. Une mère a ainsi noté que son fils continuait surtout de jouer au football grâce aux liens d’amitié tissés avec ses coéquipiers. Une autre mère célibataire exprimait son espoir que le désert émotionnel que traversait sa fille s’atténue auprès d’une équipe de football, dans un contexte proche du cadre familial. Au fil du temps, les parents issus des classes populaires tendent à nouer un lien émotionnel plus profond avec les entraîneurs, dont le sens des responsabilités et la gentillesse sont souvent loués – des qualités auxquelles ces parents accordent une grande valeur. Otages d’horaires de travail irréguliers, ils considèrent souvent l’entraînement au football après l’école comme un moyen de garde plus sûr que de laisser leurs enfants sans surveillance devant les écrans.
11Indéniablement, ces familles défavorisées entrevoient parfois la possibilité d’une mobilité sociale ascendante à travers la pratique du football. Cependant, faute de réseaux sociaux efficaces et d’une connaissance fine des politiques en vigueur concernant l’accès aux établissements scolaires, ces parents échouent à jouer un rôle actif dans la conception de parcours scolaires pour leurs enfants. Au lieu de cela, ils doivent écouter les suggestions et instructions des entraîneurs et des enseignants, qui constituent leurs principales sources d’information et d’orientation. Ces mêmes parents ont une confiance inébranlable envers les voies tracées par les entraîneurs et transmettent à leurs enfants l’importance de suivre un enseignement spécialisé et d’adhérer aux consignes de l’école. Pour les familles non titulaires d’un permis de résidence (hukou), envoyer leurs enfants s’entraîner au football, jouer et gagner des matches peut leur offrir une chance plus grande de rester à Shanghai et d’y poursuivre leurs apprentissages. Le football devient alors une manière réaliste d’éviter d’« être expulsés », ce qui est aux antipodes du désir d’« avancer » exprimé par la classe moyenne. Les parents de milieux défavorisés continuent d’afficher un état d’esprit méritocratique qui met en valeur les talents et les efforts des enfants. S’abstenant toujours d’intervenir de manière excessive ou de prodiguer des conseils sur les résultats scolaires et les compétences sportives de leurs enfants, ils s’en remettent entièrement aux institutions éducatives.
12Comme évoqué plus haut, la réforme nationale du football chinois est chargée de fortes attentes et d’aspirations quelque peu antagoniques, de la part de l’État comme de la société. À partir de la définition d’une politique publique établie par Lasswell, à savoir un processus par lequel est déterminé « qui obtient quoi, quand et comment » (Lasswell, 2018), il est possible d’affirmer que ce mouvement initié par le pouvoir central en faveur du football des jeunes constitue une entreprise de nature hautement politique et sociale dont les bénéfices éducatifs et les conséquences sociales pour les différents parents et leurs enfants sont relativement complexes.
13Bien que les progrès en matière de football des jeunes aient considérablement accru le nombre de pratiquants et la popularité de ce sport en Chine, dans le cadre des politiques éducatives actuelles visant à favoriser la réussite, l’implication croissante des écoles et des familles a tendance à exacerber le phénomène de neijuan (mal-être, repli sur soi), déjà très marqué dans le champ de la concurrence scolaire liée au football (He et al., 2024). Par conséquent, le nombre de joueurs susceptibles de se distinguer réellement dans un environnement toujours plus compétitif se limite invariablement à une poignée. Dans ce contexte, au-delà des talents innés et des efforts déployés par les adolescents eux-mêmes, il y a un besoin impérieux d’investissement et de soutien dans la durée de la part de diverses ressources au sein de la société, y compris les autorités locales, les établissements scolaires et les familles. Les inégalités sociales existantes se refléteront inévitablement dès lors qu’un nombre croissant de parents choisiront consciemment le football comme une voie réaliste pour que leurs enfants accèdent à l’université.
14Les parents issus de milieux favorisés tendent à considérer le football à l’école comme une « échelle » stratégique pour permettre à leurs enfants d’aller jusqu’à l’enseignement supérieur. Ils intègrent minutieusement la formation footballistique dans le cadre éducatif global qu’ils conçoivent pour le développement de leur enfant dans toutes ses dimensions, aspirant à tirer le meilleur parti des politiques de promotion du ballon rond pour obtenir des avantages éducatifs tangibles. À l’inverse, les familles de milieux défavorisés sont plus enclines à percevoir l’apprentissage du football comme une forme particulière de « boîte noire » en attendant que la chance leur sourie, et à estimer qu’il s’agit d’une possibilité pour que leur enfant bénéficie d’opportunités éducatives dans la métropole de Shanghai. Souvent, ces parents se satisfont des relations interpersonnelles immédiates et des bénéfices émotionnels que leurs enfants retirent de la pratique du football, sans montrer de planification ambitieuse et systématique pour leur développement général.
15De surcroît, nous observons que les parents de catégories socio-économiques supérieures ont tendance à adopter une approche « concertée » de l’éducation dans leurs stratégies de participation (Lareau, 2018), témoignant d’un engagement proactif et même dominant dans leurs interactions avec les écoles et les entraîneurs. Ils possèdent un meilleur accès au capital économique, culturel et social nécessaire pour chercher, obtenir et tirer parti d’activités structurées (Chin et Phillips, 2004). Par le biais d’une stratégie éducative soigneusement mise en œuvre, ils s’assurent que leurs enfants trouvent un équilibre harmonieux entre leur scolarité et leur pratique sportive. Ils ne se concentrent pas uniquement sur l’amélioration des compétences footballistiques de leur progéniture, mais mettent aussi l’accent sur l’acquisition de compétences essentielles telles que la gestion du temps et la motivation intrinsèque. Ces parents ont l’art de mobiliser leurs réseaux pour bâtir des ponts qui mettent leurs enfants en relation avec des athlètes connus, des institutions éducatives et de futures opportunités de carrière. De telles connexions extensives non seulement préparent le terrain pour la réussite scolaire et les progrès de leur progéniture en matière footballistique, mais elles atténuent également les incertitudes liées au fait de tout miser sur les prouesses sportives en offrant aux jeunes des chances d’évolution variées et inscrites dans la durée. À l’inverse, les familles confrontées à des difficultés économiques tendent à présenter des comportements plus passifs, avec un mode de participation plus dépendant. D’une part, elles ne disposent pas de canaux efficaces d’information, ce qui les rend incapables d’identifier les opportunités potentielles qu’offrent les systèmes et les politiques publiques. Elles accordent fréquemment une confiance absolue aux conseils dispensés et aux dispositions prises par les écoles et par les entraîneurs. D’autre part, si ces parents partagent le désir de voir leurs enfants exceller à la fois sur un terrain de football et en classe, leur propre niveau d’instruction – limité – les met en difficulté quand il s’agit d’apporter le soutien scolaire adéquat. Par conséquent, ils se sentent souvent obligés de faire entièrement confiance au système scolaire pour éduquer leurs enfants. De facto, certains de ces parents peuvent même croire que la performance sportive prime sur les résultats scolaires. Cette décision immature et dissonante s’apparente à une sorte de pari qui, inévitablement, laisse les enfants démunis lorsqu’ils sont confrontés au caractère complexe de la concurrence future.
16Afin de soutenir la croissance et le développement de divers talents, les politiques d’admission des élèves athlètes, y compris des jeunes footballeurs, ont été conçues au départ pour offrir une voie d’accès à la mobilité ascendante relativement accessible et équitable aux élèves qui démontrent leurs aptitudes sportives. Toutefois, la performance athlétique n’est qu’un des nombreux facteurs qui influent sur leur développement : on ne peut pas ignorer la complexité et les difficultés de la vie quotidienne. Certains comportements visant un certain profit semblent inévitables. D’après Jiang et al. (2022), à cause des incohérences dans la mise en œuvre des politiques publiques dans les différentes régions, auxquelles il faut ajouter l’absence d’un mécanisme de supervision robuste, des actes inadaptés tels que la « falsification de titres », la « présentation irrégulière à un examen » et la « triche collective » persistent malgré les interdictions, ce qui porte de graves atteintes à l’impartialité de ces politiques. Certaines classes privilégiées de l’élite savent exploiter avec plus de souplesse les zones grises présentes dans le cadre politique établi, mobilisant leur capital économique, culturel et social pour accéder à des ressources éducatives supplémentaires. Les pratiques chaotiques autrefois rampantes dans le système éducatif chinois tout au long de la scolarité obligatoire, telles que « l’admission fondée sur le pouvoir », « l’admission fondée sur la richesse » et « l’admission sur la base de connexions » peuvent continuer d’exercer une certaine influence dans la quête d’une progression dans la scolarité grâce au football. De plus, dans les sports collectifs comme le football, les entraîneurs jouissent d’une autorité importante. Souvent, ce sont eux qui déterminent l’éligibilité des joueurs à des certifications sportives nationales ainsi que les recommandations correspondantes pour leur permettre d’avancer dans leur parcours scolaire. De telles situations ne sont pas rares lorsque les élèves doivent s’inscrire eux-mêmes dans un établissement, décrochant ce faisant le sésame nécessaire pour accéder aux lycées clés et aux universités renommées. Si les comportements déviants et ceux visant à en tirer un profit personnel prolifèrent au sein du système éducatif spécialisé dans le football, les enfants de familles défavorisées risquent de se retrouver dans des postures encore moins favorables. Leurs chances de mobilité ascendante deviendront alors de plus en plus faibles à cause du déplacement potentiel de ressources. En conséquence, l’équité et l’efficacité de l’éducation se trouveront confrontées à de graves défis.
17Pour de nombreux parents chinois, encourager leurs enfants à pratiquer le football à l’école n’est pas seulement une manière de les inciter à vivre leurs passions et leurs centres d’intérêt. Bien souvent, cet élan est plutôt mû par le désir de leur assurer de meilleures ressources et un niveau social plus élevé par le truchement de la formation au football. De ce fait, les parents peuvent investir un temps et une énergie considérables dans la quête de ce qui s’avère être pour leurs enfants un chemin prometteur, certes, mais imprévisible in fine. Toutefois, la volonté d’améliorer leurs compétences footballistiques, d’augmenter leur performance et de créer des opportunités pour leur scolarité future peut éclipser l’intérêt de l’enfant pour le sport lui-même. Lorsque certains enfants sont soumis à une orientation précoce et à des attentes irréalistes, cela peut potentiellement restreindre leur liberté d’explorer et de développer leurs propres appétences. Comme nous l’avons vu dans notre enquête, la mère d’une jeune footballeuse a admis avec candeur que sa fille ne ressentait pas de passion authentique pour ce sport, mais elle était convaincue que la taille de sa fille était une qualité qui la prédisposait aux efforts athlétiques et se sentait plus à l’aise pour guider cette dernière sur un chemin qui lui était familier. Alors que les décisions que les parents prennent au nom de leurs enfants peuvent parfois procéder de considérations rationnelles visant à obtenir des résultats optimaux, il est essentiel de reconnaître que les enfants traversent une phase de développement dans laquelle leurs centres d’intérêt et leurs préférences évoluent en permanence. Ils sont fortement influencés par les cadres que leurs parents, les écoles et les entraîneurs leur imposent. Lorsque toutes les facettes de la vie d’un enfant tournent autour de la pratique du football en compétition et d’une quête d’avancement sur le plan scolaire, il peut progressivement perdre tout intérêt et toute curiosité pour d’autres activités. Contrairement à leurs pairs qui ne sont pas profondément immergés dans le football scolaire, ces jeunes athlètes inscrits de façon précoce dans un cursus spécialisé pourraient connaître un rétrécissement et une simplification de leurs processus réflexifs.
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18Revitaliser le football est non seulement une stratégie nationale pour la Chine, mais aussi un ardent espoir pour le peuple chinois. Tandis que le football chinois continue d’enchaîner les revers, le développement du football des jeunes a atteint son apogée de manière impressionnante. Grâce à la mise en place d’un cadre solide pour la pratique du ballon rond dès le plus jeune âge, un nombre croissant d’enfants découvrent leur désir de jouer au football et de faire une activité physique. Néanmoins, dans le contexte très concurrentiel de l’éducation en Chine, la promotion et la mise en œuvre du football des jeunes sont aussi aux prises avec une ruée ardente vers l’avancement en matière de scolarité. Ce type de réalité transforme le football des jeunes en monnaie d’échange pour les catégories sociales favorisées, désireuses de s’assurer des opportunités éducatives prestigieuses, et en une bouée de secours pour les groupes marginalisés en quête de voies d’accès basiques à l’éducation dans les grandes métropoles.
19En ce qui concerne la mise en œuvre de cette politique sur le terrain, le processus se heurte à des défis et à des conflits complexes ayant trait à la répartition des bénéfices, à la justice institutionnelle et aux finalités éducatives. Bien que le gouvernement central espère combiner sport et objectifs éducatifs à travers le mouvement du football junior, il existe des risques inhérents que ces conceptions de la politique menée soient sapées ou remplacées par divers acteurs mus par des intérêts divergents. La recherche d’un véritable équilibre entre les objectifs nationaux et les aspirations de la population demeure un problème de taille pour les décideurs politiques et les agents chargés de mettre en œuvre cette politique à tous les niveaux. Traiter cette complexité requiert à l’évidence davantage d’innovations systématiques en matière de gouvernance pour une nation aussi étendue que la Chine.