1L’orientation scolaire et universitaire guide les élèves et les étudiants dans le choix de leur parcours éducatif et professionnel, en leur permettant d’identifier les filières adaptées à leurs intérêts, aptitudes et ambitions. Ce processus, qui inclut information, conseil et accompagnement, joue un rôle clé dans leur développement personnel et professionnel, en maximisant leurs chances de réussite et en leur fournissant les ressources nécessaires pour atteindre leurs objectifs de vie.
2Cependant, ces choix ont souvent constitué un sujet complexe suscitant des débats et des interrogations (Mahdjoub et Miliani, 2017), car ils se situent à l’intersection des aspirations individuelles et des contraintes imposées par les institutions éducatives. Ces choix sont façonnés, du côté des élèves, par leur environnement familial, social ou économique, ainsi que par leurs expériences scolaires antérieures, mais ils sont aussi encadrés par la structure du système éducatif et par les autorités de régulation, selon les critères d’admission, les capacités d’accueil, les orientations obligatoires et les politiques de sectorisation.
3Cette double dynamique entre les aspirations des élèves et les exigences institutionnelles crée une confrontation entre liberté de choix et régulation systémique. Cet article explore cette tension, en analysant comment, en Algérie, les choix scolaires sont façonnés par ces deux forces. Nous étudierons les mécanismes par lesquels les institutions influencent ces décisions et les stratégies adoptées par les élèves pour naviguer dans ce système qui n’est pas lisible par tous. L’analyse se concentrera sur les premiers cycles où l’orientation est souvent déterminante en tenant compte des règles spécifiques du post-secondaire.
4Le système éducatif algérien se structure en plusieurs niveaux d’enseignement, qui répondent chacun à des besoins spécifiques en termes de formation et de développement des compétences chez les élèves. Les objectifs et les programmes d’enseignement constituent le cadre de référence officiel et obligatoire pour l’ensemble des activités pédagogiques dispensées dans les établissements scolaires publics et privés (Loi d’orientation sur l’éducation, 2008, article 29).
5Le système éducatif national commence par l’éducation préparatoire, qui propose aux enfants de 5 ans des apprentissages d’éveil pour une meilleure préparation à l’enseignement primaire. Ensuite vient le cycle fondamental, regroupant l’enseignement primaire qui dure cinq ans et l’enseignement moyen, quatre ans. Ce cycle obligatoire constitue une phase clé dans la formation des élèves, puisqu’ils y acquièrent les savoirs fondamentaux nécessaires et les compétences essentielles pour leur permettre soit la poursuite de leur scolarité dans le niveau d’enseignement qui suit, soit leur intégration dans l’enseignement et la formation professionnels, soit la participation à la vie de la société (Loi d’orientation sur l’éducation, 2008, article 44).
6L’enseignement secondaire général et technologique, qui constitue la voie académique en aval de l’enseignement fondamental obligatoire, dure trois ans. À ce niveau, les élèves peuvent commencer à se spécialiser en fonction de leurs choix et de leurs compétences dans des filières scientifiques, littéraires ou technologiques, en vue de préparer le baccalauréat, diplôme qui ouvre les portes de l’enseignement supérieur.
7Enfin, l’enseignement supérieur est dispensé au sein des universités, des grandes écoles et des instituts, et propose une large gamme de filières allant des sciences humaines et littéraires aux sciences techniques et appliquées. L’accès à ce niveau se fait principalement par l’obtention du baccalauréat.
8Le système éducatif algérien inclut également une branche dédiée à la formation professionnelle, qui offre aux jeunes ayant quitté l’enseignement général des options de formation axées sur les métiers techniques et pratiques.
9Depuis 1962, le secteur de l’éducation a connu plusieurs réformes : celles menées par le ministère de l’éducation nationale (MEN) en 1976, 2003 et 2016 et par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique (MESRS) en 1971, 2004, 2016 et 2024 (en gestation) – sans omettre de mentionner d’innombrables ajouts, modifications et ajustements ponctuels, voire conjoncturels.
10Ces réformes, qui ont très souvent répondu à des considérations politiques, ont été menées par ajustements progressifs. En fait, l’absence d’un modèle endogène a poussé les autorités à se tourner régulièrement vers l’expertise et la coopération extérieures dans le but d’établir un système plus en phase avec les choix politiques et économiques du pays, mais aussi de répondre à l’internationalisation des formations et des diplômes. En conséquence, comme Miliani (2021) l’a noté en référence aux premières années de l’indépendance, l’Algérie est devenue un terrain d’expérimentation pour des théories étrangères venues soit d’Europe (approche par les compétences, approche communicative), soit du socialisme inspiré de l’Union soviétique sous la présidence de Houari Boumediene, soit encore du Moyen-Orient à travers les théories panarabes de Gamal Abdel Nasser, influençant les politiques d’arabisation du pays. Ces expérimentations ont entraîné des approches par essais et erreurs qui ont souvent échoué à se connecter aux réalités régionales et à répondre aux besoins locaux, d’autant plus que les réformes mises en œuvre ont rarement fait l’objet d’évaluations systémiques.
- 1 République algérienne démocratique et populaire (2020, 6 février). Plan d’action du gouvernement p (...)
11Les mêmes dynamiques peuvent être observées en ce qui concerne l’orientation scolaire et professionnelle, qui vise également à rendre le système éducatif efficace et en phase avec les exigences du marché du travail. À cela s’ajoute un discours plus incantatoire, souvent déconnecté de la réalité socio-économique sur l’employabilité des apprenants. Son importance pour les décideurs du secteur éducatif est manifeste, comme en témoigne le plan d’action 2020-2024 du secteur de l’éducation, qui s’aligne sur celui du gouvernement pour la mise en œuvre du programme présidentiel1. Ce plan vise à améliorer la qualité du système à travers cinq axes clés :
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la refonte pédagogique consistant à réviser les programmes d’études et les méthodes d’enseignement aux niveaux primaire et universitaire ;
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la refonte du système d’évaluation et d’orientation, qui révise les dispositifs d’évaluation des apprentissages pour réduire la déperdition scolaire, renforcer la guidance et adapter les examens nationaux aux besoins des apprenants ;
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l’amélioration de la qualité de l’encadrement des secteurs de formation, afin de renforcer la formation continue des enseignants et de créer un statut pour les fonctionnaires du secteur de l’éducation ;
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l’amélioration de la gouvernance afin de promouvoir la numérisation et développer les infrastructures scolaires pour améliorer les conditions de scolarisation ;
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le soutien à la scolarité, avec une focalisation sur l’amélioration des services d’accompagnement, incluant le transport scolaire, les cantines, et la gratuité des manuels scolaires.
- 2 Action lancée depuis 2008, avec des rapprochements avec le secteur utilisateur en 2016.
12Pour l’enseignement supérieur, les principaux objectifs du plan d’action du gouvernement portent sur la qualité2 dans la formation, la recherche, l’innovation et la gouvernance, l’employabilité supposée régler le problème de l’insertion des diplômés et enfin, la prise en charge de la mission sociale et sociétale des universités en tant qu’opérateurs du développement. Il s’agit d’augmenter le degré d’employabilité, qui est devenu, ces dix dernières années, un leitmotiv dans le supérieur, mais qui se voit rarement finalisé dans les formations tant académiques que professionnalisantes. Rappelons que ce plan d’action a aussi été élaboré à la suite des mouvements sociaux et de contestations corporatistes réclamant justice sociale, démocratie et État de droit.
13Il n’est pas sans intérêt de noter que ces différentes réformes ciblent l’amélioration du contexte formel et des moyens affectés à la scolarisation, comme si leurs effets sur les résultats obtenus par les élèves allaient de soi. La présentation de ces réformes souligne qu’elles ciblent les moyens, et ce de façon générique dans une vision où le système est implicitement pensé comme homogène.
14Mais l’évolution de l’analyse des systèmes éducatifs dans le monde suggère qu’il est plus pertinent de se situer dans un paradigme inversé partant d’une évaluation du système éducatif fondée sur les résultats des élèves au niveau a) des carrières scolaires, b) des apprentissages, c) des disparités sociales et géographiques et d) de l’accès à l’emploi. Sur la base de ces évaluations factuelles, l’étape suivante identifie des zones de dysfonctionnement, puis la pertinence comparative d’options alternatives pour les réduire (sur la base de leur faisabilité logistique, des dépenses qu’elles impliquent et de la mesure anticipée de leurs effets). La boucle de rétroaction se termine par une évaluation de leur mise en œuvre et des résultats obtenus chez les élèves.
15Dans ce paradigme nouveau (Mingat et Suchaut, 2000 ; Fullan, 2011), l’idée est que :
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les effets obtenus le sont au niveau local et que des différences peuvent exister d’un établissement à l’autre ;
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les individus exerçant dans le système ne sont pas des agents anormaux mais bien des acteurs dont l’implication et la mobilisation ne s’agrègent pas forcément de façon spontanée.
- 3 Travail en cours de réalisation de R. Mahdjoub, Les décrocheurs scolaires : typologies et ressourc (...)
16Sur la base des analyses des statistiques scolaires3, environ 30 % des jeunes de 11-14 ans n’atteignent pas la dernière classe du cycle moyen, et 30 % des élèves de cinquième année présentent des lacunes en arabe, mathématiques et français. Environ 20 % accèdent au cycle moyen avec un ou deux ans de retard. Ceux qui redoublent ou abandonnent en cours du cycle moyen avaient souvent des difficultés dès l’entrée dans ce cycle. Ces problèmes affectent ensuite leur orientation. De même, dans l’enseignement supérieur, beaucoup d’étudiants n’accèdent pas à des formations correspondant à leurs premiers choix, en raison de leur profil post-secondaire et de leurs notes au baccalauréat.
17En outre, des difficultés constatées sur le segment primaire-moyen ont des incidences négatives sur la vie active des individus. Alors que la non-activité est fréquente dans le contexte algérien, 51 % des hommes de 22-32 ans sont sans emploi lorsque leurs études ont été arrêtées avant la fin du cycle moyen. Ce n’est le cas que de 39 % de ceux ayant atteint le secondaire ou le supérieur.
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18Dans quelle mesure l’éducation formelle prépare-t-elle réellement les apprenants à leurs futures carrières ? Les services d’orientation ne semblent pas concernés par la question de la transition entre les études et le monde du travail. À l’université, le forcing du ministère a poussé les universités à prendre des initiatives4 face à un milieu socio-économique qui peine à s’en sortir et se méfie souvent des formations universitaires, qu’il juge par trop théoriques face aux défis existants5.
19Les réformes, introduites par bribes ou de manière discrète, ont manqué d’une analyse empirique. Cela a engendré incertitude et absence de vision, avec des segments du système éducatif mal connectés. En conséquence, les partenaires civils qualifient ce système de « sinistré » (terme avancé par feu le président Boudiaf) ou de « non-système » (Miliani, 2003).
20Bien que la couverture scolaire ait eu du mal à progresser, l’accès aux cycles primaire et moyen est quasi universel depuis l’an 2000. Cependant, les abandons et redoublements restent dramatiquement élevés (notamment au cycle moyen). Le taux d’accès au secondaire est aujourd’hui un peu inférieur à 75 %, alors que seulement 35 % des jeunes accèdent au supérieur. Les disparités sociales ont été réduites du fait de l’expansion de la couverture sociale et de mesures sociopédagogiques ciblées ; elles restent aiguës au plan géographique et social, alors que les disparités de genre se sont inversées : les filles sont désormais majoritaires dans tous les cycles. Au niveau du supérieur, le système licence-master-doctorat (LMD) connaît le même essor de cette féminisation des effectifs étudiants, surtout dans les sciences sociales. Cette même tendance n’est pas mise en exergue par l’institution, compte tenu du chevauchement entre les semestres et les années et des dettes à tous les niveaux.
21Des études comparatives dans plus de cinquante pays (Watts et Sultana, 2004 ; Watts, 2004) montrent que l’orientation peut contribuer à résoudre certains problèmes, notamment en améliorant l’adéquation entre aspirations, études, compétences et besoins économiques.
22Le système d’orientation algérien n’a pas réalisé son potentiel, malgré les mentions dans la loi de 2008. L’orientation scolaire reste limitée et l’orientation professionnelle quasi inexistante au collège. Aux niveaux supérieurs, l’avenir des étudiants est davantage déterminé par leurs notes que par leurs préférences ou la demande du marché. Comme le souligne Abdellatif (2011), la reconnaissance du potentiel individuel des élèves et la qualité des apprentissages sont rarement évoquées dans le discours public, malgré les investissements de l’État.
23Pendant la période coloniale (1830-1962), l’Algérie avait adopté des structures éducatives basées sur le modèle français, principalement au bénéfice des colons et d’une minorité d’élites locales. Après 1962, ces infrastructures ont été en grande partie démantelées, et les neuf centres d’orientation scolaire et professionnelle ont fermé. En 1964, le MEN a repris ces services, établissant un système national en accord avec les idéaux socialistes, c’est-à-dire en assurant un accès égal et équitable pour tous et en plaçant l’éducation sous le contrôle de l’État par la gratuité des études.
24Les années suivantes ont vu d’importantes réformes. Le décret de mai 1968 a accordé un statut spécial aux conseillers dans les centres publics d’orientation scolaire et professionnelle (CPOSP). En 1976, une ordonnance a structuré l’éducation et la formation, intégrant les services d’orientation et des centres spécialisés. Dans les années 1980, des tentatives ont été faites pour renforcer le lien entre éducation et besoins économiques, mais ces efforts ont été limités par des contraintes économiques et administratives. Les CPOSP étaient sous-financés et mal équipés, les investissements inégalement distribués, accentuant ainsi les disparités régionales.
25En 1990, une modernisation des services d’orientation a été tentée par deux décrets, définissant le statut des fonctionnaires et les tâches des chefs d’établissement. Cependant, des difficultés subsistaient, notamment un cadre juridique flou et une formation insuffisante des conseillers, limitant leur efficacité. Depuis 2000, des efforts ont été entrepris pour améliorer l’orientation. La loi de 2008 encourage les CPOSP à orienter les élèves en fonction de leurs capacités et des besoins du système. En 2022 et 2024, deux arrêtés ont été adoptés pour la réorientation et la numérisation de l’orientation. Un nouveau lycée national des arts a également été créé, offrant des options en musique, arts plastiques, théâtre et audiovisuel.
26Le nombre de décisions promulguées sur ce sujet pourrait laisser croire que l’orientation est centrale dans la vision du MEN. Cependant, quatre éléments atténuent l’impression positive de cette « effervescence politique ». Tout d’abord, les structures telles que les CPOSP, censées piloter l’orientation, manquent de moyens et d’une base juridique, ce qui limite leur efficacité. On constate en outre une défaillance de coordination (Djenkal, 2006), entre les divers organismes d’orientation – le CPOSP et le bureau d’accueil, d’information et d’orientation (BAIO) – dans les centres de formation. Des blocages administratifs freinent leur collaboration et réduisent leur efficacité. Par ailleurs, l’orientation est principalement guidée par des objectifs institutionnels, plutôt que par des valeurs éducatives. Elle privilégie le contrôle des flux d’élèves au détriment de leurs aspirations, en mettant l’accent sur les notes. Cette approche entraîne des échecs fréquents, avec une faible efficacité interne et des taux élevés d’échecs (sciences expérimentales, lettres, économie et gestion). Enfin, l’articulation entre éducation et économie manque d’efficacité. Bien qu’en théorie, une relation entre l’offre de compétences et la demande du marché soit recherchée, la politique éducative se concentre sur les flux de ressources humaines, matérielles et financières, loin des besoins réels du marché. Mahdjoub (2016 ; 2019) parle ainsi de « distribution non normée et inefficiente » et d’« utilisation inefficace » des ressources.
- 6 L’audit du MESRS en 2010 a montré que sur 2 174 diplômes, 85,14 % étaient académiques, et que parm (...)
27Dans l’enseignement supérieur, la démocratisation des études a conduit à une massification6, avec des cohortes plus nombreuses dans des formations principalement académiques, alors que des parcours professionnalisants offriraient de meilleures perspectives d’emploi. L’orientation devient difficile pour les étudiants, face à un manque d’options et à un chômage élevé des jeunes diplômés (24,8 % en 2013). L’affectation des étudiants repose surtout sur les notes, et non sur leurs choix personnels ou les exigences du marché. En 2016, seulement la moitié des étudiants ont obtenu leur premier choix.
28Après la période de l’« adéquation formation-emploi » (1970-1990) prônée, mais peu visible, la logique des notes a perduré, sauf dans certaines filières comme les langues, où des tests complémentaires ont été ajoutés. Ce système a conduit à une surpopulation des établissements, à des décrochages et à des choix par défaut pour de nombreux étudiants.
- 7 Une plateforme numérique a été lancée en 2024 pour aider les concernés à choisir leur cursus unive (...)
29Dans l’enseignement supérieur, les affectations sont régies par une circulaire ministérielle annuelle et une fiche de vœux en ligne7. La nouveauté, en 2024, est l’utilisation de trois applications qui permettent aux étudiants de s’orienter (« découvrez votre opportunité »), de consulter les domaines, filières et spécialités auxquels ont droit les étudiants (« votre orientation »), et, enfin, avec « découvrez les métiers », de se projeter pour satisfaire leurs aspirations professionnelles. Cependant, cette démarche, bien que plus flexible en apparence, impose un choix par défaut sans intervention pédagogique, et en contradiction avec l’esprit du système LMD : soutenir les projets personnels des étudiants.
30Pour la préinscription et l’orientation en 2023-2024, fixées selon une logique descendante pour gérer les flux, 71 % des nouveaux bacheliers ont été orientés selon l’un de leurs trois premiers choix. Un classement détaillé par choix aurait permis une analyse plus fine.
31Les filières scientifiques bénéficient de seuils élevés : médecine (16,52 sur 20), mathématiques (17 sur 20), maths-techniques (17,34 sur 20), pharmacie (15,94 sur 20) et informatique (18,11 sur 20). L’affectation dans les filières se fait conjointement via un classement national des vœux, et une moyenne minimale déterminée après traitement informatique des fiches de vœux pour fixer des quotas (le classement national ne concerne que les filières protégées). Par ailleurs, les sciences sociales et humaines restent marginalisées, contrairement aux lettres et langues étrangères, soumises aujourd’hui à un système de pondération. Cette mise à l’écart des sciences « molles » alimente une perception négative chez les autorités et les familles, malgré la possibilité de recours pour les étudiants souhaitant se réorienter.
32En fin de compte, la question cruciale est de savoir si l’étudiant, même avec une bonne note, est réellement motivé pour réussir dans la filière imposée. À l’inverse, un étudiant refusé dans une filière pour laquelle il est très motivé n’aurait-il pas plus de chances de réussir ?
33Nous avons interviewé plusieurs professionnels de l’orientation scolaire sur leur mission, leur satisfaction professionnelle, les méthodes d’accompagnement des élèves dans leurs choix, leur point de vue sur le système d’orientation et son alignement ou non avec les aspirations des élèves. Notre échantillon comprend dix conseillères en orientation scolaire dans les wilayas de Ghardaïa (deux), de Sidi-Bel-Abbès (une), d’Oran (une), d’Alger (quatre) et de Batna (deux). Les réponses sur l’orientation au MEN sont unanimes :
« Les services d’orientation jouent un rôle crucial à des moments clés, notamment en fin de cycle moyen et début de cycle secondaire. »
34Certaines ajoutent :
« [dans] la formation professionnelle et à l’université, ils se limitent aux informations données lors des séances d’information. »
35Les réponses divergent sur l’adéquation du diplôme avec les missions d’orientation. Trois conseillères expliquent ainsi :
« Nous pensions intervenir uniquement sur le comportement et les difficultés d’apprentissage… mais nous avons appris en cours d’exercice à intégrer les missions essentielles. »
36D’autres précisent :
« Nous nous en tenons à appliquer les textes réglementaires. »
37Les réponses sur la pratique de l’orientation sont variées. Une conseillère a déclaré :
« Les textes et circulaires sont indispensables pour avoir une vision claire du profil des élèves et croiser avec la carte scolaire. »
38Une autre indique :
« [L]a fiche de vœux des élèves est souvent illusoire ; ce sont les notes obtenues durant l’année qui déterminent leur orientation. 70 % sont orientés vers le tronc commun sciences et technologie, et 30 % vers le tronc commun lettres. Seuls 10 % des meilleurs élèves sont orientés selon leurs vœux. Les autres sont classés selon les blocs d’orientation.
[…] Seules les notes de l’année en cours comptent, négligeant tout le cursus scolaire et les aspirations des élèves. »
39Pour d’autres conseillères, l’orientation scolaire implique plusieurs étapes préalables pour décider de la voie de l’élève. Elles précisent :
« les conseillers informent les élèves sur les filières dans le secondaire et le supérieur, ainsi que les professions disponibles. Ils soutiennent aussi les parents ».
40Lors de nos échanges, les professionnelles étaient partagées sur la pratique de l’orientation.
« [L’orientation est] un processus visant à aider les élèves à faire des choix rationnels, en fonction de leur niveau scolaire. »
41Cependant, elles notent que leurs démarches sont très administratives :
« Nous sommes sollicitées pour remplir de longs tableaux sur les résultats des élèves, ce qui est frustrant car cela limite notre rôle d’accompagnement des élèves. »
42Elles ajoutent que les fiches de suivi sont générées numériquement et utilisées uniquement lors du conseil d’orientation. Elles s’accordent à dire :
« Tout revient à la personnalité du conseiller et à son dévouement. Les textes réglementaires fournissent une structure, mais c’est l’engagement personnel, l’écoute, et l’empathie qui garantissent la pertinence des orientations. »
43Au niveau de l’enseignement supérieur, les étudiants sont généralement réticents à consulter les services compétents (services de scolarité). Ils rencontrent des obstacles, souvent institutionnels, qui limitent leurs choix, comme les taux d’encadrement. Dans la région ouest, le taux est de neuf étudiants par enseignant pour les sciences et mathématiques (les mieux encadrés), mais d’un enseignant pour vingt-six étudiants pour les sciences économiques, humaines et sociales, et les langues étrangères. Il y a aussi des disparités : un enseignant pour quatorze étudiants à Sidi Bel Abbes contre un pour quarante-trois à Naama. Globalement, le taux est de un pour vingt et un dans la région ouest, sud compris (rentrée 2018-2019). Les professionnels s’accordent à dire que l’orientation est aussi un acte psychopédagogique visant à aligner les caractéristiques individuelles (aptitudes, résultats, vœux) avec les exigences du système éducatif. Cet acte ne peut être efficace que s’il trouve un équilibre entre les vœux de l’apprenant, ses résultats scolaires et les choix possibles offerts par le système.
44Les analyses des entretiens semi-structurés avec des étudiants de master en anglais et leurs enseignants révèlent que peu est fait pour aider les étudiants à s’orienter au sein du département. Concernant l’origine de leur orientation vers cette filière, 28 % ont suivi leur propre choix avec des résultats variés, 21,42 % ont été conseillés par leurs parents ou amis, 14 % ont choisi en fonction de leurs notes au baccalauréat, et 7 % se sont fiés à leurs professeurs. Ces chiffres montrent une orientation ou une réorientation non systématiquement prises en charge par une autorité pédagogique. Le diktat des notes prédomine, négligeant toute approche psychopédagogique, et les documents administratifs ne suffisent pas à guider les étudiants. Cela confirme le phénomène d’orientation par l’échec.
45Les informations pour les nouveaux venus étant fondamentales, une autre question a cherché à situer cette problématique dans la démarche administrative. Force a été de constater que pour 64,28 % des répondants, l’information était disponible (exploitable ?) dans les dépliants, les journées portes ouvertes et désormais sur les plateformes des universités. Les étudiants se sont plaints de l’absence de guidage : l’information était parfois donnée dans un jargon ésotérique pour les nouveaux venus ; cependant, 35,71 % ont exprimé une opinion contraire. Peu avaient été aidés par les professeurs pour l’explicitation des informations fournies.
46Notre dernière question concernait le degré de congruence entre le choix de la filière et les contenus disciplinaires enseignés ; 78,51 % étaient satisfaits car cela correspondait à leur choix de filières et de spécialités. Pour 21,43 %, ce qui avait été choisi ne correspondait pas aux enseignements dispensés. Paradoxalement, seuls 64,28 % n’ont pas voulu être réorientés vers d’autres formations, contre 35,72 % qui l’auraient souhaité.
47Poser la question de l’orientation ou de la réorientation dans un système éducatif exige de se placer aussi du côté de ceux qui ont la charge d’importantes cohortes d’élèves (11 millions d’inscrits en 2023) et d’étudiants (1,6 million à la rentrée 2023-2024) pour évaluer les difficultés à surmonter. Il est regrettable de constater qu’à l’école, cet acte psychopédagogique, qui conditionne pour beaucoup la réussite ou l’échec de toute leur carrière future, a été réduit à une simple opération mécanique de répartition de flux ingérables, sur un certain nombre de divisions pédagogiques que prédétermine la capacité d’accueil, indépendamment des résultats scolaires des postulants à l’admission au cycle secondaire. Ce type d’orientation à caractère « dirigiste », induit par les impératifs d’une planification centralisée, a généré des pratiques par lesquelles une proportion non négligeable d’élèves ont subi des décisions d’orientation qui ont contrarié leur projet personnel et vocationnel, ou n’étaient pas en adéquation avec leurs potentiels, et se sont retrouvés dans l’enseignement secondaire par des procédures plutôt quantitativistes.
48En ce qui concerne le supérieur, et de façon récurrente, des générations d’étudiants se sont vu affecter, en dépit de leurs disciplines scientifiques au secondaire, dans des formations en sciences humaines et sociales (des formations « décharges »), où les sureffectifs sont monnaie courante. C’est une manière comme une autre de faire barrage au flux des étudiants vers les « filières protégées » (selon les termes de l’administration pour les études de médecine, dentisterie, pharmacie, et informatique).
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49L’orientation scolaire et universitaire en Algérie est un processus qui est plus influencé par des contraintes institutionnelles, notamment par les notes obtenues aux différents examens décisifs, que par les vœux et les aspirations des élèves. L’approche suivie est celle qui privilégie la répartition quantitative plutôt qu’individuelle. Ce système, bien que fortement organisé sur des normes administratives solides, manque de souplesse pour prendre en compte les besoins psychopédagogiques des jeunes scolarisés.
50Ainsi, si les mesures d’admission et d’orientation dans le cycle secondaire sont indissociables de la qualité de l’enseignement, des méthodes d’évaluation et des acquis scolaires, il en va de même pour l’université, où ces questions ne peuvent être ni minimisées ni occultées. Cela répond aux exigences d’un enseignement moderne et de qualité que le xxie siècle impose aux États, alors que l’internationalisation des études et la mobilité des acteurs sont une exigence dans le monde entier. L’orientation en Algérie, telle qu’elle existe dans l’éducation formelle, répond à des préoccupations de gestion de flux gigantesques (le cumul des élèves et étudiants en Algérie est de 12,6 millions, ce qui équivaut à la population tunisienne en 2024), dans un contexte où la gratuité des études dans tous les cycles est un véritable acquis social. L’orientation reste discutable du point de vue des jeunes concernés, qui veulent pour beaucoup devenir médecins – une demande sociale toujours renouvelée. La logique du chiffre frustre la population jeune, qui aspire de plus en plus à des postes élevés, socialement parlant. Cependant, la notion d’orientation devrait être comprise dans son acception globale, incluant non seulement la vie scolaire et universitaire, le parcours curriculaire, les diplômes, les matières majeures et mineures, et les relations interpersonnelles avec les enseignants, l’adaptation à l’environnement éducatif, mais aussi la compréhension de l’histoire, des engagements actuels et des projets futurs de l’institution. L’équilibre entre les aspects administratifs et pédagogiques, éducationnels et affectifs est essentiel pour un système éducatif efficace et une orientation juste (pour les scolarisés) et assumée (par les autorités).