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Actualité internationale
Repères sur les systèmes éducatifs

L’évolution du système d’enseignement supérieur en Allemagne depuis les années 2000

Werner Zettelmeier
p. 35-39

Texte intégral

1À l’occasion de l’ouverture du colloque annuel de la conférence des présidents des établissements d’enseignement supérieur allemand (Hochschulrektorenkonferenz/HRK) en novembre 2019 à Hambourg, Frank Walter Steinmeier, président de la République fédérale d’Allemagne, a rendu un vibrant hommage aux établissements d’enseignement supérieur en tant que lieux indispensables pour exercer pleinement la liberté de parole et de pensée. Selon Steinmeier, cette dernière serait menacée par « l’émotionnalisation », voire l’hystérisation croissante du débat politique dans le pays et au niveau international, suite à la montée en puissance des forces politiques populistes. Ces dernières mettraient à mal une culture démocratique reposant sur le débat, nécessairement contradictoire, mais qui doit rester apaisé et fondé sur des arguments et données vérifiables sans chercher à dénigrer ou à diffamer de façon systématique ceux qui ne partagent pas la même opinion. Pour le président fédéral, l’excellence universitaire, tant invoquée comme leitmotiv depuis une vingtaine d’années par les pouvoirs publics allemands dans leurs politiques universitaires – régionales et fédérale – ne peut se baser uniquement sur l’internationalisation de l’enseignement, sur l’évaluation des résultats de recherche et sur l’optimisation des procédures de gouvernance, tant de chaque établissement que du système dans son ensemble. Elle doit se mesurer également à l’aune de cet exercice au quotidien de la controverse civilisée, indispensable à la démocratie.

2Avec cet appel, le président de la République fédérale d’Allemagne est dans son rôle d’autorité morale, car la Constitution du pays lui confère avant tout des fonctions représentatives sans réel pouvoir politique et à ce titre, il ne peut pas se prononcer sur l’action concrète des pouvoirs publics quelles que soient les politiques publiques menées au niveau fédéral et /ou régional. Ces paroles présidentielles font néanmoins écho au contexte politique actuel bien précis de l’Allemagne, après notamment les résultats des trois élections régionales de 2019 dans la partie orientale du pays. Le plaidoyer en faveur de l’université comme lieu d’un (ré)apprentissage du débat public s’inscrit dans la logique d’une vision – pas seulement allemande – qui veut que l’enseignement supérieur joue un rôle essentiel dans le débat public et dans la critique contradictoire des choix qui sont faits par les responsables politiques et économiques. L’université doit contribuer à éclairer, par ses missions et méthodes de transmission et de production du savoir, l’opinion publique et s’approprier, voire se réapproprier, les grands problèmes politiques, économiques et sociaux qui préoccupent les sociétés contemporaines.

3Se pose donc la question de savoir si les établissements d’enseignement supérieur allemands sont en mesure d’assurer pleinement ce rôle, si l’action des pouvoirs publics menée depuis une vingtaine d’années a permis à ces établissements d’être en phase avec les mutations économiques, technologiques et sociétales qu’a vécues l’Allemagne. La plupart des problématiques auxquelles sont confrontés les établissements ne sont pas propres à l’Allemagne : la cohérence territoriale dans l’offre de formation, la demande d’autonomie des établissements par rapport aux pouvoirs publics, l’évolution vers une gouvernance multi-niveaux, les critères de l’excellence scientifique, les objectifs et les conditions de l’internationalisation des programmes d’études, les orientations managériales et la complexité institutionnelle des établissements avec les difficultés de pilotage qui en découlent, l’équilibre entre recherche et formation, et surtout l’accueil et l’encadrement par les établissements d’une part toujours élevée d’une classe d’âge de jeunes, sont autant de sujets qui ont jalonné le débat sur l’enseignement supérieur en Allemagne et dans tous les autres pays européens et dans le monde.

4Avant d’analyser plus en détail l’action publique menée pour concilier enseignement de masse et excellence scientifique, il convient de rappeler la répartition des compétences dans l’État fédéral qu’est l’Allemagne. En effet, l’éducation, et donc également l’enseignement supérieur, relèvent de la compétence des États régionaux ou Länder. Il n’existe donc pas un ministre de l’éducation nationale mais 16 ministres (un par Land). Les grands domaines d’intervention de l’État fédéral sont limités au financement des bourses d’études ; au financement des grands domaines de recherche (technologies de pointe, santé, lutte contre les changements climatiques, etc.) à travers des institutions extra-universitaires ; à la dimension internationale de l’enseignement supérieur ; à la définition des conditions d’accès à l’enseignement supérieur et au cadre des diplômes. C’est par le biais d’accords signés avec les Länder que le gouvernement fédéral peut impulser des réformes, comme cela continue d’être le cas avec les Initiatives d’excellence (IDEX) qui offrent plus de moyens à la recherche, universitaire notamment, ou avec le Pacte pour l’enseignement supérieur qui doit permettre d’accroître le nombre de places d’étudiants dans les établissements.

L’Initiative d’excellence au service de la promotion de la recherche universitaire

5Parmi les caractéristiques classiques du fonctionnement institutionnel de l’université allemande, il convient de mentionner la tension récurrente entre la mission d’enseignement et celle de recherche. L’absence d’une différenciation des ressources allouées entre recherche et enseignement et la persistance d’une définition des missions statutaires des universitaires comme étant enseignants et chercheurs à parts égales ont rendu cependant de plus en plus difficile une recherche universitaire d’excellence – surtout à l’aune internationale − compte tenu des charges d’enseignement et administratives sans cesse croissantes. La concentration des moyens alloués grâce à une part croissante de la recherche sur contrat, notamment dans les sciences exactes, a certes rendu possible une recherche de haute qualité, y compris au sein des établissements universitaires, mais elle n’a pu empêcher une migration progressive de compétences et de personnels des universités vers des organismes de recherche extra-universitaires (dans lesquels les chercheurs n’ont pas d’obligations d’enseignement).

  • 1 Voir Dagmar Simon : « L’impact de l’Exzellenzinitiative en Allemagne », Revue internationale d’éduc (...)

6L’un des objectifs fondamentaux de l’IDEX1, lancée pour la première fois en 2005, était de contribuer à inverser cette tendance et de faire en sorte que l’université soit de nouveau un acteur majeur au cœur du dispositif de la recherche et de l’innovation allemand, tout en promouvant un changement de paradigme dans le paysage universitaire allemand, à savoir une différenciation/hiérarchisation des établissements selon l’excellence de leur recherche. Ce tournant historique dans la politique universitaire allemande allait inéluctablement provoquer des remous et des résistances, même si le pari était de structurer l’IDEX de façon à ce que la concurrence entre les établissements reste ouverte et productive sans institutionnaliser ou pérenniser pour de bon la nouvelle différenciation.

7Les critiques portaient non seulement sur la forme, mais également sur le bien-fondé du principe même de cette concurrence entre les établissements, au motif qu’elle ne constituerait pas une réponse adéquate au sous-financement chronique de l’ensemble des établissements universitaires. Étaient pointés du doigt notamment le « marathon » bureaucratique de la procédure extrêmement chronophage de l’appel à projets, avec son lot inévitable de « compromis » conceptuels à trouver par les chercheurs et les équipes administratives chargés du pilotage de chaque dossier de candidature pour rendre celui-ci compatible avec les prérequis de l’appel à projets.

8Selon l’avis des responsables de la HRK, l’IDEX a eu des effets positifs, y compris pour les établissements dont les candidatures n’ont finalement pas été retenues par le comité de sélection. L’expérience depuis 2005 a montré que la qualité des demandes de financement auprès d’autres organismes de promotion de la recherche (ministère fédéral de la formation et de la recherche, Union européenne) s’est améliorée de façon générale, car les équipes de direction des établissements sont dorénavant familiarisées avec une certaine culture d’évaluation et semblent mieux connaître leurs forces et leurs faiblesses. Les ressources obtenues par les établissements au titre de la recherche sur contrat ont augmenté depuis 2005 et le concours de l’IDEX a sans doute contribué à renforcer la capacité des établissements à initier et à élaborer des stratégies de développement à moyen et à long terme permettant d’identifier des domaines de recherche prometteurs d’ici dix à vingt ans. Il a en tout cas contribué à motiver à rentrer en Allemagne un certain nombre de chercheurs allemands qui s’étaient expatriés dans l’espoir de trouver des conditions de travail (et de rémunération) plus intéressantes, tout comme il a permis d’inciter des chercheurs étrangers de premier plan (notamment américains et canadiens) à poser leur candidature pour un poste en Allemagne dans le cadre des recrutements effectués pour un projet bénéficiant du concours de l’IDEX.

Redéfinition de la coopération entre gouvernement fédéral et Länder en matière d’enseignement supérieur

9Après un deuxième concours lancé en 2012, le troisième concours, lancé en 2018 sous la nouvelle appellation « Stratégie d’excellence » consacre, contrairement aux deux concours précédents, le principe d’un soutien financier pérenne et institutionnel de la part du gouvernement fédéral aux établissements d’enseignement supérieur. Ce soutien permanent est devenu possible après l’amendement de la Constitution intervenu en 2015, qui met fin à l’interdiction de la coopération entre le gouvernement fédéral et les Länder dans des domaines qui relèvent de la compétence des Länder. Cette interdiction avait pourtant été inscrite dans la Constitution seulement en 2006, dans le cadre d’une grande réforme du fédéralisme allemand, à travers laquelle les Länder entendaient réaffirmer leurs prérogatives constitutionnelles face au niveau fédéral. Elle s’était cependant rapidement révélée être un obstacle majeur à une coopération jugée indispensable entre les deux niveaux de l’État allemand dans des domaines jugés stratégiques pour l’avenir du pays. Ainsi, pour la « Stratégie d’excellence », le gouvernement fédéral et les Länder prévoient de consacrer des moyens financiers supplémentaires annuels à hauteur de 533 millions d’euros pendant sept ans pour promouvoir l’excellence de la recherche ; 75 % de ces moyens sont assurés par le gouvernement fédéral. 57 clusters de recherche ont été sélectionnés, lesquels bénéficieront de 385 millions d’euros annuels et 11 établissements universitaires, dits « universités d’excellence » vont recevoir 148 millions d’euros par an. Les universités sélectionnées en 2019 ont été : l’université d’Heidelberg, le réseau des trois universités berlinoises, les deux universités munichoises, l’université technique d’Aix-la-Chapelle, l’université de Bonn, l’université technique de Dresde, l’Institut de technologie de Karlsruhe, l’université de Constance et l’université de Tübingen.

10L’IDEX est cependant loin de résoudre tous les problèmes auxquels doivent faire face les établissements universitaires allemands. Depuis la rentrée 2011/2012, le nombre d’étudiants commençant une formation supérieure se situe à un peu plus de 500 000, soit la moitié d’une classe d’âge (contre 356 000 à la rentrée 2005/2006), pour un total d’inscrits à la rentrée 2019 de 2,84 millions d’étudiants, dont 395 000 étudiants étrangers. Selon les prévisions de la Conférence permanente des ministres régionaux chargés de l’éducation et de l’enseignement supérieur, cette forte demande d’éducation devrait se poursuivre jusqu’en 2030 dans des proportions similaires nécessitant d’importants investissements de la part des pouvoirs publics, afin de créer des places supplémentaires dans les établissements. Un pacte pour l’enseignement supérieur a été conclu en 2007 entre le gouvernement fédéral et ceux des Länder visant à financer des places supplémentaires à l’horizon 2010, pacte prolongé deux fois (de 2010 à 2016, puis de 2016 à 2020) pour faire face aux besoins croissants. Depuis 2019, la contribution financière du gouvernement fédéral est pérennisée après l’amendement de la Constitution de 2015. Entre 2007 et 2023, des moyens supplémentaires à hauteur de 20,2 milliards d’euros ont ainsi été mis à disposition par le gouvernement fédéral, à quoi s’ajoutent 18,2 milliards d’euros venant des Länder. Cet investissement est sans doute plus que nécessaire, car le taux d’échec des étudiants inscrits dans un établissement d’enseignement supérieur reste relativement élevé, avec environ 30 % en moyenne au niveau licence, et de fortes variations selon les disciplines (autour de 40 % dans les sciences dites exactes).

11Si la problématique des moyens financiers et de l’excellence scientifique sont communes à l’ensemble des systèmes universitaires européens, voire dans le monde, la montée très forte de la demande d’éducation supérieure en Allemagne a des conséquences directes sur l’articulation avec un autre segment du système d’éducation et de formation, considéré traditionnellement comme un point fort du pays, à savoir le système de la formation professionnelle non universitaire ou le système dual d’apprentissage. Compte tenu de la faiblesse persistante de la natalité en Allemagne depuis des années 1980, l’attractivité croissante de l’enseignement supérieur prive le système dual de candidats potentiels pour une entrée en apprentissage. Les responsables de ce système, à commencer par les responsables des petites et moyennes entreprises allemandes, qui forment la majeure partie des 1,3 million d’apprentis allemands, déplorent les conséquences néfastes pour la spécialisation et, par conséquent, pour la compétitivité du tissu économique allemand, d’une académisation effrénée de la formation des jeunes ; et ce d’autant plus que le taux d’échec relativement élevé dans le système d’enseignement supérieur démontre que l’université ne peut pas être la solution à tous les problèmes liés à la qualification des jeunes générations.

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Notes

1 Voir Dagmar Simon : « L’impact de l’Exzellenzinitiative en Allemagne », Revue internationale d’éducation de Sèvres, n° 54, septembre 2010, p. 127-135. [http://journals.openedition.org/ries/991]

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Pour citer cet article

Référence papier

Werner Zettelmeier, « L’évolution du système d’enseignement supérieur en Allemagne depuis les années 2000 »Revue internationale d’éducation de Sèvres, 84 | 2020, 35-39.

Référence électronique

Werner Zettelmeier, « L’évolution du système d’enseignement supérieur en Allemagne depuis les années 2000 »Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 84 | septembre 2020, mis en ligne le 01 septembre 2022, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/ries/9843 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ries.9843

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Auteur

Werner Zettelmeier

Werner Zettelmeier est chargé de recherche au Centre d’information et de recherche sur l’Allemagne contemporaine (CIRAC) de l’Université de Cergy-Pontoise. Il est membre du comité de rédaction de la Revue internationale d’éducation de Sèvres. Courriel : werner.zettelmeier@cyu.fr

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