1L’école et l’université maliennes sont en crise depuis plusieurs années, pour plusieurs raisons : l’insuffisance d’enseignants, de documents, la mauvaise utilisation des ressources financières et humaines, la pléthore d’effectifs, les grèves intempestives des enseignants, celles des élèves et étudiants engendrent des années scolaires et universitaires incomplètes, voire blanches, et une baisse de niveau des élèves et des étudiants. Cet article analyse l’impact de ces grèves sur les résultats de ces derniers et sur le développement des écoles privées, moins affectées par les grèves.

Grèves d’étudiants, grèves d’enseignants

2L’école malienne a été marquée par les mouvements syndicaux depuis les événements de 1991 qui ont conduit à un changement de régime politique et à l’instauration de la démocratie. Ces mouvements de grève ont été menés par plusieurs organisations syndicales, dont l’Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM), créée en 1990, le Syndicat national de l’enseignement supérieur (Snesup), créé en 1991, et le Syndicat national de l’éducation et de la culture (Snec), qui existe sous cette appellation depuis 2013. De 1991 à 2020, l’école malienne a été régulièrement marquée par des grèves avec diverses revendications en fonction des corporations et de la particularité des différents régimes.

3Les grèves de l’Association des élèves et étudiants sont liées à leurs conditions d’études, qu’ils jugent déplorables, et notamment au retard de paiement des trousseaux et des bourses. Depuis 1994, qui fut une année blanche pour les élèves et les étudiants, soit plus d’un quart de siècle, il ne s’est pas passé une année sans grèves estudiantines. Les bourses sont toujours payées en retard, alors que la majorité des étudiants maliens sont issus des milieux ruraux et ne comptent que sur les bourses pour vivre et étudier. Comme quatre des cinq universités publiques maliennes sont situées à Bamako, la bourse constitue le seul moyen de subsistance pour nombre d’entre eux. Ces grèves estudiantines, qui sont certes régulières, durent rarement plus d’un mois dans l’année. La principale revendication étant le paiement des bourses, dès qu’ils obtiennent satisfaction, les étudiants reprennent les cours.

4De l’enseignement fondamental au supérieur, les revendications des enseignants concernent généralement l’amélioration des conditions de travail, l’octroi de primes de logement et de documentation, le paiement des heures supplémentaires, l’augmentation des grilles salariales, etc. L’augmentation de salaire constitue le point commun à toutes les revendications. Des années 2010 à 2020, les années scolaires et universitaires maliennes ont été marquées par des grèves de durée plus ou moins longue. En 2010, l’enseignement supérieur a connu une grève de quatre mois ; en 2015, la faculté des sciences humaines et des sciences de l’éducation a connu une année blanche pour des problèmes internes. Les universités publiques sont régulièrement confrontées à des arrêts de cours de 48 ou 72 heures chaque année, mais les grèves sont plus récurrentes et plus longues dans l’enseignement fondamental et secondaire. Diakité (2000) parle d’années tronquées, laborieusement validées, facultatives ou blanches à cause des grèves, car l’État se montre incapable de sauver l’école avec des solutions pérennes. Un site d’informations, Mali24 info, dans sa parution du 9 mars 2020, indique ceci :

De la rentrée scolaire, le 1^eroctobre 2019, à ce jour, les grèves des enseignants se suivent et se ressemblent, entraînant une paralysie programmée de l’école qui, on le sait, a encore du mal à se remettre de la turbulence qui l’a secouée, au cours de l’année écoulée. De trois à quatorze jours, on en est aujourd’hui à vingt jours de grève annoncée, dans un intervalle de trois mois à peine d’activités scolaires. D’où le spectre de l’année scolaire compromise qui se profile.

5Sur les treize syndicats que compte l’enseignement fondamental et secondaire, huit se sont réunis pour lancer une grève à partir du 15 octobre 2016, qui continue encore, en 2020, à paralyser les activités pédagogiques. Durant l’année scolaire 2018-2019, les élèves concernés n’ont effectué que quatre mois de cours. Afin d’éviter une année blanche, l’Association des parents d’élèves et les chefs religieux ont multiplié les interventions auprès du gouvernement et des enseignants. Grâce à cette médiation, les enseignants ont suspendu la grève en mai 2019 pour « sauver l’année ». De la rentrée scolaire d’octobre 2019 au mois de mars 2020, quatre mois sur six ont été passés en grève dans l’enseignement fondamental et secondaire malien, y compris les instituts de formation des maîtres. Les enseignants revendiquent une augmentation de 20 % de leur salaire car ils doivent bénéficier des augmentations obtenues par les fonctionnaires, selon l’article 39 de la loi n° 2018-007 du 16 janvier 2018 portant statut du personnel enseignant de l’enseignement fondamental, secondaire, de l’éducation préscolaire et spéciale au Mali. Tout en reconnaissant la légitimité de la revendication, le gouvernement dit ne pas avoir le budget pour son application, dans l’immédiat. Pendant ce temps, la pandémie de Covid-19 a entraîné la fermeture de toutes les écoles et universités maliennes du 19 mars au 2 juin 2020. Cependant, à la reprise des cours, la grève des enseignants a repris dans les écoles fondamentales et secondaires publiques pour prendre fin en août, un accord ayant été signé avec les militaires qui ont pris le pouvoir le 18 août 2020 à la suite d’un coup d’État. Les examens de l’année scolaire 2019-2020, initialement prévus pour le mois de juin, reportés ensuite au mois de septembre, ont enfin pu être organisés au mois d’octobre 2020 avec quatre mois de retard. Ces situations ont donc engendré trois mois de retard pour la rentrée scolaire 2020-2021 qui est prévue pour janvier 2021 au lieu d’octobre 2020. Face à toutes ces situations, les parents disposant de moyens financiers se tournent vers les écoles privées.

6Il existe plus d’écoles fondamentales publiques que privées, mais le nombre de lycées privés dépasse largement celui des lycées publics. Avec la multiplication des structures scolaires privées, l’école publique est de plus en plus délaissée par la population, qui se sent moins concernée par ses difficultés.

Conséquences des grèves sur le niveau des élèves et étudiants

7La baisse de niveau des élèves et étudiants maliens peut être liée à plusieurs facteurs, cependant, les grèves à répétition réduisent considérablement les temps d’apprentissage et ne permettent pas une exécution normale des programmes d’enseignement. Cette baisse de niveau se manifeste par de mauvaises notes, de faibles taux de performance et des repêchages aux examens nationaux. Le tableau 3 fait état des taux de réussite au diplôme d’études fondamentales (DEF) et au baccalauréat ces neuf dernières années.

8En dehors des résultats du DEF de 2018, 2019 et de 2020, les autres statistiques ne sont pas satisfaisantes. La démotivation des enseignants, liée à leur situation de travail qu’ils jugent précaire, engendre des grèves et le non-achèvement des programmes. Dans un rapport (Pasec, 2012), il ressort que le problème de découragement des enseignants et leur envie de changer de profession est souvent dû au faible salaire qui leur est proposé et au manque de perspectives professionnelles et salariales que leur offre le système éducatif.

9Outre les faibles pourcentages de réussite aux examens, les élèves passent plus de temps que nécessaire pour terminer le cycle fondamental, à cause des redoublements. Selon le document du Programme décennal de développement de l’éducation (2019-2028), « pour le 1^er cycle du fondamental, le coefficient d’efficacité interne s’est dégradé, en passant de 72,3 % en 2008 à 52,9 % en 2016. Dans le second cycle, ce coefficient est passé de 77,9 % en 2008 à 49,6 % en 2016 ». Dans le même document, la faiblesse du niveau des élèves dans les compétences de base en français et en mathématiques est reconnue :

Plus de 50 % des élèves de 2^e année et près de 90 % des élèves de 5^e année du fondamental n’ont pas les compétences attendues par rapport à leur niveau scolaire dans les évaluations Pasec en français (compréhension orale, compréhension et production de l’écrit) et en mathématiques (arithmétique, géométrie et mesure), si l’on se réfère à des tests effectués en 2011-2012. La moyenne générale à l’examen du diplôme d’études fondamentales s’établit à 7,9 sur 20, largement en dessous de la moyenne requise de 10 sur 20.

10Cette situation engendre des repêchages lors des examens pour augmenter le pourcentage d’admis. Aussi, à l’université, n’est-il pas rare de rencontrer des étudiants ayant des difficultés à formuler des phrases correctes en français, à l’écrit comme à l’oral.

11Une amélioration des conditions de formation, de travail, de vie et du salaire des enseignants maliens sera nécessaire afin d’éviter les grèves à répétition et de rehausser le niveau des résultats des élèves et des étudiants aux différents examens.