Editorial : La cérémonie des adieux
Texte intégral
1Ce numéro double de la Revue de l’Institut de sociologie est particulier à plus d’un titre dès lors qu’il consiste notamment en un hommage à Claude Javeau qui nous a quittés en 2021, professeur émérite de sociologie de l’Université libre de Bruxelles où il exerça son magistère bienveillant, éclairé et réfractaire à toute forme de bien-pensance à la tête du Centre de sociologie générale, formant des cohortes d’étudiants par milliers, qui ne l’oublieront pas, à la discipline et plus encore à l’imagination sociologique, mais aussi des dizaines de chercheurs et doctorants qui auront bénéficié des conseils avisés de cet humaniste engagé, érudit et cultivé qui toujours sut conjuguer l’exigence de rigueur de la science et l’attention aux petits faits vrais de l’existence comme aux passions privées et publiques qui tissent l’étoffe de la vie sociale. Prenant plus que sa part à la vie intellectuelle de son temps, comme expert respecté et consultant très sollicité, y compris par les médias, conseiller du prince parfois et à l’occasion chroniqueur ne dédaignant pas la controverse qui est le sel de la vie de l’esprit comme le fer de la pensée scientifique, il est l’auteur d’une bonne vingtaine de manuels, de traités et d’essais sociologiques publiés dans les meilleures maisons d’édition scientifique (sans compter sa production poétique et littéraire) qui lui valurent d’être invité à enseigner dans de très nombreuses universités, de Liège (sa ville natale), Tours, Orléans, Poitiers et Paris à Prague, Tunis, Lisbonne, Genève et Laval (Québec) et d’être le secrétaire général de l’AISLF de 1982 à 1988. Ayant commencé par publier quelques remarquables ouvrages d’enquêtes et de méthodologie sociologiques dont la lecture reste toujours profitable de nos jours, il contribua à redécouvrir l’héritage de Durkheim comme de Weber, imaginant même un dialogue porté à la scène entre ces deux monstres de la discipline, créant et animant au passage les Cahiers durkheimiens qui connurent plusieurs livraisons, mais aussi à l’acclimatation dans le monde francophone de l’ethnométhodologie, de l’analyse dramaturgique et plus largement d’une sociologie de la vie quotidienne, sans oublier ses contributions à l’épistémologie des sciences humaines. Homme de conviction attaché aux valeurs de la sociale, fidèle en amitié, esprit curieux pétri de culture, jamais idéologue mais toujours pédagogue, sa verve, son humour volontiers caustique et, reconnaissons-le comme il le faisait lui-même, son goût de la provocation achevèrent d’en faire un de ces rares professeurs légendaires qui créent des vocations, ouvrent les horizons et marquent les esprits sans se soucier de faire l’unanimité ni de flatter quiconque.
2Claude Javeau dirigea aussi magistralement la Revue de l’Institut de sociologie de 1980 à 2005, date à laquelle son départ à la retraite, toute relative, en fit le directeur honoraire tandis que sa direction éditoriale m’en fut confiée avant que je ne sois moi-même, aujourd’hui, frappé par ce départ à la retraite qui fait de ce volume double de la revue le dernier que j’aurai eu l’honneur de préparer. Mon attachement à la revue tient sans doute pour une bonne part au fait que la première tâche qui me fut confiée lorsque j’effectuai mon service civil dans le service que dirigeait Claude Javeau aura été de rassembler et de sauver de la moisissure quelques collections complètes de cette revue dont les fascicules les plus anciens remontaient aux années 1920 et croupissaient dans les caves humides de l’Institut. Et je ne puis évidemment manquer d’être ému par cette coïncidence que cet ultime volume de la revue dont j’assure la publication soit ainsi consacré à celui qui fut à la fois mon maître, mon mentor, sans doute mon modèle et certainement ma bonne étoile dans le monde académique. Quoi qu’il en soit, le collège de l’Institut de sociologie décidera du sort de cette revue désormais centenaire et en bonne santé, ayant notamment négocié sa disponibilité en ligne grâce aux efforts déployés par notre secrétaire de rédaction Anne Bivert que je tiens à remercier pour ses bons et loyaux services rendus à Claude Javeau puis à moi même dans cette fonction comme en tant que secrétaire dévouée et efficace de nos centres de recherche respectifs.
3Je ne peux évidemment manquer de remercier également Anne Van Haecht, professeure émérite de l’Université libre de Bruxelles elle aussi et épouse de Claude Javeau, qui a concocté ce volume d’hommage en réunissant un certain nombre de collègues et amis de Claude Javeau – tous ne pouvant malheureusement être convoqués ici et certains ayant publié entre-temps leur hommage en d’autres lieux (comme Monique Hirschorn, « Claude Javeau, un intellectuel qui avait choisi d’être sociologue », ou Philippe Vienne, « Claude Javeau, l’explorateur du quotidien », Revue des sciences sociales [En ligne], 68 |2022,) – et parmi les contributeurs à qui je témoigne ma reconnaissance, je salue tout particulièrement la mémoire de Michel Meyer, brillant philosophe et directeur de collection, proche ami d’Anne et de Claude, et celle de Jean-Louis Genard qui nous ont tristement quittés depuis la réception de leurs contributions à ce volume. Jean-Louis Genard n’aura pu en effet terminer la rédaction de son hommage à Claude Javeau mais on retrouvera sa plume et son bel esprit d’analyse dans la seconde thématique de ce volume consacrée, sous la direction de Louis Jacob (lui aussi formé par Claude Javeau et qu’on retrouve ainsi dans la première partie de ce volume) et Myriame Martineau, à la question tragique des migrations de masse et à la nécessaire hospitalité pour ces déplacés de force qui nous rappellent que le tissu social est fait de solidarité, faute de quoi il ne saurait être question de faire société, et moins encore civilisation.
Pour citer cet article
Référence papier
Daniel Vander Gucht, « Editorial : La cérémonie des adieux », Revue de l’Institut de Sociologie, 91 | 2022, 7-8.
Référence électronique
Daniel Vander Gucht, « Editorial : La cérémonie des adieux », Revue de l’Institut de Sociologie [En ligne], 91 | 2022, mis en ligne le 01 décembre 2022, consulté le 22 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/ris/881
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