1Ce livre collectif est le résultat d’un projet de recherche sociohistorique conduit conjointement par une équipe française et une équipe italienne. Le projet se proposait de comprendre comment les activités énergétiques s’étaient territorialisées dans les deux pays – c’est-à-dire comment elles ont été adaptées aux territoires d’implantation, et comment elles ont contribué à les reconfigurer. Le livre repose sur l’hypothèse que les activités de production énergétique ne relèvent pas uniquement de décisions verticales venant des plus hauts échelons politiques. Elles reposent également sur les relations entre les acteurs des territoires : comprendre la transition énergétique suppose alors de ne pas la limiter aux seules grandes décisions qui la cadrent ou cherchent à la faire advenir, mais à l’analyser au plus près des projets de terrain qui la constituent.

2Thématiquement, le livre se focalise sur les installations liées à la production d’électricité (nucléaire essentiellement, solaire et éolienne) et aux activités de recherche nucléaire situées dans le Piémont et en Provence. Il comporte onze chapitres, distribués en trois parties, qui abordent respectivement la création des installations énergétiques, le vivre-avec les installations énergétiques et enfin, les manifestations et les mobilisations contre ces installations. Le livre comporte également une introduction qui fournit les clés d’intelligibilité de la démarche, et une conclusion, plus courte, qui revient sur les implications de la recherche.

3La lecture de l’ouvrage est aisée : les chapitres – bien édités – sont d’un format ramassé, la bibliographie et les notes rassemblées à la fin de chaque chapitre. Les cartes de localisation qui ouvrent les chapitres sont en revanche décevantes. D’autre part, il n’y a pas de carte récapitulative qui permettrait d’embrasser d’un coup d’œil la localisation de l’ensemble des cas étudiés. Parmi ceux-ci, les cas italiens sont mieux représentés que les cas français, notamment les sites nucléaires piémontais de Saluggia (2 chapitres) et Trino (4 chapitres).

4L’introduction, substantielle, présente l’approche que l’ouvrage a choisie : il s’agit de proposer une lecture des transitions énergétiques en utilisant des méthodes socio-historiques et la comparaison par contraste. Si l’usage des méthodes socio-historiques apparaît nettement dans la plupart des chapitres, la thématique de la « transition » y est moins clairement présente. En réalité, ce sont les sites énergétiques – les lieux d’où provient l’énergie – qui intéressent principalement les auteurs. La dimension comparative doit se comprendre à l’échelle du livre entier : un seul chapitre, le dernier, opère une comparaison explicite France-Italie (sur l’opposition au grand éolien).

5Dans le premier chapitre, Barbara Curli revient sur le rôle du grand capital italien (notamment la FIAT) dans le démarrage de l’industrie nucléaire italienne au milieu des années 1950, après l’annonce par Dwight Eisenhower du programme Atoms for Peace. Le site de Saluggia, créé par la société SOGIN codétenue par FIAT, est le premier site nucléaire en Piémont, conçu pour être un centre de recherches sur l’usage des radionucléides médicaux. Le cas montre l’implication du grand capital industriel dans les débuts des activités nucléaires en Italie. Dans le second chapitre, Mattina et Pelegrino dissèquent la logique d’implantation de la centrale nucléaire de Trino au début des années 1960 et montrent que la faiblesse des oppositions à la création de la centrale tient à l’absence d’activité alternative puissante (le tourisme, par exemple) et au rôle des élus locaux. L’opposition des riziculteurs à l’extension de la centrale de Trino dans les années 1980 fait l’objet du troisième chapitre (E. Bini). Leur opposition a été couronnée de succès, en réussissant à retarder l’avancée du projet, avant son annulation après le référendum de 1987. Un quatrième chapitre clôt cette première partie : Vincent Baggioni analyse de manière très convaincante la variabilité de l’opposition à la création des parcs photovoltaïques en Provence. Il l’attribue à la compatibilité entre les projets de création et la philosophie de l’aménagement de chaque commune – ce qu’il appelle les « ordres locaux d’aménagement ».

6La seconde partie de l’ouvrage traite de la vie dans les territoires énergétiques. Le chapitre de Pierre Fournier aborde la question de la vie avec le risque dans les territoires nucléarisés, en réfléchissant à partir de son expérience de terrain de longue durée à Marcoule. Mattina et Pellegrino, dans le chapitre suivant, proposent une analyse des relations de long terme entre nucléaire et territoire dans le nord de l’Italie, en insistant sur le caractère évolutif de ces relations au cours du temps. Ensuite, Greco évoque derechef la centrale de Trino, mais cette fois pour parler de son démantèlement, qui pousse les acteurs locaux à mettre à plat leur politique de développement territorial (par exemple, en tentant de relancer le tourisme). Scotti et Carrosio changent de perspective en analysant la création de parcs éoliens en Italie et en montrant que ceux-ci n’induisent pas de reconfiguration forte des relations à l’énergie au niveau local. Les énergies renouvelables n’entraînent pas de révolution territoriale.

7Une troisième partie regroupe trois chapitres relatifs aux mobilisations liées aux systèmes énergétiques. Leborgne revient sur le débat public autour de l’installation expérimentale sur la fusion nucléaire ITER à Cadarache. Vezzoni propose une intéressante analyse du rôle des femmes dans les mouvements antinucléaires en Italie dans les années 1970 et 1980. Enfin, le dernier chapitre de Dechézelles, déjà évoqué, propose une comparaison franco-italienne sur l’opposition au grand éolien (Occitanie, Emilie-Romagne, Toscane). Elle montre que si les argumentaires présentent de nombreux points de similarité de chaque côté des Alpes, les modes d’action sont largement dépendants du contexte.

8La conclusion tire les fils qui parcourent l’ouvrage en montrant comment la « mise en série » des cas permet de caractériser la territorialisation des décisions de politique énergétique – et donc, d’éclairer la transition énergétique en cours. C’est un point paradoxal : l’ouvrage identifie des processus et des trajectoires socio-historiques qu’il invite à mobiliser pour l’analyse future des transitions énergétiques – mais sans précisément caractériser la transition énergétique dans chaque étude de cas. Le public savant intéressé aux dynamiques énergétiques en Méditerranée fera certainement son miel de la lecture de ce stimulant ouvrage.

9Déclaration d’intérêt : l’auteur de la note connaît personnellement deux des directeurs scientifiques de l’ouvrage.