1Jean Céard nous offre une remarquable édition, très érudite, du Tableau dans lequel le conseiller Pierre de Lancre raconte les procès que, sur la demande d’Henri IV, il a menés dans la province basque du Labourd, Tableau qu’il définit comme un « grand livre de démonologie », mais aussi un livre « très singulier ». Ce « livre d’inspiration et de structure juridique » s’inscrit en effet dans l’histoire des méfaits des démons, arrivés « au dernier moment de leur assaut » mais qui, chassés du Nouveau Monde par les missionnaires, concentrent leurs efforts sur le Labourd. Mais De Lancre y continue aussi sa réflexion sur l’inconstance, élaborée dans un premier traité, le Tableau de l'inconstance et instabilité de toutes choses.

2Jean Céard donne une description des deux éditions du texte, indiquant en particulier dans les notes les modifications importantes de celle de 1613. Grâce à ces très nombreuses et très riches notes, aucune des sources de l’auteur, « féru de culture classique », ne sera désormais inconnue, qu’il s’agisse des textes antiques, grecs et latins, pour lesquels sont données les citations dans leur intégralité, et relevées les erreurs d’interprétation et d’attribution de Pierre de Lancre, mais aussi des textes des prédécesseurs démonologues du juge. Parmi ces derniers, les plus notables sont Nicolas Rémy, et Henry Boguet, dont il admire la compétence de juges, mais aussi le jurisconsulte et philosophe Jean Bodin, et Martin Del Rio, non juge mais avocat, que de Lancre évoque comme « le plus curieux et exacte rechercheur de sorcelerie qui ayt esté jusqu’icy ». S’y ajoutent Pierre Le Loyer et, moins connus mais sources pour de Lancre d’autres histoires ou théories, les Italiens Strozzi Cicogna et Tommaso Garzoni. Jean Céard s’efforce même de « démasquer [les] silences » de l’auteur, et d’identifier les emprunts ou les exemples non référencés dans le Tableau. Les expériences du juge en matière de sorcellerie apparaissent alors comme le « banc d’essai » des thèses de ces auteurs. Mais en attend-il « surtout confirmation », comme l’affirme Jean Céard, et vise-t-il à simplement « enrichir l’exemplier » des écrits sur le sortilège ? C’est pourtant avec un visible plaisir que de Lancre note les nouveautés révélées par ses propres expériences, et qu’il évoque les étranges particularités de la province où l’a envoyé sa mission…

3On ne peut qu’admirer la remarquable érudition de Jean Céard, érudition dont il écrit dans son introduction une sorte de « défense et illustration », et qu’il a parfaitement le droit de préférer à l’analyse des discours, voire à une présentation historiquement contextualisée. On peut néanmoins s’étonner de lire sous sa plume que les travaux sur le texte de Pierre de Lancre sont « très nombreux » mais « certes non critiques », et que fassent défaut dans sa bibliographie les titres de ces mêmes travaux, puisque Jean Céard n’y fait figurer, en plus de la longue liste des sources, que certains des textes de ceux qui « apportent des éclaircissements sur les personnes, les lieux ou les choses mentionnées dans le Tableau ». Ce qui ne retire naturellement rien à la valeur de son travail d’érudition, et à l’intérêt de ce texte enfin donné dans son intégralité, dans une édition moderne, et qui devient donc l’édition de référence pour les chercheurs.