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Recensions

Danièle Méaux, Quand la photographie pense la forêt. Des années 1980 à nos jours, Filigranes

Morgane Pernet
p. 227-232
Référence(s) :

Danièle Méaux, Quand la photographie pense la forêt : des années 1980 à nos jours, Landebaëron, Filigranes, 2024, 269 p.

Texte intégral

  • 1 Hal Foster, Le Retour du réel : situation actuelle de l’avant-garde, Bruxelles, La Lettre volée, 20 (...)
  • 2 Danièle Méaux, Quand la photographie pense la forêt : des années 1980 à nos jours, Landebaëron, Fil (...)

1Au cœur d’une crise environnementale majeure que traverse notre civilisation, les forêts sont considérées comme des « poumons de la planète » à préserver de toute urgence. Dans un tel contexte, les arts – qui depuis les années 19901 se tournent vers le réel afin d’interroger la complexité du monde – ne manquent pas de porter leur regard et leurs pratiques sur le vivant et le milieu naturel. Les photographes contemporains, en particulier, réfléchissent à des manières diverses d’aborder la forêt et « amènent à éprouver à nouveaux frais ces milieux complexes et vivants, et leurs approches visuelles tendent à faire effraction au sein des discours dominants2 » qui ont tendance à réduire les forêts à des données quantitatives. C’est tout l’objet du dernier ouvrage de Danièle Méaux, Quand la photographie pense la forêt. Des années 1980 à nos jours. Structuré en neuf chapitres qu’on peut volontiers diviser en deux parties, tel que le suggère Danièle Méaux en conclusion, l’ouvrage se présente comme un riche panorama, non exhaustif, des différentes façons de photographier et de voir la forêt à travers le monde. L’ouvrage est richement documenté et illustré de photographies commentées et analysées par l’autrice, permettant ainsi de guider la lecture des images.

Photographier le territoire forestier : du paysage au sous-bois

2Les quatre premiers chapitres sont consacrés aux différentes manières de photographier le territoire forestier. De l’observation du paysage selon un plan large aux clichés rapprochés des boisés, les multiples pratiques permettent de constater l’évolution du territoire et tentent de saisir la complexité d’un écosystème souvent invisible à l’œil nu.

  • 3 Pratique consistant « à la réplication d’un même point de vue (avec une focale et un cadrage identi (...)

3Contrairement à l’idée que l’on se fait de la forêt comme un espace naturel et vierge (mythe discuté au chapitre 6), ce ne sont pas des « milieux naturels » captés par les photographies analysées dans un premier temps par l’autrice, mais des territoires anthropisés. Ces photos permettent ainsi de constater l’évolution du territoire boisé – pas nécessairement visible à l’œil nu – marqué par les activités économiques, sociales et culturelles (agriculture, commerce du bois, aménagement ou abandon du territoire, etc.), perceptible notamment grâce à la technique de reconduction photographique3, opérée par la RTM (Restauration des terrains de la montagne) dès la fin du 19e siècle et de l’Observatoire photographique national du paysage dès sa création en 1991.

  • 4 Danièle Méaux s’appuie sur les travaux de Jean-François Chevrier (1984) cités en note de bas page 7 (...)
  • 5 Céline Clanet, Ground Noise, Arles, Actes Sud, 2023.

4Aux antipodes des images de « paysages » ou d’observation du territoire, d’autres photographes s’intéressent aux feuillages et aux photos rapprochées des boisés. Le troisième chapitre porte une attention particulière au « feuillagisme4 » (p. 77), pratique de plus en plus convoitée par les photographes depuis les années 1980, consistant en « des plans rapprochés d’ensembles végétaux complexes qui viennent saturer le champ, s’opposant à la perception d’une organisation de la représentation » (p. 78). Brouillant le regard, cette focalisation intense sur le feuillage favorise l’immersion du spectateur dans la forêt ainsi que la sensation du toucher par le regard. Pour accéder au plus près d’un écosystème invisible à l’œil nu, les photographes s’aventurent dans les sous-bois et usent de techniques variées : Céline Clanet, par exemple, réalise de gros plans du sous-bois à l’aide d’un microscope électronique à balayage5. Au-delà du voir, des expositions multisensorielles sont de même convoitées par les artistes afin de favoriser l’immersion du spectateur dans l’environnement capturé par la photographie et ainsi proposer un véritable « bain olfactif et auditif » (p. 100).

5Pour être au plus proche du réel, les photographes privilégient un retour à l’argentique et aux techniques anciennes de la photographie. Photogrammes végétaux, papier végétal pour l’impression des épreuves, retour au collodion humide, photosynthèse, anthotypie, chlorophylle… toutes ces techniques naturelles sont abordées et expliquées par Danièle Méaux dans un quatrième et foisonnant chapitre. Ces techniques chimiques « signe[nt] donc le désir d’une forme de reconnexion à la vie organique » (p. 105). Moins que la représentation exacte de la nature, c’est la matière même du tirage ou du protocole qui fait sens pour certains photographes – et qui est mis en évidence –, car « comme les végétaux, la photographie argentique exploite le rayonnement de la lumière à des fins de transformation chimique » (p. 105).

Comprendre la relation entre la forêt et les communautés humaines 

6Les cinq chapitres suivants regroupent des projets et des œuvres photographiques qui entendent mettre en évidence la relation étroite que les communautés humaines entretiennent avec la forêt, tout en exposant les conséquences des activités sur le territoire.

  • 6 Danièle Méaux, Enquêtes. Nouvelles formes de photographie documentaire, Filigranes, 2019, 240 p.

7Le chapitre 5, intitulé « Enquête » se situe dans la lignée des travaux précédents de l’autrice6. Les artistes menant des enquêtes photographiques relaient les transformations environnementales du paysage dues aux activités économiques tout en mettant en avant les populations locales et leur relation avec le territoire, bouleversée par ces transformations. Dans une démarche qui croise celles d’autres disciplines (ethnologie, anthropologie…) les photographes « cherchent davantage la compréhension des relations qui se tissent entre les phénomènes que l’enregistrement de faits qui seraient discernables par le regard » (p. 156). Ainsi, « à l’opposé d’une telle conception du témoignage photographique », les œuvres « se présentent comme les produits d’un processus d’investigation, les résultats d’une interaction progressive et réfléchie avec le monde » (p. 156), tout en invitant le spectateur-lecteur à confronter et croiser les différents supports de l’investigation (récit, légendes, archives, entretiens, portraits, etc.), l’exposition se prolongeant souvent par une publication dans un livre.

8Outre l’enquête, certains artistes cherchent à déconstruire les mythes de la forêt comme « havre de paix des sociétés urbaines et industrielles occidentales ; modèles de virginité et de biodiversité à l’ère de l’anthropocène » (p. 159) qui alimentent nos imaginaires collectifs (chapitre 6). D’un autre côté, émerge depuis quelques années une fascination pour une vie alternative à la société, et la cabane en pleine forêt s’érige comme symbole de ce choix de lieu propice à l’exclusion de la société et de reconnexion avec la nature. Les photographes tournent alors leur objectif vers les cabanes et notamment celles des zones à défendre (ZAD – lieux de luttes politiques contre la destruction de territoires boisés) (chapitre 7). D’autres photographes (chapitre 9) amènent à réfléchir sur les usages de la forêt par les communautés qui la traverse (chasse à la givre, photographies d’animaux en milieu naturel sans intervention de l’homme) et sur les aménagements du lieu pour des activités récréatives (sentiers de randonnée, sentiers d’interprétation et d’explication de l’écosystème, etc.).

9Enfin, l’avant-dernier chapitre se penche sur les ravages qui touchent les forêts dans le monde entier en raison des politiques d’exploitation industrielles et du réchauffement climatique. Certains photographes proposent des photos en contre-champ des images spectaculaires et médiatiques des méga-feux, phénomène climatique s’intensifiant en Amérique du Nord, en Amazonie, mais aussi en Europe. Ces images médiatiques « participent d’une iconographie sensationnelle de la catastrophe, renvoyant aux images archétypales de l’enfer » (p. 221). Les photographes cités dans l’ouvrage déplacent la focale sur « les conséquences humaines et écologiques de ces sinistres, sur les manières diverses dont les habitants des aires concernées les vivent et les pensent » (p. 221). Le Projet en cours 660° du collectif de photographes Les Associés, par exemple, s’intéresse aux conséquences de l’incendie dans le massif des Landes de Gascogne en 2022 et « mobilisent (…) la matérialité de l’image argentique afin d’évoquer l’effet du feu et de la chaleur extrême sur les substances végétales ou les artefacts » (p. 229).

10En somme, Danièle Méaux explique qu’à travers les œuvres photographiques de cet ouvrage, la forêt se présente comme un élément « fécond » pour saisir et comprendre la complexité des enjeux que traverse notre société actuelle en pleine crise « civilisationnelle ». L’autrice conclut en reprenant le concept de Marcel Mauss en soulignant que les artistes mentionnés dans l’ouvrage tendent à « concevoir la forêt comme un “fait social total”, un phénomène qui croise des dimensions esthétiques, poétiques, mais aussi économiques, politiques, culturelles ou spirituelles, interférant les unes avec les autres » (p. 258).

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Notes

1 Hal Foster, Le Retour du réel : situation actuelle de l’avant-garde, Bruxelles, La Lettre volée, 2006.

2 Danièle Méaux, Quand la photographie pense la forêt : des années 1980 à nos jours, Landebaëron, Filigranes, 2024, p. 11.

3 Pratique consistant « à la réplication d’un même point de vue (avec une focale et un cadrage identiques) à intervalles de temps réguliers », p. 27.

4 Danièle Méaux s’appuie sur les travaux de Jean-François Chevrier (1984) cités en note de bas page 77.

5 Céline Clanet, Ground Noise, Arles, Actes Sud, 2023.

6 Danièle Méaux, Enquêtes. Nouvelles formes de photographie documentaire, Filigranes, 2019, 240 p.

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Pour citer cet article

Référence papier

Morgane Pernet, « Danièle Méaux, Quand la photographie pense la forêt. Des années 1980 à nos jours, Filigranes »Revue des sciences humaines, 356 | 2025, 227-232.

Référence électronique

Morgane Pernet, « Danièle Méaux, Quand la photographie pense la forêt. Des années 1980 à nos jours, Filigranes »Revue des sciences humaines [En ligne], 356 | 2025, mis en ligne le 11 mars 2025, consulté le 17 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/rsh/7511 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13gcs

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Auteur

Morgane Pernet

Doctorante contractuelle au CSLF (Université Paris Nanterre) en cotutelle avec l’Université du Québec à Montréal

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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