1Professeur émérite d’histoire du christianisme moderne et contemporain de la faculté de théologie protestante de l’Université de Strasbourg, l’A. a commis de nombreux ouvrages sur Luther et le protestantisme, mais a également, dès 2004, publié un livre dont la thématique rappelle la présente réflexion : Dieu rit en Alsace. Histoire et anecdotes de l’Alsace profonde (éd. Midgard).

2Si l’ouvrage traite de la place du rire dans les trois grands monothéismes, il combine l’analyse théorique au recueil d’anecdotes et historiettes diverses, particulièrement fourni pour les catholiques et les juifs ! Cela peut surprendre puisque les textes fondateurs sont plutôt réservés sur la place du rire comme le montre la première partie de l’ouvrage qui s’intéresse à la Bible et aux textes apocryphes chrétiens. Si l’on y trouve des traits d’humour parfois moqueurs, parfois empathiques, ou le sentiment de joie de la part de Dieu et des humains, positivement ou négativement, les occurrences sont réduites. Et elles le seront encore, sauf exception, dans l’Église ancienne et médiévale (2^e partie). Le chrétien doit s’abstenir d’aller au spectacle, « le rire chasse les vertus » (p. 60), il est mal vu ; en même temps une certaine joie, un sourire n’est pas à exclure. C’est à partir du xiii^e siècle que le rire commence à gagner en légitimité, en particulier dans les prédications. Louis IX (dit Saint-Louis) connu pour sa piété est aussi un roi plaisantin et rieur. Pour autant, on ne peut rire de tout : « il est exclu de rire du Christ, en particulier de sa passion » (p. 81). À la fin du Moyen-Âge, La Nef des Fous du juriste alsacien Sébastien Brant et L’Éloge de la Folie d’Érasme introduisent non seulement des perspectives humanistes, mais aussi un humour souvent grinçant et moralisateur. Les théologiens, par exemple, constituent « une race extraordinairement sourcilleuse et irritable, ils risquent de m’attaquer, écrit le philosophe, avec des milliers de conclusions disposées en escadrons et de m’obliger à la palinodie : en cas de refus, ils crieraient illico à l’hérésie » (p. 99).

3Avec la troisième partie de l’ouvrage, place est faite à la Réformation du xvi^e siècle. Et comme pour toutes les autres étapes, l’A. en profite toujours pour expliciter les grandes lignes de la confession ou religion en question. Luther attribue le rire aussi bien à Dieu, au Christ, aux anges qu’aux humains. S’il pense qu’on ne peut rire de tout, certes, il sait rire de lui-même, goûter le rire familial et utiliser le rire comme arme contre les adversaires ou pour marquer la victoire du Christ contre Satan (rire pascal). Il appelle même « le croyant à faire rire Dieu » (p. 113) car Dieu peut rire de contentement ou pour se moquer de ce qui est ridicule. Il est ainsi très différent de Calvin qui « n’était pas un joyeux luron » (p. 145). Avec la quatrième partie, « le rire catholique », l’A. évoque la sainteté souriante de François de Sales et les « bons mots » de Jean XXIII. Il note aussi qu’« on aime rire dans les communautés catholiques et jusque dans les sacristies ou dans les hautes sphères de l’Église » (p. 183). On a ainsi droit à une assez longue série d’historiettes ; à laquelle fait suite la cinquième partie « Les protestants rient aussi », évoquée avec la figure d’A. Schweitzer et une analyse des communautés protestantes bien plus réticentes au rire. La sixième partie, enfin, évoque l’humour juif à la fois dans le Talmud et dans le judaïsme contemporain : beaucoup d’humour là encore ; tandis que les musulmans évoqués dans la même dernière partie sont bien plus réticents au rire évoqué une dizaine de fois dans le Coran avec presque toujours une connotation négative.

4En définitive, voilà une réflexion qui se lit facilement (et parfois fait rire !). L’ouvrage n’apporte pas de « révélation nouvelle » sur le sujet mais sait faire le point avec toujours une bibliographie en fin de chaque chapitre.