1Le projet de S. Bertho est de montrer comment « l’objet pictural, passé au filtre de la “réalité intérieure”, est en fait asservi au récit » (p. 13). Il s’agit ainsi d’expliquer comment le processus d’intériorisation proustien finit par rejeter la pratique de l’ekphrasis pour dégager la vérité de l’art qui passe par la réappropriation, par Proust, des « dynamiques du tableau », comme le montre le « roman pictural d’Albertine » dans la Recherche (p. 17). L’ouvrage est la collection d’un certain nombre d’articles produits par l’A. depuis une vingtaine d’années et parus dans différents numéros de revues et de chapitres d’ouvrages. Dans le premier chapitre, « La vie et l’œuvre », l’A. montre l’importance de l’art dans la formation du jeune Proust, notamment au travers de trois figures majeures : Montesquiou, les frères Goncourt et Ruskin. La réflexion de l’A. sur l’influence de ce dernier est particulièrement intéressante, puisqu’elle révèle comment à l’idolâtrie ruskienne se substitue l’expérience sensorielle de la « Venise intérieure », qui atteint la dimension d’un espace pur.

2Le peintre Elstir est au cœur du deuxième chapitre qui a pour but de montrer comment, chez Proust, le tableau ou le livre ne sont que des instruments d’optique, destinés à révéler l’art qui remonte lui-même à la vie. L’ekphrasis devient alors impuissante à rendre compte de la valeur propre de la peinture qui ne repose que sur « l’expérience du spectateur » (p. 100), par un mouvement de retournement kantien entre le tableau et la perception.

3Enfin, le troisième chapitre met en acte la thèse de l’A. à propos de « l’esthétique proustienne » : « Pour Proust, la vue d’un tableau n’est pas un acte de jouissance esthétique, elle est un acte de profondeur, révélant des couches de temps successives : elle déclenche donc le même processus métaphorique — extraordinaire, visant à transformer la vie — que la mémoire involontaire » (p. 103). Cette thèse est fondamentale si l’on veut vraiment comprendre le rôle de la peinture, mais plus globalement de l’art, dans le roman proustien. « Instrument de révélation des essences [y compris au sens platonicien, dans un emprunt plus large à l’esthétique de Ruskin] et du temps » (p. 105), le tableau joue un rôle similaire à celui la madeleine, de l’aubépine ou de l’inégalité des pavés à l’hôtel de Guermantes. Pour décrire l’effet du tableau dans la Recherche, l’A. déploie une typologie des différentes fonctions dans le roman : psychologique, rhétorique, structurale et ontologique (p. 105). Dans le premier cas, il s’agit souvent d’un raccourci descriptif ; dans le deuxième, la peinture se fait argument et devient élément de structure ; dans le quatrième, elle joue véritablement le rôle de découverte des essences. Le roman pictural d’Albertine dévoile la fonction structurale réflexive ; cette dernière devient d’ailleurs « figure de l’Art », dépouillée de toute l’idolâtrie charnelle de l’amour.

4Il est bien certain que la littérature secondaire sur les rapports de Proust à l’art en général et la peinture en particulier est particulièrement fournie, y compris dans le cadre d’une exposition « Proust et les peintres » au musée de Chartres en 1991 qui avait pour but de retracer le « musée intérieur » de Proust. Mais l’intérêt de cet essai de S. Bertho est de présenter des éléments-clés de « l’esthétique » proustienne dans un ouvrage bref, mais dense.