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Partie III. Les conceptions de Laisant sur l’enseignement et leurs diffusions

Chapitre 12. La diffusion des idées pédagogiques de Laisant au Brésil

Circe Mary Silva da Silva et Maria Célia Leme da Silva
p. 144-152

Texte intégral

  • 1 [Petitjean, 1996].

1Après avoir décliné, l’influence culturelle française au Brésil, y compris dans les domaines de la science et de l’éducation, s’est renforcée tout au long du xixe siècle et jusqu’à la Première Guerre mondiale. L’élite brésilienne a alors cherché des références en priorité du côté de la France, à la fois dans les modèles institutionnels, les livres scientifiques et la langue française, qui était jusque dans les années 1920 la langue scientifique quasi officielle1. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant qu’un nom tel que celui de Charles-Ange Laisant, important dans l’enseignement français, se soit rapidement fait connaître au Brésil.

  • 2 [Espagne, 1999], [Fontaine, 2014].

2La circulation des idées pédagogiques de Laisant au Brésil, analysée selon la théorie des transferts culturels2, est un exemple de transfert pédagogique de la France vers le Brésil qui mérite d’être étudié dans l’histoire de l’enseignement des mathématiques.

  • 3 [Bourdieu, 2004].

3Au niveau international, Laisant a non seulement excellé en tant qu’auteur d’ouvrages didactiques pour l’enseignement des mathématiques, mais il est également reconnu en tant qu’autorité académique. En effet, il s’est impliqué dans la création de revues, d’associations, de sociétés scientifiques, toujours avec un esprit innovant, avant-gardiste, ouvert aux nouveautés (voir. chap. 1), par exemple avec l’adoption du théâtre comme outil pédagogique et la diffusion de la langue espéranto, acquérant par là une réputation scientifique incontestable auprès de ses pairs3.

4Au Brésil, les journaux de la plupart des États de la Fédération se sont chargés, avec le soutien des enseignants et des éducateurs, de la diffusion des idées et des travaux du pédagogue français. Naturellement, dans un processus de transfert culturel se faisant par le biais de médiations, les transformations sont inévitables. Les connaissances obtenues après un transfert diffèrent, dans une certaine mesure, de celles qui ont été produites dans le lieu d’origine. Les idées de l’auteur se mêlent également aux interprétations de ses diffuseurs, mais malgré cela, Laisant a joué un rôle significatif en tant que source de propositions éducatives centrées sur des principes et des pratiques relevant d’un rationalisme pédagogique.

5Par ses actions pour l’amélioration de l’enseignement primaire, Laisant a rapidement gagné des adeptes qui ont répandu ses idées sur les terres brésiliennes. En particulier, en 1906, année de publication de l’ouvrage Initiation mathématique, les journaux ont présenté cet ouvrage comme un nouveau modèle d’enseignement des mathématiques dans les écoles primaires. Ce n’est pas la seule œuvre connue de l’auteur au Brésil, d’autres ont été largement commentées comme La Mathématique. Philosophie − Enseignement, la revue L’Enseignement mathématique créée en 1899, ainsi que L’Éducation fondée sur la science. Cependant, aucune n’a eu autant de répercussions que l’Initiation mathématique, citée dans les manuels, les revues pédagogiques, les journaux et les programmes d’enseignement.

6Notre objectif est donc d’analyser la diffusion et l’appropriation des idées pédagogiques de Laisant au Brésil. Afin d’analyser cette circulation, nous avons choisi quatre types de sources : 1) les informations sur Laisant dans la presse brésilienne ; 2) les programmes d’enseignement brésiliens faisant référence à Laisant ; 3) les auteurs de manuels brésiliens qui citent ou s’approprient les idées de Laisant ; 4) la place de Laisant dans les revues pédagogiques.

Laisant dans les journaux brésiliens

  • 4 Les journaux analysés sont ceux qui sont disponibles sous forme numérique à la Bibliothèque nationa (...)

7Au Brésil, le nom de Laisant a circulé bien avant ses idées pédagogiques. Dans la presse, son nom est apparu à propos de questions de politique française. Dans douze États brésiliens (Alagoas, Bahia, Maranhão, Mato Grosso, Minas Gerais, Paraná, Paraíba, Pernambuco, Rio Grande do Sul, Rio Grande do Norte, Rio de Janeiro et São Paulo), nous avons identifié dans une vingtaine de journaux4 des références à l’action politique de Laisant, avant même que l’on parle de ses travaux, de ses idées sur l’éducation et de ses propositions d’enseignement des mathématiques.

  • 5 À titre d’exemples, le Jornal do Brasil et le Jornal do Commercio.
  • 6 [Silva, 2013, 253].

8Dès 1878, des journalistes mentionnent les activités politiques de Laisant, certains le qualifiant de « DÉPUTÉ boulangiste, radical, intransigeant, de gauche », et d’autres adjectifs, dans les principaux journaux de Rio de Janeiro5. Il est à noter qu’en 1884, Laisant avait présidé la Ligue française des droits des femmes et qu’il n’était pas partisan de la peine de mort. Le député français a défendu des sujets controversés, parmi lesquels : « […] l’amnistie parlementaire ; la séparation de l’Église et de l’État ; la liberté de réunion et d’association ; la liberté de la presse ; le divorce ; l’institution d’une Caisse de pension du travail ; et la loi controversée d’expulsion des princes de France en 1886. Il s’est également opposé à la politique éducative de Jules Ferry et a combattu les expéditions coloniales6 ».

  • 7 [Journal de Recife, 1904, 1].

9En 1904, dans le Jornal de Pernambuco, le chroniqueur fait référence à l’importance des journaux pour l’éducation des individus, citant Laisant : « L’éducation s’exerce de la naissance à la mort. Il n’y a pas d’instant, en effet, poursuit-il, dans lequel nous ne pouvons trouver matière à une connaissance plus complète de nos facultés, dans lequel il n’est pas possible d’augmenter le champ de notre activité7 ».

  • 8 [Órgão Official dos Poderes do Estado de Minas Gerais, 1894, 1 janv., 8].

10Même avant que l’Initiation mathématique soit traduite en portugais et soit connue au Brésil, d’autres idées de l’auteur sur les mathématiques et l’enseignement ont circulé dans les journaux. En 1894, le projet de Laisant et Lemoine de créer une revue internationale de communication entre mathématiciens, contenant uniquement des questions et des problèmes, a été rapporté dans l’article « O Intermediário dos matemáticos » de l’Órgão Official dos Poderes do Estado de Minas Gerais8.

  • 9 [Mendonça, 1906, 3].
  • 10 Ibid.

11Les innovations pédagogiques de l’Europe ont rapidement pénétré au Brésil, étant donné qu’en 1906, l’année même de sa publication à Paris, le journal O Paiz (Rio de Janeiro) a présenté l’ouvrage Initiation mathématique de Laisant comme étant inspiré des méthodes pédagogiques les plus récentes, basées sur des récréations mathématiques9 (voir chap. 11). De plus, l’auteur de l’article a profité de l’occasion pour critiquer fortement la surévaluation des modèles européens, avançant que la proposition de Laisant ne serait pas nouvelle au Brésil, et que l’idée lumineuse d’une école utilisant des méthodes ludiques était déjà défendue par un éducateur brésilien qui aurait écrit un livre basé sur de petites histoires pour l’enseignement de l’arithmétique10.

  • 11 [Laisant, 1919, 7].

12Cependant, dans l’Initiation mathématique, Laisant précise que sa méthode diffère des récréations mathématiques. Alors que le but des récréations serait de s’amuser en utilisant des connaissances préalablement acquises, il indique que son intention est précisément l’inverse : « Nous nous servirons de questions amusantes comme moyen pédagogique, pour attirer la curiosité de l’enfant et arriver ainsi à faire pénétrer dans son esprit, sans effort imposé, les premières notions mathématiques les plus essentielles. Et la diversité des questions, qui pourrait faire croire à un désordre apparent, cache une suite d’idées, voulues, utiles et complètement ordonnées11 ».

13On perçoit ici les affinités de Laisant avec les écoles et les mouvements éducatifs qui cherchent à rompre avec l’enseignement dit traditionnel, dans lequel la mémorisation et l’apprentissage formel des concepts sont des méthodes caractéristiques. Le livre est conçu comme un guide entre les mains de l’éducateur pour inspirer, intéresser et amuser l’enfant.

  • 12 [Alencar, 1921, 390].
  • 13 [Alencar, 1921, 391].

14Le professeur Abílio de Barros Alencar était un partisan des idées de Laisant sur l’initiation au calcul, qui devrait commencer tôt et méthodiquement par des récréations, jusqu’à ce que l’apprenant soit apte à suivre un enseignement scientifique de l’arithmétique. Il ajoute : « pour beaucoup de gens, comme le dit encore Laisant, cela semblera un rêve, une utopie, d’admettre que l’on peut atteindre la connaissance de toutes ces opérations de calcul par de simples moyens matériels et récréatifs12 ». Cet auteur souligne encore : « au début du cours primaire, la méthode suivie dans l’enseignement du calcul doit être rigoureusement expérimentale et intuitive13 ».

  • 14 [Malba Tahan, 1955, 10].

15La collection d’extraits publiés par la presse brésilienne dans différents États et régions du pays, de la fin du xixe siècle au milieu du xxe siècle, témoigne fortement de la circulation du nom de Laisant et de ses propositions pédagogiques dans une grande partie du Brésil. En 1955, l’ouvrage Initiation mathématique de Laisant a encore été cité par Malba Tahan dans le journal Diário da Noite (Rio de Janeiro)14. Malba Tahan est le pseudonyme de Júlio César Mello e Souza, professeur de mathématiques connu pour ses livres de récréations mathématiques. Il est probable que chacune des régions du pays ait reçu et assimilé les idées de Laisant à sa manière, en résonance avec le contexte local.

Laisant comme référence normative

  • 15 [Leão, 1926, 13].

16Tout au long de la première moitié du xxe siècle, les États fédératifs du Brésil ont bénéficié d’une autonomie dans l’organisation de l’éducation publique, avec leurs propres règlements éducatifs. Cependant, le District fédéral du pays, Rio de Janeiro, a joué un rôle de premier plan et de référence pour les autres États. En 1926, le Jornal do Brasil a publié le programme d’enseignement primaire pour les écoles du District fédéral déterminé par Carneiro Leão, directeur général de l’Éducation. Dans l’introduction, Leão souhaite que le programme organise la formation de l’enfance et de la jeunesse pour rendre la vie du pays plus équilibrée, prospère et heureuse. Il désire que l’on abandonne l’intellectualisme pur pour ouvrir les écoles à la vie quotidienne et que l’enseignement ainsi conçu devienne une source de plaisir pour les élèves. Ces derniers apprendront « autant que possible, en observant, en expérimentant et en faisant15 ». Ce programme comprenait un contenu détaillé pour toutes les disciplines jusqu’à la sixième année, distribuait le contenu année par année, proposait des lignes directrices méthodologiques pour toutes les disciplines et incluait des références bibliographiques.

  • 16 [Leão, 1926, 14].
  • 17 [Jornal A Federação (Rio Grande do Sul),1911, 29 set., 3].

17En ce qui concerne l’enseignement des mathématiques, le programme de 1926 présente quelques principes fondamentaux pour l’enseignement de l’arithmétique, dont le premier est le suivant : « traitez chaque sujet plusieurs fois, approfondissez-le progressivement, évitez autant que possible les définitions16 ». Et pour soutenir cette nouvelle et audacieuse proposition pédagogique, l’ouvrage Initiation mathématique de Laisant a été inclus dans les références du programme, dans sa version française, bien que la traduction de Henrique Schindler ait déjà circulé au Brésil depuis 191117.

  • 18 [Revista A Escola Primaria (Rio de Janeiro), 1923, 233].

18Quelques années avant la publication du programme du District fédéral de 1926, les journaux locaux annonçaient déjà la diffusion, la proximité et l’approbation des propositions pédagogiques de Laisant. Par exemple, en 1923, quatre ans après la publication de premières informations sur le sujet, l’auteur de « Do ensino da Mathematica na escola primária » dans la Revista Escola Primária (Rio de Janeiro) attire l’attention des enseignants sur ce que devrait être l’enseignement des mathématiques à l’école primaire, recommande d’instaurer en classe une atmosphère moins sévère et cite Laisant dans sa version originale en langue française : « […] si parfois les études mathématiques nous conduisent à rire, c’est un mérite de plus, attendu que, suivant la grande parole de Rabelais “Rire est le propre de l’homme”18 ».

19En résumé, tout indique que le District fédéral du Brésil a assumé un rôle d’avant-garde nationale en promulguant un programme scolaire pour l’école primaire en phase avec les idées modernes sur l’éducation, qui incluaient les propositions pédagogiques pour l’enseignement des mathématiques promues dans le livre Initiation mathématique de Laisant.

Appropriations des idées de Laisant par des auteurs brésiliens

  • 19 [Thiré, 1913, 15, 62].

20En 1913, Arthur Thiré, directeur de l’école Pedro II, modèle d’école secondaire dans le pays, a envoyé à la revue L’Enseignement des mathématiques19 une brève chronique du Congrès de l’école primaire et secondaire de Belo Horizonte, qui s’était tenu l’année précédente. Il a rapporté qu’Everaldo Backheuser, professeur à l’École polytechnique de Rio de Janeiro, avait donné une conférence sur une méthode d’éducation conçue pour faire des mathématiques, en tenant compte des idées développées par Laisant dans son Initiation mathématique. Backheuser, en plus d’être ingénieur, était pédagogue et écrivain. Parmi les livres qu’il a publiés, l’un est un manuel de pédagogie moderne (théorique et pratique). C’est l’une des premières communications au Congrès des enseignants sur la diffusion des idées pédagogiques de Laisant au Brésil.

  • 20 On trouvera une étude plus détaillée dans [Silva & Leme da Silva, 2021, en ligne sur https://www.gh (...)
  • 21 [Silva, Leme da Silva, 2019].

21Les manuels d’auteurs brésiliens constituent une autre source pertinente sur la circulation des idées de Laisant et, en particulier, sur la façon dont ses propositions ont été reçues, incorporées, adaptées à la réalité brésilienne. Dans le domaine de l’enseignement primaire, le livre Geometria (Observação e Experiência) de Heitor Lyra Silva20, publié à Rio de Janeiro en 1923 et inclus comme référence pour le programme du District fédéral de 1926, est un exemple de l’appropriation des idées de Laisant. Silva était considéré comme un expert de l’éducation. Il a été nommé par Carneiro Leão, directeur de l’Instruction municipale à Rio de Janeiro, pour participer en tant que spécialiste à l’élaboration de deux programmes d’enseignement pour le primaire, qui ont eu lieu de 1922 à 1926. Le livre de Silva abandonne l’approche classique de la géométrie euclidienne abstraite et formelle, et propose une démarche innovante combinant la théorie avec des questions pratiques qui peuvent être visualisées, expérimentées et construites21. Parmi les auteurs cités dans les références bibliographiques de Silva figure Laisant avec son Initiation mathématique.

22Comme l’explique le titre Geometria (Observação e Experiência), la caractéristique centrale de la proposition d’enseignement de la géométrie de Silva consiste en l’observation et l’investigation des propriétés géométriques à partir d’objets concrets, construits par les étudiants, de manière expérimentale, ce qui aboutit à des pistes pédagogiques innovantes découlant de ce travail manuel. À titre d’exemple, le manuel guide les étudiants pour produire des patrons de solides géométriques, par exemple du cube, et, à partir des objets concrets ainsi obtenus, les conduit à explorer leurs faces, angles et sommets.

  • 22 [Fonseca, 1929, 36].

23Un autre ouvrage d’auteur brésilien qui fait référence à Laisant pour la nouvelle orientation de l’enseignement des mathématiques est le livre a Escola Ativa e os Trabalhos Manuais, de Corinto da Fonseca, publié à São Paulo en 1929. L’auteur indique les fondements physico-psychiques du travail manuel et construit une représentation qui relie les cinq sens à l’expression pour montrer l’importance du travail manuel en tant que méthodologie scolaire active. En effet, le travail manuel fournit des idées d’activités mathématiques pertinentes pour l’enseignement : « dans tout travail manuel, il y a toujours des mesures à prendre, des calculs à faire, de sorte qu’il y aura toujours de la géométrie, de l’arithmétique et même de l’algèbre à appliquer22 ».

  • 23 [Jornal A Republica (Paraná), 1908, 19 dez., 1].
  • 24 Ibid.

24Une fois de plus, les journaux anticipent le débat sur l’importance de l’expérience pour l’enseignement des mathématiques, qui, des années plus tard, occupera les manuels scolaires. En 1908, dans l’article publié dans le Jornal do Paraná, une région du sud du pays, traduit du français en portugais par João Barcellos et intitulé « o Objetivo da Matemática », on peut remarquer que l’auteur a attribué à l’expérience un rôle fondamental dans la construction des connaissances mathématiques. Selon lui, traduire un phénomène d’un point de vue mathématique nécessite le passage du concret à l’abstrait, en plaçant les quantités cherchées dans des équations, en résolvant ces équations à l’aide de méthodes et en discutant ensuite des solutions utiles au problème. Pour cela, selon lui, « […] il sera toujours prudent de recourir, pour une vérification définitive, à la sanction de l’expérience23 » (voir chap. 10). Il poursuit en disant : « seule l’expérience peut nous faire savoir, en général, si la question est bien posée, et si, par ailleurs, nous pouvons avoir confiance en notre solution et la considérer pleinement satisfaisante dans la limite des erreurs signalées et connues24 ».

25Une autre conception forte de Laisant dans son action pédagogique est la défense du dessin, qui ne devrait jamais souffrir d’interruption tout au long de l’école primaire. Pour les exercices de construction des figures géométriques étudiées, il souligne l’importance de commencer à dessiner sous forme de jeu, librement, à la main ou à l’aide d’un quadrillage. Ce n’est qu’une fois que les enfants sont habitués au traçage à main levée que les instruments doivent être introduits. Au Brésil, l’utilisation d’instruments de dessin à l’école primaire, sans passer par le stade du dessin à main levée, a été largement critiquée par de nombreux éducateurs depuis le xixe siècle.

  • 25 [Roxo, 1937, 156].

26L’enseignement secondaire au Brésil correspondait, au cours de la période, à l’enseignement succédant à l’enseignement primaire (destiné aux enfants âgés de 7 à 10 ans). Dans le cadre de cet enseignement, nous pouvons également identifier des espaces de circulation des idées pédagogiques de Laisant. Ce sont principalement des travaux destinés à la formation des enseignants, tels que des livres de didactique des mathématiques et de méthodologie des mathématiques. Par exemple, l’éducateur et professeur de mathématiques Euclides Roxo, dans son livre intitulé Matemática na Educação Secundária (1937), a déclaré que Laisant préconisait un enseignement intégré de l’arithmétique, de la géométrie et de l’algèbre. Dans les années 1920, Roxo, à l’époque directeur du Collège Pedro II, l’école secondaire modèle au Brésil, avait proposé dans cet établissement une réforme curriculaire et méthodologique réunissant l’arithmétique, de l’algèbre et de la géométrie dans une seule discipline appelée « Mathématiques ». En 1929, cette réforme a atteint tout le pays. En 1937, en tant que directeur de l’Enseignement secondaire du ministère de l’Éducation et de la Santé, il a continué à moderniser l’enseignement des mathématiques au Brésil. Les idées de Laisant se reflètent dans plusieurs extraits du livre de Roxo, comme dans l’exemple suivant25 :

Dans une grande partie des considérations précédentes, nous avons supposé, implicitement ou expressément, que l’algèbre et l’arithmétique étaient enseignées parallèlement à la géométrie. Il est indispensable, et non seulement utile, de préserver ce caractère d’unité et de coordination pour l’ensemble des notions mathématiques, sans lequel elles en viennent à perdre tout intérêt et toute valeur. Un jeune homme qui aurait appris l’arithmétique, puis serait passé à l’algèbre, puis à la géométrie, et qui aurait continué de la même manière pendant dix ans, aurait eu l’esprit moins formé qu’avec trois ou quatre années d’un enseignement parallèle mené avec une certaine intelligence.

  • 26 [Roxo, 1937, 207].

27Dans ce même ouvrage, Roxo déclare que « Laisant était l’un des défenseurs faisant le plus autorité du cours précédent de géométrie intuitive ou expérimentale26 » (voir chap. 10).

  • 27 [Mello e Souza, 1957, 111-112].

28Julio Mello e Souza, qui utilisait également le pseudonyme de Malba Tahan, était un auteur populaire de manuels brésiliens destinés aux récréations mathématiques et également à la didactique des mathématiques. Il s’est approprié l’idée de Laisant – qu’il cite dans son ouvrage Didática da Matemática de 1957 – d’une mathématique pour tous lorsqu’il justifie l’importance de l’enseignement des mathématiques pour la Société27 :

L’initiation mathématique est indispensable à tous les enfants, sans distinction de fortune, de situation sociale, de sexe. Il faut cependant ajouter que l’enseignement des mathématiques est toujours indispensable – sans aucune distinction, sans réserve d’aucune sorte. Les femmes en ont autant besoin que les hommes ; la vie quotidienne, l’économie domestique, au même titre que l’industrie, dont les applications impliquent toute notre vie, exigent de nous la connaissance de la grandeur et de l’extension.

29Le caractère unificateur d’une discipline scolaire appelée « Mathématiques » dans l’enseignement primaire brésilien dans son ensemble a mis un peu plus de temps à être reconnu, mais dans le District fédéral de Rio de Janeiro, le programme de 1934 est publié comme un programme de mathématiques, tandis que les autres États de la Fédération conservent les différenciations entre arithmétique, géométrie et dessin.

Laisant dans les périodiques pédagogiques brésiliens

  • 28 [Revista de Ensino (Alagoas), abril, 67].

30La Revista de Ensino, publication pédagogique du répertoire d’instruction de l’État d’Alagoas, région du nord-est du pays, est créée en 1927. Dans le deuxième numéro de la revue, nous identifions la reproduction des premières pages du livre Initiation mathématique de Laisant. Cette reproduction s’est poursuivie dans les autres numéros de cette année et, au sixième numéro, elle atteignait déjà environ 100 pages. Comme la revue était dédiée aux enseignants du primaire, le nom de Laisant a bénéficié d’une large publicité en tant qu’expert étranger ayant orienté la façon dont l’enseignement de l’arithmétique devrait être présenté dans les cours pour débutants. Les éditeurs n’ont présenté aucune explication ou justification pour la reproduction du livre de Laisant en plusieurs parties dans les différents numéros de la revue. Au même moment, le Jornal do Estado de Alagoas mentionne également les propositions innovantes de Laisant sur l’enseignement de l’arithmétique dans « Primeiras lições de Arithmetica » (1927)28.

  • 29 [Revista A Escola Primaria (Rio de Janeiro),1918, 312].

31En 1918, Laisant, qualifié de « sage mathématicien français », est présenté comme un homme dévoué à l’amélioration de l’enseignement primaire en France. En particulier, l’attention est attirée sur la critique que Laisant a adressée à l’enseignement de l’arithmétique lorsque les enseignants, avant même de donner une notion de nombre, habituent les enfants à dessiner les symboles des nombres. Selon un article « A segunda conferência pedagógica » de la Revista A Escola Primária (Rio de Janeiro) : « […] il faut donner la notion de nombre à l’enfant (jusqu’à 10 par exemple) avant qu’on ne l’ait habitué à dessiner n’importe quel symbole29 », arguant que chaque symbole est une abstraction et qu’il faut que les symboles surgissent en leur temps.

  • 30 [Revista A Escola Primaria (Rio de Janeiro), 1921, fev., 390].

32Dans la même revue, le nom de Laisant réapparaît30 dans un article sur les « opérations matérielles et récréatives » en 1921, avec l’idée qu’il est possible d’acquérir des connaissances par des activités récréatives dans le cursus scolaire dès le plus jeune âge, même si cela ressemble à un rêve ou une utopie.

Conclusion

33Les œuvres de Laisant destinées à l’enseignement en général et à celui des mathématiques en particulier, à la fois en français et traduites en langue portugaise, ont été rapidement connues au Brésil. Par exemple, en 1906, l’année de la publication de l’Initiation mathématique à Paris, Laisant était déjà cité dans les journaux au Brésil. La Mathématique. Philosophie − Enseignement était déjà vendue en 1910, et L’Éducation fondée sur la science en 1911.

34La diffusion des idées pédagogiques de Laisant s’est opérée dans la presse généraliste, les manuels de mathématiques et les revues pédagogiques au Brésil de 1906 à 1957. Cependant, l’appropriation la plus importante de ses propositions pour l’enseignement des mathématiques a trouvé sa place dans les années 1920 lorsque le livre Initiation mathématique est devenu mieux connu et a été recommandé dans le programme de mathématiques pour les écoles primaires du District fédéral (aujourd’hui Rio de Janeiro).

35Les principales appropriations de Laisant par les auteurs brésiliens ont été : la valorisation de l’enseignement du dessin ; le rôle important de l’expérience dans la construction des connaissances ; l’enseignement intégré de l’arithmétique, de la géométrie et de l’algèbre ; une initiation intuitive et expérimentale à la géométrie et, surtout, un enseignement des mathématiques plus ludique pour tous.

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Bibliographie

Sources primaires

Diário da Noite (Rio de Janeiro).

Jornal A Federação (Rio Grande do Sul).

Jornal A Republica (Paraná).

Jornal de Recife (Pernambuco).

Jornal do Brasil

Órgão Oficial dos Poderes do Estado de Minas Gerais (Minas Gerais).

O País (Rio de Janeiro).

Revista A Escola Primária (Rio de Janeiro).

Revista de Ensino (Alagoas).

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Fonseca Corinto, (1929). A escola ativa e os trabalhos manuais, Biblioteca de Educação, v. 8, 2, São Paulo, Editora Melhoramentos.

Laisant Charles-Ange, (1919). Iniciação Matematica, trad. Henrique Schindler, (2e éd.), Lisboa, Guimarães & Ca.

Leão Carneiro, (1926). « Edital dos Programas para o Ensino Primario para as escolas diurnas do Distrito Federal », Jornal do Brasil, 26 jul., 13-20.

Malba Tahan, (1955). Diário da Noite (Rio de Janeiro), 19 nov., 10.

Mendonça Curvello, (1906). « A iniciação Mathematica e o novo methodo de ensino », O País (Rio de Janeiro), 1 jun., 3.

Roxo Euclides, (1937). A Matemática na educação secundária, São Paulo, Porto Alegre, Rio de Janeiro, Recife, Companhia Editora Nacional.

Silva Heitor Lyra, (1923). Geometria (Observação e Experiência), Rio de Janeiro, Livraria Editora Leite Ribeiro.

Thire Artur, (1913). « L’Enseignement des Mathématiques au Brésil », L’Enseignement mathématique, 15, 62.

Sources secondaires

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Fontaine Alexandre, (2014). « Pedagogia como transferência cultural no espaço franco-suíço : mediadores e reinterpretações de conhecimento (1850-1900) », História da Educação, 18 (42), 187-207.

Mello e Souza Júlio, (1957). Didática da Matemática, Rio de Janeiro, Gráfica Editora Aurora Ltda.

Petitjean Patrick, (1996). « Ciências, impérios, relações científicas franco-brasileiras, », Hamburguer, Amélia Império, Dantes, Maria Amélia M., Paty, Michel, Petitjean, Patrick (éd.) A ciência nas relações Brasil-França (1850-1950), São Paulo, EDUSP.

Silva Circe Mary Silva da, Leme da Silva Maria Célia, (2019). « Observação e Experiência como fio condutor da Geometria de Heitor Lyra da Silva », Zetetiké, Campinas, São Paulo, 27, 1-18.

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Sources sitographiques

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Notes

1 [Petitjean, 1996].

2 [Espagne, 1999], [Fontaine, 2014].

3 [Bourdieu, 2004].

4 Les journaux analysés sont ceux qui sont disponibles sous forme numérique à la Bibliothèque nationale de Rio de Janeiro (http://memoria.bn.br/hdb/periodico.aspx).

5 À titre d’exemples, le Jornal do Brasil et le Jornal do Commercio.

6 [Silva, 2013, 253].

7 [Journal de Recife, 1904, 1].

8 [Órgão Official dos Poderes do Estado de Minas Gerais, 1894, 1 janv., 8].

9 [Mendonça, 1906, 3].

10 Ibid.

11 [Laisant, 1919, 7].

12 [Alencar, 1921, 390].

13 [Alencar, 1921, 391].

14 [Malba Tahan, 1955, 10].

15 [Leão, 1926, 13].

16 [Leão, 1926, 14].

17 [Jornal A Federação (Rio Grande do Sul),1911, 29 set., 3].

18 [Revista A Escola Primaria (Rio de Janeiro), 1923, 233].

19 [Thiré, 1913, 15, 62].

20 On trouvera une étude plus détaillée dans [Silva & Leme da Silva, 2021, en ligne sur https://www.ghemat.com.br/itens/heitor-lyra-da-silva).

21 [Silva, Leme da Silva, 2019].

22 [Fonseca, 1929, 36].

23 [Jornal A Republica (Paraná), 1908, 19 dez., 1].

24 Ibid.

25 [Roxo, 1937, 156].

26 [Roxo, 1937, 207].

27 [Mello e Souza, 1957, 111-112].

28 [Revista de Ensino (Alagoas), abril, 67].

29 [Revista A Escola Primaria (Rio de Janeiro),1918, 312].

30 [Revista A Escola Primaria (Rio de Janeiro), 1921, fev., 390].

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Pour citer cet article

Référence papier

Circe Mary Silva da Silva et Maria Célia Leme da Silva, « Chapitre 12. La diffusion des idées pédagogiques de Laisant au Brésil »Bulletin de la Sabix, 70 | 2023, 144-152.

Référence électronique

Circe Mary Silva da Silva et Maria Célia Leme da Silva, « Chapitre 12. La diffusion des idées pédagogiques de Laisant au Brésil »Bulletin de la Sabix [En ligne], 70 | 2023, mis en ligne le 28 octobre 2023, consulté le 15 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/sabix/3336 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sabix.3336

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Auteurs

Circe Mary Silva da Silva

Université Fédérale de Pelotas, Rio Grande do Sul, Brésil.
Docteure en pédagogie, professeure retraitée à l’Université fédérale d’Espírito Santo et professeure collaboratrice à l’Université fédérale de Pelotas, chercheuse à Ghemat, Brésil. Principaux thèmes de recherche : histoire des mathématiques, histoire de l’enseignement des mathématiques, éducation scolaire indigène.

Maria Célia Leme da Silva

Université Fédérale de São Paulo, São Paulo, Brésil.
Docteure en éducation, professeure associée à l’Université fédérale de São Paulo, accréditée dans le programme d’études supérieures en éducation à l’Université Estadual Paulista Júlio de Mesquita Filho, chercheuse à Ghemat, Brésil. Thèmes de recherches : histoire de l’enseignement des mathématiques, enseignement de la géométrie.

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