1Ces deux personnalités contemporaines du xixe siècle sont passées toutes les deux par l’École polytechnique à la fois comme élèves puis, successivement, comme répétiteurs de mécanique.
2Ces deux proches du docteur Ange Guépin, grande figure nantaise du xixe siècle, ont aussi joué un rôle politique national sous la Troisième République comme députés, et même ministre des Colonies pour Paul Guieysse, tout en s’orientant vers l’enseignement, notamment celui des mathématiques.
- 2 [Archives familiales Paul Guieysse].
Fig. 2. Paul Guieysse décryptant des hiéroglyphes à l’École des hautes études2.
3L’approche comparative proposée s’attachera à développer à la fois les points de ressemblance entre leurs parcours individuels mais aussi les différences reflétées par leurs itinéraires spécifiques.
- 3 [Auvinet, 2013], [Frambourg, 1964], [Aussel, 2016].
4Laisant est né le 1er novembre 1841 à la Basse-Indre, à quelques kilomètres de Nantes, dans un milieu familial marqué par le républicanisme radical. Son père, Benjamin Laisant, clerc de notaire de profession, sera d’ailleurs maire du Bignon de 1870 à 1871. Enfant unique, il affirme très tôt son anticléricalisme et son indépendance d’esprit. Il serait pour certains auteurs un neveu par alliance du docteur Guépin, ce qui n’est pas assuré, mais, de fait, il sera proche de lui politiquement, en particulier lors d’élections au Conseil général de Loire-Inférieure3.
- 4 Carte postale, collection particulière. Cette statue a été envoyée à la fonte sous l’occupation naz (...)
Fig. 3. Statue du Docteur Ange Guépin érigée en 1893 à Nantes4.
5Après l’école communale, il effectue ses études secondaires au Lycée de Nantes, établissement fréquenté également à l’époque par le futur général Boulanger et Georges Clemenceau. Puis il prépare le concours d’entrée à l’École polytechnique à l’École Sainte-Barbe à Paris. Il intègre l’X en 1859 puis l’École d’application du génie et de l’artillerie à Metz. Il est ensuite affecté à Metz puis Montpellier comme officier du génie (lieutenant).
- 5 Lettre de Paul Guieysse à ses parents du 16 février 1865. [Archives familiales, Paul Guieysse].
6Il se marie le 14 février 1865 à Paris avec Clara Cécile Guichard, fille d’un capitaine en retraite, qui serait une cousine, d’après une lettre de Guieysse qui est témoin « au mariage de son ami Laisant » et qu’il a très certainement connu à l’École polytechnique5.
7Laisant est affecté à Brest où il s’affilie à la loge « Les amis de Sully », laïque et républicaine. Puis, comme officier du génie, il participe activement à la défense du fort d’Issy durant le siège de Paris, ce qui lui vaut la Légion d’honneur en janvier 1871.
8Guieyesse est né le 11 mars 1841 dans une famille libérale engagée au service de la marine. Son père, Eugène, commissaire général, a connu Ange Guépin ainsi que le futur écrivain Émile Souvestre au collège de Pontivy et, comme Guépin, c’est un ancien saint-simonien. Le frère de sa mère, le polytechnicien Louis Vaneau, a été tué à Paris lors de la Révolution de 1830. Une rue et une station de métro (ligne 10) portent d’ailleurs son nom6.
- 7 D’après un tableau de Moreau de Tours (1891). [Archives familiales Paul Guieysse].
Fig. 4. La mort du polytechnicien Louis Vaneau, le 29 juillet 18307.
9Guieysse fait des études brillantes au Lycée de Lorient où il prépare le concours d’entrée à l’École polytechnique. Il intègre l’X en 1860 mais redouble sa deuxième année pour problèmes de vue. Il est ensuite affecté, à partir de novembre 1863, comme élève ingénieur hydrographe au service du dépôt des cartes et plans de la marine à Paris8. Lors de ses travaux, il rencontre Marcellin Berthelot dans son laboratoire de l’École de pharmacie. Il effectue plusieurs campagnes de sondages sur les côtes d’Afrique du Nord et de Bretagne.
- 9 [Brasseur, 2012, Notice « Lenglier Charles 1817-1900 », 678-679].
10Il se marie le 15 octobre 1867 avec Céline Lenglier dont le père, Charles, ancien polytechnicien, enseigne les mathématiques spéciales au Lycée de Versailles9. L’épouse est, par sa mère, une petite-nièce du docteur Guépin.
11Née le 29 mai 1846 à Pontivy, l’épouse de Paul décède à moins de 23 ans, onze jours après son accouchement de Charles, né le 5 septembre 1868 à Paris.
12Après ce drame familial, Guieysse se lance dans les études égyptologiques (notamment les rituels funéraires), s’affilie à la loge « la Renaissance des émules d’Hiram » puis, en 1871, à celle de Lorient « Nature et Philanthropie ». Cette affiliation n’est d’ailleurs pas sans rapport avec son intérêt pour l’égyptologie à une époque où sont menés des travaux sur les relations entretenues entre les rituels égyptien et franc-maçon10.
- 11 [Archives familiales Paul Guieysse].
13Durant le siège de Paris, il est affecté comme sous-ingénieur hydrographe, au service d’observations optiques et télégraphiques de la butte Montmartre. Il obtient la Légion d’honneur en janvier 1871 « pour services rendus dans les opérations de guerre sous Paris11 ».
14Laisant est affecté à Nantes où il se présente en 1871 aux élections au Conseil général de la Loire-Inférieure avec l’appui de Guépin. Il est élu et défend un programme républicain radical favorable à l’instruction primaire obligatoire, laïque et gratuite.
15Le 21 mai 1873, année qui est aussi celle de la naissance de son fils unique, Albert (né le 1er juin) il fait un « discours de libre-penseur » aux obsèques de Guépin en développant ses positions républicaines radicales. Celles-ci lui valent la méfiance des autorités militaires qui voient en cet officier, alors capitaine, un proche des socialistes et de l’Internationale. Il est envoyé à Bastia en octobre 1873 puis exilé en Algérie à Tlemcen en février 1875 et à Sidi Bel-Abbès en novembre.
- 12 [Gispert, 1991], [Gispert, 2002], [Auvinet, 2019].
16À cette occasion, il rencontre Henri Brocard (X 1865) chargé de la création d’un service météorologique. Il envisage alors de promouvoir les études météorologiques lors du congrès de l’Association française pour l’avancement des sciences (AFAS) à Nantes en 187512.
17Sa situation inconfortable au sein de l’armée et peut-être aussi les problèmes d’ordre psychiatrique de son épouse, internée après 1876 à la maison spéciale de Ville-Evrard, l’amènent à démissionner de l’armée le 11 janvier 1876 et à s’engager davantage en politique. Il peut aussi s’employer à promouvoir l’enseignement scientifique, particulièrement les mathématiques.
- 13 [Laisant, 1885, 1887].
- 14 Chambre des Députés, cinquième législature, session de 1890, séance du 18 janvier 1890 [Bibliothèqu (...)
18Élu à Nantes comme député radical de la Loire-Inférieure en 1876, son mandat est renouvelé deux fois. En 1885, il est à nouveau élu mais cette fois dans la Seine. En 1889, il est élu comme candidat boulangiste contre un socialiste. Son boulangisme se présente comme l’aile avancée du républicanisme contre la déviation « opportuniste » et la politique incarnée par Jule Ferry, notamment dans le domaine colonial et aussi dans celui de l’éducation13 (voir chap. 14). Il est notamment l’auteur principal d’une proposition de loi du 18 janvier 1890 « tendant à instituer une caisse nationale des retraites du travail », financée par les employeurs et différentes taxes dont certaines « sur les étrangers travaillant ou possédant en France14 ».
- 15 Première page de la proposition de loi [Bibliothèque Nationale de France, notice FRBNF36228812].
Fig. 5. Proposition de loi Laisant sur une caisse nationale de retraite du travail15.
19Avec le reflux du boulangisme et ses désillusions par rapport au parlementarisme, il décide d’abandonner sa carrière d’homme politique en 1893. Cela correspond également à l’époque de l’éclatement du scandale de Panama dans lequel de nombreux hommes politiques sont impliqués pour corruption. Lui-même sera inquiété en 1897 avec quatre autres anciens parlementaires mais, avec d’autres, ils seront finalement tous acquittés16.
20Entre-temps Laisant a soutenu en 1877 deux thèses sur le calcul des quaternions et la transformation des courbes et des surfaces lui donnant le grade de docteur ès sciences mathématiques. Il a aussi participé pour la partie mathématique à La Grande Encyclopédie de Marcellin Berthelot (voir chap. 7). De plus, il a assuré en 1888 la présidence de la Société mathématique de France, tout en publiant différentes études spécialisées. L’année suivante il préside aussi la Société philomatique de Paris, société scientifique et philosophique pluridisciplinaire. Dès lors il s’oriente résolument vers l’enseignement et la promotion des études mathématiques.
21Après 1871 et un congé sans solde de trois ans pour effectuer différents travaux mathématiques, Guieysse est nommé répétiteur de mécanique à l’École polytechnique à compter du 11 mars 1874. Il publie à cette époque, en particulier lors des congrès de l’AFAS (dont celui de Nantes en 1875 où il a dû retrouver Laisant) plusieurs mémoires sur la théorie des marées, les sondages, l’astronomie, la mécanique et les travaux publics.
22Durant cette période, il s’est remarié en avril 1873 avec Louise Juif, de confession protestante, fille d’un docteur en droit, ancien quarante-huitard lyonnais et exilé en Suisse puis aux États-Unis pour raisons politiques. Ils auront huit enfants.
23Spécialisé dans l’application du calcul des probabilités, il entre en 1877 comme actuaire à la compagnie d’assurance l’Union où il reste jusqu’en 1890. Il est l’un des fondateurs en 1890 de l’Institut des actuaires qu’il préside jusqu’à son décès. Dès cette époque, il s’intéresse aussi au fonctionnement des mutuelles et présente une étude sur les sociétés de prévoyance et les retraites lors de l’Exposition universelle de 1889 (il obtient une médaille d’or).
- 17 [Dictionnaire prosopographique de l’EPHE, Notice « Paul Guieysse 1841-1913 » par Yvan Guermeur].
24Parallèlement, Il poursuit ses études d’égyptologie commencées à la fin des années 1860. Cela lui permet de devenir maître de conférences d’égyptologie à l’École pratique des hautes études (EPHE) à partir de 1884, puis directeur d’étude adjoint après 1893. Entre-temps il a même suppléé Gaston Maspéro dans son cours du Collège de France durant l’année universitaire 1886-188717.
25Il entame une carrière politique à un niveau encore modeste, comme conseiller général d’un canton de Lorient entre 1883 et 1889. Comme tel et parent de Guépin, il prononce un discours au moment de l’inauguration de la statue du célèbre docteur, à Pontivy le 8 septembre 1888, en présence notamment de Charles-Ange Laisant, alors député républicain radical de la Seine qui s’est rallié au boulangisme18.
- 19 [Galzain de, 1959, 50].
26Aux élections législatives de septembre 1889, Guieysse est battu, dans un premier temps, dans une circonscription de Lorient par un boulangiste connu, le comte Dillon, proche du général Boulanger qu’il a suivi dans sa fuite en Belgique, mais l’élection est invalidée. Guieysse l’emporte lors du nouveau scrutin organisé au début de 1890 contre un monarchiste, le comte de Pluvié19. Dès lors, il est constamment réélu député du Morbihan jusqu’en 1910, comme représentant la 1re circonscription de Lorient. Il fait partie des 33 parlementaires élus en novembre 1892 pour composer la commission chargée d’enquêter sur « l’affaire de Panama » et appartient, voire préside de multiples autres commissions, principalement à dimension sociale.
- 20 [Denis, 1984], [Marec, 2010].
27Sous l’étiquette de radical puis de l’Union républicaine, Guieysse incarne un des « pays bleus » d’une Bretagne longtemps réticente au régime républicain20. Il soutient ainsi la fondation de la Ligue des Bleus de Bretagne et en est d’ailleurs le premier président entre 1899 et 1905. Durant sa présidence, son association participe activement à l’érection de deux monuments à forte charge symbolique, l’inauguration de la statue du général Hoche à Quiberon en juillet 1902 et celle de Renan à Tréguier en septembre 1903, cette dernière en présence du Président du Conseil de l’époque, Émile Combes.
- 21 Cliché de l’auteur (2008).
Fig. 6. Monument Renan de Tréguier21.
28Guieysse se démarque pourtant du combisme notamment comme défenseur de la langue bretonne, d’autant plus qu’il s’intéresse aux questions ethnographiques. Il succède ainsi au radical Léon Bourgois à la tête de la Société d’ethnographie de Paris qu’il préside entre 1903 et 1905. C’est le même Léon Bourgeois, promoteur du « solidarisme », qui a formé le gouvernement radical auquel a appartenu Guieysse comme ministre des Colonies entre novembre 1895 et avril 1896. Il siège alors dans le même cabinet que Marcellin Berthelot, ministre des Affaires étrangères, mais aussi avec Émile Combes, ministre de l’Instruction publique.
29En Conseil des ministres, il est d’ailleurs amené, en décembre 1895, à prendre la défense de Gaston Maspéro, accusé par Combes de faire le jeu des Anglais en Égypte. Comme ministre des Colonies, Guieysse a aussi donné les instructions nécessaires au départ de l’expédition du capitaine Marchand en direction de Fachoda, localité du Soudan située sur le Nil, ce qui devait d’ailleurs entraîner une crise internationale avec l’Angleterre. Comme délégué au Conseil supérieur des Colonies et représentant de la Nouvelle-Calédonie entre 1903 et 1906, Guieysse a aussi joué un rôle déterminant dans la suppression du bagne.
- 22 [Dreyfus, 2009].
- 23 [Bellon, 2005] ; [Fabre, 2006].
30Vice-président de la Ligue de l’enseignement, il est également membre du Conseil central de la Ligue des droits de l’homme. Il s’est ainsi prononcé, dès le début de 1898, pour la révision du procès du capitaine Dreyfus. Il fut d’ailleurs l’un des deux seuls députés à s’élever contre la loi d’amnistie qui aboutissait à exonérer de toute sanction les auteurs de la machination contre Dreyfus22. Bien qu’hostile à l’influence de la papauté sur l’Église de France, il combattit l’article 4 de la loi de séparation des lises et de l’tat de décembre 1905 qui concernait les associations cultuelles chargées de gérer les biens des Églises. Il le jugeait en effet contraire à la liberté des cultes23.
31Son rôle national est surtout important dans le domaine social. Il s’intéresse de près au relèvement de l’arsenal de Lorient et de manière plus générale à l’amélioration du sort des ouvriers et employés des arsenaux. De plus, il fait voter dès 1892 une loi d’unification des retraites des officiers et soldats des armées de Terre et de Mer. Comme actuaire, il fait partie des principales commissions sociales de la Chambre des députés et contribue activement à introduire la logique d’assurance sociale dans le fonctionnement de la protection sociale.
- 24 [Candar, Dreux, 2010].
32De ce point de vue, son action a été décisive dans l’adoption de la loi du 5 avril 1910 sur les retraites ouvrières et paysannes, une loi qui fait reposer le financement de la protection sociale sur des cotisations ouvrières obligatoires mais aussi sur celles des employeurs avec une participation de l’État. Cependant les dispositions de la loi reposant sur le système de la capitalisation et impliquant des cotisations obligatoires sont fortement contestées, d’autant plus que l’âge de la liquidation des retraites à taux plein est d’abord fixé à 65 ans avant d’être ramené à 60 ans en 1912. Mais c’est encore largement au-dessus de l’espérance de vie moyenne, d’où le slogan des syndicalistes révolutionnaires et de nombreux socialistes hostiles à une loi qui consacre, selon eux, « La retraite pour les morts24 ».
33Cette hostilité est largement répandue dans les cités portuaires, comme Lorient, où se développe au début du xxe siècle un large mouvement de contestation sociale et politique mené en particulier par le syndicalisme révolutionnaire, majoritaire à la CGT. Cela contribue à fragiliser l’ancrage local de Guieysse. De plus, Louis Nail, radical socialiste et successeur du maire de Lorient Joseph Talvas, se maintient au second tour des législatives de 1910, bien qu’en minorité de 164 voix sur Guieysse. La coalition des opposants conservateurs et d’une partie de la gauche républicaine et de l’extrême gauche lui permet de l’emporter sur le député sortant au second tour. Ainsi s’achève la carrière politique de Guieysse qui, estimant ne pas avoir été véritablement soutenu par ses « frères », donne alors sa démission de la franc-maçonnerie dont il s’était d’ailleurs démarqué dans « l’affaire des fiches » établies sur les opinions politiques et religieuses des officiers de l’armée25.
34Dès lors il se consacre à ses autres activités, particulièrement à son enseignement de l’égyptologie à l’EPHE jusqu’à son décès intervenu le 19 mai 1914 à Paris. Cette fonction d’enseignant menée, certes, dans un domaine très différent peut permettre un certain rapprochement avec l’itinéraire de Charles-Ange Laisant. En revanche, d’autres aspects les différencient totalement.
- 26 [Laisant, 1892].
- 27 [Laisant, 1909].
35Dès juin 1885, dans quatre conférences effectuées dans l’Ariège à l’occasion des élections législatives, Charles-Ange Laisant avait déjà développé sa critique à l’égard du parlementarisme et de la République opportuniste. Cette critique acerbe est reprise dans L’Anarchie bourgeoise publiée en 188726 et encore davantage dans L’Illusion parlementaire27 de 1909, une brochure diffusée par la mouvance anarchiste. Sous l’influence, semble-t-il, de son fils Albert mais aussi tenant compte de son expérience politique personnelle et de son engagement boulangiste sans lendemain, Laisant a donc évolué du républicanisme radical vers l’anarchisme.
- 28 1re de couverture (Source : Gallica) [Laisant, 1892].
Fig. 7. L’Anarchie bourgeoise par Charles-Ange Laisant28.
- 29 [Maitron en ligne, notice « Laisant Charles-Ange » par Jean-Yves Guengant, article 82009].
36Par ailleurs, au sein de la franc-maçonnerie et de la libre-pensée, mouvements philosophiques auquel il se rattache, il s’affirme contre l’omniprésence masculine et comme un partisan du féminisme. Contre son obédience, la Grande Loge symbolique écossaise, il est ainsi amené à accueillir dans sa loge en 1882 une femme, la sœur Maria Deraismes, la future fondatrice, en 1893, avec le docteur Georges Martin, du « Droit humain », une obédience mixte. Un temps exclu de la franc-maçonnerie pour son engagement boulangiste, il a pu à nouveau s’affilier à la loge « France et Colonies » en 1900 avant de rejoindre en 1905 une loge socialiste, « Les bienfaiteurs réunis ». Signalons aussi son attrait pour le mouvement espérantiste29.
37Cependant, c’est principalement dans le domaine de l’éducation et particulièrement dans l’enseignement et la recherche en mathématiques, que Charles-Ange Laisant s’investit. Outre ses travaux personnels sur la méthode des quaternions et l’application des équipollences, il fonde avec Émile Lemoine (X 1860) L’Intermédiaire des mathématiciens30, nouvelle revue de mathématiques dont le premier numéro paraît en janvier 1894. À la même époque, il enseigne à l’École Monge puis en 1895 à l’École Sainte-Barbe tout en assurant les fonctions d’examinateur d’admission à l’Institut agronomique où il retrouve un ancien polytechnicien, Hermann Laurent (X 1860).
- 31 [Auvinet, 2011, 443].
- 32 [Vincent, 2019].
38Surtout, il devient en 1895 répétiteur de mécanique à l’École polytechnique, malgré les réserves du directeur de l’École, le général André, qui veut obtenir l’accord de principe du ministre de tutelle pour employer un ancien député, il est vrai au passé qui peut sembler quelque peu sulfureux… C’est une lettre du 24 janvier 1895 du précédent titulaire du poste et qui est aussi un ancien ami, Guieysse, qui lui fait part de cette réserve. Guieysse évoque en effet « la question de principe qu’André veut d’abord faire toucher par le Ministère, sur la situation d’un député répétiteur. – Il trouve qu’il faudrait arriver à un remplacement réel31 ». La restriction est donc levée et, à la fin du siècle, Laisant devient même examinateur, fonction qu’il assure jusqu’en 191332. Entre-temps il s’est affirmé comme un grand animateur de revues et de réseaux de mathématiciens au niveau national et international (voir chap. 16).
39Charles-Ange Laisant s’investit pleinement dans l’enseignement, non seulement sur des questions d’ordre pédagogique et de mathématiques à destination de l’enfance tout particulièrement, mais aussi sur des aspects plus généraux concernant les conceptions éducatives (voir chap. 10). Il inscrit ses réflexions dans celle d’une éducation intégrale développée notamment par le pédagogue espagnol Francisco Ferrer. Il participe aussi au mouvement dit de « l’éducation nouvelle » (voir chap. 2) qui met en œuvre les conceptions appliquées par Paul Robin dans l’orphelinat Joseph-Gabriel Prévost à Cempuis, dans l’Oise, entre 1880 et 1894.
40Cette orientation libertaire axée sur les méthodes actives explique sans doute son appréciation partagée concernant le développement du mouvement des universités populaires dont Charles Guieysse, le fils de Paul, assure le secrétariat général à partir de décembre 1899. Ainsi dans son ouvrage L’Éducation pour demain (2e éd. 1913), Laisant reconnaît à la fois l’intérêt des universités populaires, qui organisent des conférences instructives à destination des milieux populaires, mais il en montre aussi les limites en ce qui concerne « l’auto-éducation » et « la libération des cerveaux ». Cependant ce mouvement des universités populaires s’inscrit dans le prolongement des combats politiques et idéologiques liés à l’affaire Dreyfus et sur ce point Laisant s’est montré partisan de la révision du procès du capitaine, tout comme Paul Guieysse avec aussi d’autres mathématiciens connus comme Paul Painlevé, Paul Appell ou Henri Poincaré.
- 33 [Maitron en ligne, notice « Guieysse Charles », Louis par Claire Arnould, article 76072].
41Pour les années de la Première Guerre mondiale et jusqu’au décès de Laisant en 1920, la comparaison avec les engagements de Guieysse n’est évidemment plus possible. Elle pourrait être faite entre Laisant et Charles Guieysse, également ancien polytechnicien et ancien officier d’artillerie qui a été le collaborateur de son père lorsqu’il était ministre et qui est décédé en 1920, comme Laisant33. Mais, né en 1868, ce fondateur de la revue Pages libres et disciple de Georges Sorel, un des théoriciens socialistes du syndicalisme révolutionnaire, est d’une autre génération qui n’a pas connu véritablement les années d’avant la guerre de 1870-1871 ni de manière socialement et politiquement impliqué la vingtaine d’années qui ont suivi (il est sorti de l’École polytechnique en 1889).
42En revanche, hormis la période de la Première Guerre mondiale et des quelques années qui ont suivi, Charles-Ange Laisant et Paul Guieysse sont de véritables contemporains, nés tous les deux en 1841, issus d’un entourage marqué par la forte personnalité du docteur Guépin avec une formation similaire et attirés à la fois par l’enseignement, en particulier celui des mathématiques, et l’engagement dans le camp républicain, social et laïque.
43Pourtant, nous l’avons vu, de ce creuset assez proche sont issus deux itinéraires bien spécifiques. Celui d’un républicain de gouvernement illustré par le parcours riche et diversifié de Paul Guieysse et celui d’un opposant irréductible aux normes et aux conventions éducatives et politiques dominantes de son époque, dont Charles-Ange Laisant est une belle illustration.
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