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Dossier

L’expérience de partenariat intersectoriel vécue par des parents de jeunes aux besoins multiples et complexes : pouvoir de décision, sentiment de contrôle et vision d’un rapport parents-professionnels idéal

Louise Lemay, Élodie Marion, Laurence Tchuindibi et Normand Ricard

Résumés

L’article expose les résultats d’une étude portant sur l’expérience de partenariat intersectoriel de quinze parents de jeunes aux besoins multiples et complexes. L’analyse rend compte de leur vécu lors de rencontres formelles réalisées dans le contexte des « Équipes d’intervention jeunesse », un mécanisme territorial de coordination novateur implanté au Québec pour résoudre les problèmes entourant les services offerts aux jeunes et à leur famille. Les conditions associées au sentiment de contrôle des parents et leur vision d’une relation de partenariat idéale sont aussi examinées. Les savoirs expérientiels des parents ouvrent sur des pistes fort prometteuses pour le renouvellement des pratiques collaboratives.

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Texte intégral

Introduction

1Les écrits portant sur la relation entre parents et professionnels sont nombreux dans le champ du travail social. Ils sont aussi au cœur de plusieurs autres disciplines et champs d’intervention : psychothérapie, éducation, santé, etc. Nombre d’auteurs ont démontré le lien qui existe entre la qualité de cette relation et les résultats de l’intervention. Dans le champ de l’intervention auprès des familles en situation de vulnérabilité, on reconnaît que la qualité de cette relation affecte le développement des habiletés parentales et l’empowerment des parents (Dunst et Dempsey, 2007), leur satisfaction ainsi que la qualité des résultats incluant le bien-être et la sécurité de l’enfant (Dawson et Berry, 2002 ; Gladstone et al., 2012 ; Howe, 2010). On comprend dès lors qu’un nombre croissant d’études empiriques s’intéressent à cette relation pour en explorer les contours du point de vue des parents ou des intervenants.

2Au regard de la place occupée par les parents, on évoque l’importance de l’implication parentale (Saint-Jacques et al., 2006), de leur participation (Darlington et al., 2012 ; Healy et al., 2011), voire de leur engagement (Farrel, et al., 2012 ; Gladstone et al., 2012 ; Kemp et al., 2009 ; Platt, 2012). On met aussi de l’avant diverses approches : centrée sur la famille (Espe-Sherwindt, 2008), centrée sur les forces et sur la relation (Turney, 2012), participative (Lacharité, 2015) ou axée sur le développement du pouvoir d’agir (empowerment) des parents (Bundy et al., 2009 ; Lemay, 2009). Ces écrits traduisent une volonté commune de reconnaître les droits et responsabilités parentales, de favoriser l’établissement d’une relation positive entre les intervenants et les parents et d’inclure ces derniers dans le processus d’intervention.

3Notre article s’inscrit dans cette foulée. À la différence de la majorité des études répertoriées qui examinent la relation entre parents et professionnels dans un contexte dyadique, nous nous intéressons plutôt à cette relation en contexte de partenariat intersectoriel, et plus précisément depuis le point de vue des parents. Les contextes réunissant de nombreux professionnels de disciplines et de secteurs d’activités différents comportent leur lot de défis, notamment ceux de coordonner un ensemble d’acteurs hétérogènes ou de développer, avec les parents, une compréhension commune de la situation du jeune. Ainsi, lorsque divers obstacles ou impasses sur les plans clinique, inter-organisationnel ou partenarial entravent la réponse aux besoins d’un jeune, le mécanisme Équipe Intervention Jeunesse (ÉIJ) implanté dans plusieurs régions du Québec (Lemay et al., 2015), peut être mobilisé par les organisations afin d’assurer l’accès, la continuité et la qualité des services aux jeunes qui vivent des problématiques multiples et complexes (MSSS, 2007, 2017).

4Les ÉIJ sont des équipes intersectorielles réunissant une personne médiatrice partenariale qui en assure la coordination, ainsi que des gestionnaires agents de liaison œuvrant dans divers secteurs d’activités (santé, services sociaux, éducation, milieu de garde ou milieu communautaire, etc.) et représentant chacun leur organisation impliquée dans la situation du jeune. Dans ce contexte, la personne médiatrice partenariale soutient les gestionnaires, les professionnels et les parents dans leurs efforts communs pour résoudre les complexités en jeu dans la situation des jeunes concernés. Ces complexités renvoient à des réalités diverses qui constituent autant de motifs de référence au mécanisme ÉIJ. Il peut s’agir d’un réseau de services ou d’acteurs en difficulté (p. ex. services manquants, coordination absente, discontinuité ou incohérence, controverses non résolues entre partenaires) ou de solutions mises en œuvre qui ne permettent pas de répondre de façon optimale aux besoins du jeune. Une finalité importante de l’ÉIJ, axée sur le développement du pouvoir d’agir du jeune, des parents et des partenaires, consiste à « accroître ou restaurer l’autonomie du réseau » pour assurer une offre de services concertée, complémentaire, continue et adaptée à la situation particulière des jeunes (Lemay et al., 2015, p. 27).

5Le mode d’action en partenariat privilégié dans les ÉIJ est la démarche de plan de services individualisé (PSI). Cette pratique formelle de collaboration qui engage des partenaires des réseaux de l’éducation et de la santé et des services sociaux vise à assurer « la continuité et la coordination des interventions et des services auprès du jeune et de ses parents » (MELS, 2005, p. 3). Amorcée avec leur consentement et leur participation active, cette démarche inclut diverses étapes (Lemay et collaborateurs, 2007) : 1) une évaluation globale de la situation du jeune, 2) la mobilisation de toutes les personnes impliquées dans la situation, 3) le partage des expertises et l’analyse globale commune de la situation et des besoins du jeune, et, s’il y a lieu, la résolution des controverses en jeu, 4) la planification collective des objectifs et actions à réaliser pour répondre aux besoins priorisés, 5) la rédaction et la validation du plan convenu (PSI), 6) la mise en œuvre du plan et la coordination de la démarche par une personne significative désignée, 7) la révision du plan, soit l’évaluation du processus et des résultats de l’action ainsi que la rédaction d’un nouveau plan révisé ou, s’il y a lieu, la fin de la démarche de PSI. Cette pratique renvoie plus spécifiquement au partenariat, forme de pratique collaborative la plus engageante, définie comme une « relation d'échange structurée et formalisée entre des acteurs sociaux […] impliqués dans une démarche convenue entre eux et visant la planification, la réalisation ou l'évaluation d'activités ou de services » (Bourque, 2008, p. 18). Bien que le partenariat à l’ÉIJ valorise la participation active et le renforcement du pouvoir du jeune et des parents à chacune des étapes (Lemay et al., 2017), l’étape de la rencontre formelle d’élaboration du PSI constitue pour les parents un moment-clé de prise de décision quant à la détermination et la mise en œuvre des services requis pour répondre aux besoins de leur enfant.

  • 1 Les deux phases de la recherche provinciale ont été financées par le Conseil de la recherche en sci (...)

6Cet article présente des résultats d’une recherche plus large portant sur les pratiques de médiation partenariale mises en œuvre dans le contexte des ÉIJ du Québec (Lemay, 2008-2012 ; Lemay, Jasmin et Ricard, 2015-2022)1. Cette recherche a permis de documenter le point de vue de différents acteurs impliqués à l’ÉIJ, dont les parents. Un volet spécifique consistait à explorer l’expérience des parents sous deux angles. Le premier angle porte sur la réalité complexe de vivre au quotidien avec un enfant aux besoins multiples et de collaborer avec les services (Lemay et al., 2022 à paraître), et le deuxième, qui fait l’objet du présent article, concerne leur expérience partenariale dans le contexte particulier de l’ÉIJ. Les résultats présentés ici contribuent à enrichir l’état actuel des connaissances concernant les rapports parents-professionnels en contexte de partenariat intersectoriel. Ils renseignent plus spécifiquement sur les conditions favorables à la mise en œuvre de pratiques partenariales axées sur le pouvoir d’agir des parents. En effet, malgré un discours théorique axé sur l’empowerment ou sur l’importance de favoriser la prise de pouvoir des parents, le défi de mettre en place les conditions pour qu’ils participent pleinement aux décisions et qu’ils demeurent maîtres des décisions qui affectent leur vie et celle de leur enfant, reste entier.

7L’article aborde dans la section suivante l’état actuel des écrits de ce champ d’intervention et de collaboration spécifique. Ensuite, le cadre conceptuel et méthodologique de la recherche est présenté. Pour terminer, les résultats centrés sur l’expérience des quinze parents sont décrits et par la suite discutés.

Expérience des parents en contexte de collaboration intersectorielle

8Que sait-on de l’expérience des parents en contexte de partenariat intersectoriel ? Quelles facettes de leur expérience ont été appréhendées et depuis la perspective de quels acteurs ? Tout d’abord, on relève que certaines études s’intéressent au point de vue des parents sur le modèle de services reçu (Batchelor, 2007), sur le travail de collaboration entre les services (Hodgetts et al., 2013) ou sur leur satisfaction à l’égard des collaborations interprofessionnelles et intersectorielles. Sur ce plan, les parents identifient comme enjeux, entre autres, le manque de communication, de continuité et de cohérence (Hodgetts et al., 2013). Nooteboom et al. (2020) précisent que les parents expriment être davantage satisfaits de la collaboration entre des professionnels issus d’un même service que de la collaboration entre professionnels de différents services. Ces auteurs réitèrent l’importance qu’une personne joue un rôle de coordonnateur pour favoriser la collaboration intersectorielle et pour avoir une vue d’ensemble du processus et des services (Nooteboom et al., 2020). D’autres études s’intéressent quant à elles aux facilitateurs et aux obstacles au partenariat entre parents et professionnels, et ce, du point de vue des parents et des professionnels (Alamdeda-Lawson et al., 2010 ; Nooteboom et al., 2020 ; Saia et al., 2020). Des facteurs comme la fréquence de la communication, l’accessibilité aux professionnels, la familiarité entre les professionnels et la répartition des tâches (Alamdeda-Lawson et al., 2010 ; Nooteboom et al., 2020) ainsi que l’établissement de la communication et d’une relation de confiance (Saia et al., 2020), sont ainsi identifiés.

9De surcroît, des études ont permis de documenter les retombées de la collaboration ou du manque de collaboration sur les parents (Gagnon et al., 2006 ; Hodgetts et al., 2013 ; Lacharité et al., 2017). Ainsi, l’étude de Hodgetts et al. (2013) et celle de Lacharité et al. (2017) mettent notamment de l’avant l’épuisement des parents lorsque la coordination entre les services n’est pas efficiente ; ceux-ci doivent alors répéter à maintes reprises les informations concernant leur enfant et s’assurer qu’elles soient transmises aux différents services d’une façon qui soit la plus juste ou la plus fidèle à leurs propos. Des études ont examiné le point de vue des parents sur les manières dont les professionnels pourraient jouer leur rôle, notamment pour faciliter la collaboration avec les parents. Ces études montrent l’importance d’avoir accès à un gestionnaire de cas pour faire le lien entre tous les acteurs et pour assurer un suivi global (Saia et al., 2020), ou, par exemple, à un agent de liaison pour faciliter les liens entre l’école et les parents (Alameda-Lawson et al., 2010 ; Hodgetts et al., 2013).

10Parallèlement, quelques études se sont intéressées à la participation des parents dans différents contextes de collaboration. Notamment, celles de Girard et al. (2014) et de Jackson et al. (2020) mettent en relief le sentiment de solitude et les malaises vécus par les parents face à des équipes multidisciplinaires, ainsi que les désavantages qui peuvent en découler. Les parents ont alors parfois l’impression d’avoir peu de contrôle. Plus spécifiquement, l’étude de Jackson et al. (2020) examine leur participation lors de « conférences de cas » réalisées dans le contexte de la protection de la jeunesse. Cette étude met en lumière la charge émotionnelle vécue par les parents (p. ex. la peur, la confusion, la tristesse, l’humiliation, le sentiment d’impuissance), ainsi que le manque de possibilités pour qu’ils expriment leur point de vue.

Participation des parents dans les espaces collaboratifs

11Des études centrées sur la participation des parents dans des contextes intersectoriels illustrent la mise en œuvre de différents arrangements entre les acteurs sur les plans relationnels ou de la répartition des rôles (Alameda-Lawson et al., 2010 ; Girard et al., 2014 ; Hood et al., 2017 ; Jackson et al., 2020 ; Saia et al., 2020). Par exemple, dans l’étude d’Alameda-Lawson et al. (2010), on constate que le travailleur social joue un rôle de facilitateur ou d’agent de liaison entre l’école et la famille, ce qui semble bénéfique pour les différentes parties. Or, dans l’étude de Hood et al. (2017), on constate que ce sont davantage les enseignants qui jouent un rôle de médiateur entre les parents et les services de protection de la jeunesse. La répartition des rôles des différents acteurs à l’égard des parents peut alors devenir une source de tension entre les réseaux interprofessionnels. Par exemple, dans ce dernier cas, les enseignants jouent davantage un rôle de proximité et d’écoute des familles, entretenant ainsi des relations plutôt positives avec elles, tandis que les travailleurs sociaux représentent l’autorité responsable de la mise en œuvre de mesures avec lesquelles les familles ne sont pas toujours en accord.

12Cela dit, ces études mettent aussi en lumière l’asymétrie des pouvoirs entre parents et professionnels et font état de quelques obstacles à la pleine participation des parents dont : le manque d’information sur les services et ressources (sentiment que les informations ne sont pas pertinentes ou qu’elles sont retenues par les professionnels) (Girard et al., 2014 ; Jackson et al., 2020 ; Saia et al., 2020) ; le poids accordé à la parole des professionnels vis-à-vis de celle des parents et la difficulté de remettre en question cette parole (Jackson et al., 2020) ; les disponibilités limitées des professionnels (Girard et al., 2014) ; les personnalités parfois incompatibles des professionnels et des parents (Ibid.) ; la prise en compte unique de la situation de l’enfant et non de celle de la famille (Girard et al., 2014). Or, surmonter ces différents obstacles devient essentiel pour favoriser la participation des parents et leur pouvoir d’agir (Ibid.).

13Force est de constater que pendant longtemps, plusieurs organisations publiques, dont le milieu scolaire, ont limité leur action au strict minimum requis par la loi en ce qui a trait à la participation et prise de décision des parents entourant la mise en place de services pour leur enfant (Hess et al., 2006). Ces organisations sont progressivement passées d’un modèle où les parents étaient pointés du doigt et tenus responsables des difficultés de leur enfant, à un modèle voulant combler leurs « déficits » en les formant, pour finalement tendre vers un modèle collaboratif leur attribuant un rôle plus actif, notamment à travers leur participation aux prises de décision concernant leur enfant (Turnbull et Turnbull, 2002). Ce dernier modèle est soutenu d’une part, par l’importance accordée à la mise en commun des savoirs respectifs des différents acteurs (jeune, famille, professionnels, etc.), en tant qu’éléments centraux pour la compréhension de la réalité de chaque situation (Debelak, 2017) et d’autre part, par la reconnaissance de l'interdépendance entre tous les acteurs impliqués dans l’atteinte des résultats.

Participation des parents et prise de décision et de pouvoir ne vont pas toujours de pair !

14Quelques études centrées sur cette participation des parents en contexte de collaboration intersectorielle, examinent plus spécifiquement les situations de prise de décision concernant les services ou encore les freins ou facilitateurs relatifs au pouvoir des parents, notamment lors du développement, de la mise en œuvre et de l’évaluation des interventions et des services (Carrier et al., 2000 ; Lemay 2005 ; Goepel, 2009 ; Love et al., 2017 ; Dodge, 2018 ; Ilik et Er, 2019). L’étude de Carrier et al. (2000) montre que participation et prise de décision ne vont pas toujours de pair. En effet, cette étude, portant sur les processus d’intersectorialité dans la mise en place de services pour des jeunes en difficulté, interroge la place des parents dans la collaboration, plus précisément leur degré de participation en ce qui concerne l’orientation de l’intervention ou les facteurs qui l’influencent. Les auteurs précisent que la participation des parents aux instances de collaboration ne se traduit pas systématiquement en une participation à la prise de décision, tel que l’indique leur étude, où il s’avère que les parents participent davantage aux rencontres d’échanges d’information, qu’aux rencontres décisionnelles portant sur l’orientation de l’intervention. Pour leur part, Healy et al. (2012) s’intéressent à la participation des jeunes et de leur famille dans le cadre de rencontres multidisciplinaires, incluant les services de la protection de la jeunesse. Leur étude souligne le rôle dominant des professionnels même lorsqu’une orientation participative est proposée et elle met ainsi en évidence la répartition inégale des pouvoirs et des responsabilités de même que des inégalités de représentativité dans l’ensemble des rencontres. La préparation des jeunes et de leur famille apparaît également variable, ce qui constitue un frein à leur participation. Cette étude expose les tensions auxquelles sont confrontés les professionnels, entre l’orientation médico-légale de la protection de la jeunesse basée sur l’expertise, et l’éthos démocratique de la participation faisant la promotion d’un processus de décision partagée (Healy et al., 2012). Quant à l’étude de Love et al. (2017), elle met en évidence l’exclusion des parents du processus de prise de décision lié à l’éducation de leur jeune en situation de handicap.

15Centrées sur le pouvoir des parents dans la prise de décision, des études montrent que pour y arriver cela implique l’accès et le partage de l’information aux différents acteurs (jeunes, familles, professionnels) (Goepel, 2009 ; Ilik et Er, 2019), des opportunités d’expression pour chacun et la prise en compte de leur parole (Franklin et Sloper, 2005 ; Goepel, 2009). À ce sujet, la question de l’équilibre du poids attribué à la parole de chaque acteur (professionnels, parents, jeunes) est soulevée par Goepel (2009). Cet auteur précise que l’expertise du professionnel donne souvent plus de poids à sa parole : elle peut apparaître dominante aux yeux de certains acteurs se sentant contraints de s’y rallier ou d’acquiescer (Goepel, 2009). Prendre position, donner son opinion et contribuer à la prise de décision n’est pas toujours aisé et peut parfois même être intimidant, en particulier pour les parents qui ne se sentent pas compétents (Dodge, 2018), ne savent pas comment s’y prendre ou ne connaissent pas bien leurs droits (Westwood-Robinette, 2014). Un enjeu principal est alors d’arriver à délimiter un espace propice à la participation de chaque acteur en visant notamment une redistribution horizontale du pouvoir entre eux (Deslandes et Bertrand, 2003).

16L’étude de Girard et al. (2014) soulève des éléments essentiels au développement du pouvoir d’agir des parents tels que le développement : 1) de l’optimisme des parents ou de leur sentiment d’espoir malgré leur situation difficile, 2) d’un certain leadership des parents incluant une détermination à changer les choses qu’ils jugent inacceptables, à questionner les professionnels et à se questionner eux-mêmes pour améliorer la situation problématique, et 3) de relations basées sur l’accueil, l’écoute, le respect et la prise de décision conjointe en vue de la mise en place des interventions. Des auteurs mettent aussi en évidence les changements de posture nécessaires du point de vue des professionnels afin de favoriser cette concrétisation du pouvoir des parents dans la prise de décision (Butz et al., 2007 ; Bolin, 2018). Il ressort notamment le fait d’accepter de traverser des zones d’inconfort, d’être flexibles et de négocier (Ibid.) ainsi que le développement d’un rôle axé sur la transmission d’informations (Butz et al., 2007).

17Enfin, certains ont examiné les retombées de la participation des parents aux processus de prise de décision partagée (Ðurišic et Bunijevac, 2017). Cette participationfavorise leur empowerment et permet de répartir de manière plus équilibrée la part de responsabilité de chacun dans le développement, la mise en œuvre et l’évaluation des interventions et services. Les parents qui participent gagnent en confiance dans leur rôle et développent une attitude plus positive envers l’organisation qui les sollicite (Ðurišic et Bunijevac, 2017). Ce processus favorise aussi la cohérence entre les pratiques éducatives utilisées à l’école et à la maison (Epstein, 2001, cité dans Deslandes et Bertrand, 2003). Enfin, pour les jeunes et les familles en situation de vulnérabilité, leur participation à la prise de décision semble permettre de réduire les écarts de réussite scolaire entre les groupes de différents milieux culturels, ethnicités ou encore statuts socio-économiques (Edwards et Kutaka, 2015).

Que retenir de ces écrits ?

18L’analyse de ces études fait ressortir plusieurs éléments : 1) l’identification de plusieurs obstacles indiquant que les défis reliés aux pratiques collaboratives demeurent, 2) l’épuisement des parents quant à la coordination des services, 3) l’intérêt pour le rôle d’un gestionnaire de cas, de facilitateur, d’agent de liaison, bref pour un professionnel en charge du partenariat, 4) les enjeux relatifs à la participation des parents en contexte de partenariat intersectoriel et le déséquilibre des pouvoirs notamment en termes de prise de décision, et finalement 5) la faible participation à la prise de décision et la mise en lumière de facteurs et postures professionnelles pouvant faciliter la concrétisation du pouvoir des parents dans la prise de décision.

19Au regard de ces constats, notre étude a pour objectif de documenter l’expérience des parents dans un contexte de partenariat intersectoriel caractérisé par la présence d’une multitude de professionnels impliqués avec eux dans des processus de prise de décision orientés vers la recherche de solutions pour répondre aux besoins multiples et complexes de leur enfant. Plus spécifiquement, le fait que notre étude se centre sur l’analyse des pratiques partenariales dans un contexte d’exception comme celui de l’ÉIJ, est fort pertinent. Ce mécanisme territorial de coordination intersectorielle et de médiation partenariale met en œuvre des pratiques de pointe en matière de partenariat (Lemay et al., 2017), ce qui permet de porter un regard sur l’influence des pratiques et des postures professionnelles identifiées comme pouvant influencer positivement l’expérience des parents et leur pouvoir. Qui plus est, dans les situations qui sont portées à l’attention de l’ÉIJ, les pratiques courantes de partenariat n’ont pas réussi à répondre de manière optimale aux besoins du jeune, et de ce fait, elles exigent de dépasser le statu quo et d’innover, incluant sur le plan des pratiques partenariales avec les parents. Cela dit, notre étude permet de documenter l’influence de ces pratiques novatrices et contribue ainsi au développement et renouvellement des pratiques partenariales courantes.

Cadre théorique et méthodologique

20Cette étude qualitative et à visée exploratoire a permis de faire émerger les savoirs d’expérience des parents interrogés (Le Bossé et al., 2006). Deux référents théoriques ont plus spécifiquement orienté la démarche de cette recherche : la théorie de la structuration de l’action de Giddens (1987) et l’approche axée sur l’empowerment (Lemay, 2007) ou le développement du pouvoir d’agir des personnes et des collectivités (Le Bossé, 2003). Les dimensions suivantes ont été prises en compte : 1) les pratiques ou actions concrètes déployées par les acteurs au sein de leurs rapports, 2) les rationalisations ou raisons qu'ils formulent pour comprendre ou expliquer ces actions, 3) les conditions du contexte qui structurent leur action et 4) les conséquences intentionnelles et non intentionnelles des pratiques de partenariat en réponse aux besoins des jeunes et familles vivant des problèmes multiples. Depuis ces perspectives, les relations entre parents et professionnels sont comprises en tant que rapports sociaux au sein desquels les pouvoirs en jeu (individuels et collectifs) contribuent à structurer leur action et les rapports qu'ils établissent entre eux sans pour autant les déterminer. Ces rapports, bien qu'asymétriques, se révèlent multiformes et dynamiques ; situés en contexte, ils se structurent de façon continue en fonction des forces en jeu dans un contexte donné et, à leur tour, les actions des personnes constituent une force susceptible de structurer les contextes dans lesquels leurs rapports se situent (Lemay, 2013).

21Qui sont les 15 parents concernés par l’étude ? Les 10 mères et 5 pères recrutés ont bénéficié des services d’une ÉIJ dans l’une des 3 régions du Québec ciblées par l’étude (Estrie, Québec, Outaouais). Ils sont parents d’un enfant âgé de 14 ans ou moins ayant des problèmes multiples et complexes et dont la réponse requiert l’intervention de plusieurs organisations. Les jeunes concernés par l’ÉIJ ont des problématiques variées : troubles du spectre de l’autisme, déficience intellectuelle, troubles d’apprentissage (dysphasie, dyslexie, dyspraxie), retards dans plusieurs sphères du développement ou problèmes de comportement, concomitants aux autres troubles. Les familles sont majoritairement d’origine canadienne (n=13/15), biparentales (n=10/15) et composées de trois jeunes et plus (n=10/15). La majorité des mères a un diplôme universitaire (n=5/10) et la majorité des parents occupe un emploi. Presque toutes les familles (n=14/15) reçoivent les services de la protection de la jeunesse. Enfin, avant le recours à l’ÉIJ, les parents recrutés ont vécu des expériences diversifiées sur le plan de la collaboration avec les services, soit une collaboration considérée « plutôt facile » ou « plutôt difficile » par les ÉIJ ciblées. Au final, la composition de l’échantillon est diversifiée sur plusieurs plans : le genre des parents, leur situation géographique, la composition familiale, les problématiques de leur enfant et leur expérience de collaboration plus ou moins facile avec les services.

22La méthode de collecte de données utilisée dans le cadre de l’étude est l’entretien individuel semi-structuré. En début d’entretien, l’administration d’un court questionnaire a permis le recueil des quelques données sociodémographiques présentées supra. Les entretiens réalisés, d’une durée moyenne d’environ 1h30 à 2h00, ont été enregistrés et retranscrits intégralement. Les verbatim ont été codifiés à l’aide du logiciel QDA Miner. Des codes ont été attribués aux différents parents (Pa) : les verbatim sont identifiés ainsi dans la section des résultats (de Pa1 à Pa15). La démarche analytique est mixte, à la fois déductive et inductive (Miles et Huberman, 2003). Les procédures d’analyse renvoient aux grandes étapes de codification, condensation et saturation des données généralement admises en recherche qualitative (Creswell, 1998), incluant un accord inter-juges.

Résultats

23Cet article rend compte de trois principales dimensions de résultats portant sur l’expérience vécue par des parents dans le contexte de partenariat intersectoriel d’une ÉIJ au Québec : a) l’expérience vécue lors des rencontres formelles de plans de services individualisés (PSI) avec les partenaires professionnels, b) leur sentiment de contrôle sur les décisions qui concernent leur enfant et c) leur vision d’une relation parent-partenaires idéale en contexte intersectoriel.

L’expérience vécue lors des rencontres de plan de services individualisé et intersectoriel

24L’analyse des données indique que pour la majorité des parents, la rencontre de PSI s’avère une expérience positive et que le tiers exprime un point de vue mitigé. Bien que les sentiments négatifs à l’égard des services rendus aient surtout été vécus avant leur accès à l’ÉIJ, certains soulèvent quelques difficultés rencontrées. Cette 1e section rend ainsi compte des dimensions suivantes : 1) l’expérience de la première rencontre, 2) quelques dimensions positives de l’expérience vécue, 3) quelques difficultés rencontrées au sein du partenariat et enfin, 4) les retombées positives de ces rencontres pour les parents.

L’expérience de la première rencontre à l’ÉIJ : appréhendée mais rassurante

25Pour plusieurs parents, la première rencontre de plan de services a été un moment appréhendé. Ils expriment avoir vécu du stress du fait de ne pas savoir à quoi s’attendre ainsi que la peur d’être pointés du doigt, jugés ou blâmés : « Avec tout ce monde-là autour de moi […] j’avais encore l’impression que c’était de ma faute, que je n’avais pas fait comme il le faut. […] Il n’y a personne qui m’a pointée […] qui m’a dit “C’est de ta fauteˮ. Mais c’est comme ça que je le percevais » (Pa1). En revanche, pour la majorité, la première rencontre s’est avérée plutôt rassurante : pour certains, elle a été vécue comme une expérience différente de celle qu’ils avaient imaginée.

[…] on a une certaine appréhension au début. Savoir, comment ils vont nous voir, je vais-tu me faire fusiller sur place. […] on s’imagine toujours que c’est pire. Pis, j’ai toujours une crainte avant d’arriver à ces réunions-là, mais en fin de compte… […], je me suis sentie respectée dans mon rôle de mère. […] ils ont été là pour me soutenir. J’ai été vraiment respectée […]. Franchement, je suis sortie de là pis j’étais contente. C’était très positif pour moi. Je ne m’attendais pas à ça, mais je trouvais ça encourageant (Pa8).

Quelques dimensions positives de l’expérience vécue lors des rencontres

26Du point de vue des parents, différentes dimensions de l’expérience en contexte d’ÉIJ s’avèrent positives : 1) un contexte qui réunit et informe, 2) la place accordée aux parents et leur rôle exercé au cours de la démarche, 3) la motivation et l’implication des partenaires professionnels, 4) les rapports positifs établis entre ces partenaires et enfin, 5) le rôle de la personne médiatrice qui coordonne l’ÉIJ.

27Premièrement, l’ÉIJ est vue comme un contexte qui réunit tous les acteurs et qui informe, un espace de partage avec les partenaires. Aux yeux des parents, ce contexte de partenariat offre la possibilité de rencontrer toutes les personnes impliquées dans la situation de l’enfant. Les retombées positives mentionnées sont diverses. Par exemple, un parent exprime sa satisfaction à l’effet de pouvoir enfin « mettre des visages sur des noms » et « savoir qui est qui » dans un contexte où, parmi les nombreux intervenants impliqués, certains sont peu connus :

Les trois seules personnes que je vois le plus souvent, c’est les deux psychoéducatrices et la travailleuse sociale du centre jeunesse. À part de ça, les autres personnes, je ne les vois quasiment jamais. Ils sont là, mais c’est comme… comme en arrière-plan là. […] C’est comme, juste des « parlages » au téléphone ou par écrit, je ne trouve pas ça bien bien le fun. J’aime mieux voir la personne (Pa3).

28Cet autre parent précise que le partage de l’information permet à tous les intervenants de connaitre sa réalité familiale, de mieux le comprendre et de respecter ses limites.

[La rencontre de PSI], ça a été une bonne chose, parce qu’on rencontrait tout le monde et tout le monde était au courant. […] Ce qui arrive, c’est que si la garderie me demandait de quoi par rapport à [l’enfant], de faire telle chose, ils ne comprenaient pas que des fois, j’avais de la misère à arriver, parce qu’ils ne connaissaient pas le contexte familial. […] Fait que c’est sûr qu’avec la rencontre tout le monde ensemble, ben là, ils pouvaient mieux me comprendre, pis mieux m’appuyer, en respectant mes limites aussi (Pa8).

29Des parents mentionnent se sentir bienvenus pendant les rencontres, ayant l’impression d’être à leur place et d’être écoutés. Le soutien et le sentiment d’être entourés d’une équipe aidante est une expérience réconfortante qui diminue le sentiment de solitude et qui a un effet d’apaisement, comme l’exprime ce parent :

Je n’ai pas eu l’impression que ça me mettait du poids. C’était plus comme si on m’enveloppait d’une couverture. C’était comme si je me sentais plus tranquille, parce que j’avais l’impression qu’il y avait une équipe qui gravitait autour de moi. Je me sentais moins seule, c’est ça. Ils étaient là pour moi, pour mes enfants, pour m’aider. Point. C’est comme ça que je voyais ça (Pa8).

30Deuxièmement, la place accordée aux parents est largement soulignée : ils expriment leur sentiment de pouvoir participer activement à la démarche. Tous les parents affirment pouvoir participer au moment où ils le souhaitent lors des rencontres de PSI. Par exemple, un parent a la possibilité de faire un commentaire ou de poser des questions, d’obtenir des informations ou des explications lorsqu’il ne comprend pas certains points abordés (Pa13) et d’avoir de la place pour s’exprimer (Pa10). Le contexte d’échange leur permet aussi de partager leurs « craintes » aux intervenants (P11) : « on parlait vraiment sans peur, devant tout le monde » (Pa7). L’expérience positive vécue par les parents est aussi tributaire du rôle qu’ils jouaient ou de leurs façons de s’impliquer en rencontre et dans le suivi de leur enfant. D’une part, ils sont généralement invités à assumer des responsabilités formelles lors des rencontres de PSI, par exemple, donner leur point de vue sur la progression de leur enfant ou intervenir en tout temps pour donner leur avis ou poser des questions. D’autre part, chacun a sa vision particulière de la place qu’il veut et peut prendre. Par exemple, pour un parent, la vision de son rôle était d’écouter ce qui se disait à la table, de veiller à ce que personne ne se trompe et de vérifier si des modifications devaient être apportées à ce qui était dit. D’autres parents précisent que leur rôle consistait à devoir mettre en application à la maison certains éléments discutés lors des rencontres. Du point de vue de certains parents, leur implication va parfois au-delà de leurs responsabilités formelles, et renvoie plutôt à leur volonté de collaborer avec les membres de l’équipe pour contribuer à améliorer la situation. D’autres soulignent leur volonté d’être au fait de la progression de leur enfant et de connaître l’information à laquelle ils n’ont pas toujours accès directement et qui leur semble pertinente pour exercer leur rôle de parent à la maison. Il peut s’agir d’informations transmises par d’autres partenaires (ex. le psychologue de l’école), notamment lors de rencontres où le parent n’est pas présent.

31Troisièmement, la motivation, la mobilisation et la disponibilité des partenaires sont vues comme des aspects positifs de l’expérience vécue à l’ÉIJ. On souligne l’implication active de chacun dans la recherche de moyens et de solutions. Bien qu’un seul parent ait mentionné avoir eu l’impression qu’une personne de l’équipe n’était pas intéressée à contribuer à la situation, l’expérience de la majorité ne va pas en ce sens. Par exemple, un parent souligne l’engagement de toutes les personnes impliquées qui décident de rester présentes et à l’écoute pendant toute la durée de l’échange.

Bien, tout le monde, écoute. […] le médecin, il reste jusqu’à la fin et il participe, même si de son côté, ça ne le concerne pas. […]. Ce n’est pas juste le médecin […], non, tout le monde reste. […] On apprécie vraiment ça, parce qu’on sait [qu’] avec la pénurie de médecins, [le fait qu’ils] restent vraiment 3 heures, c’est beaucoup pour eux (Pa7).

32Quatrièmement, les rapports positifs établis entre les professionnels est une autre dimension positive de l’expérience vécue par les parents. Par exemple, leur cohésion est soulignée par ce parent : « tout le monde tire le bateau dans le même sens » (Pa14). Un autre souligne que tout le monde « parle le même langage », « cherche dans la même direction » et partage la même volonté de réussir : « personne ne veut sortir de là et [se dire que] ça n’a pas marché » (Pa2).

33Enfin, l’analyse du point de vue des parents indique que les rapports entre les partenaires ainsi que leur intervention sont optimisés par le rôle joué par la personne médiatrice qui coordonne l’ÉIJ. Son intervention contribue, à leurs yeux, à l’expérience positive vécue en rencontre. Le coordonnateur de l’ÉIJ est décrit comme un « animateur », voire un « chef d’orchestre » (Pa8) : « Il était l’animateur de l’ÉIJ. […] Il faisait des tableaux, il présentait les intervenants. Il animait, il dirigeait la discussion. Il posait des questions » (Pa6). L’un des parents mentionne qu’il agissait comme un « médiateur » qui gère les conflits entre les partenaires et qui peut « trancher » au besoin (Pa9).

On était en concertation, mais j’avais compris que… Si on peut prendre un terme très fort là, c’était lui le médiateur. […] C’est lui qui était venu trancher parce que les autres intervenants, ils n’ont pas été capables de le faire avant […] Les autres, ils se connaissaient, […] mais le fait que lui, il vienne, il était venu juste pour ça (Pa9).

Quelques difficultés vécues en rencontre

34Quelques aspects ont été vécus difficilement par certains parents : 1) le contexte intimidant des rencontres réunissant plusieurs personnes et dont certaines étaient parfois inconnues du parent ; 2) la longueur du processus avant de passer à l’action et de répondre aux besoins de l’enfant, et enfin ; 3) la nature des échanges, souvent chargés émotionnellement.

35Premièrement, quelques parents se sont sentis intimidés par le nombre de personnes présentes ou par le statut de certaines d’entre elles. Certains ont eu de la difficulté à prendre la parole et intervenaient principalement lorsqu’on leur posait des questions : « Moi j’ai trouvé ça très intimidant. Il y avait beaucoup de monde autour de la table. Et moi j’étais toute seule. […] Bien, je me sentais grosse comme ça [petite] autour de tous ces psycho-machins avec des noms longs comme ça » (Pa1). Un parent exprime qu’il pensait « mourir » pendant la rencontre : il ne savait pas quoi dire et approuvait tous les propos des professionnels (Pa15).

36La présence de personnes inconnues dont le parent ignore la fonction contribue aussi à rendre l’expérience difficile comme en témoigne ce parent : « Tu sais qu’ils [partenaires] ont toujours été là, mais que tu n’as jamais eu affaire à eux autres […]. Et à la limite, tu n’as jamais échangé avec eux, tu n’es même pas sûr de ce qu’ils font. T’a compris que lui était [le] directeur [de l’autre] » (Pa2). Un autre parent souligne qu’il ne comprenait pas le rôle des intervenants de la protection de la jeunesse et qu’il craignait que ceux-ci partent avec l’enfant. Le « roulement » de personnel ajoute également à la confusion des rôles pour les parents.

37Enfin, dans certains cas, une rencontre entre partenaires peut voir lieu en leur absence, généralement afin de résoudre, par exemple, des problématiques d’ordre administratif. En tel cas, ces échanges se réalisent avec l’autorisation des parents. Or, l’un d’eux exprime la colère et la frustration vécues devant des commentaires négatifs entendus concernant son enfant, alors qu’il était dans la salle d’attente (P14). Enfin, bien que certains aient vécu un début de démarche moins facile, la suite des événements s’est avérée positive : ils se sentent maintenant mieux lors des rencontres.

38Deuxièmement, la longueur du processus est une contrainte soulevée par deux parents. L’un mentionne que le processus demeure « très long » avant que l’on puisse trouver une meilleure réponse aux besoins de l’enfant (Pa4). L’autre souligne que durant la longue phase de « cueillette » des informations, il avait « hâte » que se réalise le « passage à l’action » pour aider son enfant (Pa2). Il se questionnait sur l’utilité de cette cueillette, bien qu’il comprît la nécessité de « passer à travers certaines étapes avant » d’intervenir.

39Enfin, quelques parents soulèvent la difficulté de participer à des échanges souvent très chargés émotionnellement. Trois d’entre eux mentionnent que leur conjoint était souvent absent des rencontres parce qu’il les trouvait difficiles, sur le plan émotionnel. L’un de ces parents, se sentant obligé d’être présent en l’absence de son conjoint, et vivant aussi des émotions très difficiles pendant les rencontres, a fait appel à un intervenant accompagnateur afin de prendre des notes et avoir une perspective d’ensemble de la situation (P22). Le contenu abordé amène souvent à se remémorer les situations difficiles vécues par l’enfant (P7), mais aussi à reconnaître les points positifs. Comme témoigne cet autre parent, il passe régulièrement « d’une émotion à l’autre » durant les rencontres alors qu’étaient abordés les points « plus tristes » ou les « choses à travailler » ou encore les « bons points » lorsqu’il y avait de l’amélioration (Pa13).

Les retombées positives des rencontres

40Du point de vue des parents, les rencontres de PSI ont eu jusqu’à maintenant des retombées positives sur eux et sur leur enfant. En ce qui a trait aux retombées positives pour les parents, l’analyse révèle que l’une des plus importantes est l’effet des rapports partenariaux vécus sur leur sentiment de contrôle comme parent : cette dimension sera traitée au point suivant. Pour l’essentiel, les autres retombées positives de l’expérience sur les parents renvoient aux grandes dimensions suivantes. D’abord, ils mentionnent avoir accès à davantage d’informations concernant leur enfant, notamment grâce aux diverses perspectives des intervenants en ce qui a trait à plusieurs sphères de sa vie (ex. école, famille, santé). Ces informations leur permettent d’être plus « à jour » par rapport au suivi de leur enfant (Pa14) et de développer des connaissances leur permettant de mieux jouer leur « rôle de parent », de mieux intervenir avec l’enfant (Pa2). De plus, dans ce contexte privilégié qui favorise la mobilisation et l’engagement de toutes les personnes impliquées dans la situation de l’enfant, des parents mentionnent qu’ils obtiennent des réponses plus rapidement (P5). Par exemple, ce parent témoigne du fait que les délais pour les évaluations sont réduits parce que les demandes peuvent être formulées sur le champ, en rencontre.

La plus grande différence, c’est que tout le monde peut se rencontrer et que tu as moins de délais d’attente après la réponse de Pierre, Paul, Jean, Jacques. Tous les « igues », « ogues » et « egues » qui sont dans le dossier, sont là. Fait que si tu veux savoir quelque chose du directeur, tu lui demandes, pis si tu veux savoir quelque chose de l’ergo, […] tu lui demandes (Pa15).

41Enfin, une retombée positive mentionnée par plusieurs parents concerne une meilleure clarification et compréhension des rôles de chacun. Pour l’un des parents, un partage plus clair des rôles et responsabilités entre chaque personne impliquée lors de la rencontre a fait en sorte qu’il n’ait plus à devoir lui-même chapeauter le processus (Pa14).

42En ce qui a trait aux retombées positives de la démarche pour l’enfant, les parents en identifient plusieurs. D’une part, ils constatent des ajustements faits sur le plan des services offerts à l’enfant (Pa14), des interventions plus adéquates de la part des intervenants (Pa2) et une disponibilité d’outils pour l’enfant (Pa15). D’autre part, ils dénotent une amélioration générale (Pa13) de la situation de l’enfant ou une amélioration du comportement, le développement d’une meilleure maturité ou d’une meilleure qualité de vie (Pa2, Pa15). Ainsi, des avancées sont observées dans diverses sphères de son développement, par exemple, une diminution de la frustration (Pa4), une amélioration de sa capacité à s’exprimer verbalement (Pa10), une plus grande motivation à l’école (Pa1), etc. En revanche, de telles améliorations contribuent à diminuer le temps et les efforts à investir comme parent. Par exemple, l’un d’eux mentionne que l’amélioration du comportement de son enfant à l’école lui a permis de « reprendre le dessus », notamment du fait qu’il ne recevait plus d’appels de la part de l’école pour venir chercher son enfant (Pa1). Enfin, un seul parent affirme que son enfant a connu « une rechute », mais qu’aujourd’hui sa situation va bien (Pa14).

Le sentiment de contrôle des parents sur les décisions prises

43Les questions suivantes ont permis d’explorer le sentiment de contrôle vécu par les parents. « En général, sentez-vous que vous avez votre mot à dire avec les intervenants ? Qu’est-ce qui vous permet de dire cela ? Est-ce que ça change quelque chose ce que vous dites ? Qu’est-ce qui vous permet de dire cela ? Avez-vous l'impression d'avoir du contrôle sur le soutien et les services que vous, votre conjoint(e) et votre enfant recevez dans le contexte de l’équipe d’intervention jeunesse ? ».

44Un constat général émerge des résultats. Presque tous les parents ont le sentiment d’avoir un certain degré de contrôle et d’avoir leur mot à dire sur le soutien et les services reçus dans le contexte de l’ÉIJ. Toutes les réponses convergent en ce sens :

« Bien dans notre cas, oui » (Pa2) ; « Oui, toujours. » (Pa3) ; « Oui toujours. » (Pa4) ; « Absolument. Oh oui » (Pa13) ; « Ah oui, oui. Absolument » (Pa14) ; « Oui, tout le temps, tout le temps, tout le temps. » (Pa10) ; « Ah oui. Définitivement » (Pa14) ; « Ça reste que c'est notre fils, t’sais, donc c'est toujours nous autres qui avons la décision ultime si on veut » (Pa11).

45Certains constatent même qu’à titre de parent, ils détiennent un plus grand pouvoir que les autres partenaires (Pa5, Pa12), par exemple, du fait qu’ils ont le droit d’intervenir à tout moment durant la rencontre, et ce, sans devoir attendre qu’on sollicite leur point de vue. Pour certains, ce sentiment de contrôle vécu à l’ÉIJ est nouveau au regard de leur expérience antérieure : « On se sent écoutés maintenant. On se sent compris maintenant. Ce qui n'était pas le cas avant » (Pa14). 

46Si plusieurs propos de parents appuient l’idée d’une démarche bénéfique sur le plan de leur prise de pouvoir, il importe de comprendre ce qui contribue à l’émergence de telles retombées positives. L’analyse de leur point de vue a permis d’identifier des facteurs ayant contribué à leur sentiment de contrôle dans ce contexte particulier de partenariat intersectoriel.

47Premièrement, des parents soulignent que leur expertise est reconnue et considérée à l’ÉIJ du fait qu’ils disposent d’une expérience construite au quotidien et que d’autres n’ont pas :

Notre opinion est prise en considération parce que nous, ce qu'on disait, nous vivons avec les enfants continuellement dans la semaine, nous sommes à même de pouvoir dire il se passe telle, telle chose, on voit l'enfant évoluer et on voulait que ce soit pris en considération, que notre opinion et notre expérience avec les enfants présentement, pas simplement l'expérience antérieure, soit prise en compte (Pa5).

48Dans le même ordre d’idées, un parent souligne que même s’il n’est « pas un spécialiste » : il est la « personne en général, qui connaît le plus les besoins de [son] enfant » [alors], il faut bien qu'ils [intervenants] t’écoutent quelque part   (Pa15). Ainsi, ajoute un autre, il a le sentiment que son opinion « en tant que parent » est « vraiment écoutée » et vaut autant dans l’équipe que l’idée de celui « qui a le diplôme d’intervenant » (Pa4). Un parent va même jusqu’à affirmer qu’au sein de l’équipe de professionnels, il se sentait « reconnu comme une personne intelligente », tout en ajoutant que ce « mot n’est pas trop fort ! » (Pa5).

49Deuxièmement, des parents constatent que leurs observations contribuent à enrichir la compréhension des problématiques rencontrées chez leur enfant : « Des fois, il y a des questions qui se posent, pourquoi [mon enfant] fait telle affaire, et moi je peux apporter une vision que j'ai moi, à avoir observé, […], je ne suis pas Dieu je veux dire, mais des fois, on aide à débloquer quelque chose » (Pa22). Comme le mentionne un autre, leur vision et compréhension de la situation est sollicitée : « Souvent ils nous demandaient “Êtes-vous d'accord avec ça ? Qu'est-ce que vous pensez ? Parlez-nous de ça, t’saisˮ. Je ne me suis jamais sentie comme si eux autres ils avaient tout en charge pis t’sais “vous vous faites juste suivre ce qu'on ditˮ t’sais » (Pa13). Enfin, on s’intéresse à leur vision de l’avenir et des possibilités et limites de leur enfant et des leurs en tant que parents, ce qui permet d’ajuster les priorités.

Au sein de cette équipe-là, ça a été de donner notre opinion sur qu'est-ce qui se fait, qu'est-ce qui est réaliste d'espérer pour [mon enfant] pour l'avenir. Sur quoi on voudrait mettre l'emphase. Quel est notre niveau de participation ou de fatigue. Parce qu'on a eu des périodes, on était juste plus capables. Alors dans ce moment-là, l'emphase est sur d'autres aspects (Pa11).

50Troisièmement, non seulement la participation des parents apporte une valeur ajoutée lors des échanges et de l’analyse de la situation, mais leur opinion compte dans le processus de prise de décision, comme le souligne ce parent : « Ils établissent leurs décisions en regard de ce qu'on leur a dit. Quand on parle, c'est pas simplement être écouté et entendu là. C'est vraiment être écouté et vraiment pris en considération. Ils vont baser les actions sur ce qu'on a dit, alors on retrouve dans l'action, la décision vraiment notre « input » (Pa5). Les décisions ne sont pas prises de manière unilatérale comme en témoigne un parent : « Jamais ils vont m'obliger à prendre une décision par rapport à [mon enfant], à dire oui, si je ne veux pas » (Pa13). Plusieurs témoignages indiquent que le sentiment de contrôle vécu par les parents s’enracine dans l’exercice d’un pouvoir réel, un pouvoir qui consiste à faire une différence, comme l’expriment plusieurs d’entre eux : « J’avais vraiment l'impression que ça changeait quelque chose » (Pa13) ; « Ils nous l'ont dit bien avant, le mot à dire de notre côté était vraiment important dans la prise de décision » (Pa9).

51Enfin, une autre condition favorable ayant contribué à soutenir le pouvoir d’agir et le sentiment de contrôle des parents, renvoie aux attitudes et comportements des personnes médiatrices partenariales qui coordonnent l’ÉIJ et animent les rencontres de PSI. D’emblée, on souligne leur ouverture face au point de vue des parents : « Elles sont ouvertes. Je sens qu'elles sont ouvertes, c'est bon » (Pa3). Le comportement le plus souvent souligné est l’invitation faite au parent à participer de diverses manières, par exemple : inviter le parent à s’exprimer (Pa3), affirmer devant tout le monde son droit de parole (Pa4), demander systématiquement son avis (Pa10), obtenir son consentement, ne pas imposer (Pa13), l’informer et le laisser décider, voire l’autoriser à changer d’avis : « On m'a dit souvent que j'avais le droit de me revirer de bord à n'importe quel moment » (Pa1).

La relation idéale parents-professionnels en contexte intersectoriel

52Le point de vue des parents a été exploré à partir de la question suivante « Que serait pour vous une relation idéale avec les partenaires, ou idéalement comment cela devrait-il se passer avec eux ? ». Tous les parents, sauf un, affirment de manière explicite que l’expérience vécue dans le contexte de partenariat intersectoriel à l’ÉIJ correspond à ce qu’ils auraient souhaité dans un monde idéal :

Ben nous, tout le processus qu'on a fait, c'est bien […] qu'on sente que dans l'échange la personne est en ouverture […] et cette ouverture-là, je l'ai vécue (Pa2) ; Comment ça devrait se passer ? Comme ça s’est passé avec nous (Pa13) ; Comme on le vit, comme c’est là (Pa14) ; Mettons, dans un monde idéal, avec des défauts, ce serait comme c'est là (Pa15) ; Tout simplement comme que c’est là (Pa12) ; Ben ça devrait se passer comme ça s'est passé avec moi (Pa1) ; Bien c'est d'être en équipe, travailler en équipe pour le bien [de l’enfant], ça c'est vraiment l'idéal et c'est ce qu'on fait là (Pa22).

53Quels sont donc les ingrédients de ces relations parents-professionnels vécues à l’ÉIJ et qui rejoignent ce que les parents considèrent comme l’idéal à atteindre en contexte de partenariat intersectoriel ? L’analyse de leur point de vue révèle huit caractéristiques d’une relation idéale. Il s’agit d’une relation : 1) caractérisée par des échanges mutuels et continus, 2) basée sur la transparence, 3) basée sur la reconnaissance de l’expérience et du pouvoir des parents, 4) égalitaire où chacun apporte à l’autre, 5) d’équipe axée sur la confiance et l’engagement mutuel, 6) d’aide requérant disponibilité, souplesse et soutien continu, 7) à la fois professionnelle et amicale, 8) humaine, chaleureuse et respectueuse de l’intimité des personnes.

Une relation caractérisée par des échanges mutuels et continus

54L’échange peut porter, entre autres, sur des informations concernant l’enfant ou sur les attentes de l’intervenant en regard du rôle des parents : « Ben, si y'a des choses qui se passent à la maison avec [l’enfant], que je pense qui serait important qu'ils sachent, ben je leur dis. Pis la même chose pour eux autres aussi. T’sais, pis si jamais ils [veulent] que je travaille telle ou telle chose à la maison, ben t’sais, qu'ils me le disent aussi » (Pa13). Ce parent précise : « Je veux être tenu au courant de ce qu’il en est » concernant mon enfant (Pa15). Enfin, pour cet autre, il est important de dépasser l’aspect « informationnel et d’échanger sur ses propres besoins et difficultés comme parent […] par exemple, lorsqu'elle [intervenante] nous demande nous, comment on vit ça, etc., ben on peut échanger sur la situation familiale ou sur nos besoins immédiats, ou nos problèmes, c'est pas juste informationnel » (Pa11).

55Enfin, les échanges doivent être réguliers et continus « beau temps, mauvais temps », comme en témoigne ce parent :

Notre intervenante a mentionné hier qu'à chaque semaine, elle va faire un suivi avec nous [même] si c'est pour dire qu'il ne se passe rien […]. Fait que c'est le genre d'attentes que j'ai avec les intervenants. Ce n'est pas seulement de me dire de quoi quand il y a quelque chose qui arrive [comme] dans les périodes […] de crises là, [mais] de nous tenir au courant de l'évolution, même s'il n'y a rien à dire, pour au moins savoir ce qui se passe. Pis de leur côté, de nous demander comment ça va. Et c'est ce qu'ils font généralement. Fait qu'on a une relation d'échange là. C'est ce qu'on s'attend des intervenants (Pa11).

Une relation basée sur la transparence

56Plusieurs parents mentionnent l’importance qu’ils accordent à la transparence au sein de leur relation avec l’intervenant. Cette mère souligne que dans une relation idéale : « Faut que ce soit franc, faut que ce soit vrai. Je ne suis pas “Miss artificeˮ ben ben. T’sais, je dis ce que je pense, pis des fois je suis peut-être maladroite dans ma façon de le dire, mais en tout cas, je m'attends à ce que l'autre fasse pareil » (Pa15). L’intervenant doit « dire les vraies affaires, les barres sur les T et les points sur les I. […] même quand ça ne va pas. C'est comme ça qu'on s'entend bien. » (Pa3). À son tour, le parent doit faire preuve de transparence, notamment en reconnaissant ses propres limites : « C'est si t'es pas capable d'être transparent, c'est comme, ça veut dire, il a bien beau travailler une chose, ça fait 5 ans que tu travailles la même chose, pis si t'es pas capable de dire que t'es pas capable de le faire, eux autres, ils [ne] savent pas là » (Pa3).

57Les parents veulent non seulement recevoir l’information juste, « telle qu'elle est, sans la modifier » (Pa16), mais aussi toute l’information disponible, notamment concernant les services existants : « Ben, je souhaite qu'il soit honnête, qu'il ne cache pas les services » (Pa7). Enfin, la transparence consiste aussi pour l’intervenant à ne pas donner de l’information dont il ne dispose pas et à reconnaître ses limites sur ce plan : « ne pas faire semblant ; ça ne donne rien […] de dire “ah moi je pense que…ˮ, n’importe quoi, “dans deux ans, il [l’enfant] va savoir écrireˮ, mettons. Quand tu sais que tu ne le sauras jamais, dis donc que tu ne le sais pas » (Pa15).

Une relation basée sur la reconnaissance de l’expérience et du pouvoir des parents

58Dans une relation idéale, telle que vécue par les parents, leur apport et leur « expérience de vie » en tant que parents, sont pris en compte :

On a une expérience de vie qu'ils [ÉIJ] ont pris en considération […] qui devrait être prise en considération aussi pour ajuster le tir […] : ajuster l'action, le mouvement. Et il me semble bien que [l’ÉIJ] travaille comme ça, contrairement [à un autre établissement] qui travaillait pas du tout comme ça […] ils sont la loi, ils sont la vérité, c'est eux qui détiennent la vérité, ils [ne] sont pas prêts à faire de concessions, dans le sens de prendre en considération l'expérience du parent ou la vision du parent. Pour eux, ça [ne] fait pas partie de leur mandat, tandis que [à l’ÉIJ], ils vont pouvoir établir le plan d'action avec, en incluant le parent (Pa5). 

59Ainsi, tel que souhaité dans une relation idéale, le contexte de l’ÉIJ permet donc aux parents d’être inclus dans les démarches : ils peuvent « avoir le choix », « décider » et rester « maître » de la situation :

Je pense que c'est une bonne chose de faire sentir aux parents qu'ils ont toujours le choix […] que c'était moi qui restais maître […]. C’est sûr que c’est du cas par cas. […]. Moi, je n'aime pas ça me faire prendre de front pis me faire dire « ben là, c'est comme ça que ça va marcher […]. T’sais je veux dire, ça reste mon fils, pis c'est moi qui décide […] j'avais du pouvoir, […] c'était moi qui restais maître, pis eux autres étaient là simplement pour m'aider, pis pour aider [mon enfant] (Pa1).

Une relation égalitaire où chacun apporte à l’autre

60Certains parents vont plus loin. À leurs yeux, la relation idéale est égalitaire. Par exemple, selon ce parent, la relation idéale est une relation « égale », comprise au sens où chacun a une « expérience reconnue » aux yeux de l’autre :

Égale « […] par ce que chacun apporte. Égale, pas dans le sens de connaissance ou de diplôme, mais ce que chacun a comme expérience soit reconnue. Et à partir de ça qu'on peut se bâtir quelque chose et non pas écraser des parents pour leur dire “vous ne savez rien, vous ne connaissez rien, nous sommes la DPJ et nous allons statuerˮ » (Pa3).

61Dans une telle relation où chacun apporte quelque chose à l’autre, le parent sent qu’il est important aux yeux du professionnel : « qu’il [l’intervenant] nous apporte quelque chose, mais qu'il nous fasse sentir que nous aussi, d'une certaine manière, qu'on… pas qu'on lui apporte quelque chose. Il n'est pas là pour ça, mais je veux dire, il y a une manière d'agir ou de dire, tu es important » (Pa6).

Une relation d’équipe axée sur la confiance et l’engagement mutuel

62Du point de vue de plusieurs parents, le passage à l’ÉIJ a permis de vivre un travail d’équipe comme ils le souhaiteraient idéalement : « c'est d'être en équipe, travailler en équipe pour le bien [de notre enfant], ça s'est vraiment l'idéal et c'est ce qu'on fait là » (Pa10). La collaboration, la coopération, voire l’« interchange », sont autant d’expressions utilisées par les parents pour parler de ce travail d’équipe, comme en témoignent ceux-ci : c’est « le type [de relation] où on est tous collaborateurs, où on collabore, où on interchange » (Pa9) ; c’est : « la coopération […] c'est de tout se dire, de ne rien se cacher pis de travailler en équipe. Travailler ensemble… […]. À date, ça a bien été » (Pa8).

63Cette vision du travail d’équipe renvoie notamment à l’importance « que les deux [parents et intervenants] travaillent pour le même but, dans la même direction. Si y'en a un qui n’est pas réceptif, ou qui [ne] travaille pas dans le même sens… ça [ne] sert à rien, parce que ça revient [à] un contre l'autre » (Pa12). La relation idéale implique donc de « […] s'entendre bien, donc, d’être sur la même longueur d'ondes » (Pa2). La bonne entente et la « complicité » caractérisent aussi le travail d’équipe. « Ben, complicité, qu'on s'entende bien t’sais. Qu'on ne sente pas qu'il [n’] y ait aucun croche quelque part » (Pa13). La complicité entre parents et professionnels se vit dans l’action : chacun sait ce que l’autre fait et ce que lui-même a à faire : T’sais, moi je le sais qu'elle fait ce qu'elle a à faire. Pis eux autres, ils ont confiance en moi aussi, de dire “je le sais qu'elle travaille avecˮ [son enfant] » (Pa13).

64Pour certains parents, la relation basée sur la confiance, telle que vécue au sein de l’équipe parents-professionnels, rejoint leur vision de l’idéal : une relation de confiance. […] Qu'on est capable de se faire confiance, qu'on sait que ce qui a été mis en place pour [mon enfant] est respecté, est suivi. Que y'a du respect envers [lui], que y'a une écoute envers [lui], […] Ben, c'est que je vois, que mon fils est bien traité. (Pa14).

65Ce travail d’équipe suppose que les intervenants soient engagés, qu’ils se sentent concernés par ce qui arrive à l’enfant, comme en témoigne ce parent : « y'a une bonne équipe autour. Du monde qui veulent, du monde qui sont déçus quand y'a quelque chose qui fouerre [échoue], du monde qui sont contents quand ça marche. Pis qu'ils sont fiers de lui [l’enfant], quand ils le voient, ils lui disent t’sais. Pis lui, il est tout content » (Pa15). Enfin, dans une relation idéale, les intervenants engagés aiment leur travail : «  C’est comme, faut aimer le travail que vous faites. […] Parce que ça paraît dans sa façon d’être […]. Il [intervenant] est ici et il sourit. […] il aime qu’est-ce qu’il fait. Il parle avec le jeune, il parle avec le parent pis il essaie de trouver des solutions pour que ça marche. C’est ça qu’il faut là » (Pa3). Idéalement, précise un parent, cet engagement est réciproque : une relation idéale est volontaire, non imposée, ni aux parents, ni à l’intervenant, comme c’est le cas en ÉIJ :

Faut que les deux parties soient, y voulaient. Faut que ça soit de base volontaire. Tout simplement. Comme que c'est là. Le demandant, c'est lui, c'est lui qui faut qui soit le demandant justement. Faut pas que ça soit imposé, le système, ce système-là, faut que ça soit le demandant qui le demande. Une fois qu'il a demandé, déjà là, vous avez un pied dans la porte. Parce qu'il veut avoir de l'aide (Pa12).

Une relation d’aide : disponibilité, souplesse et soutien continu

66La relation idéale renvoie non seulement au travail entre collaborateurs parents et professionnels, mais aussi à la relation d’aide, à la disponibilité et au soutien continu offert par les intervenants. Des parents témoignent de l’importance de la disponibilité offerte à l’ÉIJ :

[La relation idéale…] Ça veut dire… qu'ils soient disponibles comme qu'ils l'ont été [à l’ÉIJ]. Quand j'ai besoin de l'aide de quelqu'un, ben, elle est disponible pour moi t’sais. C'est pas, là, elle va me rappeler dans une semaine t’sais, si j'ai une question, là, pis que c'est important, t’sais. Je comprends qu'ils ont d'autres choses à faire là, mais… [L’intervenante], je lui laissais un message, pis au plus tard elle me rappelait le lendemain (Pa13).

67Le soutien attendu varie ; il est parfois axé sur l’enfant, parfois sur les parents. Par exemple, il peut s’agir de « rassurer les enfants, veiller à ce que les enfants [ne] soient pas en danger et puis apporter le soutien qui est adéquat aux parents » (Pa5). L’aide peut aussi consister à soutenir les parents dans la recherche de services pour leur enfant : « Chercher un peu quelles sont les ressources parce que c'est beaucoup ça leur travail : quelles sont les ressources que les parents n'ont pas trouvées encore » (Pa2). L’aide offerte doit aussi prendre en compte les besoins des parents. En ce sens, l’expérience positive vécue par cet autre parent invite à considérer toute l’importance à accorder aux caractéristiques personnelles des parents : « Tenir compte de nos personnalités, parce qu'il y en a qui savent déjà qui nous sommes du point de vue comportemental, psychique tout ça, émotif tout ça. Donc, ça c'est à tenir compte. C'est ce qu'ils font » (Pa9).

68Le soutien offert, doit être ajusté en fonction des situations uniques rencontrées, ce qui requiert ouverture et souplesse de la part des professionnels. Selon ce parent, dans une relation idéale, les professionnels sont « en ouverture », font des « nuances » au besoin : c’est cette expérience qu’il a vécue à l’ÉIJ, une expérience différente de celles qu’il a connues avant :

Qu'on sente que dans l'échange la personne est en ouverture. C'est parce qu'il y a tellement de discussions qu'on peut avoir des fois avec des gens qu'on sent que leurs principes sont déjà dessinés. Alors, ils ramènent rapidement à ce qu'ils savent, ce qu'ils connaissent. Tandis que les services sociaux, moi ce que j'ai vécu [à l’EIJ], c'est pas ça. C'était plus « oui, ok, oui ok, ok, bon, pis on va chercher ». Fait que c'est ça. Et cette ouverture-là, je l'ai vécue. Même avec des questionnaires ben ben précis et rigides. Même là, la personne « oui, mais on peut rajouter des notes, des nuances », même si la réponse, ça devrait être oui ou non (Pa2).

69Enfin, dans l’idéal, le soutien offert doit être continu ou constant : « La constance du suivi. Je comprends qu'ils peuvent changer d'intervenants des fois, pour n'importe quelle raison, mais qu'on ne nous laisse pas en plan » (Pa6).

Une relation à la fois professionnelle et amicale

70Des parents estiment que la relation idéale est à la fois une relation « amicale » parce que parents et intervenants sont capables de se parler, et une relation « professionnelle », comprise au sens où l’intervenant « fait sa job ». Ce parent témoigne en ce sens :

Ça veut dire qu'on peut être amical tout en étant professionnel aussi. Tout simplement. T’sais…. Y'a pas d'autres mots, c'est vraiment professionnel mais c'est amical aussi, parce que, je veux dire, si c'est amical, on sait que… on est à l'aise de se parler. Tandis que, t’sais, on peut être professionnel pis que ça soit froid comme relation t’sais. [Être professionnel c’est aussi] : qu'elle fait ses choses, qu'elle fait sa job. Que ça avance, qu'elle sache où elle s'en va. T’sais, c'est vraiment ça là. Qu'elle fasse bien sa job dans le fond (Pa13).

71Un autre parent, témoigne du fait que certains liens établis avec des professionnels vont parfois au-delà du côté professionnel, par exemple, lorsque la relation donne lieu à un partage d’informations plus personnelles.

Nous on a la chance qu'on a développé des liens qui débordent un peu le côté professionnel. […] Pis même avec le pédopsychiatre, c'est la même affaire. Je [ne] sais pas si j'ai à te dire ça, mais je suis chanceux, très chanceux. À [telle ville] l'équipe médicale c'est la même chose, y'a des choses personnelles qu'on sait de ces grands spécialistes là, parce qu'ils nous l'ont partagé. […] Avec [le coordonnateur ÉIJ], on peut en rester strictement à une relation pour aider mon jeune, mais on développe d'autres choses en même temps aussi (Pa4).

Une relation humaine, chaleureuse et qui respecte l’intimité des personnes

72Une rencontre en mode « face à face » est considérée idéale pour ce parent. Il souhaite « que la rencontre soit, de personne à personne, plus que téléphonique » (Pa2). Il évoque l’importance que le professionnel établisse d’une part, un « contact humain » et « chaleureux », mais d’autre part, qu’il puisse « respecter l’intimité » des gens. C’est l’expérience qu’il a vécue à l’ÉIJ :

Y’a des gens qui sont doués parce qu’ils ont a priori cette façon d’être et de faire. Ça s’apprend, mais je pense qu’il faut avoir des pré-requis personnels pour ça. […] Alors c’est ça, c’est le contact humain, le contact chaleureux, mais pas trop, pour respecter l’intimité. Moi j’ai vécu ça beaucoup, le respect. On sentait à la fois l’ouverture et le respect de l’intimité des gens (Pa2).

73Dans certains contextes d’aide, ce dosage n’est pas présent : « C’est pas toujours évident. Ils [intervenants] sont des fois un peu, pas des fois, c’est comme ça, ils sont imposés là et puis « je dois aller chez vous et pis nananan, ou vous pouvez venir au bureau » (Pa2). Or, dans le contexte de l’ÉIJ où plusieurs personnes sont impliquées pour leur venir en aide, « l’invasion » est inévitable, mais ce parent accepte d’être en ouverture et de « passer par là » en échange de ressources et de réponses aux besoins :

Mais t’sais, y’a beaucoup de gens et pis là c’est une invasion dans notre vie. Est-ce qu’on veut ça ? Mais nous [à l’ÉIJ] on était sur le mode « on a des besoins », alors on était sur le mode ouverture nous autres aussi. Oui, c’était pas nécessairement grave, bon y’a quelqu’un qui vient faire invasion, mais c’est pour éventuellement ouvrir sur une ressource. Alors, on a des besoins, alors, il faut passer par là pour avoir des besoins (Pa2).

Discussion

74Au regard des résultats présentés ci-dessus et de quelques écrits pertinents portant sur l’objet d’étude, cette section discute plus spécifiquement des constats suivants : l’expérience significative de la première rencontre en contexte intersectoriel, l’importance du pouvoir des parents dans la prise de décision, l’égalité des acteurs au sein du rapport entre professionnels et parents ainsi que le rôle-clé joué par les médiateurs partenariaux.

Appréhension de la rencontre de PSI et expérience rassurante : une influence positive certaine sur l’expérience de partenariat des parents

75Le retour d’expérience de plusieurs parents permet d’identifier un premier sentiment commun : la peur de l’inconnu. En effet, pour certains, la première rencontre de PSI s’est avérée être synonyme de navigation à l’aveugle, en terre inconnue. Des parents expriment avoir vécu du stress, surtout lié au fait de ne pas savoir à quoi s’attendre. L’appréhension ressentie par certains est également liée à un sentiment de peur à l’effet d’être jugés ou blâmés ou au fait de se retrouver seul face à des spécialistes. Ces résultats rejoignent ceux de l’étude de Dodge (2018) dans laquelle certains parents exprimaient se sentir intimidés en présence de plus de deux professionnels, lors des réunions. Ce qui les effraie souvent est de se retrouver en position d’incapacité, ou pire selon eux, d’être pointés du doigt comme responsables des difficultés rencontrées par leur enfant ou leur famille.

76Pour les parents concernés par notre étude, bien que cette première rencontre ait été un moment très appréhendé pour certains, elle s’est avérée rassurante pour la majorité d’entre eux, contrairement à ce qu’ils pouvaient imaginer. À cet égard, plusieurs auteurs soulignent l’importance d’informer les parents en amont du déroulement des rencontres et du processus de mise en place des plans de services (Dodge, 2018). Cette préparation vise à ce qu’ils sachent dans quoi ils s’engagent et à leur fournir des repères visant à diminuer leurs appréhensions ou inquiétudes. Lors des réunions, la bienveillance des professionnels joue également un rôle important pour lever leur crainte du jugement (Dodge, 2018).

  • 2 Selon les milieux, cet intervenant peut être désigné intervenant « pivot », « pivot du réseau » ou (...)

77Dans le cadre des ÉIJ du Québec, la responsabilité de soutenir les parents à se préparer à la rencontre est formellement attribuée à un intervenant significatif impliqué auprès du jeune et de sa famille2, et qui souvent, porte la demande de référence au mécanisme ÉIJ (Lemay et al., 2017). En amont, le jeune et les parents sont donc informés de la démarche de PSI en ÉIJ, de l’esprit et de son déroulement ainsi que du rôle de la personne qui coordonne et anime la médiation partenariale. Leur consentement au partage des informations entre les partenaires et à participer activement à la démarche est requis pour amorcer cette démarche. Ils sont alors accompagnés à faire le point sur leur situation et à se préparer à partager aux professionnels leur vision des problèmes et solutions souhaitées en matière de services (Lemay et al., 2017). Néanmoins, malgré l’information et la préparation reçues, l’expérience d’une première rencontre positive leur ayant permis de changer de point de vue sur leur rapport avec les professionnels, s’avère significative et déterminante pour le développement du partenariat.

Composantes d’une expérience de partenariat positive : autonomisation et empowerment

78Comment et jusqu’où les parents sont-ils conviés et autorisés, dans un contexte partenarial, à prendre part aux décisions qui les concernent et qui ont une incidence majeure sur le devenir de leur enfant et de leur famille ? L’analyse du point de vue des parents révèle que leur sentiment de contrôle est généralisé dans le contexte particulier des ÉIJ ciblées et qu’il est tributaire de la prise en compte de leurs savoirs et de l’inclusion de leur point de vue dans les décisions prises. Le propos d’un parent sur l’importance de « rester maître » des décisions est éloquent sur ce plan.

79Cette perspective rejoint les écrits portant sur l’empowerment qui soulignent que le sentiment ou la perception de contrôle ne suffit pas et qu’une capacité réelle de mener une action efficace est nécessaire (Staples, 1990). Nos résultats montrent que les parents sont entendus et que leur point de vue ou leur « input » fait une différence réelle sur les décisions prises. Comme plusieurs auteurs, nous constatons que le pouvoir de décision ne devrait pas se partager de manière égalitaire entre les parents et les professionnels (Dunst et Paget, 1991 ; Butz et al., 2007). Le rôle du professionnel consiste plutôt à procurer toute l’information disponible aux parents ou aux personnes concernées afin qu’elles prennent des décisions éclairées ainsi qu’à collaborer avec eux à la recherche de solutions (Dunst et Paget, 1991 ; Butz et al., 2007). Les parents ne sont pas seulement en position de receveur d’information (D'Haem et Griswold, 2016, dans Dodge, 2018) ; ils ont leur mot à dire et participent pleinement à la prise de décision. Cette participation semble par ailleurs renforcer leur sentiment de pouvoir dans le processus d’élaboration et de mise en œuvre des services. Comme le souligne Breton (1999), nous constatons l’importance de soutenir les personnes concernées dans le choix des actions qui leur conviennent et de s’assurer qu’elles aient le « dernier mot ». Soutenir le pouvoir de décider des parents est essentiel, même si les décisions prises confrontent la vision des professionnels. Le soutien à l’autonomie implique donc un certain « laisser-aller » (Gutièrrez et al., 1995). Cette posture s’oppose au paternalisme qui consiste à croire qu’en raison de ses connaissances ou de son statut, l’intervenant sait mieux ce dont les personnes ont besoin et a le droit ou la responsabilité de décider pour elles (Breton, 1999 ; Butz et al., 2007).

80Or, qu’en est-il de la prise de décision autonome de parents en difficulté et dont l’enfant est reconnu en besoin de protection ? Plusieurs parents rencontrés dans le cadre de notre étude étaient dans cette situation et nos constats sont similaires à ceux de Haren et Fiedler (2008) qui mentionnent que dans la mesure où la décision des parents n'entrave pas les intérêts de l'enfant, il est préférable que les professionnels accueillent la décision des familles et promeuvent leur autodétermination et leur empowerment. Or, dans certains cas, il peut s’avérer nécessaire que les professionnels et les parents négocient la décision en raison de contraintes structurelles qui restreignent le pouvoir d’agir des uns ou des autres. Il peut s’agir par exemple, des mesures légales qui encadrent l’exercice de droits parentaux ou encore des possibilités de services restreintes qui limitent le pouvoir des professionnels et organisations de répondre tout à fait à la volonté des personnes. Ainsi, bien que l’approche d’empowerment promeuve l’autodétermination et la prise de décision autonome des personnes, l’étude de Lemay (2005) a montré que contrairement à un certain discours idéologique prévalant sur l’empowerment, un rapport asymétrique (non égalitaire) peut, à certaines conditions, être associé à des effets d’empowerment. Ainsi, six conditions essentielles émergent de ces travaux et supportent le développement d’un rapport de partenariat positif du point de vue des parents. Ce rapport : 1) est axé sur le droit à la différence et variable, privilégié, voire unique, ajusté aux besoins de chacun, 2) reconnaît la « normalité » des personnes au-delà de leurs difficultés, 3) est « amical », par son caractère spontané et informel, 4) est réciproque quant au partage du vécu expérientiel de chacun, 5) vise la conscientisation et la prise de décision autonome de la personne en regard des dimensions importantes de sa vie, et 6) peut être asymétrique, s’il est reconnu et consenti comme tel par la personne concernée au regard des conditions du contexte ou de ses besoins. Cette dernière condition, particulièrement, confronte l’idéal du rapport égalitaire et de la prise de décision autonome. Les constats de l’étude de Lemay (2005) rejoignent en partie les nôtres en ce qui a trait à certaines caractéristiques de la relation idéale, mentionnés par les parents : une relation « égale » entre parents et professionnels, « amicale » où chacun se révèle et apporte à l’autre, et « volontaire » ou consentie par les parents et les professionnels.

81Enfin, la recherche de Lemay (2005) montre également que le sentiment de non pouvoir vécu par les mères au sein des rapports collectifs avec les professionnelles émerge lorsque les décisions prises par ces professionnelles sont : 1) unilatérales, sans processus de dialogue avec les mères, ni rationnel connu par ces dernières, 2) imprévisibles et considérées illégitimes, sans prise en compte des droits et obligations de chacune dans le contexte et 3) uniformes, axées sur un traitement pareil pour toutes, justifié au nom de l’égalité.

D’une utopie d’égalité des acteurs à la reconnaissance et la valorisation de la complémentarité

82Il importe de reconnaître que le rapport entre les parents et les professionnels qui leur viennent en aide, revêt un caractère asymétrique, plus ou moins grand, variant en fonction des caractéristiques de ces acteurs et du contexte qui encadre leurs possibilités d’action (Lemay, 2005, 2007). En ce sens, l’exercice du pouvoir des acteurs au sein des rapports d’aide doit considérer les dimensions individuelles en jeu, par exemple, les compétences des acteurs, ainsi que les dimensions structurelles, comme les obligations et droits respectifs de chacun dans un contexte donné (Hindess, 1982).

83L’enjeu consiste donc à reconnaître l’asymétrie des pouvoirs entre parents et professionnels, à tenter de la réduire au maximum et à décider ensemble du rapport parents-professionnels optimal requis pour soutenir la démarche d’autonomisation des parents en ce qui a trait aux décisions qui concernent leur enfant. Cette décision sous-tend une reconnaissance mutuelle des compétences, des droits et des obligations de chacun eu égard aux réponses pour assurer le bien-être des enfants dont la situation est prise en charge par différents professionnels.

84Soutenir le pouvoir de décider et d’agir des parents suppose sans contredit de reconnaître leurs compétences. Nos résultats montrent que le sentiment de contrôle des parents est aussi tributaire de la reconnaissance par les professionnels de la valeur de leur expérience et de leur point de vue. Comme le soulignait un parent, son idée vaut autant dans l’équipe que celle de celui « qui a le diplôme d’intervenant ». Le statut privilégié accordé à la parole des parents sous-tend la reconnaissance de leur savoir expérientiel construit au quotidien et de l’expertise spécifique et unique qu’ils détiennent au sujet de leur enfant. L’importance de reconnaître ces savoirs expérientiels a également été soulevée par nombre d’auteurs (Bouchard et al., 2011). Aux yeux des professionnels, la connaissance fine que les parents détiennent au sujet de leur enfant et de son contexte doit être considérée comme une pièce indispensable du puzzle pour reconstituer la situation du jeune et de sa famille et identifier des moyens et mesures adéquats. En contexte d’ÉIJ, la parole des parents est encouragée, valorisée et privilégiée. De plus, le fait de se voir octroyer des possibilités de participation accrues et plus flexibles que pour les autres partenaires, constitue un des éléments qui contribue à accroître leur sentiment d’être reconnus. Une telle posture de reconnaissance semble ainsi contribuer à améliorer le sentiment de compétence et d’efficacité personnelle des parents et leur expérience en contexte partenarial.

Le rôle-clé d’une personne médiatrice partenariale en soutien aux parents

85Nos résultats portant sur le sentiment de contrôle des parents indiquent l’importance que revêtent les actions des coordonnatrices médiatrices partenariales, d’une part, pour réaffirmer leur place et leur pouvoir décisionnel dans la démarche, et d’autre part, pour susciter leur prise de parole et leur participation active de diverses manières tout au long de la rencontre et de la démarche de PSI. Ce constat s’inscrit tout à fait dans le sens des écrits sur l’empowerment qui mettent de l’avant l’importance que l’intervenant crée des opportunités qui stimulent les personnes à participer activement aux décisions qui affectent leur bien-être (Dunst et al., 1992 ; Franklin et Sloper, 2005 ; Goepel, 2009).

86Dans le contexte des pratiques courantes de démarches de PSI vécues sur le terrain, hors du contexte particulier des ÉIJ, la personne coordonnatrice de la démarche PSI a la responsabilité de s’assurer que le jeune et ses parents demeurent au centre des préoccupations et des décisions qui les concernent (Lemay et collaborateurs, 2020). Or, dans un contexte caractérisé par des complexités multiples, incluant des controverses entre acteurs, ce rôle est d’autant plus important. En tels cas, la présence d’un facilitateur neutre, ici le coordonnateur médiateur partenarial, semble essentiel pour assurer le bon fonctionnement du partenariat. À l’instar d’autres auteurs, Chandler (2017) souligne que la contribution d’un tel facilitateur inclut le soutien à la création de relations positives et de confiance entre des partenaires en situation de tensions ainsi que le développement d’un environnement favorable à l’élaboration de solutions entre les parties. Nombre d’études montre l’importance du développement de cette confiance pour le développement de partenariats (Feng et al., 2010 ; Green et al., 2008 ; Lee et al., 2012). Le fait qu’une personne puisse recentrer la discussion autour de valeurs communes et du jeune et de sa famille, constitue un atout important pour la résolution de problèmes complexes (Chandler, 2017).

Conclusion

87Cet article a permis de rendre compte des résultats d’une étude ayant pour objet l’expérience de partenariat intersectoriel vécue par quinze parents dans le contexte de trois ÉIJ au Québec. Examiner les pratiques partenariales dans un contexte d’exception comme celui des ÉIJ s’est avéré fort pertinent. En effet, l’ÉIJ constitue un espace de partenariat où l’innovation s’impose lorsque le système ne réussit pas à répondre de manière optimale aux besoins des jeunes qui vivent les situations les plus complexes. L’injonction d’innovation où le statu quo n’est pas admissible, conduit à mettre en œuvre les meilleures pratiques en matière de partenariat intersectoriel.

88Plus spécifiquement, l’article révèle l’expérience des parents lors des rencontres formelles de plans de services individualisés (PSI). Cette activité est un moment-clé de la démarche, un mode d’action en partenariat privilégié à l’ÉIJ et qui promeut le pouvoir de décision des jeunes et des parents et leur participation active à toutes les étapes. Les résultats montrent que les retombées de l’expérience rapportée par les parents vont dans le sens des principes promus et de la finalité des ÉIJ. Ainsi, en dépit de quelques appréhensions de départ ou de conditions de contextes moins facilitantes soulevées par des parents, les retombées de l’expérience sont positives du point de vue de tous les parents, en ce qui a trait à leur sentiment de contrôle vécu. Enfin, l’exploration de leur vision du rapport parents-professionnels idéal révèle que du point de vue de tous, cet idéal correspond à l’expérience vécue à l’ÉIJ et que pour plusieurs, l’expérience s’est avérée différente de celle qu’ils ont parfois vécue au cours de leur trajectoire dans le réseau des services d’aide à la jeunesse. Enfin, l’identification des caractéristiques de ce rapport parents-professionnels idéal en contexte intersectoriel, a permis de mettre en lumière une diversité de conditions favorables qui soutiennent tant la satisfaction des parents eu égard au rapport vécu que leur sentiment de contrôle sur les décisions entourant l’offre de services élaborée en réponse aux besoins multiples et complexes de leur enfant.

Quelques pistes sur les plans de la pratique, de la formation et de la recherche

89Dans les milieux de pratique, il importe de réaffirmer l’importance de mettre en place les conditions optimales pour soutenir le pouvoir d’agir des parents et de promouvoir la prise de décision autonome dans tous les contextes qui le permettent. Au regard de la nécessité de prise en compte des compétences et du pouvoir des parents dans un contexte donné, il nous apparaît fort pertinent d’envisager l’exercice du pouvoir des parents au sein des rapports avec les professionnels et en contexte de prise de décision, comme un continuum qui pourrait inclure au premier chef, la prise de décision autonome des parents, puis, la prise de décision négociée ou partagée entre parents et professionnels dans des contextes qui contraignent le pouvoir des uns ou des autres, et enfin, la prise de décision unilatérale du professionnel dans les situations exceptionnelles qui l’exigent.

90Soulignons que devant les décisions professionnelles qui iraient à l’encontre de la volonté et des droits des jeunes et des familles, les différentes professions dans le secteur de la santé et des services sociaux mettent de l’avant la responsabilité sociale du professionnel d’exercer, en lien avec son champ d’expertise, son rôle de défenseur du patient ou de l’usager. Plus spécifiquement, les travailleurs sociaux ayant développé une expertise en matière d’advocacy (défense de droits) ont pour mission d’agir face aux inégalités sociales vécues par les personnes usagères. Or, ces professionnels doivent être encouragés par leur organisation à jouer ce rôle, même lorsque les inégalités se situent au sein des rapports entre les parents et les professionnels ou leur organisation (Lemay, 2007).

91À cet égard, les professionnels et leur organisation respective doivent jeter un regard critique sur les décisions prises au sein des rapports entre parents et professionnels et sur les conséquences non intentionnelles de ces décisions sur le sentiment de pouvoir des jeunes et des parents concernés. L’évaluation des pratiques professionnelles et organisationnelles doit aussi inclure leur point de vue, et également faire partie intégrante des démarches de partenariat intersectoriel. Ainsi la révision du plan de services doit inclure non seulement une évaluation des résultats centrés sur le bien-être de l’enfant concerné mais également une évaluation des processus ou conditions mis en œuvre pour soutenir l’atteinte de tels résultats. Ces conditions incluent la qualité des rapports entre et avec les professionnels eu égard à la prise de pouvoir de jeunes et des parents sur les décisions qui les concernent. Les caractéristiques des contextes intersectoriels doivent aussi être examinées afin que soient mises en place les conditions maximales permettant aux parents et aux jeunes de prendre réellement la parole et toute la place qui leur revient dans les processus de prise de décision.

92Sur le plan de la formation en milieu universitaire ou professionnel, il importe de continuer de soutenir le développement d’une pratique centrée sur la personne, ses proches et la communauté, telle que promue dans plusieurs référentiels de compétences en matière d’interprofessionnalité (CPIS, 2010). Au-delà des discours, il importe de miser sur des démarches de formation expérientielles, réalisées en contexte intersectoriel et privilégiant des moyens pédagogiques permettant de rendre présents les jeunes et les parents concernés, par exemple, via leur témoignage ou la participation de comédiens jeunes ou parents (Lemay et coll., 2020).

93Enfin, sur le plan de la recherche, d’autres travaux doivent permettre de documenter l’expérience des parents dans des contextes de partenariats intersectoriels. Notamment, il serait intéressant de réaliser une étude comparative portant sur le sentiment de contrôle des parents dans des contextes différenciés qui incluent ou non des professionnels des services de protection de la jeunesse, et de montrer à quelles conditions ces contextes favorisent ou non le pouvoir d’agir des parents. Des recherches doivent aussi être menées pour documenter l’expérience vécue par les jeunes. Sur ce plan, des études révèlent que des inégalités de participation sont observées chez certains groupes de jeunes en particulier. Les plus jeunes, ceux ayant un handicap ou faisant partie de groupes marginalisés sont souvent exclus du processus de prise de décision partagée (Franklin et Sloper, 2005). Les professionnels peinent à les reconnaître comme des acteurs capables de s’engager pleinement dans les décisions relatives à leur propre prestation de service. Leur niveau de compréhension est questionné, ainsi que leur capacité à évaluer leur situation et leurs besoins à court ou long terme (Sanders et Mace, 2006, cités dans Van Bijleveld et al., 2015 ; Thomson et al., 2002). Enfin, ces jeunes étant considérés vulnérables et ayant besoin d’être protégés, il semble que de décider à leur place soit une réponse privilégiée par certains professionnels (Van Bijleveld et al., 2015). Dans le contexte particulier des ÉIJ, le point de vue des jeunes sur leur situation est sollicité de différentes manières tout au long de la démarche de PSI. Toutefois, les adolescents sont davantage conviés aux rencontres formelles de PSI que les plus jeunes, dans la mesure où leur situation leur permet. Il serait pertinent dans le cadre de recherches futures de s’intéresser plus particulièrement à la nature de la participation des jeunes dans le cadre de démarches partenariales et aux conditions qui favorisent leur prise de pouvoir dans ce contexte.

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Notes

1 Les deux phases de la recherche provinciale ont été financées par le Conseil de la recherche en sciences humaines (CRSH) du Canada.

2 Selon les milieux, cet intervenant peut être désigné intervenant « pivot », « pivot du réseau » ou « coordonnateur PSII ».

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Pour citer cet article

Référence électronique

Louise Lemay, Élodie Marion, Laurence Tchuindibi et Normand Ricard, « L’expérience de partenariat intersectoriel vécue par des parents de jeunes aux besoins multiples et complexes : pouvoir de décision, sentiment de contrôle et vision d’un rapport parents-professionnels idéal  »Sciences et actions sociales [En ligne], 17 | 2022, mis en ligne le 29 avril 2022, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/sas/2162

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Auteurs

Louise Lemay

Professeure titulaire
Université de Sherbrooke, Faculté des Lettres et sciences humaines
École de travail social
Chercheuse, membre régulier
Institut universitaire de première ligne en santé et services sociaux Centre intégré universitaire de santé et services sociaux (CIUSSS) de l’Estrie-CHUS
louise.lemay@usherbrooke.ca

Articles du même auteur

Élodie Marion

Professeure adjointe
Université de Montréal, Faculté des sciences de l'éducation
Département de psychopédagogie et d'andragogie, Université de Montréal

Articles du même auteur

Laurence Tchuindibi

Candidate au doctorat en sciences de l'éducation, option psychopédagogie
Chargée de cours PPA 3232 - Coopération école-famille, plan d'intervention
Auxiliaire de recherche
Université de Montréal, Faculté des sciences de l'éducation
Département de psychopédagogie et d’andragogie
laurence.edith.tchuindibi@umontreal.ca

Normand Ricard

Chargé de projet - Aire ouverte
normand.ricard.cisssmo16@ssss.gouv.qc.ca

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