1De juridiction fédérale et d’application provinciale, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSJPA) concerne les jeunes âgés de 12 à 17 ans, qui ont commis une infraction au Code criminel ou qui ont enfreint d’autres lois fédérales à caractère pénal (Gouvernement du Québec, 2016). Selon Statistique Canada (2020), le taux de jeunes canadiens ayant commis un délit déclaré aux services policiers s’élevait à 3 220 pour 100 000 habitants en 2019. Les crimes commis par les jeunes et déclarés aux policiers sont des infractions relativement mineures et concernent, le plus souvent, des vols de 5 000 dollars ou moins, des méfaits, des voies de fait simples, la possession de cannabis et des infractions contre l’administration de la justice (Allen et Superle, 2016). Depuis le début des années 2000, des changements législatifs sont venus transformer les pratiques privilégiées pour intervenir auprès des jeunes ayant commis un délit. En effet, depuis la mise en vigueur de la LSJPA, qui a comme principe d’entraver au minimum la liberté des jeunes, une grande majorité des peines sont purgées dans la collectivité. Ainsi, les directeurs provinciaux ont comme objectif d’appliquer la « bonne mesure au bon moment » afin de permettre une meilleure réadaptation et une réinsertion sociale du jeune (Gouvernement du Québec, 2016). En plus du principe de la responsabilité juste et proportionnelle, l’implication parentale est prônée par la LSJPA, qui souligne que les mesures prises à l’égard des adolescents doivent viser à « leur offrir des perspectives positives, compte tenu de leurs besoins et de leur niveau de développement, et, le cas échéant, faire participer leurs père et mère, leur famille étendue, les membres de leur collectivité et certains organismes sociaux ou autres à leur réadaptation et leur réinsertion sociale » (art. 3 1 c) iii). Selon ce cadre législatif, « les père et mère de l’adolescent doivent être informés des mesures prises, ou des procédures intentées, à l’égard de celui-ci et être encouragés à lui offrir leur soutien » (art. 3 a d) iv). Mais comment peut-on définir l’implication parentale et quels sont les retombées et les obstacles qui y sont associés en contexte de délinquance juvénile ?
2Bien que la participation des parents soit prônée dans différentes lois et manuels de référence encadrant les pratiques destinées aux jeunes ayant commis un délit et leurs familles, très peu d’études se sont attardées à définir le concept d’implication parentale dans ce contexte particulier (Burke et al., 2014). Dans leur recension des écrits, Littel et al. (2001) mentionnent d’ailleurs que les études publiées en anglais préfèrent les termes « participation », « engagement », « coopération » et « conformité au traitement » au concept d’implication parentale. Au Québec, deux études ont toutefois permis de mettre en lumière la perception d’intervenants en protection de la jeunesse quant à l’implication parentale (Saint-Jacques et al., 2000 ; Villeneuve et al., 2012). Partant de la définition proposée par Blumenthal et Weinberg (1984), ces études définissent l’implication parentale comme « l’inclusion ou la participation active du père ou de la mère dans les activités, tâches, services et les prises de décision tout au long de l’intervention » (traduit et adapté par Saint-Jacques et al., 2000, p. 81). Au-delà de cette définition et des attentes des intervenants envers les parents impliqués, notamment en ce qui concerne leur reconnaissance des difficultés vécues, leur ouverture et leur transparence (Saint-Jacques et al., 2000 ; Villeneuve et al., 2012), les pratiques visant à accroître la participation des parents à la suite d’un acte de délinquance juvénile demeurent peu documentées (Burke et al., 2014 ; Harvell et al., 2004), et ce, surtout en contexte québécois. Or, ces pratiques s’inscrivent dans un cadre légal particulier, qui influence la participation possible des parents dans le processus de justice et d’intervention.
3Selon Burke et al. (2014), les opportunités d’implication parentale et les retombées qui en découlent se modifient à mesure que les jeunes progressent dans le système de justice aux États-Unis. À la suite d’un délit, les policiers américains seraient plus susceptibles de déjudiciariser le dossier lorsqu’ils jugent que les parents s’impliquent de manière positive, en étant présents et en s’intéressant à la situation de leur jeune (Harvell et al., 2004). Par la suite, des études menées au Canada indiquent que la présence des parents au tribunal aurait un effet sur les procédures judiciaires (Peterson-Badali et Broeking, 2010, 2009 ; Weiler, 2007). Ainsi, lorsque les parents ne se présentent pas au tribunal à la suite d’une arrestation, leur jeune serait plus susceptible d’être placé en détention provisoire jusqu’à sa comparution plutôt que d’être remis en liberté (Peterson-Badali et Broeking, 2010 ; 2004). Pour les jeunes sous une ordonnance de probation aux États-Unis, le fait d’avoir des parents impliqués contribuerait également à diminuer les bris de conditions (Vidal et Woolard, 2016) et le recours aux placements en centre de réadaptation (Schwable et Maschi, 2010). Dans le même sens, des recherches menées aux États-Unis (Akakpo, 2008 ; Schwable et Maschi, 2010) et au Canada (Peterson-Badali et Broeking, 2009) mentionnent que l’implication des parents pendant le traitement et lors du suivi favoriserait la réadaptation et la réinsertion sociale des jeunes, ainsi que la réduction de leur risque de récidive. Lors du placement du jeune en contexte de protection de la jeunesse, une recherche québécoise indique que la collaboration étroite avec les parents permettrait également d’obtenir des changements positifs pouvant se maintenir plus longtemps après le retour des jeunes dans leur milieu naturel (Saint-Jacques et al., 2000).
4Même si plusieurs bénéfices sont associés à l’implication des parents dans l’intervention auprès des jeunes ayant commis un délit, des études menées au Canada soulignent que cette implication est parfois passive, voire désengagée (Peterson-Badali et Broeking, 2010, 2004 ; Varma, 2007). Burke et al. (2014) soulignent d’ailleurs que quatre principaux types d’implication parentale peuvent être présents dans les services à l’enfance aux États-Unis. D’abord, dans certains modèles de traitement centrés sur la famille (family-driven care), les parents peuvent se voir attribuer un rôle central dans les services offerts, les objectifs et les stratégies de traitement étant décidés à la lumière de ce qu’ils jugent le plus bénéfique pour leur enfant et leur famille. Dans d’autres cas, l’implication parentale peut être moins centrale et plus ponctuelle, notamment lorsque les parents sont perçus comme des bénéficiaires de services (parents as recipients of services), c’est-à-dire qu’ils participent aux rencontres avec leur jeune et à l’avancement du traitement, ou en tant que prolongateurs de services (parents as service extenders), soit lorsqu’ils ont des tâches à effectuer à la maison afin de renforcer ou de poursuivre l’intervention. Plus rarement, les parents peuvent être perçus comme des défenseurs ou des gestionnaires de services (parents as advocates or services managers), en ce sens que les intervenants peuvent les encourager à jouer un rôle dans la défense des intérêts de leur propre enfant ou d’une population plus large.
5En contexte de délinquance juvénile, certaines initiatives américaines fondées sur la justice réparatrice reconnaissent la participation parentale comme un élément central des interventions et tentent d’impliquer les parents à toutes les étapes du processus en tant que collaborateurs actifs (Mendel, 2010 ; Umbreit, 2000). Toutefois, ces efforts demeurent sporadiques et isolés (Burke et al., 2014 ; Pennell et al., 2011). Selon Schwalbe et Maschi (2010), les parents seraient plus souvent considérés comme des cibles d’intervention plutôt que des partenaires lorsqu’un adolescent commet un délit, ces derniers étant souvent perçus comme ayant un rôle important à jouer dans le développement de la délinquance (Savignac, 2009) et la récidive (Cottle et al., 2001 ; Hoeve et al., 2007 ; Trotter, 2012). En effet, de nombreux chercheurs ont associé la délinquance juvénile aux caractéristiques, aux attitudes et aux comportements des parents, que ce soit en lien avec des difficultés d’attachement parent-enfant (Doman, 2016), des problèmes de surveillance et d’encadrement (Laird et al., 2003) ou un style parental autoritaire (Brasher, 2010 ; Bronte-Tinkew et al., 2006). À l’inverse, le risque de délinquance serait considérablement plus faible chez les adolescents lorsque leurs parents adoptent des pratiques parentales positives, caractérisées par du soutien et de la proximité, la constance de la discipline, ainsi qu’une supervision adéquate (Bronte-Tinkew et al., 2006 ; Capaldi et al., 2008 ; Ouellet et Hodgins, 2014 ; Savignac, 2009). Par conséquent, les interventions familiales en contexte de délinquance juvénile considèrent généralement les parents comme des cibles d’intervention, en visant à accroître leurs habiletés de supervision, tout en renforçant leurs compétences parentales et la cohésion familiale (Gordon et al., 1995 ; Henggeler et al., 2006 ; Mulford et Redding, 2008).
6Certains travaux menés en France et au Québec questionnent toutefois la responsabilisation accrue des familles en contexte de délinquance juvénile et, plus spécifiquement, la place qu’occupent les parents dans l’extension du filet pénal dans la communauté. Selon Wacquant (1999, 2010), la réhabilitation des jeunes serait désormais remplacée par une logique de régulation des risques qu’ils présentent. Dans ce contexte, les parents deviendraient des « auxiliaires du contrôle pénal » et la recherche de leur collaboration viserait à ce qu’ils se transforment en agents actifs du suivi de leurs jeunes, en s’assurant que ces derniers respectent les conditions qui leur sont imposées et qu’ils informent les intervenants en cas de manquement (Lenzi et al., 2020 ; Sallée et al., 2020). Ainsi, les intervenants considèrent que la famille collabore lorsqu’elle agit conformément aux mesures, tout en soutenant l’intervention, « atténuant la distance entre l’univers domestique et les actrices et acteurs du champ pénal » (Sallée et al., 2020, p. 86).
7Bien que l’implication des parents dans l’intervention soit associée à de nombreux avantages, elle peut susciter de l’ambivalence en contexte de délinquance juvénile (Burke et al., 2014). En effet, différents facteurs liés aux parents, aux intervenants et au contexte d’intervention peuvent faire obstacles à l’implication parentale.
8D’une part, des études menées au Canada indiquent que certaines situations familiales seraient difficilement conciliables avec l’implication des parents à la suite d’un délit commis par leur adolescent, notamment lors de conflits importants ou de violence intrafamiliale (Broeking et Peterson-Badali, 2010 ; Peterson-Badali et Broeking, 2010 ; Weiler, 2007). La participation plus limitée des parents en contexte de délinquance juvénile serait aussi attribuable à des barrières socioéconomiques, les parents plus démunis financièrement pouvant plus difficilement s’absenter de leur travail pour assister aux procédures judiciaires et offrir du soutien à leur jeune (Broeking et Peterson-Badali, 2010 ; Davies et Davidson, 2001 ; Woolard et al., 2008). Dans certains cas, les parents ne comprendraient par leur rôle et les objectifs du processus de justice, ce qui limiterait leur implication (Broeking et Peterson-Badali, 2010 ; Weiler, 2007). Les parents peuvent également se sentir injustement blâmés ou jugés pour les comportements délinquants de leur adolescent, ce qui influencerait leur capacité d’engagement dans l’intervention (Brank Burke et al., 2014 ; Mulvey, 2010). Ce sentiment serait particulièrement présent lorsqu’ils estiment ne pas avoir reçu de services adéquats plus tôt pour venir en aide à leur enfant ou qu’ils se sentent épuisés et mis en échec en raison de l’accumulation des comportements problématiques chez leur jeune (Burke et al., 2014). Lorsque les parents estiment n’avoir aucun contrôle sur les comportements de leur jeune, notamment lorsque ce dernier a été expulsé de l’école, Vidal et Woolard (2016) mentionnent d’ailleurs qu’ils s’en remettraient plus facilement aux intervenants et s’impliqueraient moins dans les mesures de probation. Hillian et Reitsma-Street (2003) soulignent aussi que les parents peuvent se sentir exclus des décisions importantes qui concernent leur jeune et peu soutenus dans le processus d’intervention, ce qui ferait obstacle à leur participation.
9De leur côté, les intervenants limiteraient l’implication des parents lorsqu’ils estiment que leur présence est inutile, voire nuisible au processus d’intervention. À cet égard, Sallée et al. (2020) mentionnent que les parents peuvent être qualifiés de « récalcitrants » par les intervenants lorsqu’ils résistent à jouer le rôle qui est attendu d’eux, protégeant le jeune et l’espace domestique contre l’intrusion d’agents du contrôle pénal. C’est le cas, notamment, lorsque les parents ne semblent pas réceptifs à l’aide proposée, qu’ils collaborent peu et que leurs agissements affectent négativement leur jeune (Schwable et Maschi, 2010). Par exemple, lorsque les parents adoptent des conduites délinquantes ou qu’ils font une consommation abusive d’alcool et de drogues, ils peuvent être perçus par les intervenants comme un modèle néfaste pour leur adolescent (Schwable et Maschi, 2010). Dans le même sens, lorsque les intervenants estiment que les parents sont à blâmer pour les comportements délinquants de leur jeune, ils auraient moins tendance à les impliquer dans l’intervention (Hillian et Reitsma-Street, 2003 ; Schaffner, 1996 ; Schwable et Maschi, 2010 ; Varma, 2007). Les familles d’origine étrangère ou provenant de quartiers défavorisés seraient aussi moins bien perçues par les intervenants, qui entretiendraient des croyances négatives quant à leur implication dans l’intervention (Schwable et Maschi, 2010 ; Smith et al., 2009). De plus, les intervenants qui adoptent une orientation punitive à l’égard des jeunes établiraient moins de contacts avec les parents et ces derniers seraient plus méfiants et résistants à s’impliquer dans la démarche d’intervention (Schwalbe et Maschi, 2010).
10Finalement, certaines caractéristiques du système de justice pour les adolescents influenceraient les pratiques d’implication parentale. Bien que l’importance d’impliquer les parents dans l’intervention soit reconnue dans la LSJPA, son intention première demeure la responsabilisation de l’adolescent ayant commis l’infraction et la protection de la société (Ministère de la Justice du Canada, 2013). Dans l’intervention en contexte de délinquance juvénile, les adolescents et leurs parents reçoivent des services en raison d’un acte spécifique pour lequel la responsabilisation du jeune est souhaitée (Burke et al., 2014). Le délit posé par l’adolescent est généralement considéré comme une occasion de l’aider à traverser une erreur de parcours et, par le fait même, la participation attendue des parents est ponctuelle et elle vise à ce qu’ils exercent une surveillance accrue de leur jeune, tout en s’engageant dans les services offerts. Ainsi, seuls les cas graves ou chroniques impliqueraient un travail à long terme avec le jeune et sa famille (Burke et al., 2014). En outre, en contexte de protection de la jeunesse, Saint-Jacques et al. (2000) mentionnent que certains facteurs organisationnels peuvent nuire à l’implication parentale, notamment en ce qui concerne la surcharge de travail imposée aux intervenants, la rigidité des normes et des processus d’intervention, ainsi que le grand roulement de personnel.
11Contrairement à la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) qui en fait une priorité, l’implication des parents est parfois difficile à mettre en application en contexte de délinquance juvénile, en raison de ces obstacles, mais aussi du manque de directives claires de la part du législateur en ce qui concerne le rôle des parents et la façon dont ils devraient être impliqués tout au long du processus d’intervention (Peterson-Badali et Broeking, 2010, 2009). D’ailleurs, Burke et al. (2014) soulignent qu’il n’existe pas encore de conceptualisation claire de l’implication parentale en contexte de délinquance juvénile. Ainsi, les différents acteurs du système de justice pénale pour les adolescents interprètent l’implication des parents de manières diverses. Alors que certains sont d’avis que les parents doivent être impliqués à toutes les étapes du processus, d’autres estiment plutôt que leur participation se limite à des moments précis, notamment lors des audiences (Peterson-Badali et Broeking, 2009). Par conséquent, la participation des familles et leur inclusion dans le processus d’intervention semblent conditionnelles aux attitudes et aux croyances des intervenants (Akakpo, 2008). Dans un tel contexte, plusieurs questions se posent. Comment les intervenants sociaux offrant des services en vertu de la LSJPA perçoivent-ils l’implication des parents et ses retombées dans le processus d’intervention ? Quels sont les facteurs qui, selon eux, font obstacle à cette implication ? Le présent article s’inscrit dans ces questionnements et vise à documenter le point de vue d’intervenants offrant des services en vertu de la LSJPA sur l’implication des parents à la suite d’un acte délinquant posé par leur jeune. Plus spécifiquement, il a pour objectifs de documenter les retombées de l’implication des parents dans les interventions réalisées en vertu de la LSJPA et d’identifier les obstacles et les éléments favorables à cette implication. Encore peu approfondi dans les études menées en contexte de délinquance juvénile, le thème de l’implication parentale apparaît particulièrement pertinent à documenter dans les pratiques des intervenants au Québec, où l’application de la législation entourant la délinquance juvénile se distingue des autres pays, voire des autres provinces.
12Une recherche qualitative de type exploratoire-descriptive a été privilégiée afin de décrire le point de vue des intervenants sociaux offrant des services en vertu de la LSJPA sur l’implication parentale en contexte de délinquance juvénile. La population visée par l’étude est constituée d’intervenants sociaux œuvrant dans une région éloignée du Québec, ainsi que ceux de deux organismes communautaires Équijustice. Pour participer à l’étude, ces derniers devaient œuvrer auprès de jeunes en vertu de la LSJPA. La technique d’échantillonnage de volontaires a été privilégiée dans le cadre de cette recherche.
13Pour recueillir le portrait des participants et décrire leurs caractéristiques, un questionnaire sociodémographique a été distribué en début de rencontre afin de connaître leur sexe, leur âge, leur statut professionnel et leurs années d’expérience auprès des jeunes et dans leur poste actuel. Par la suite, l’entrevue semi-structurée a permis d’accéder à l’expérience des participants avec un certain degré de profondeur, tout en gardant une liberté devant l’émergence de thèmes importants (Quivy et Campenhoudt, 2006). Le guide d’entrevue a permis d’aborder différents thèmes visant à décrire les stratégies mises de l’avant par les intervenants pour impliquer les parents dans les interventions, les retombées perçues de cette implication, ainsi que les obstacles et les éléments favorables à celle-ci.
14Au total, neuf entrevues ont été réalisées avec des intervenants sociaux œuvrant dans une région éloignée du Québec, soit sept femmes et deux hommes. Ces répondants étaient employés au sein d’un organisme communautaire de justice alternative (n=4), ou encore d’un centre intégré universitaire de santé et de services sociaux - CIUSSS (n=5). L’âge des participants variait de 23 à 56 ans, pour une moyenne de 37 ans. À l’exception d’un répondant qui travaillait à temps partiel, les personnes interrogées occupaient un emploi à temps plein en tant qu’intervenantes dans la communauté dans le cadre de sanctions extrajudiciaires, de déléguées à la jeunesse (n=4), ou d’éducatrice spécialisée en milieu fermé. Elles avaient complété des études collégiales (n=2) ou universitaires (n=7) et comptaient majoritairement (n=6) plus de 10 ans d’expérience en intervention. Ces informations sont résumées dans le tableau 1.
Tableau 1
Caractéristiques sociodémographiques et professionnelles des participants
|
Caractéristiques des participants
|
Équijustice
|
CIUSSS
|
Total
|
|
Genre :
|
1
3
|
1
4
|
2
7
|
|
|
Homme
|
|
|
Femme
|
|
|
Âge :
|
3
-
1
-
|
1
1
1
2
|
4
1
2
2
|
|
|
Entre 20-29 ans
|
|
|
Entre 30-39 ans
|
|
|
Entre 40-49 ans
|
|
|
Entre 50-59 ans
|
|
|
Titre professionnel :
|
-
-
5
|
4
1
-
|
4
1
5
|
|
Délégué à la jeunesse
|
|
Éducateur spécialisé
|
|
Intervenant dans la communauté
|
|
Statut d’emploi :
|
4
-
|
4
1
|
8
1
|
|
Temps plein
|
|
Temps partiel
|
|
Niveau de scolarité complété :
|
2
1
-
|
-
5
1
|
2
6
1
|
|
Diplômes d’études collégiales
|
|
Baccalauréat
Maîtrise
|
|
Nombre d’années d’expérience :
|
1
1
2
|
-
1
4
|
1
2
6
|
|
Moins de 2 ans
|
|
Entre 2 et 6 ans
|
|
Plus de 10 ans
|
15L’analyse des données a ensuite été réalisée tout en respectant les étapes de l’analyse de contenu de Mayer et Deslauriers (2000). Ainsi, plusieurs lectures des documents constituant la préanalyse, ont permis de s’imprégner des informations recueillies. Ensuite, une classification des données a été effectuée d’après les différents thèmes et sous-thèmes abordés dans le guide d’entrevue. Des thèmes récurrents dans les entrevues, ne se retrouvant pas dans le guide, ont également été ajoutés à des fins d’analyse. Finalement, l’analyse et l’interprétation des résultats ont permis la confirmation des informations significatives dans les catégories appropriées (Mayer et Deslauriers, 2000). L’analyse qualitative des thèmes et des sous-thèmes a pu mettre en évidence les similarités, les convergences et les particularités en fonction de l’organisme d’appartenance des intervenants. Bien que l’étude ne soit pas de nature comparative, certaines différences dans le discours des répondants ont rapidement été identifiées lors des analyses, en raison de leurs rôles distincts dans l’application de la LSJPA. Ce constat a amené l’équipe de recherche à tenir compte de l’organisme d’appartenance dans l’analyse du discours des répondants. Un pseudonyme a été attribué à chaque participant afin de préserver la confidentialité des données recueillies.
16Dans leur discours, les intervenants se sont exprimés sur la place qu’ils accordent aux parents dans les services qu’ils dispensent en vertu de la LSJPA. Dans la plupart des situations, cette implication est jugée positivement et elle est encouragée par les participants. Bien qu’ils aient le mandat de travailler plus spécifiquement avec les jeunes ayant commis un délit, tous les répondants (n=9) perçoivent les parents comme des acteurs qui facilitent l’intervention. Ils sont d’avis que c’est avec l’appui des parents et leur implication dans la recherche de solutions, que des changements positifs peuvent se produire. De façon générale, les parents sont perçus comme étant très réceptifs à l’aide offerte et ils collaborent bien avec les intervenants, ce qui favorise une meilleure intervention.
- 1 Des prénoms fictifs ont été attribués aux participants dans cet article afin de préserver leur anon (...)
« Je pense que c’est important de les impliquer, même si on travaille plus avec le jeune, il faut quand même les impliquer parce que s’ils se sentent complètement exclus, ça va être difficile. Et c’est sûr que si on a un parent qui est conscient des difficultés et qui est prêt à mettre des choses en place, bien c’est sûr que ça peut être aidant. […] Habituellement, je te dirais que la collaboration est bonne et j’aurais tendance à dire que la plupart des parents prennent ça au sérieux et ne veulent pas que ça se reproduise et vont avoir tendance à appuyer les démarches. Donc, on peut compter sur leur collaboration de façon générale » (Kate1, CIUSSS).
17Plus spécifiquement, certains intervenants (n=4) sont d’avis que l’implication des parents dans l’intervention suscite des prises de conscience chez les parents et l’adolescent. Afin de compléter le suivi de l’intervenant, certains parents sont invités à apporter des changements à leur domicile dans l’encadrement et la discipline de leur jeune. Ces changements peuvent contribuer à assainir les relations sociales de l’adolescent et, par le fait même, diminuer son risque de récidive. Entouré de pairs qui adoptent des comportements pro-sociaux, celui-ci aurait moins de risque de récidiver et se développerait plus positivement. Les intervenants incitent aussi les parents à responsabiliser davantage leur adolescent au quotidien, que ce soit en lien avec des tâches ménagères ou en les accompagnant dans de nouvelles occupations. Ils sont d’avis que les jeunes ont alors la possibilité de développer de nouveaux intérêts et des occupations qui les gardent loin de l’influence négative de certains groupes d’amis.
« Si c’est arrivé en gang, une des conséquences premières que les parents vont souvent donner, c’est “on a fait une coupure, un ménage dans les amisˮ, ou “il n’a plus le droit de voir tel amiˮ ou “il ne peut plus sortir pour une telle période. Il ne peut plus aller au centre d’achats seul avec ses amisˮ. Ça peut faire en sorte que le jeune justement, il va être soit isolé ou qu’il va se refaire de nouveaux amis, qui ne sera pas en contexte de délinquance. […] L’impliquer davantage dans la vie familiale pour le mettre plus responsable, pour l’occuper aussi. Des fois, c’est juste pour l’occuper. Pour ne pas qu’il ait de temps libre à flâner ou à faire d’autres choses qu’il est supposé de faire. Le mettre actif, effectivement » (Lucie, Équijustice).
18La supervision et l’encadrement de la part des parents sont également perçus positivement par les répondants (n=7) en raison de l’amélioration de la communication parent-enfant qui en découle. En limitant les sorties de l’adolescent ou en l’accompagnant davantage lors de celles-ci, les parents passent plus de temps avec leur jeune. Ce temps partagé facilite les échanges, tout en contribuant à améliorer la relation. Aux yeux des répondants, le fait que les parents utilisent à la maison les stratégies et les outils qu’ils proposent augmente aussi la réussite de l’intervention et la prévention de la récidive.
« Au niveau de la communication, je dirais qu’il y a de l’évolution aussi dans la plupart des situations, des jeunes qui deviennent plus transparents par rapport à leur consommation, par rapport aux enjeux qu’ils vivent au quotidien. Quand ils ont des inquiétudes, ils communiquent… ils s’ouvrent plus après. Dans beaucoup de mes situations en tout cas j’ai observé ça effectivement » (Maelle, CIUSSS).
« Quand ils ont des conséquences à ce qu’ils font et quand ils ont de l’encadrement, des fois ça les rapproche. Moi j’ai un jeune justement ici qui me nommait que son père l’avait privé de sorties et c’est la fin de semaine qu’il consommait beaucoup et qu’il allait voir ses amis qui n’étaient pas très positifs. Et quand il l’a privé de sorties, il passait plus de temps avec son père, donc ça l’a amélioré la communication. Et il a utilisé des outils qu’on voyait dans le programme aussi. Alors la relation ça peut jouer, parce qu’il y a comme une conséquence, il y a quelque chose qui les a rapprochés : le fait d’avoir plus d’encadrement, de plus l’encadrer, de plus surveiller ses sorties. Ils ont besoin de ça » (Nelly, Équijustice).
19Les stratégies mises en œuvre par les intervenants pour impliquer les parents sont variables en fonction de l’étape du processus d’intervention et du mandat de leur organisme d’appartenance. D’une part, lorsqu’ils rencontrent un jeune pour la première fois, les intervenants du CIUSSS (n=5) ont un rôle bien précis à remplir. Ils doivent expliquer au jeune et à ses parents l’ordonnance du tribunal, ainsi que les informer de leurs droits et des mesures à anticiper si toutefois le jeune ne respecte pas les conditions qui lui sont imposées. Ce rôle implique d’expliquer au jeune et à ses parents le contexte dans lequel ils interviennent, leur rôle, ainsi que la double composante d’aide et de contrôle qui y est inhérente. Lorsqu’un adolescent commet une infraction grave, les intervenants du CIUSSS doivent remplir un rapport pré-décisionnel, incluant une description du système familial et visant à émettre des recommandations au sujet des interventions à privilégier. Cette démarche implique de rencontrer les parents à plusieurs reprises afin d’avoir un portrait exhaustif de la situation du jeune et des facteurs de risque et de protection en présence.
« Je dois leur expliquer que s’ils ne répondent pas à certaines conditions, on peut leur donner des manquements qui vont pouvoir mener à des dénonciations au tribunal si le jeune ne se conforme pas à son ordonnance. Alors il faut quand même expliquer un petit peu le cadre légal au jeune et à ses parents […] Un rapport pré-décisionnel, c’est un petit peu plus consistant je dirais. On va aller pousser un peu plus loin, on va faire des vérifications auprès du milieu scolaire ou auprès de personnes significatives. Alors, les parents on va les voir à plusieurs reprises » (Jenny, CIUSSS).
20Une fois que les parents ont été informés de la situation de leur jeune, les intervenants du CIUSSS insistent beaucoup sur l’importance de responsabiliser l’adolescent. Ils vont alors concentrer leurs interventions sur le jeune, tout en considérant le point de vue des parents dans les mesures à mettre en place et en assurant un suivi auprès de ceux-ci. Ils prennent alors le temps d’accueillir les parents dans ce qu’ils vivent, afin de tenir compte de leurs souffrances et du sentiment d’incompétence parentale qu’ils peuvent éprouver. Pour ce faire, ils adoptent une attitude de non-jugement et font preuve d’empathie.
« Je vais plus transiger avec le jeune, les parents sont là, c’est correct. Je leur dis : “si vous avez des questions, vous m’en posezˮ. Je regarde le jeune, je lui parle à lui. Si les parents interviennent, c’est correct, mais je veux qu’il sache que c’est son ordonnance à lui et non pas l’ordonnance de ses parents. […] Si la mère a les yeux dans l’eau, je vais arrêter et je vais dire… “vous trouvez ça dur hein?ˮ. Ça ne donne rien de laisser passer ces émotions-là, c’est pire encore. Alors, je prends le moment, je prends le temps. […] Quand on finit l’entrevue, ils me disent : “Merci, on est content et on a eu réponses à nos questionsˮ. Ce sont des êtres humains tout comme moi et je suis qui moi pour commencer à leur taper sur la tête ? » (Andy, CIUSSS).
« Le suivi se fait plus auprès des jeunes parce que le but aussi c’est de les responsabiliser par rapport à ce qu’ils ont fait, mais les parents ne sont quand même pas à l’écart, ils sont quand même intégrés dans le processus. […] Si j’ai une sanction et que le jeune dit : “oui je vais la faireˮ, mais les parents ils ont des gros yeux et ils trouvent que ça n’a pas de bon sens, c’est sûr qu’on va les écouter et qu’on va moduler. Quand les parents sont informés, impliqués… c’est sûr que tout au long de l’intervention, on va aller chercher leurs perceptions, leurs idées » (Maelle, CIUSSS).
21Dans l’exercice de leur rôle, les intervenants d’Équijustice impliquent les parents surtout lors de la prise de contact, afin de les informer de la sanction extrajudiciaire que doit effectuer leur adolescent et de définir plus précisément leur rôle auprès de ce dernier. Par la suite, ils discutent avec le jeune de la mesure de réparation à privilégier, tout en prenant en compte l’opinion des parents et de la victime. Lorsque la mesure extrajudiciaire privilégiée concerne un don ou des travaux communautaires, ils invitent l’adolescent à choisir un organisme qui lui tient à cœur ou qui est lié au délit perpétré afin de donner une signification à son geste réparateur. Les intervenants fixent ensuite une rencontre d’intégration avec l’organisme d’accueil et assurent le suivi avec celui-ci jusqu’à la réalisation complète de la mesure. Une fois la sanction extrajudiciaire complétée, ils rédigent un rapport, qui est ensuite acheminé à l’intervenant du CIUSSS responsable du dossier.
« On accueille le jeune et son parent, on recueille des informations. Notre mandat nous autres, c’est vraiment à court terme, puis c’est ponctuel aussi. On reçoit le dossier, il y a ça à faire. Quand c’est fini, c’est fini […] Si le parent ne nous interpelle pas, notre mandat n’est pas d’aller voir la dynamique familiale. Il y a d’autres milieux pour ça. Mais notre mandat à nous, c’est vraiment l’application de la mesure. On n’ira pas s’immiscer dans le fonctionnement de leur famille. Ce que je fais principalement, on accompagne les jeunes qui ont commis un délit, qui doivent faire une mesure de réparation. On accompagne les jeunes dans leurs mesures. On est vraiment en soutien, en support » (Lucie, Équijustice).
22Peu importe l’organisme dans lequel ils œuvrent, les intervenants (n=9) s’entendent pour dire qu’ils impliquent davantage les parents dans l’intervention lorsque le jeune ne collabore pas aux mesures qui lui sont proposées. Les intervenants font alors appel aux parents afin que ceux-ci motivent leur adolescent à se conformer à l’intervention ou qu’ils renforcent la discipline ou l’encadrement à la maison.
« Souvent, je vais rencontrer le jeune tout seul en ayant mis la table et je vais faire des suivis aux parents, où est-ce qu’on en est rendu, comment ça se passe. Et si ça ne se passe pas bien, je n’attendrai pas que ça ne se passe vraiment pas bien pour leur dire… On se rassoit et les parents sont toujours mis au courant de ça pour qu’ils réactivent un peu la motivation. […] Et quand on refait le PI et qu’on le révise, nécessairement les parents sont là, en tout cas on le demande » (Andy, CIUSSS).
« La discipline se resserre souvent. C’est quand même un moment important. Je pense que c’est à ce moment-là que le parent a de l’emprise. Le parent fait comme : “si tu ne veux pas te ramasser au Centre jeunesse, tu as besoin de t’atteler jusqu’à la fin de ta mesure, d’aller à l’école, de te trouver un job, de faire tes travaux bénévolesˮ. Je pense qu’ils peuvent s’en servir comme levier » (Zac, Équijustice).
23Bien que les intervenants s’attendent des parents qu’ils soutiennent et qu’ils accompagnent leur jeune dans le processus d’intervention, ils sont tous (n=9) d’avis que cette implication peut soulever des défis importants dans certaines situations. Par exemple, les intervenants (n=7) affirment que certains parents ont tendance à déresponsabiliser l’adolescent pour ses mauvaises actions, allant même jusqu’à compléter les mesures à sa place. Dans ce contexte, les intervenants doivent parfois recadrer les comportements et les attitudes de certains parents, pour favoriser la responsabilisation du jeune et le laisser faire ses propres choix.
« C’est de les amener à responsabiliser leur garçon et d’arrêter de faire à sa place. Parce qu’il y en a beaucoup là-dedans qui font à leur place. Un moment donné il y en a un qui me demandait si ce n’est pas lui qui viendrait faire le suivi à la place du jeune. Ils culpabilisent ou ils veulent que ça marche. Je lui dis aussi au père ou à la mère : “je suis comme vous, je veux que ça marche, le problème ce n’est pas vous et moi, c’est le petit gars en avant de nous autres, lui aussi il faut qu’il veuille. C’est lui qui a des comptes à rendre, ce n’est pas vous qui êtes en probationˮ » (Rock, CIUSSS).
« Il y a même des fois des parents qui ont été faire leurs travaux à la place de leur jeune. Il a fallu intervenir à ce moment-là. “Vous ne pouvez pas aller faire les travaux à sa place, c’est à lui de le faire, c’est sa mesure, ça ne comptera pas dans ses heuresˮ » (Nelly, Équijustice).
24De plus, selon certains intervenants (n=5), les parents peuvent parfois banaliser le délit de leur jeune, voire le déresponsabiliser de ses comportements. Ils sont d’avis que ces attitudes peuvent discréditer l’intervention et les mesures qu’ils tentent de mettre en place. Quand ils sont confrontés à ce genre de situation, les répondants doivent intervenir afin de recadrer la vision du parent, qui aura une grande influence dans l’intervention et la façon dont le jeune va se conformer ou non aux mesures proposées.
« C’est difficile parce qu’ils vont avoir tendance à surprotéger leur enfant et ça n’aide pas à ce que l’ado se responsabilise. C’est quelque chose qu’on peut travailler avec le parent en lui expliquant qu’en tenant ce discours-là, ça nuit, l’enfant il n’avance pas, il va avoir tendance à se déresponsabiliser. Alors, il faut peut-être recadrer, essayer de leur faire voir que ce n’est pas aidant cette attitude-là, mais des fois ça ne marche pas, parce qu’ils vont quand même continuer de penser ça, mais il y en a d’autres qui vont être capables de changer leur façon de voir. Alors avec un parent comme ça, il y a peut-être un peu plus de travail à faire » (Jenny, CIUSSS).
« Des parents qui minimisent, c’est dangereux, c’est difficile quand on a un parent qui, devant l’adolescent, minimise l’action qu’il a faite et qui est quasiment plus réfractaire à l’intervention : “voyons donc ! Pourquoi qu’on se retrouve là, c’est bien trop comme conséquenceˮ ! Ça nuit, parce qu’on essaye de responsabiliser le jeune et lui apprendre qu’il y a certaines choses qui ne sont pas acceptées en société et que c’est mieux qu’il l’apprenne maintenant qu’après 18 ans. Ça nuit à l’intervention, parce qu’on est en train de passer un mauvais message au jeune. Et si les parents le disent en rencontre, on s’entend qu’ils le disent à la maison, alors le jeune ça devient sa cassette et c’est dur après défaire ça… » (Maelle, CIUSSS).
25Dans le même sens, certains intervenants (n=5) mentionnent que peu importe l’énergie qu’ils accordent à leurs dossiers, il y a des parents qui n’adhèrent pas aux changements et qui restent ancrés dans de mauvaises habitudes, en influençant leur jeune dans cette voie. Par exemple, certains parents sont eux-mêmes criminalisés ou prônent des valeurs déviantes au sein de leur famille. Selon les intervenants, la délinquance a tendance à se cristalliser chez les jeunes de ces familles qualifiées de « récalcitrantes ». Lorsqu’ils sont confrontés à de telles résistances chez les parents, les intervenants jugent parfois qu’il est préférable de ne pas les impliquer dans l’intervention.
« Il y a des situations que ça ne change pas, le système familial il est comme ça, il est cristallisé et il n’y a pas de changement; nous on essaye de travailler des petits bouts avec l’ado, mais de toutes façons chez eux… Des parents qui ont des valeurs délinquantes » (Véro, CIUSSS).
26Deux répondants mentionnent, quant à eux, que certains parents sont épuisés des comportements inadéquats et répétitifs de leur jeune. Ces derniers ont perdu espoir en la capacité de changement de leur jeune et peuvent avoir tendance à se désinvestir de leurs responsabilités parentales. Dans ce contexte, ils peuvent se sentir soulagés de constater que des interventions sont faites pour accompagner leur adolescent et se retirer du processus.
« S’il ne croit pas en son jeune, le jeune il n’y croira pas non plus. Les parents ne voudront plus nécessairement donner des efforts là-dedans, parce que c’est rendu le deuxième, troisième délit et là ils sont comme moins impliqués un peu. […] Il est trop fâché, désillusionné ou dans la réaction de ce que le jeune a fait, ça peut nuire à l’implication » (Nelly, Équijustice).
27Les résultats de la présente recherche, menée auprès d’intervenants sociaux œuvrant en contexte de délinquance juvénile, soulignent que ces derniers jugent positivement l’implication des parents dans les services qu’ils dispensent. Ainsi, conformément à ce qui a été observé dans d’autres études américaines et canadiennes (Akakpo, 2008 ; Peterson-Badali et Broeking, 2009 ; Schwable et Maschi, 2010), l’implication des parents dans l’intervention est associée à de nombreux avantages dans le discours des intervenants, notamment en lien avec la réadaptation et la réinsertion sociale des jeunes ayant commis un délit, de même que la réduction de leur risque de récidive.
28Bien que l’implication parentale soit importante pour les répondants de la présente étude, le cadre légal dans lequel ils interviennent influence la participation possible des parents au processus d’intervention. En effet, l’intention première de la LSJPA demeure la responsabilisation de l’adolescent ayant commis l’infraction (Ministère de la Justice du Canada, 2013) et ce principe est central dans le discours des intervenants. Ainsi, tout comme Burke et al. (2014) le mentionnent aux États-Unis, les adolescents et leurs parents reçoivent des services en raison d’un acte spécifique pour lequel la responsabilisation du jeune est souhaitée. Dans ce contexte, l’implication des parents est variable, selon le risque de récidive attribué aux jeunes.
29Dans certains cas où le jeune présente un risque de récidive moindre, l’implication des parents est donc plus ponctuelle, ces derniers étant davantage perçus comme des « bénéficiaires de services » ou encore des « prolongateurs de services » (Burke et al., 2014). D’une part, le rôle de « bénéficiaires de services » ressort clairement du discours des intervenants interrogés, en ce sens que ceux-ci insistent sur l’importance d’informer les parents sur la situation de leur jeune et du cadre légal balisant les mesures, et ce, tant lors de la prise de contact que pendant le suivi. Certains intervenants mentionnent aussi leur ouverture à écouter les parents, en adoptant une attitude teintée de non-jugement et d’empathie. Bien que ces étapes soient importantes et bienveillantes, l’implication qui en découle pour le parent semble plus passive, à l’instar de ce qui est noté dans d’autres études canadiennes sur la question (Peterson-Badali et Broeking, 2010 ; 2004 ; Varma, 2007). D’autre part, les intervenants semblent associer aux parents un rôle de « prolongateurs de services » dans certains contextes, alors qu’ils leur proposent des tâches ou des pratiques parentales à mettre en œuvre au domicile familial afin de renforcer ou de poursuivre l’intervention. C’est le cas, par exemple, lorsque les intervenants conseillent aux parents de donner plus de responsabilités à leur adolescent ou de resserrer la supervision de leurs activités et de leurs fréquentations. Le renforcement de ces habiletés parentales constitue d’ailleurs une cible d’intervention dans différents programmes de traitement qui intègrent la famille en contexte de délinquance juvénile (Gordon et al., 1995 ; Henggeler et al., 2006 ; Mulford et Redding, 2008). Cette tendance a également été observée par des études récentes menées au Québec (Lenzi et al., 2020 ; Sallée et al., 2020), qui soulignent que les parents sont de plus en plus amenés à devenir des agents actifs du suivi de leurs jeunes, en s’assurant que ces derniers respectent les conditions qui leur sont imposées, voire en informant les intervenants en cas de manquement.
30Malgré les retombées associées à l’implication parentale, cette dernière suscite parfois de l’ambivalence chez les intervenants en contexte de délinquance juvénile (Burke et al., 2014). Dans la présente recherche, certains obstacles à l’implication parentale ont été identifiés par les répondants. Tout comme le soulignent Vidal et Woolard (2016), les participants à l’étude sont d’avis que les parents tendent à se désinvestir de leurs responsabilités parentales lorsque le jeune a eu par le passé différents problèmes et qu’ils estiment avoir peu de contrôle sur ses comportements.
31À l’instar de l’étude de Schwable et Maschi (2010), menée aux États-Unis en contexte de délinquance juvénile, les participants ont mentionné que la présence des parents pouvait être inutile ou même nuisible dans certaines situations, notamment lorsque ceux-ci ont une mauvaise influence sur leur jeune, en raison de leurs propres comportements déviants. Ce constat est également rapporté dans d’autres recherches menées au Canada et aux États-Unis, qui soulignent que les intervenants ont moins tendance à impliquer les parents dans l’intervention lorsqu’ils perçoivent qu’ils sont à blâmer dans les délits commis par leur adolescent (Hillian et Reitsma-Street, 2003 ; Schaffner, 1996 ; Schwable et Maschi, 2010 ; Varma, 2007). De plus, les répondants ont mentionné qu’ils avaient moins tendance à impliquer les parents qui remettent en question ou minimisent le rôle de leur jeune dans la perpétration de l’acte délinquant, tout en s’opposant aux mesures proposées par les intervenants. Ainsi, ils adopteraient moins une posture visant à encourager les parents à défendre les intérêts de leur enfant, ce que Burke et al. (2014) qualifient de rôle de « défenseurs ou de gestionnaires de services ». Or, certains auteurs soulignent que les résistances des parents peuvent constituer un indice de leur engagement dans l’intervention en protection de la jeunesse (Lacroix et al., 2015) et constituer un signe d’une plus grande implication dans le suivi du jeune (Fiacre, 2007). Cette résistance peut aussi s’expliquer par le fait que les services en protection de la jeunesse sont souvent pensés par des intervenants dont le cadre de référence diffère de celui des familles (Lafantaisie et al., 2013). Cette distance sociale peut engendrer de la méfiance chez les parents, qui peuvent craindre d’adhérer à un processus d’intervention dans lequel ils ont le sentiment d’avoir peu de pouvoir et de contrôle (Lacharité, 2015). Bien que ces études aient été menées en contexte de protection de la jeunesse, elles proposent des pistes intéressantes à approfondir dans les recherches menées sur les interventions dispensées en vertu de la LSJPA. Des travaux menés en France et au Québec questionnent d’ailleurs la responsabilisation accrue des familles en contexte de délinquance juvénile et la place des parents dans l’extension du filet pénal dans la communauté (Wacquant, 1999, 2010). Dans un tel contexte, la résistance des parents à jouer le rôle que les intervenants attendent d’eux pourrait s’expliquer par le besoin de protéger le jeune et leur famille de l’intrusion d’agents du contrôle pénal (Sallée et al., 2020).
32Les résultats de cette étude révèlent aussi des différences dans le discours des intervenants en fonction de leur organisme d’appartenance. Alors que les intervenants du CIUSSS impliquent généralement les parents de façon continue pendant le processus d’intervention, ceux œuvrant à Équijustice le font souvent de façon plus ponctuelle, principalement lors de la prise de contact. Ce constat n’est pas étonnant puisque ces derniers interviennent davantage auprès de jeunes qui ont commis des infractions mineures, qui présentent un risque de récidive moins élevé et qui collaborent davantage aux mesures proposées. Dans ce contexte, le délit posé par l’adolescent est davantage perçu comme une erreur de parcours et l’implication des parents est jugée moins centrale, puisque les jeunes collaborent relativement bien. De leur côté, les intervenants des CIUSSS sont plus souvent confrontés à des cas jugés plus graves ou complexes, impliquant des jeunes qui peuvent afficher des résistances à l’idée de changer leurs comportements. À ce sujet, nos résultats s’accordent avec les propos de Burke et al. (2014), qui mentionnent que seuls les cas graves et chroniques impliqueraient un travail à long terme avec le jeune et sa famille en matière de délinquance juvénile. Ce constat converge également avec le principe risque-besoin-réceptivité (Andrews et al., 1990) en matière de délinquance, qui postule que des efforts d’intervention plus intensifs doivent être faits auprès des contrevenants qui présentent un risque de récidive élevé, comparativement à ceux dont le risque apparaît faible.
33Cet article avait pour but de documenter le point de vue d’intervenants sociaux offrant des services en vertu de la LSJPA sur l’implication des parents à la suite d’un délit commis par leur jeune. Il présente les résultats d’une étude qualitative permettant d’alimenter les recherches futures sur le sujet, tout en donnant des pistes intéressantes afin d’améliorer les interventions destinées aux jeunes et aux parents en contexte de délinquance juvénile. Bien qu’elle contribue à mieux comprendre l’implication parentale dans les services dispensés en vertu de la LSJPA au Québec, cette étude présente des limites importantes à considérer dans l’interprétation des résultats. Effectivement, les intervenants interrogés provenaient de deux types d’organismes, soit un CIUSSS et des organismes de justice alternative, de sorte que leurs mandats face à la délinquance juvénile et l’implication parentale étaient parfois différents. Bien que le fait de s’intéresser à divers types d’intervenants ajoute de la richesse au matériel recueilli dans le cadre de cette étude, il ne permet pas de documenter en profondeur la réalité des intervenants d’un milieu spécifique. En outre, le petit nombre de répondants ne permet pas de comparer pleinement les points de vue exprimés en fonction de l’organisme d’appartenance. Un plus grand échantillon aurait pu permettre d’analyser l’influence de la peine imposée sur la tendance des intervenants à impliquer ou non les parents dans l’intervention. En d’autres termes, il serait pertinent de mener une étude plus vaste afin de voir si l’implication parentale est prescrite par les mesures privilégiées pour intervenir auprès des jeunes ou si les intervenants ont d’emblée la préoccupation d’impliquer les parents dans l’intervention. Au-delà de l’organisme d’appartenance, la réalisation d’une recherche similaire auprès d’un échantillon plus vaste d’intervenants pourrait permettre de proposer une typologie en fonction du profil des participants et de leur perception de leur rôle, qu’il soit centré sur l’aide et l’accompagnement ou, au contraire, le contrôle et la surveillance.
34Par ailleurs, il est aussi possible de penser que les intervenants qui se sont portés volontaires à participer à l’étude sont susceptibles d’être déjà sensibilisés à l’importance de l’implication des parents en contexte de délinquance juvénile. À cet effet, le sujet de cette étude peut susciter de la désirabilité sociale chez les répondants qui, en raison du discours officiel prônant la collaboration avec le milieu familial, peuvent se sentir dans une position inconfortable s’ils en identifient les aspects moins positifs. En ce sens, certains intervenants peuvent avoir manifesté une certaine réserve à évoquer les obstacles à l’implication parentale provenant d’eux-mêmes ou de l’organisme pour lequel ils travaillent. Pourtant, Saint-Jacques et al. (2000) mentionnent que certains facteurs organisationnels peuvent nuire à l’implication parentale en contexte de protection de la jeunesse, notamment en ce qui concerne la surcharge de travail imposée aux intervenants, la rigidité des normes et des processus d’intervention, ainsi que le grand roulement de personnel.
35Ainsi, les résultats de cette étude suggèrent des perspectives qui pourront être explorées dans le cadre de futures recherches. Tout d’abord, au-delà des caractéristiques individuelles des jeunes et des parents, il serait intéressant de s’interroger sur la responsabilité des organisations dans l’actualisation du discours officiel valorisant la participation des parents. Selon Burke et al. (2014), bien que la philosophie de l’implication parentale soit bien reconnue dans les textes législatifs et les manuels encadrant la pratique aux États-Unis, la mise en œuvre de mesures concrètes et systématiques pour la favoriser demeure limitée à ce jour. Par ailleurs, il serait pertinent de réaliser le même type d’étude auprès de parents dont l’adolescent reçoit des services en vertu de la LSJPA. Ces parents seraient davantage en mesure de décrire leur perception de leur implication dans l’intervention et les obstacles et les résistances qui y sont associés, un thème qui a difficilement pu être approfondi avec les intervenants interrogés dans le cadre de cette étude. L’adaptation des interventions auprès de ces derniers ainsi qu’une augmentation des ressources mises à leur disposition permettraient aux intervenants de mieux comprendre le vécu et les besoins de ces parents dans les différentes sphères de leur vie. Finalement, mieux comprendre les différentes formes d’implication parentale et leurs retombées peut permettre aux intervenants qui œuvrent en matière de délinquance juvénile d’être davantage outillés dans ce contexte.
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