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Introduction

Le mentorat : une nouvelle politique en direction des jeunes vulnérables ?

Aude Kerivel et Roxane Bricet

Texte intégral

Les auteurs remercient Manuel Boucher pour sa confiance, Annabelle Chartiot pour l’aide à la réalisation de ce numéro et Samuel James pour sa relecture attentive.

1Coordination

2Roxane Bricet et Aude Kerivel

3Roxane Bricet est docteure en économie, associée aux travaux du Laboratoire d'Évaluation des Politiques Publiques et de l'Innovation (LEPPI). Ses travaux portent sur les dispositifs de réussite éducative et d’égalité des chances ainsi que sur les méthodes d’évaluation, en particulier quantitatives. Elle a notamment publié La place des familles dans les dispositifs de réussite éducative. De la coopération avec les parents à l’éloignement du milieu d’origine, Injep Analyses & Synthèses (2020).

4Aude Kerivel est docteure en sociologie, chercheure associée au VIPS à l’université du Mans et directrice du Laboratoire d’évaluation des politiques publiques et des innovations (LEPPI). Ses travaux portent sur les inégalités et les discriminations, l’isolement et les liens sociaux et sur les questions de violence et de harcèlement. Elle a récemment publié « Fragilité des liens et isolement dans les villages d’enfants », Revue des sciences sociales, 69 | 2023, p ; 66-75.

Le plan 1 jeune 1 mentor : déploiement rapide d’une politique importée de l’étranger

5Dans la mythologie grecque, lorsque Ulysse quitte son royaume pour Troie, il confie à son ami de longue date, Mentor, le soin d’éduquer son fils Télémaque en son absence. Passé dans le langage courant, le mentorat désigne une relation interpersonnelle durable de soutien entre un jeune et un individu plus âgé ou plus expérimenté (Rhodes, 2002).

  • 1 [https://www.vie-publique.fr/discours/282148-conseil-des-ministres-27102021-le-plan-mentorat].

6Guère employé en France en dehors du monde de l’entreprise, le terme voit son usage se diffuser et prendre une nouvelle dimension à la suite de l’annonce par le président de la République le 1er mars 2021 du lancement du dispositif « 1 jeune 1 mentor »1. Ce dernier s’inscrit dans le cadre du plan « 1 jeune 1 solution » qui engage un ensemble de mesures et dispositions visant à soutenir les jeunes du territoire national au sortir de la crise sanitaire. Si les jeunes apparaissent particulièrement affectés par les conséquences de la crise du COVID-19, cette dernière a contribué à exacerber les inégalités (sociales, scolaires, économiques…) entre les jeunes d’une même génération (Barhoumi et al., 2020 ; Amsellem-Mainguy et al., 2021). Porté conjointement par le ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse et le ministère du Travail, de l’emploi et de l’insertion, le dispositif 1 jeune 1 mentor vise à déployer, sur l’ensemble du territoire, le mentorat défini comme :

  • 2 Définition issue du site 1 Jeune 1 Mentor, plate-forme nationale permettant les mises en relation d (...)

L’accompagnement individuel d'un jeune de 5 à 30 ans par une personne bénévole, pour l'aider à mieux se connaître, s'épanouir, prendre confiance en lui et développer son autonomie. En fonction de l'âge du mentoré, les objectifs peuvent porter sur l'accompagnement scolaire, l'orientation ou l'insertion professionnelle2.

  • 3 Big Brothers Big Sisters of America, Annual Impact Report 2021, Rebecca Porzig/Foundation Grants De (...)
  • 4 [https://www.1jeune1mentor.fr/].
  • 5 Art. L.222-2-6-II.

7En pratique, le dispositif vise à accroître le nombre de jeunes bénéficiant d’un accompagnement de cette nature, passant de 30 000 jeunes mentorés en 2020, à 100 000 jeunes en 2021, puis 200 000 en 2022. Ces cibles quantitatives sont sans commune mesure à l’échelle internationale. À titre d’exemple, aux États-Unis, pays cinq fois plus peuplé que la France, le programme de mentorat Big Brothers Big Sisters, qui existe depuis plus de 100 ans, a accompagné un peu plus de 100 000 jeunes en 20203. Pour permettre le développement du mentorat en France, près de 60 millions d’euros de subventions publiques sont allouées par le biais d’appels à projet à des structures proposant des actions de mentorat et une plate-forme permettant de mettre en relation les jeunes avec les associations de mentorat est créée4. Cette phase de déploiement du mentorat s’accompagne également de l’inscription du mentorat dans les textes de loi et en particulier dans la loi 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants qui stipule qu’ « il est systématiquement proposé à l’enfant pris en charge par le service de l’Aide sociale à l’enfance de bénéficier d’un parrain et d’un mentor »5.

  • 6 Cahier des charges du 3e appel à projet.

8Si le dispositif se veut à destination de l’ensemble des enfants et des jeunes âgés de 5 à 30 ans, des populations particulièrement vulnérables, dites “fragilisées”, sont ciblées prioritairement par les appels à projets. Les critères permettant d’identifier ces publics sont nombreux et dépendent de leur situation géographique (outre-mer, quartier prioritaire des politiques de la ville, zone de revitalisation rurale), de leur situation économique, de leur origine sociale, de leur difficultés à l’école, de leur handicap, de leur genre et de situations spécifiques (jeunes suivis par la Protection Judiciaire de la Jeunesse ou l’Aide Sociale à l’Enfance, réfugiés, primo-arrivants)6. Au moyen du « renforcement des solidarités entre les générations » (le mentor étant présenté comme plus âgé que le mentoré), le plan 1 jeune 1 mentor vise à lutter contre les inégalités, et s’adresse à la fois aux élèves, collégiens, lycéens et étudiants, mais également aux apprentis, alternants et entrepreneurs, ainsi qu’aux jeunes éloignés de la formation et de l’emploi.

  • 7 Ibid., p. 2.

9Ainsi, le mentorat constitue une modalité d’accompagnement supposée adéquate pour soutenir « tout jeune en exprimant le besoin »7 à un moment ou l’autre de son parcours et quelle que soit sa condition. Au travers de la diversité de ces populations et des situations qu’elles rencontrent, le mentorat incarne ainsi une modalité d’action publique trans-sectorielle (comme le suggère le sociologue Clément Pin dans l’entretien réalisé pour ce numéro) visant à lutter contre les inégalités des chances, qui prend place à la fois dans les politiques jeunesses, dans les politiques éducatives et également au sein des politiques sociales. Dans ces différents champs, le mentorat s’inscrit du côté des politiques individuelles et individualisantes, caractérisées par un transfert de la responsabilité de la société vers l’individu, qui ont progressivement remplacé les politiques collectives et structurelles visant à modifier le système dans son ensemble (Donzelot, 1997 ; Lafore, 2020).

10Si le terme « mentor », supplante celui de « tuteur » traditionnellement utilisé dans le champ de l’école et de la formation, de « coach » dans le monde de l’entreprise ou celui de « parrain » prédominant en protection de l’enfance, ce glissement sémantique relève d’un choix stratégique d’un groupement d’associations : le Collectif mentorat. Réuni au côté du secrétariat d’État à la jeunesse des ministères partenaires et d’un cabinet de conseil, ce collectif d’associations historiquement engagées dans des actions de tutorat ou parrainage fédèrent sous le vocable issu de l’anglais “mentorat” leurs pratiques d’accompagnements individuelles plus ou moins hétérogènes. Ainsi, le mentorat, en tant que modalité d’accompagnement des jeunes, vient standardiser et généraliser des actions existantes répondant à des besoins spécifiques. De manière schématique, il est possible de distinguer deux périodes du « mentorat » en France. Une première période, antérieure au plan, au cours de laquelle les termes tutorats et parrainage sont prédominants parmi les appellations utilisées par des associations qui œuvrent chacune indépendamment dans leur champ et auprès de catégories de populations délimitées. La seconde période, postérieure au plan, est marquée par la mise en réseau de ces mêmes associations, auxquelles s’ajoutent progressivement de nouvelles structures, certaines ayant été spécifiquement créées pour mettre en œuvre la politique publique. Cette nouvelle ère est caractérisée par l’apparition et la popularisation du terme mentorat qui vient se substituer aux autres vocables, imposant de nouveaux enjeux aux associations (augmentation du nombre de jeunes mentorés et élargissement du public ciblé). Dans la poursuite des interventions de mentorat menées en distanciel durant la crise sanitaire, le mentorat en ligne se déploie et permet de toucher des publics éloignés (jeunes ruraux) et de mobiliser plus de mentors.

11Les objectifs quantitatifs élevés et la normalisation des interventions déléguées aux associations sont caractéristiques de ce que plusieurs chercheurs ont désigné comme des pratiques néo-libérales ou issues du New Public Management (Desrosières, 2014 ; Matyjasik et Genoun, 2019). Avec la diminution des subventions et le développement des appels à projets (Cottin-Marx et al., 2017), les associations sont contraintes d’augmenter le nombre de bénéficiaires de dispositifs qu’elles ont coproduits avec la puissance publique (Matyjasik et Guenoun, 2019). Désormais « opératrices » de l’État, les associations, elles-mêmes engagées dans des logiques de gestion managériales issues du privé, privilégient l’efficience (Lopez Puyol et Félix, 2022). Dans ce contexte, plusieurs questions se posent quant à l’efficacité de ce type d’accompagnement, sa capacité à participer à réduire les inégalités et à améliorer la réussite scolaire, l’insertion professionnelle et sociale des enfants et jeunes, notamment les plus en difficulté.

Les recherches nord-américaines : 30 ans d’avance, et des enseignements à considérer

12Compte tenu de l’ancienneté des programmes de mentorat nord-américains, de nombreux travaux de recherche ont étudié les spécificités de ce mode d’accompagnement. Du point de vue théorique, la littérature propose notamment des modélisations conceptuelles de la relation mentorale (Rhodes, 2002). Ces recherches permettent d’abord de typologiser les relations qui peuvent prendre de multiples formes. Ainsi, si le mentorat est souvent présenté comme une relation inter-personnelle, le lien d’un mentor avec un collectif est également possible. Si la relation est décrite comme égalitaire, l’opposition mentor expérimenté / mentoré non expérimenté en fait une relation asymétrique. Si le mentorat est la plupart du temps bénévole, certains auteurs précisent qu’il peut être rémunéré (Ziegler, 2009 ; Bach Ouerdian et al., 2018). La littérature distingue également le mentorat informel du mentorat formel. L’expression “mentorat informel”, ou “mentorat naturel”, est ainsi utilisée pour qualifier une relation entre un jeune et un adulte n’étant pas membres de la même famille, qui se produit par hasard, sans calendrier, ni agenda préétabli (Bynum, 2015). Le mentorat formel est défini, quant à lui, comme « un soutien et un encadrement assumés, généralement par un adulte volontaire et résultant d’opérations plus ou moins structurées de sélection, de formation de jumelage et de supervision » mises en œuvre et organisées par une structure encadrante, voire « un milieu communautaire ou scolaire » (Larose, 2012, p. 241). Les travaux empiriques nord-américains sont également foisonnants sur la question et mobilisent différentes méthodes qualitatives et quantitatives. À partir de plusieurs dizaines d’évaluations, des méta-analyses de référence mettent en évidence l’efficacité relativement faible des programmes de mentorat (Dubois et al., 2002 ; Dubois et al., 2011 ; Raposa et al., 2019). En effet, l’effet moyen de la participation à ces dispositifs apparaît positif mais modéré, ce résultat étant consensuel et inchangé depuis plusieurs décennies.

13
En France, les écrits sur le mentorat sont encore peu nombreux. La littérature scientifique y est quasi-inexistante et les travaux relèvent la plupart du temps d’enquêtes de satisfaction réalisées par des cabinets, mandatés par les associations elles-mêmes. En revanche, des études qualitatives et quantitatives ont pu être menées sur des dispositifs de tutorat (Allouch, 2008 ; Ly et al., 2018 ; Nickow et al., 2020) et de parrainage (Behaghel et al., 2014). Ces travaux permettent de tirer des enseignements utiles pour comprendre et éclairer les effets des programmes de mentorat, tout en laissant un certain nombre de questions en suspens auxquelles ce numéro tente de répondre.

Un numéro réunissant des contributions pour une approche scientifique du mentorat

14Le présent numéro vise à enrichir la connaissance au sujet du mentorat en direction des enfants et des jeunes dans le contexte d’une généralisation rapide et massive de ce dispositif.

15En s’appuyant sur les travaux portant sur les programmes de mentorat ainsi que les dispositifs de tutorat et de parrainage qui lui sont apparentés, il s’agit, dans un premier temps, de comprendre à quels besoins le mentorat ambitionne de répondre, d’observer quels sont les conditions de mise en œuvre et les effets de ces formes d’accompagnement et d’analyser dans quelle mesure les programmes permettent d’atteindre les objectifs fixés par les pouvoirs publics et les structures de mentorat. Des questions auxquelles quatre articles visent à répondre dans une première partie.

16Les trois articles présentés dans la seconde partie de ce numéro permettent d’analyser la conception de cette politique et les mutations en cours dans l’élaboration et la conduite des politiques publiques dont le mentorat constitue un exemple emblématique. Dans cette partie, il s’agit aussi d’aborder les effets de la généralisation et de la standardisation du mentorat sur les structures de mentorat, et sur les bénéficiaires. 

Enseignements des expériences et évaluations des dispositifs de tutorat, de parrainage et de mentorat en France et à l’étranger

17Compte tenu de l’apparition récente du « mentorat » dans le champ des politiques jeunesses, sociales et éducatives en France, encore peu de travaux scientifiques français se sont penchés sur le sujet. Afin d’appréhender les ressorts de ce type d’accompagnement, il est néanmoins possible de mobiliser deux types de recherches : les études portant sur le mentoring menées à l’étranger (principalement en Amérique du Nord) et les études françaises conduites sur les formes d’accompagnement antérieures (et constitutives) au mentorat : principalement le tutorat et le parrainage.

18Dans le premier article du numéro, intitulé Tutorat, parrainage, mentorat : des dispositifs aux effets contrastés pour lutter contre les inégalités des chances ,Roxane Bricet et Héloïse Lucas présentent les principaux enseignements des recherches nord-américaines portant sur le mentorat et effectuent une analyse comparative des résultats évaluatifs de six dispositifs d’accompagnement individuel et collectif d’enfants et de jeunes en France, soutenus par le Fonds d’Expérimentation pour la Jeunesse. S’ils visent à agir sur les performances scolaires et l’orientation des jeunes défavorisés, les résultats des expérimentations aléatoires et quasi-aléatoires françaises rejoignent les conclusions des travaux anglo-saxons et concluent à des dispositifs peu efficaces pour soutenir les apprentissages scolaires, élever les ambitions et améliorer l’insertion professionnelle des jeunes accompagnés.

19Interroger les enjeux du mentorat dans le champ scolaire et de l’orientation est également le propos d’Emily Lopez Puyol et Alice Pavie, dans leur article intitulé Mentor.es des dispositifs d’égalité des chances : des prestataires éducatifs critiques de l’École ? À partir d’enquêtes qualitatives et quantitatives auprès de quatre associations, les autrices s’intéressent à la figure des « mentors », majoritairement des étudiants parmi les structures enquêtées, et à leur place dans la division du travail éducatif. Partant du constat d’une grande hétérogénéité dans les profils et les caractéristiques sociales des mentors, l’article identifie différents types de positionnement des mentors, décrits comme des prestataires de services vis-à-vis de l’école. Ces rapports à l’institution, liés à leur origine sociale, à leur plus ou moins grande proximité sociale avec leur mentoré et à leur propre parcours scolaire, se traduisent par des manières différentes d’envisager la réussite scolaire et façonnent de ce fait l’accompagnement des mentorés.

20La grande diversité des formes que peut prendre le mentorat en fonction du profil du mentor, de la situation du mentoré et du contexte de la rencontre est illustrée par l’article de Alaina Lamaa et Nataliya Tchermalykh qui se penchent sur le mentorat en direction des jeunes mineurs isolés étrangers en Suisse. Dans leur article Le rôle-clé du mentorat interculturel dans l'intégration des jeunes réfugiés, les autrices décrivent ce qu’elles appellent des « pratiques bénévoles d’hospitalité et de parrainage ». Comme dans l’article précédent, les associations sont présentées comme prenant le relais des politiques publiques, ici pour l’accueil des réfugiés. Les mentors, majoritairement de classe moyenne ou supérieure et souvent militants, engagent une constellation de personnes dans l’accompagnement à l’apprentissage linguistique, aux démarches administratives et à l’insertion des jeunes.

21C’est une autre population particulièrement vulnérable, également ciblée par le plan 1 jeune 1 mentor, à laquelle s’intéresse l’article d’Aude Kerivel et Chloé Michaud : les enfants et jeunes confiés à l’Aide Sociale à l’Enfance. Dans leur article intitulé Du parrainage naturel au mentorat : l’ambition de la généralisation face aux besoins différenciés des enfants et jeunes confiés à l’Aide sociale à l’enfance, les autrices reviennent sur des expériences de parrainage et de mentorat et rendent compte de types d’accompagnement de nature très différente. Alors que les parrains, souvent d’anciens professionnels de la protection de l’enfance, offrent des temps d’accueil et de partage en famille aux enfants perçus comme étant les plus isolés, le mentorat s’adresse plutôt aux jeunes ayant le moins de difficultés et en capacité de formuler des besoins précis autour de thématiques scolaire ou d’orientation. L’article interroge également la faisabilité de la mise en œuvre de la loi relative à la protection de l’enfance préconisant que chaque enfants confié se voit proposer un parrain et un mentor, alors que, d’après les enquêtes menées par les autrices, moins de 5% des enfants et jeunes de l’ASE bénéficient aujourd’hui de l’un de ces accompagnements et que les enquêtes font état de nombreux freins à la généralisation de ce type de dispositif.

Déploiement du mentorat dans le champ des politiques jeunesses, des politiques éducatives et de la protection de l’enfance : approche analytique

22Le mentorat en France ne peut s’appréhender et se comprendre sans envisager, d’une part, la constitution et le rôle du Collectif mentorat et son action auprès de l’État, et d’autre part, l’injonction de la puissance publique à un déploiement de grande ampleur de cette modalité d’accompagnement dont les objectifs quantitatifs ambitieux entraînent inévitablement des ajustements des structures (modèle économique, contenu des accompagnements, suivi des relations, etc.). Le développement rapide du mentorat dans les politiques jeunesses, éducatives et sociales s’inscrit dans un mouvement plus global d’individualisation des politiques publiques. En proposant une réponse unique à des situations et des problèmes variés, il convient de s’interroger sur les besoins auxquels le mentorat tente de répondre et par conséquent à quels types de publics cet accompagnement s’adresse.

23Dans la seconde partie du numéro, l’article de Clémence Perronnet, de Claire Boivin et de Paul Neybourger intitulé Le mentorat : derrière une réponse unique et individualisante, des traitements différenciés selon les milieux sociaux des mentoré·es, étudie le « champ français du mentorat » et les effets de « la politique publique de développement et de structuration du mentorat » sur l’accompagnement des mentors. Les autrices mettent en évidence des accompagnements qui diffèrent selon l’origine sociale des mentorés. Ainsi, pour les enfants issus des classes moyennes et supérieures, les mentors répondent à des besoins précis alors que l’accompagnement relève plutôt d’un travail global sur le « savoir être » lorsqu’il s’agit d’enfants de milieu populaire à qui le mentorat a été plus souvent prescrit. Bien que le mentorat vise en priorité les jeunes les plus vulnérables, sa montée en charge rapide conduit les structures à élargir le public cible de leurs actions et à proposer un accompagnement à un public plus aisément accessible et initialement doté en capitaux sociaux et culturels.

24La question du déploiement du mentorat est également au cœur de l’article de Sarah Gubitta, De l’égalité des chances à la société de l’engagement. Le mentorat, un nouveau « modèle » de politique Jeunesse ? L’autrice s’intéresse à l’émergence puis au déploiement de cette politique « publique-privé », résultante d’une stratégie de lobbying menée par les associations membres du Collectif mentorat auprès des pouvoirs publics. L’article met également en évidence les effets du passage à l’échelle sur cet écosystème associatif et souligne qu’en misant sur la société de l’engagement, cette politique fait écho aux mutations déjà observées dans les politiques jeunesses.

25Dans la continuité de l’ensemble de ces réflexions, un entretien croisé ayant pour ambition de situer cette politique publique trans-sectorielle vient clore ce numéro. Revenir sur l’évolution des politiques jeunesses décrite par Patricia Loncle, des politiques de réussite éducative étudiées par Clément Pin, et des politiques sociales analysées par Robert Lafore, permet de comprendre l’émergence de cette modalité d’action dans le contexte de l’avènement des politiques publiques individualistes et individualisantes. L’autonomisation, l’adaptation à chaque situation, le développement des compétences, l’activation des usagers sont les registres de langage mobilisés de manière commune dans les différents champs. D’autre part, à partir des récits des chercheur.es interrogé.es, la co-construction de politiques publiques avec les associations, l’économie sociale et solidaire ou la société civile n’apparaît pas comme un phénomène nouveau. C’est plutôt l’injonction à la standardisation et à l’essaimage rapide qui confère à la politique de mentorat un caractère inédit et sur laquelle la recherche commence à se pencher.

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Bibliographie

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Notes

1 [https://www.vie-publique.fr/discours/282148-conseil-des-ministres-27102021-le-plan-mentorat].

2 Définition issue du site 1 Jeune 1 Mentor, plate-forme nationale permettant les mises en relation de jeunes et (futur) mentors avec les associations lauréates du plan [https://www.1jeune1mentor.fr/].

3 Big Brothers Big Sisters of America, Annual Impact Report 2021, Rebecca Porzig/Foundation Grants Departement [https://www.bbbs.org/].

4 [https://www.1jeune1mentor.fr/].

5 Art. L.222-2-6-II.

6 Cahier des charges du 3e appel à projet.

7 Ibid., p. 2.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Aude Kerivel et Roxane Bricet, « Le mentorat : une nouvelle politique en direction des jeunes vulnérables ? »Sciences et actions sociales [En ligne], 20 | 2023, mis en ligne le 17 novembre 2023, consulté le 09 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/sas/3699

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Auteurs

Aude Kerivel

Sociologue, LEPPI, aude.kerivel@hotmail.fr

Articles du même auteur

Roxane Bricet

Docteure en économie, Laboratoire d’Evaluation des Politiques Publiques et de l’Innovation (LEPPI) - roxane.bricet@gmail.com

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