1La France est l’un des pays développés dans lesquels les inégalités de performance scolaire liées au milieu social d’origine sont les plus élevées (OCDE, 2019). Dès le plus jeune âge, les enfants issus de milieux modestes obtiennent de moins bons résultats à l’école que leurs camarades issus de milieux plus favorisés (Fleury et al., 2022). De nombreuses études menées depuis plusieurs décennies tendent à montrer que l’école peine à réduire les inégalités (Barasz et al., 2023), voire qu’elle agirait en véritable « fabrique des inégalités sociales » (CNESCO, 2016 ; Dubet, 2016). Les différences de performance, auxquelles s’ajoutent le manque d’information sur l’orientation, l’autocensure, les contraintes financières et l’insuffisance de réseaux, sont des raisons souvent invoquées pour expliquer les difficultés d’accès des élèves issus de milieux défavorisés à l’enseignement supérieur, y compris de ceux qui réussissent bien à l’école (Bonneau et al., 2021 ; MESRI, 2021) et, par corollaire, à des postes à responsabilités et rémunérateurs dans le milieu professionnel (Abbas et Siesic, 2022).
- 1 Discours de Gilles de Robien, ministre de l'Éducation de l'éducation nationale, de l'enseignement s (...)
- 2 S’appuyant sur une collaboration étroite entre un établissement d’enseignement supérieur (la tête d (...)
- 3 Cahier des charges du 3e appel à projet.
2Pour y remédier, de nombreux dispositifs d’accompagnement ont vu le jour. Individuels ou collectifs, ces accompagnements s’appuient sur l’engagement de membres de la société civile, et notamment d’étudiants et d’élèves de grandes écoles, ainsi que de professionnels issus du monde de l’entreprise. Depuis 1997, le dispositif Parrainage vers l’emploi met à disposition des jeunes moins dotés en réseau relationnel et présentant des difficultés d’accès à l’emploi un “parrain” bénévole, professionnel en activité ou retraité. Initié en 2006, l’opération “100 000 étudiants pour 100 000 élèves” requiert des étudiants accompagnateurs qu’ils “apportent un plus” en matière de soutien scolaire et de connaissance des exigences des études supérieures aux élèves des quartiers défavorisés et qu’ils se positionnent en tant que “passeurs de l’ambition et de l’excellence”1. Hérité de cette opération, le programme des Cordées de la réussite, inauguré en 2008, vise ainsi à lutter contre les inégalités des chances par des actions de tutorat et de mentorat [encadré « Comprendre »], en priorité auprès des élèves de l’éducation prioritaire ou des quartiers prioritaires de la politique de la ville2. Plus récemment, le plan 1 jeune 1 mentor, s’inscrivant dans le cadre du plan 1 jeune 1 solution lancé en 2020, doit permettre de déployer différents modes d’accompagnement, regroupés sous le terme mentorat, auprès d’une diversité de publics confrontés à différentes problématiques. S’adressant à des enfants et des jeunes “de 6 à 30 ans”, les dispositifs lauréats du plan doivent favoriser “la réussite et l’inclusion des jeunes” par du soutien scolaire, de l’accompagnement à l’orientation, à l’insertion professionnelle, ou encore par le développement de compétences psychosociales3.
- 4 Après plus de 25 ans d’existence, le Parrainage vers l’emploi a fait l’objet d’une première évaluat (...)
3En 2022, environ 200 000 élèves sont scolarisés dans un établissement scolaire impliqué dans une Cordée et près de 150 000 jeunes ont bénéficié du soutien d’un “mentor” au travers du plan 1 jeune 1 mentor. Quant au parrainage vers l’emploi, le dispositif a permis d’accompagner plus de 33 000 jeunes en 2021. Alors que de plus en plus de jeunes intègrent ces dispositifs, peu de travaux évaluatifs4 ont étudié les effets de la participation à de tels programmes. La généralisation de ces types d’intervention conduit néanmoins à interroger leur efficacité : quels sont les effets de ces modes d’accompagnement sur les parcours des jeunes (réussite scolaire, ambition et orientation, insertion professionnelle) ? Â l’heure actuelle, que nous enseignent la recherche internationale et les expérimentations de dispositifs de cette nature en France ?
4S’appuyant sur l’étude de six dispositifs d’accompagnement de type tutorat, parrainage et mentorat soutenus par le Fonds d’Expérimentation pour la Jeunesse (FEJ), notre article vise à fournir un état des lieux des évaluations de dispositifs de cette nature en France à partir de l’existant. Ces travaux évaluatifs s’inscrivent au sein d’une littérature scientifique encore limitée en France tout comme dans le reste de l’Europe, tandis que les recherches sont bien plus abondantes sur le continent nord-américain (partie 1). Les six dispositifs étudiés présentent des similitudes permettant une analyse comparée de leurs résultats. Expérimentées auprès d’élèves d’écoles primaires, collèges et lycées défavorisés ou en réseau d’éducation prioritaire (REP), et auprès d’étudiants boursiers, ces interventions ont pour objectif commun d’élever les ambitions scolaires et de favoriser l’insertion sociale et professionnelle des enfants et jeunes bénéficiaires par un accompagnement individuel ou collectif durable. Chacun de ces dispositifs a été évalué par des équipes de chercheurs au moyen d’expérimentations aléatoires ou de méthodes quasi-expérimentales, permettant d’estimer leur impact, autrement dit ici de mesurer quantitativement les effets de ces dispositifs sur les compétences (scolaires, sociales) des enfants et des jeunes accompagnés ainsi que sur leurs ambitions en matière de poursuite d’études, leur orientation effective, voire leur insertion professionnelle (partie 2). La mise en perspective des résultats évaluatifs permet de voir émerger des tendances assez nettes concernant les effets de ces programmes. D’une part, les évaluations ne permettent pas toujours de mettre en évidence des effets significatifs sur les résultats scolaires. Lorsque des effets sont observés, les dispositifs étudiés bénéficient essentiellement aux meilleurs élèves, c’est-à-dire ceux qui ont les meilleurs résultats scolaires et ceux n’ayant jamais redoublé, ainsi qu’aux élèves bénéficiant de l’accompagnement le plus long. À l’inverse, l’accompagnement, notamment lorsqu’il est court, s’avère moins bénéfique, voire contre-productif pour les élèves les plus en difficulté. Les effets sur les compétences sociales sont également peu perceptibles. Enfin, si la plupart de ces dispositifs visent à élever les ambitions scolaires d’élèves issus de milieux défavorisés, les évaluations ne rapportent aucun effet probant sur cette dimension. Au contraire, pour deux des dispositifs étudiés, la participation au programme conduit les élèves à revoir à la baisse leurs aspirations (partie 3). En parallèle, les constats de ces évaluations fournissent un éclairage sur les conditions d’efficacité de ces formes d’accompagnement. Maintenir un accompagnement durable, recruter des accompagnateurs expérimentés apparaissent, entre autres, comme des gages d’efficacité. Par ailleurs, le ciblage des publics, dont découlent différents modes de sélection des jeunes, est à interroger au regard des intentions initiales des dispositifs, de même que les techniques et critères d’appariement entre jeune et accompagnateur (partie 4).
Encadré : Comprendre
Mentorat, tutorat, parrainage… de quoi parle-t-on ?
Différencier le tutorat, le parrainage et le mentorat n’est pas aisé d’autant qu’il n’existe pas toujours de définition consensuelle de chacun de ces termes ou que ces définitions évoluent dans le temps et en fonction du contexte dans lequel elles sont employées. En théorie, alors que le tutorat cible prioritairement les apprentissages et le parrainage d’abord l’accès à un réseau, le mentorat vise plus largement l’autonomie et le développement du jeune, et peut ainsi englober à la fois des accompagnements à l’apprentissage et à l’insertion socioprofessionnelle. Dans la pratique, ces notions recoupent des dispositifs aux modalités d’accompagnement communes : mise à disposition d’un accompagnateur expérimenté, engagement bénévole de l’accompagnateur dans une relation durable et soutenue, encadrement de la relation par une structure professionnelle qui assure notamment le suivi et la formation des accompagnateurs. Dans un contexte de montée en charge de certains programmes (plan 1 jeune 1 mentor, renforcement du programme des Cordées de la réussite), la proximité entre ces différentes formes d’accompagnement s’est renforcée et les dispositifs dits de mentorat ont tendance aujourd’hui à englober les autres formes d’accompagnement que sont le tutorat et le parrainage.
5Les travaux scientifiques portant sur les accompagnements de type tutorat, parrainage ou mentorat de jeunes sont relativement nombreux dans les pays anglo-saxons, en Amérique du Nord notamment. En effet, le mentorat en direction des jeunes est institutionnalisé aux États-Unis depuis plus d’un siècle à travers le programme Big Brothers Big Sisters qui apparaît de manière concomitante avec la création des tribunaux pour enfants. Pour soutenir les jeunes garçons reçus dans sa salle d’audience et leur éviter la récidive, un greffier a l’idée de les mettre en relation avec des hommes volontaires et bienveillants. Ces adultes doivent combler l’absence de “modèles” (role models) dans l’entourage de ces jeunes. Le programme, par la suite étendu aux jeunes filles et à tous jeunes faisant face à des difficultés (pauvreté, addiction, victime d’abus, parent incarcéré…), est l’un de ceux qui accompagnent le plus de jeunes grâce au mentorat aux États-Unis.
- 5 En 2016, aux États-Unis, près de 1 500 programmes de mentorat accompagnent plus de 400 000 enfants (...)
- 6 Par exemple, le National Mentoring Resource Center sur le mentorat [https://nationalmentoringresour (...)
- 7 Par exemple : MENTOR, Elements of Effective Practice for Mentoring (2015).
6Le modèle d’accompagnement s’étant largement diffusé outre-Atlantique5, les travaux théoriques et empiriques se multiplient et donnent lieu à la publication de handbooks et de méta-analyses de référence, dans lesquels le mentoring regroupe sous un même vocable les notions de mentorat et de parrainage, tandis que le tutorat est conçu comme une intervention centrée sur les apprentissages scolaires. De nombreuses ressources, telles que des plates-formes6 ou des guides de “bonnes pratiques”7, sont également mises à disposition des acteurs de terrain et des acteurs politiques, inscrivant les programmes dans une approche de politique fondée sur des données probantes (evidence-based policy). Nous présentons ici un certain nombre de résultats issus de ces travaux évaluatifs afin d’éclairer les dispositifs que nous mobilisons.
- 8 Dans cet état des connaissances, nous ne retenons que les études portant sur des programmes de ment (...)
7Concernant l’effet moyen des programmes de mentorat8, les méta-analyses concluent de manière convergente à un effet positif mais relativement modéré de la participation à un tel programme en comparaison avec les effets observés d’autres interventions (de nature éducative, psychologique, comportementale) à destination des jeunes (Dubois et al., 2002 ; Rhodes, 2002 ; Raposa et al,, 2019). Par ailleurs, ce résultat évolue peu depuis 40 ans. Ainsi, les études mettent en évidence des effets positifs du mentorat sur certains comportements déviants : l’agressivité, l’absentéisme et les mauvais comportements à l’école, ainsi que la délinquance (Larose, 2011 ; Raposa et al., 2019). Bien que des effets bénéfiques sur la perception que les jeunes ont d’eux-mêmes et notamment de leurs propres capacités scolaires sont également rapportés, les travaux tendent à montrer qu’en moyenne, le mentorat n’a pas d’effet sur la confiance en soi, les résultats scolaires et l’orientation (Wheeler et al., 2010 ; Raposa et al., 2019). Lorsqu’ils sont observés sur ces dernières dimensions, ces effets s’érodent rapidement après l’intervention (Herrera et al., 2007).
8Ces constats étant établis et partagés, les études soulignent des disparités dans les effets en fonction des profils et des caractéristiques sociodémographiques des jeunes accompagnés et de leurs mentors. Ainsi, les programmes apparaissant les plus efficaces sont ceux qui accompagnent une majorité de jeunes garçons, de jeunes présentant des problèmes de comportement et de jeunes issus de milieux défavorisés (Dubois et al., 2011 ; Raposa et al., 2019). La littérature montre que l’origine ethnique et l’âge du mentoré n’ont pas d’effets sur la relation. S’agissant du profil des mentors, les effets rapportés de la participation à des programmes de mentorat sont plus élevés lorsque le mentor détient une formation ou une expérience professionnelle en travail social (Raposa et al., 2019). D’autre part, les programmes qui s’appuient sur des mentors lycéens et étudiants sont moins efficaces que ceux dont l’accompagnement est réalisé par une personne plus âgée (Herrera et al., 2008 ; Grossman et al., 2012). Les études ne sont pas convergentes concernant l’influence du genre du mentor sur la relation. Enfin, des centres d’intérêt commun (personnels, scolaires, professionnels) permettent au binôme d’être plus efficace (Dubois et al., 2011).
9Les effets de la participation aux programmes de mentorat sont également fonction des modalités d’accompagnement mises en œuvre par la structure encadrante. En particulier, lorsque la structure fournit le cadre et le suivi suffisant permettant par exemple au jeune et à son mentor de préciser et d’échanger autour de leurs attentes vis-à-vis de la relation, la participation au programme génère davantage d’effets (Rhodes, 2002 ; Dubois et al., 2011). D’autre part, la formation des mentors a un impact positif sur la qualité et la durée de la relation (Larose, 2011 ; Dubois et al., 2011). En outre, les accompagnements au long court sont plus susceptibles de produire des effets positifs. Certains travaux fixent une plus grande efficacité du mentorat au-delà d’un an d’accompagnement (DeWit et al., 2016) et soulignent que des relations courtes inférieures à trois mois peuvent avoir des conséquences négatives, notamment sur l’estime de soi des élèves les plus fragiles (Grossman et Rhodes, 2002).
10Les chercheurs se sont encore peu penchés sur la question du “mentorat digital”, néanmoins les premiers travaux auprès d’élèves en risque de décrochage scolaire montrent que les effets du mentorat sont plus probants lorsque la relation se déroule en « face à face » que lorsque les échanges se font en ligne (Dubois et Karcher, 2005). D’autre part, la littérature ne permet pas de trancher nettement entre accompagnement individuel et accompagnement de groupe. Ainsi, des travaux montrent que le soutien en petit collectif produit des effets comparables à la relation interpersonnelle (Dubois et al., 2011 ; Nickow et al., 2020).
11Si de nombreux programmes reposent sur des accompagnements aux objectifs généraux s’appuyant sur l’idée que la relation avec un mentor disponible constitue en soi une “expérience corrective” suffisante pour améliorer la situation des jeunes accompagnés (Rhodes, 2005), une méta-analyse récente prouve que les effets globaux des programmes qui ciblent des compétences particulières à travailler ou des problèmes spécifiques à surmonter chez les jeunes accompagnés sont plus de 2 fois supérieurs aux effets des programmes moins orientés (Christensen et al., 2020). Ainsi, les travaux sur les accompagnements centrés sur les apprentissages scolaires (tutorat) mettent en évidence des effets élevés sur les compétences scolaires des élèves, notamment des élèves d’école primaire (J-PAL, 2023). En particulier, le tutorat est d’autant plus efficace que l’accompagnement a lieu dans l’enceinte de l’école et durant le temps scolaire. De plus, les programmes dispensés par des enseignants ou des paraprofessionnels (membres du personnel scolaire, étudiants de premier cycle en sciences de l’éducation ou stagiaires du service public) ont le plus d’impact. En revanche, les accompagnements ayant lieu dans un cadre extrascolaire et faisant appel à des bénévoles, des pairs ou des parents ne permettent pas d’améliorer les performances scolaires.
12Enfin, face au foisonnement des programmes de mentorat, les chercheurs soulignent que la hausse des ressources financières dédiées à ces dispositifs a plus souvent servi à élargir le nombre de jeunes accompagnés qu’à améliorer la qualité des programmes existants (Rhodes & Dubois, 2008). Ceci est d’autant plus notable que la recherche a mis en lumière les risques éventuels de la participation à ces programmes ainsi que les écueils à éviter lors de la mise en œuvre des dispositifs. En particulier, des effets néfastes ont parfois été constatés sur les jeunes les moins bien accompagnés par les programmes (relation courte, jeune mis en relation avec plusieurs mentors successifs), en particulier lorsqu’il s’agit des jeunes les plus vulnérables (DeWit et al., 2016). En outre, lorsque des effets bénéfiques sont observés, ces derniers ont tendance à se dissiper rapidement, voire à se muer en effets négatifs à long terme (Rodriguez-Planas, 2014).
13Bien que les environnements sociaux et politiques européens présentent des différences certaines avec les contextes états-unien et canadien, la littérature nord-américaine fournit des enseignements utiles à de nombreux égards pour comprendre et interroger les accompagnements mis en place en Europe. Néanmoins, puisque peu de programmes s’adressent à des jeunes de plus de 18 ans aux États-Unis, la recherche est relativement silencieuse sur les effets de l’accompagnement de ce public, alors que ce dernier représente une part non négligeable des personnes accompagnées en Europe (plus de 40%, d’après Preston et al., 2018). D’autre part, alors que les mentors sont majoritairement des adultes actifs en Amérique du Nord, le mentor-type européen est lui-même un jeune, souvent étudiant (ibid).
14Un réseau européen, Mentoring Europe, réunissant chercheurs et acteurs de terrain est créé en 2016 aux Pays-Bas. L’ambition du réseau est aussi bien de partager les enseignements de travaux de recherche et de mettre à disposition des ressources en matière de pratiques, à l’image de ce qui se fait aux États-Unis, que de porter un plaidoyer auprès des États et des instances politiques européennes. Parmi les rares évaluations quantitatives portant sur des programmes européens, des chercheurs ont étudié la déclinaison irlandaise du programme Big Brother Big Sister mettant en relation des jeunes de 10 à 18 ans, généralement issus de milieux défavorisés ou en échec scolaire et identifiés comme introvertis et manquant de soutien, avec des mentors disponibles au minimum 1 à 2h par semaine (Dolan et al., 2010). Le programme est peu directif sur le contenu des rencontres durant lesquelles les membres du binôme décident librement des activités qu’ils souhaitent partager (sport, jeux de société, repas, cinéma, pêche…). L’évaluation montre que la participation au programme a des effets positifs sur le bien-être des jeunes accompagnés qui se sentent notamment plus soutenus (perceived social support) que les jeunes non accompagnés par un mentor. Néanmoins, l’équipe n’a pas détecté d’effets de l’accompagnement sur les mesures relatives au rapport à l’école (sentiment de compétence scolaire, goût pour l’école, intention concernant la poursuite des études), ni sur les comportements déviants (usage de drogue et d’alcool). La fréquence des rencontres et la proximité relationnelle entre le mentoré et son mentor assurent une plus grande efficacité du dispositif.
15Si les programmes s’adressent aujourd’hui à une diversité de publics, en Europe, le déploiement des programmes de mentorat en direction des jeunes est intimement lié à la question de l’intégration des personnes migrantes, qui s’est posée avec une acuité particulière à partir des années 2000. Des chercheurs se sont ainsi intéressés aux jeunes migrants mentorés dans la région barcelonaise (Alarcón et al., 2021). Dans ce programme adressé aux jeunes majeurs, les besoins des mentorés sont précisément identifiés grâce à une étroite coordination entre les différents intervenants au contact de chaque mentoré et à un suivi rapproché de la relation par la structure (points d’étapes réguliers avec le mentor, avec le mentoré et également avec le binôme). De ce fait, l’accompagnement est orienté autour des besoins spécifiques du jeune (apprendre la langue, connaître la ville, rencontrer de nouvelles personnes). L’équipe d’évaluation rapporte des effets positifs de l’accompagnement sur le bien-être psychologique des jeunes accompagnés (estime de soi, résilience, espoir) ainsi que sur leurs ambitions scolaires.
16Encore plus récemment, alors que la crise sanitaire a renforcé les inégalités scolaires au détriment des jeunes issus de milieux défavorisés pour lesquels les conditions n’ont pas toujours été réunies pour poursuivre les apprentissages à distance (Barhoumi et al., 2020), des formes virtuelles d’accompagnement renforcé se sont développées dans plusieurs pays européens pour prévenir le risque de décrochage scolaire. Des programmes de tutorat en ligne en Italie et en Espagne, centrés sur le soutien scolaire, ont été évalués par la méthode de l’expérimentation aléatoire, pendant et après les périodes de confinement. Ces évaluations se sont appuyées sur des enquêtes passées à diverses échéances permettant de mesurer l’impact de ce type d’accompagnement sur les jeunes au sortir de la crise et de faire évoluer ces dispositifs (Carlana et al., 2023 ; Gortazar et al., 2023). Conçus par des équipes de recherche, à l’appui d’experts et d’organisations locales spécialisées en pédagogie, ces programmes de tutorat en ligne s’adressent à des élèves de 11 à 15 ans en difficulté scolaire, auxquels sont affiliés des tuteurs volontaires rigoureusement formés et encadrés ou des professionnels de l’enseignement rémunérés. Les évaluations mettent en évidence des effets positifs sur les performances scolaires, notamment en mathématiques, sur le temps dédié aux devoirs et l’effort fourni à l’école, tandis que la participation au programme tend à diminuer le risque d’abandon ou de redoublement des élèves (Carlana et La Ferrara, 2021 ; Gortazar et al., 2023) . En revanche, ces dispositifs de tutorat en ligne n’ont pas fait leurs preuves en ce qui concerne les compétences sociales des élèves (bien-être, motivation et persévérance à l’école). En effet, si l’accompagnement à distance a permis d’améliorer le bien-être et les compétences socio-émotionnelles des jeunes durant la période de confinement, ces effets disparaissent après le “retour à la normale” et la réouverture des établissements scolaires (Carlana et al., 2023 ; Gortazar et al., 2023).
17En dehors des dispositifs du FEJ étudiés dans cet article, les travaux quantitatifs portant sur les accompagnements de type tutorat, parrainage ou mentorat en direction des jeunes sont quasi-inexistants en France où les écrits se limitent souvent à des enquêtes internes aux structures d’accompagnement. Quelques études qualitatives ont néanmoins analysé l’émergence des programmes de tutorat dans les politiques d’ouverture sociale des grandes écoles (Allouch et Van Zanten, 2008).
- 9 Le FEJ, porté par l’Institut National de la Jeunesse et de l’Éducation Populaire (INJEP), finance d (...)
18Notre analyse comparative porte sur six dispositifs d’accompagnement soutenus par le FEJ9 : le programme Coup de Pouce Clé porté par l’Association pour favoriser l’égalité des chances à l’école (APFEE), le programme Tandem porté par l’Association de la fondation étudiante pour la ville (AFEV), le programme d’approfondissement scolaire porté par l’association Tremplin, le programme TalENS porté par l’École normale supérieure Ulm, le programme d’aide à l’orientation porté par l’association Actenses et le programme d’accompagnement à l’insertion professionnelle porté par l’association Frateli [voir tableau 1].
19Alors que le mentorat vise aujourd’hui un large public regroupant les enfants et les jeunes âgés de 6 à 30 ans, les six dispositifs étudiés ici s’adressent également à une diversité de bénéficiaires correspondants à des élèves du CP, collégiens, lycéens, ou étudiants de fin de master. D’autre part, bien qu’ils s’inscrivent tous dans la volonté de lutter contre les inégalités des chances, les objectifs de ces dispositifs, à l’instar de ceux de mentorats actuels, sont multiples. Ainsi, parmi les six dispositifs, l’accent est tantôt mis sur les apprentissages, sur le soutien méthodologique, sur l’ouverture socioculturelle ou sur l’insertion professionnelle, certains dispositifs pouvant combiner plusieurs de ces objectifs.
20Pour la plupart expérimentées en réseau d’éducation prioritaire ou dans des établissements scolaires défavorisés, ces interventions partagent néanmoins plusieurs caractéristiques communes : accompagnement individuel ou collectif en petit groupe, mise à disposition d’un accompagnateur bénévole (certains dispositifs délivrent toutefois des crédits ECTS aux accompagnateurs étudiants et un des dispositifs rémunère modiquement l’accompagnateur), engagement durable et encadrement de l’accompagnement assuré par une structure associative.
21Bien qu’ils aient été expérimentés au début des années 2010, l’analyse de ces programmes fournit un éclairage utile pour appréhender les dispositifs d’aujourd’hui, qu’ils soient issus de Cordées de la réussite actuelles ou du plan 1 jeune 1 mentor, car nombre d’entre eux s’appuient sur des modalités d’accompagnement similaires, voire dérivent directement de ces anciens programmes. Par ailleurs, bien que l’évaluation des dispositifs de mentorat soit un enjeu récemment pointé par le Sénat (Lubin, 2021), les études et évaluations visant à observer les effets des dispositifs de cette nature à partir de méthodes quantitatives sont peu nombreuses en France et émanent pour la plupart des premiers travaux du FEJ présentés ici.
Tableau 1. Zoom sur les dispositifs évalués
Source: Données issues des rapports finaux des équipes projet et des équipes d’évaluation
22Selon la démarche expérimentale promue par le FEJ, chaque dispositif expérimenté fait l’objet d’une évaluation externe conduite par une équipe d’évaluation. Au sens du FEJ, l’objectif d’une expérimentation est ainsi de mesurer les effets d’un dispositif et ses conditions de mise en œuvre avant d’envisager son essaimage, voire sa généralisation. Dans ce cadre, les équipes d’évaluation peuvent mobiliser des méthodes diverses parmi lesquelles les méthodes quantitatives sont utilisées afin d’estimer quantitativement les effets du dispositif et ainsi de se prononcer sur son efficacité, tandis que les méthodes qualitatives permettent de comprendre par quels mécanismes de tels effets ont pu être produits (Kerivel et James, 2018). Pour mesurer l’impact des dispositifs Coup de Pouce Clé, TalENS, Actenses et Frateli, les équipes d’évaluation de l’École d’Économie de Paris se sont appuyées sur la méthode dite de l’expérimentation aléatoire (Behaghel et al., 2013 ; Goux et al., 2013 ; Behaghel et al., 2014 ; Ly et al., 2015). La mesure d’impact repose alors sur la constitution d’un groupe témoin (le contrefactuel) dont les membres ne bénéficient pas du programme, créé pour ressembler le plus possible au groupe test, bénéficiaire du programme. Lorsque la taille de l’échantillon est suffisamment grande, le tirage au sort pour l’affectation dans les deux groupes assure que les groupes sont similaires et la comparaison des groupes (évolution des résultats scolaires, choix d’orientation, obtention d’un stage…) ne reflète que le seul effet de l’éligibilité au programme expérimental. L’intérêt principal de la méthode réside dans le fait qu’elle fournit un chiffrage rigoureux tout en s’affranchissant de manipulations statistiques et économétriques complexes.
23Néanmoins, la mise en œuvre d’une telle méthode se heurte parfois à des obstacles et n’est pas toujours adaptée à la réalité du terrain. Ainsi, lorsqu’il n’est pas possible de constituer deux groupes comparables a priori, d’autres méthodes d’évaluation, dites « quasi-expérimentales », peuvent être employées et consistent à reproduire statistiquement des groupes d’individus comparables a posteriori (Givord, 2014). Ainsi, le programme Tandem a fait l’objet d’une évaluation reposant sur une méthode d’appariement (ou matching) par l’équipe d’évaluation du Laboratoire d’Économie et de Sociologie du Travail d’Aix-en-Provence (Alligier et al., 2012), tandis que l’équipe du CNRS-GRECSTA a évalué le dispositif Tremplin à partir de la méthode des doubles différences (Mignot et Vallet, 2013).
- 10 Nous avons écarté l’expérimentation du dispositif Tous en stage porté par l’association Réussir moi (...)
- 11 Évaluation qualitative du dispositif Coup de Pouce Clé, rapport final, Acadie-Aures, 2012.
24Dans notre analyse, l’échantillon de programmes retenus est constitué de dispositifs d’accompagnement individuel ou en petit groupe de type tutorat, parrainage ou mentorat, expérimentés en France auprès d’enfants ou de jeunes dans le cadre scolaire ou universitaire, et ayant fait l’objet d’une évaluation quantitative via la méthode de l’expérimentation aléatoire ou les méthodes quasi-expérimentales. Les six expérimentations présentées dans cet article sont les seules à remplir l’ensemble de ces critères à notre connaissance10. Toutefois, en parallèle de ces évaluations quantitatives, certaines de ces expérimentations ont été complétées par des évaluations qualitatives, au moyen d’entretiens conduits auprès des jeunes et/ou des accompagnateurs et encadrants, et réalisées par les mêmes équipes d’évaluation (Frateli, Tandem, Tremplin) ou par une équipe différente intervenant dans le cadre du FEJ (Coup de Pouce Clé11).
25Bien que le soutien scolaire prédomine dans les activités de la plupart des dispositifs et constitue l’une des principales attentes des participants, les résultats évaluatifs de trois dispositifs mis en œuvre au collège et au lycée ne permettent pas de conclure à un effet positif sur les compétences scolaires des jeunes (TalENS, Actenses, Tandem). En effet, les évaluations font état d’une forte disparité des résultats entre les élèves selon leur niveau scolaire préalable, leur sexe et la qualité de l’accompagnement.
26D’une part, certains dispositifs (TalENS, Tremplin) bénéficient essentiellement aux meilleurs élèves, à savoir les élèves de filière scientifique, n’ayant jamais redoublé et présentant de bons résultats scolaires dès le début de l’année. Ainsi, les participants du programme TalENS les plus performants initialement profitent d’une amélioration de leurs résultats au baccalauréat et du taux d’obtention du diplôme sans rattrapage, tout comme d’une hausse de la probabilité d’accéder à une classe préparatoire aux grandes écoles. Les taux de satisfaction des participants à l’égard de l’accompagnement sont également plus élevés chez les élèves les plus investis scolairement (Tandem). D’autre part, parmi les meilleurs élèves, les filles bénéficient d’une plus forte progression de leurs résultats que les garçons, notamment dans les matières scientifiques (TalENS), domaine pour lequel les écarts entre élèves sont les plus marqués (Tremplin).
27À l’inverse, ces dispositifs présentent des effets défavorables pour les élèves des filières non-scientifiques ou ceux ayant déjà redoublé. Le contraste est particulièrement marqué pour le dispositif TalENS pour lequel les élèves de filière scientifique n’ayant jamais redoublé voient leurs chances d’obtenir une mention bien ou très bien au baccalauréat progresser de 35 % quand celles des élèves ayant déjà redoublé sont divisées par plus de deux et celles des élèves L et ES sont quasi nulles à l’issue de l’accompagnement. Des effets contre-productifs sont également constatés pour les élèves les moins bien accompagnés, à savoir ceux dont l’accompagnement a été plus court et moins régulier que le prescrivaient les programmes. Ce phénomène a conduit l’équipe d’évaluation de Tandem à isoler les « tandems courts » (nombre de rencontres annuelles inférieur à cinq), pour lesquels on observe une baisse de la moyenne générale et une dépréciation des appréciations obtenues en conseil de classe. L’évaluation alerte également sur le « risque de forte pénalisation (morale, psychologique) des élèves pour lesquels l’accompagnement s’est “mal passé” » (Alligier et al., 2012, p. 56).
28À l’issue d’une année de participation au dispositif Coup de Pouce Clé, l’évaluation ne permet pas non plus de conclure à une hausse des performances scolaires des élèves d’école primaire. Malgré l’intensité du programme, les élèves ayant suivi les ateliers n’obtiennent pas de meilleurs résultats en lecture (et en mathématiques). L’équipe s’est également intéressée aux effets potentiels de long terme du programme et confirme l’absence d’effets sur les résultats scolaires une année après la participation au club (fin de CE1). Le dispositif a eu pour principal effet de modifier la structure des actions de soutien dispensées en dehors du temps scolaire, substituant un régime d’interventions multiples et diffuses (aide aux devoirs, aide personnalisé, ateliers lecture-écriture…) à un système plus intensif et maintenu sur l’ensemble de l’année scolaire. Pour expliquer l’absence d’effets du programme, l’équipe avance deux pistes explicatives (Goux et al., 2017). Une première raison stipule que, puisque l’acquisition des compétences langagières démarre dès le début de vie, l’intervention arrive trop tard et ne permet pas de compenser le retard accumulé. La littérature sur le tutorat tend toutefois à modérer cette hypothèse car des travaux évaluatifs ont montré que des programmes visant à améliorer la lecture et l’écriture sont particulièrement efficaces lorsqu’ils s’adressent à des enfants entre 3 et 7 ans (J-PAL, 2023). La seconde raison invoquée suggère que ce programme, intensif et coûteux (de l’ordre de 20% de la scolarité d’un élève de CP), n’est pas plus efficace que les actions de soutien scolaire habituellement dispensées par l’Éducation nationale. De ce fait, les résultats observés chez les élèves ayant participé au programme ne diffèrent pas sensiblement des élèves comparables accompagnés par les dispositifs usuels.
29L’évaluation qualitative du programme Coup de Pouce Clé suggère que la participation à des ateliers visant à familiariser les jeunes élèves de CP à la lecture permet d’agir sur des aspects “sociocognitifs” des apprentissages et notamment sur l’envie de lire, la confiance en soi et la motivation (Morel et al., 2012). Ce résultat est corroboré par l’évaluation quantitative qui met en évidence un effet significatif du programme sur le goût pour les enseignements scolaires, aussi bien la lecture que les mathématiques.
30En revanche, les dispositifs expérimentés dans l’enseignement secondaire pour lesquels les évaluations ont rendu compte de l’impact sur les compétences sociales témoignent d’effets nuancés sur cette dimension. La plupart d’entre eux n’ont aucun effet sur l’autonomie et la motivation à l’école (Tandem, Actenses, Tremplin) et la confiance en soi générale des élèves (Tremplin). L’effet rapporté de la confrontation à un accompagnateur expérimenté est parfois même négatif sur la confiance des jeunes, ce dont témoigne la nette diminution de l’estime de soi des élèves accompagnés par Actenses. Pour autant, ces dispositifs peuvent améliorer la perception que les élèves ont de leurs propres capacités scolaires et présentent aussi un intérêt sur le plan de l’ouverture sociale et culturelle des jeunes. Le dispositif Tandem a notamment permis aux élèves accompagnés de faire davantage de sorties et de découvertes que les non-bénéficiaires, mais aussi de développer leurs sociabilités. Encore une fois, une tendance inverse s’observe pour les élèves les moins bien accompagnés, appartenant aux “tandems courts”, qu’il s’agisse de la perception de leurs capacités scolaires ou de leurs sociabilités.
31La majorité des dispositifs évalués a un effet nul sur la connaissance des filières d’orientation et du monde professionnel (Tremplin, Actenses), et un effet nul, voire négatif, sur la volonté des jeunes à poursuivre un baccalauréat général ou des études supérieures (Tandem, Tremplin, TalENS, Actenses). Le dispositif d’Actenses visant pourtant l’aide à l’orientation n’a aucune influence sur la construction du projet professionnel des jeunes. L’association n’est pas non plus parvenue à réduire les procédures d’appel des décisions d’orientation prises par le conseil de classe, indiquant que le dispositif n’a pas réduit les contradictions entre les vœux des élèves et les possibilités d’orientation permises par le système scolaire.
32De plus, des effets pernicieux sur l’orientation ont été constatés, notamment lorsque l’accompagnement produit une remise en question ou crée une confusion dans les choix d’orientation des jeunes. En effet, les élèves accompagnés par l’association Actenses, comme les élèves les moins bien accompagnés dans le cadre de Tandem (« tandems courts »), se sentent davantage « perdus » en fin d’année scolaire que les autres élèves. Plus notable encore, les élèves expriment une baisse d’ambition scolaire et une diminution de la durée d’études espérée pour deux dispositifs (Actenses et TalENS). Ainsi, par rapport aux élèves n’ayant pas bénéficié de l’aide à l’orientation d’Actenses, les bénéficiaires sont moins désireux de poursuivre des études en classes préparatoires, en BTS (Brevet de Technicien Supérieur) ou en IUT (Institut Universitaire de Technologie), et sont moins nombreux à penser atteindre un niveau licence. Ce résultat résonne avec l’effondrement du taux d’accès aux classes préparatoires constaté pour les élèves issus de filières non scientifiques, ou ayant déjà redoublé, accompagnés par le programme TalENS. La proportion de ces élèves parvenant à intégrer ce type de classe est quasi nulle dans le groupe test, alors qu’elle s’élève à plus de 10% dans le groupe témoin. Pour autant, il est à noter que ce même dispositif parvient à corriger sensiblement les différences d’orientation entre les filles et les garçons en doublant le taux d’admission des filles en classes préparatoires scientifiques et, parallèlement, en augmentant l’admission des garçons dans les classes préparatoires littéraires.
33En fin de parcours universitaire, l’accompagnement à l’insertion professionnelle par un parrain (Frateli), moins contraignant à l’égard de la fréquence des contacts que les autres dispositifs, n’a pas permis l’évolution des modalités de recherche d’emploi ou de stages, ni son intensification, bien qu’il accroît le champ des aides possibles à disposition des étudiants. Concrètement, ce programme de parrainage n’a pas eu d’impact sur le nombre de candidatures, d’entretiens et de propositions d’embauche sur la période. À terme, le taux d’emploi des étudiants ayant bénéficié du dispositif de Frateli n’a pas évolué significativement, de même que le type d’emplois occupés (CDI, CDD, stages) ou encore la rémunération, tels que mesurés un an après l’accompagnement. Le parrainage déclenche pour autant une mise en contact plus fréquente des étudiants avec des entreprises et des stages plus nombreux, mais plus courts, sans incidence sur l’insertion.
- 12 Livret Coup de Pouce Clé, 2016.
34En général, les structures qui encadrent l’accompagnement préconisent une relation durable (sur au moins une année scolaire, voire deux ou trois années) avec des échanges fréquents (à raison d’au moins deux fois par mois). En effet, tant sur le plan des performances scolaires que des compétences sociales, les accompagnements sur l’ensemble de l’année scolaire sont plus susceptibles de produire des effets positifs (Tandem). Instaurer des rencontres fréquentes sur le temps long fait ainsi l’objet d’un consensus dans la littérature scientifique, considéré comme nécessaire à la réussite du programme (Larose, 2011). Pour autant, les temps de rencontre ne doivent pas être trop ambitieux, pour éviter un accompagnement chronophage qui conduirait à rebuter l’engagement de certains élèves (Tandem) ou qui porterait préjudice aux élèves issus de filières non scientifiques ou ayant déjà redoublé (TalENS). L’analyse des profils des élèves accompagnés montre que, parmi les jeunes bénéficiaires du programme TalENS, les filles et les élèves de milieux favorisés persistent davantage dans le dispositif, tandis que les élèves ayant déjà redoublé quittent plus souvent le dispositif en cours de route. Ainsi, l’intensité du programme peut avoir des effets néfastes sur certains élèves, notamment plus fragiles scolairement : le temps consacré au programme se substitue au temps qui devrait être alloué aux apprentissages scolaires, aux devoirs et à la préparation des examens alors même que le soutien apporté par le tuteur n’est pas toujours directement transférable dans le cadre scolaire. Le programme Coup de Pouce Clé en fournit également un exemple révélateur. Le contenu des ateliers étant orienté vers une familiarisation ludique des élèves à la lecture, l’intervention relève de ce fait d’une “action périscolaire et périfamiliale”, et non d’une “action de remédiation (scolaire et cognitive)”12. L’évaluation souligne d’ailleurs la capacité du programme à « éloigner discrètement les élèves de la chose scolaire » (Morel et al., 2012, p. 98). L’objectif est atteint concernant l’attrait pour la lecture et pour les matières scolaires, toutefois, nous l’avons vu, ce goût plus marqué pour les apprentissages ne se traduit pas par une amélioration des résultats scolaires.
35En pratique, peu de dispositifs parviennent à s’appuyer sur un réseau d’accompagnateurs suffisamment nombreux et disponibles pour maintenir un accompagnement de long terme. En particulier, l’association Actenses a fait face à un déficit d’accompagnateurs au moment de la montée en charge du dispositif, ce qui a contraint la structure à ne proposer que des ateliers collectifs à une partie des jeunes. L’association Frateli a également dû restreindre l’accès au dispositif de parrainage des étudiants de façon à s’adapter au vivier d’accompagnateurs disponibles. Même lorsque le binôme jeune-accompagnateur est finalement constitué, la relation doit souvent se clore prématurément. Pour les lycéens suivis par Tandem, le manque de temps de l’accompagnateur est la principale raison de l’arrêt anticipé de la relation, avant la rupture volontaire de la part du jeune. L’équipe d’évaluation rapporte que la durée médiane des « tandems » est de cinq mois et qu’un tiers des accompagnements ne dépasse pas trois mois, durée inférieure au seuil d’efficacité fixée à 6 mois d’après la littérature sur le mentorat, selon laquelle les interventions de moins de trois mois sont par ailleurs susceptibles de produire des effets négatifs (Grossman et Rhodes, 2002 ; Larose, 2011). La fréquence des ateliers Coup de Pouce Clé requiert une grande disponibilité de la part des accompagnateurs qui doivent animer des séances d’1h30 à raison de quatre soirs par semaine. La structure porteuse a également dû faire face à des difficultés de recrutement et à un important turn-over, notamment lorsque l’accompagnateur est étudiant (départs en cours d’année, absences en période d’examen…). Si une expérience dans l’animation et un bac +2 étaient généralement requis, l’impossibilité de trouver suffisamment d’accompagnateurs disponibles a parfois conduit les équipes à réévaluer à la baisse les critères de recrutement.
36Les accompagnateurs des cinq dispositifs expérimentés dans l’enseignement secondaire et universitaire sont tous bénévoles. Aucune sélection n’est opérée, ce qui n’empêche pas d’observer une certaine homogénéité dans les profils des accompagnateurs. La plupart d’entre eux sont issus de grandes écoles et de catégories sociales favorisées, ce qui peut instaurer une distance avec les jeunes accompagnés. Même lorsqu’ils sont étudiants à l’université (Tandem), le statut social des accompagnateurs reste supérieur à celui des jeunes dans la moitié des cas. Ils ne sont qu’environ 20% à résider dans les mêmes quartiers que les élèves qu’ils accompagnent et à avoir été scolarisés en zone d’éducation prioritaire.
37La proximité du profil des accompagnateurs avec celui des jeunes exerce une influence sur l’efficacité de la relation. L’évaluation qualitative du dispositif Tremplin met en lumière une proximité plus forte entre les élèves et les accompagnateurs les plus jeunes et récemment issus des classes préparatoires, qui procurent davantage le sentiment que ces classes sont accessibles, contrairement aux bénévoles plus âgés. Par ailleurs, les élèves ont une meilleure impression des accompagnateurs les plus proches de leur milieu social, mais cette proximité n’est pas toujours gage d’efficacité. En effet, le programme TalENS produit de meilleurs résultats lorsqu’il est mis en œuvre par des bénévoles ayant un capital socio-économique plus élevé. L’équipe d’évaluation fait l’hypothèse que les étudiants de milieu favorisé seraient plus à même de se comporter en « véritable enseignant » (Ly et al., 2018, p. 25). Si ces dispositifs ont pour principe de proposer une relation moins distante et moins verticale que celles entretenues avec les professeurs, en pratique les jeunes perçoivent toujours l’accompagnement comme une relation de jeune à adulte plutôt que comme une relation de jeune à jeune (Tandem). L’étude de Tandem montre par ailleurs que la nature de la relation varie selon que le binôme est exclusivement masculin (relation plus « hiérarchique ») ou féminin (relation plus « affective »).
38La question de la posture de l’accompagnateur est d’autant plus importante que ce dernier ne parvient pas toujours à être perçu comme un référent aux yeux des jeunes. Seuls 10% des élèves bénéficiant de l’aide à l’orientation proposée par Actenses citent spontanément leur accompagnateur parmi les interlocuteurs avec qui parler d’orientation. Une étude qualitative récente met en évidence les risques associés à des interactions négatives entre jeune et accompagnateur (Buehler et al., 2020). Lorsque ce dernier adopte des comportements inadéquats, ou que les attentes à l’égard du jeune ne sont pas adaptées, l’accompagnement peut conduire à une baisse de l’estime de soi et de la motivation.
39En sus, l’expérience de l’accompagnateur semble également être un critère d’efficacité. En effet, les performances en mathématiques des bénéficiaires de Tremplin progressent uniquement pour les binômes dont l’accompagnateur est un stagiaire de l’association, donc plus mobilisé que les bénévoles et ayant l’expérience d’un accompagnement hebdomadaire. Raposa et al. (2019) concluent eux aussi à un accompagnement plus efficace lorsqu’il est exercé par des personnes ayant déjà eu une expérience dans le domaine de l’aide ou de l’accompagnement.
- 13 Cahier des charges du 3e appel à projets de mentorat, 2022, p. 7.
40Enfin, les accompagnateurs peuvent eux-mêmes être la cible, directe ou indirecte, des programmes. C’est notamment le cas des dispositifs de mentorat qui encouragent “l’apprentissage mutuel”13 au sein de la relation mentorale et dans laquelle le mentor est une composante à part égale du mentoré. Dans un contexte de déploiement accéléré des dispositifs de mentorat, il convient d’interroger cette dimension interpersonnelle en observant de plus près les effets possibles de l’accompagnement sur les comportements, les postures et les compétences des accompagnateurs eux-mêmes. Une certaine vigilance doit être adoptée sur ce point dans la mesure où cette dimension est aujourd’hui essentiellement abordée par l’intermédiaire de questionnaires de satisfaction ou de sondages des motivations à l’égard des accompagnateurs. Parmi les expérimentations étudiées ici, seul le dispositif Tandem a fait l’objet d’une enquête auprès des étudiants bénévoles permettant de mettre en lumière des effets positifs sur “l’ouverture” ou la “tolérance” et la prise de conscience des réalités sociales vécues par les élèves, ce qui conforte par ailleurs le constat relatif à l’existence d’une distanciation sociale entre jeunes et accompagnateurs au sein de ce dispositif. En outre, la littérature relative au tutorat prend davantage en compte les effets produits sur les tuteurs, notamment à l’occasion des expérimentations européennes récentes de tutorat en ligne. Là encore, ces expérimentations suggèrent une meilleure compréhension des tuteurs de la réalité sociale vécue par les jeunes, ainsi qu’un enrichissement personnel et professionnel (Gortazar et al., 2023) et constatent un impact positif sur l’empathie (Carlana et al., 2023).
41Les évaluations de ces expérimentations ont également tenu compte du ciblage et des modes de sélection des jeunes, qu’elles ont parfois confrontés aux bénéficiaires réels de ces dispositifs. La participation aux dispositifs se fait le plus souvent sur la base du volontariat, mais à certaines conditions fixées par les programmes qui peuvent établir une pré-sélection des jeunes selon des critères scolaires ou sociaux.
42Ainsi, trois expérimentations ciblent des élèves “à potentiel” ou répondant à certains prérequis de niveau scolaire (Tremplin, Tandem, TalENS). La sélection de ces publics peut se faire selon des modalités objectives (élèves de filière scientifique) ou subjectives, notamment la motivation ou la “chance” de poursuivre des études supérieures, telles que perçues par les équipes pédagogiques. Les élèves ciblés par le dispositif Coup de Pouce Clé ne sont ni les bons élèves, ni ceux en trop grande difficulté scolaire. Les critères de sélection qui prévalent sont plutôt d’ordre socio-culturels et familiaux, et tiennent compte d’un manque d’accompagnement au sein du foyer afin de répondre aux besoins d’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Par conséquent, certains dispositifs excluent les meilleurs élèves ainsi que les élèves dont les résultats scolaires n’atteignent pas le niveau d’exigence requis ou les élèves dont les difficultés sont trop grandes pour être compatibles avec le contenu du programme, un choix explicitement énoncé dans certains programmes (Tandem, Coup de Pouce Clé). Enfin, le dispositif Frateli cible particulièrement les étudiants boursiers de niveau master 2, également sélectionnés sur la base du volontariat. Pour des raisons organisationnelles ou liées aux contraintes de mobilisation des accompagnateurs, des dispositifs sont amenés à renforcer la sélection finale des publics parmi les volontaires, au moyen d’entretiens motivationnels (TalENS) ou par le tirage au sort (Frateli).
43Ces modes de sélection s’inscrivent dans une conception individualiste de la promotion de l’égalité de chances dont les programmes s’adressent à certains élèves perçus comme méritants et, dans le cas des accompagnements proposés au collège ou au lycée, jugés en capacité d’accéder à des filières ou des formations plus sélectives. Certaines équipes d’évaluation ont décliné leur enquête de façon à caractériser davantage les publics réellement touchés par ces dispositifs (Tandem, Tremplin, TalENS, Frateli). Conformément aux intentions de départ de certains dispositifs, ceux-ci ont tendance à recruter les élèves déjà performants scolairement et faisant preuve de plus de motivation et d’investissement dans leur scolarité (Tandem, Tremplin), qui sont par ailleurs les élèves ayant un taux de redoublement plus faible (TalENS). Il s’avère que les élèves de filière générale scientifique sont plus susceptibles de participer à l’accompagnement, même lorsque la filière n’est pas un critère de sélection (TalENS). À certains égards, les élèves bénéficiaires de ces dispositifs d’accompagnement dans le secondaire aiment plus souvent la lecture, ou ont du moins une familiarité avec celle-ci du fait de la présence de davantage de livres à leur domicile (Tandem, Tremplin). Dans le cas de Tandem, les élèves recrutés ont aussi une meilleure connaissance initiale des filières possibles et de leur choix d’orientation que les élèves non bénéficiaires, alors que l’accompagnement qui leur est fourni suggère un accompagnement sur ce volet. À l’inverse, le dispositif Actenses propose l’accompagnement à un ensemble de jeunes, à l’échelle d’une classe, afin d’éviter que la participation volontaire des élèves ou leur sélection sur des critères préalablement établis conduisent à un biais de sélection en faveur des bons élèves.
44Globalement, les dispositifs expérimentés dans le secondaire (Tandem, Tremplin, TalENS) ciblent prioritairement les élèves performants scolairement et perçus comme méritants. Même lorsque ces critères ne prévalent pas lors de la sélection, ces élèves sont également les plus susceptibles de participer et de persister au sein des dispositifs, du fait de modes de recrutement souvent basés sur le volontariat. En outre, les expérimentations attestent également d’une participation plus grande et plus pérenne des filles, ainsi que des jeunes d’origine étrangère. Ce dernier constat se retrouve également parmi les publics étudiants de l’association Frateli, qui sont plus souvent des femmes d’origine étrangère qu’au regard du reste de la population d’étudiants boursiers.
45Une fois sélectionnés, ces jeunes sont associés à un accompagnateur. La constitution des binômes ou, à la marge, des groupes, fait aussi l’objet de méthodes d'appariement variables d’un dispositif à l’autre. L’appariement est le plus souvent opéré par la structure encadrante selon des critères objectifs comme les disponibilités et la proximité géographique du jeune et de son accompagnateur. Certains dispositifs assurent aussi l'appariement des binômes ou des groupes selon la thématique de travail à développer tout au long de l’accompagnement (TalENS), ou la discipline ou le secteur d’activité dans lequel s’inscrit un jeune étudiant et le professionnel qui l'accompagne (Frateli). En effet, dans le cadre du mentorat, plusieurs auteurs ont mis en évidence l’intérêt de jumeler un jeune et un mentor en fonction d’intérêt personnels, scolaires ou professionnels communs, ce qui contribue à améliorer la qualité des échanges ainsi que l’appropriation et la perception du dispositif par les jeunes (Larose, 2011 ; Dubois et al., 2011). D’autre part, le dispositif Actenses repose sur une formation des binômes laissée à la main du jeune concerné, qui choisit son parrain à l’issue d’une démarche de speed dating. Alors que la concordance de genre est parfois aussi utilisée comme critère d’appariement entre un jeune et son accompagnateur (Tandem), les résultats des évaluations et d’autres travaux issus de la littérature ne suggèrent aucune distinction en matière d’effet sur les performances des élèves selon le genre de l’accompagnateur (Larose, 2011). Intrinsèquement liée à la question de la sélection des accompagnateurs (cf. partie précédente), la recherche d’une cohérence dans la formation des binômes ou des groupes entre jeunes et accompagnateurs se concrétise à travers différentes techniques d'appariement qui, bien que considérées comme un paramètre de la qualité de l’accompagnement, ne sont pas examinées en tant que telles par les équipes d’évaluation.
46Dans un contexte de déploiement rapide des programmes d’accompagnement de type tutorat, parrainage et mentorat en France, cet article propose de dresser un état des lieux des connaissances à partir des évaluations quantitatives existantes, nombreuses en Amérique du Nord, et rend compte des premiers travaux évaluatifs réalisés en France sur des dispositifs de cette nature s’adressant à des enfants et des jeunes. En s’appuyant sur un échantillon restreint de six programmes ayant fait l’objet d’évaluation par la méthode de l’expérimentation aléatoire ou des méthodes quasi-expérimentales, notre article ne peut s’apparenter aux méta-analyses anglo-saxonnes mais présente une analyse comparative des effets de ces programmes sur les performances scolaires, les compétences non académiques et l’ambition scolaire des jeunes. Une relative convergence dans les résultats évaluatifs est observée. Ainsi, les programmes étudiés se révèlent peu efficaces pour faire évoluer positivement les élèves au regard de chacune de ces trois dimensions. Si ces résultats peuvent paraître décevants, ils s’inscrivent néanmoins au sein d’une littérature mettant en évidence les effets modérés, parfois préjudiciables, de ce type d’accompagnement. Parce que certains jeunes persistent davantage dans les programmes, ces derniers apparaissent susceptibles d’infléchir sensiblement et durablement la trajectoire des filles, des élèves n’ayant jamais redoublé et des élèves issus de milieux favorisés. En revanche, la participation aux programmes a des effets nuls, voire contre-productifs, sur la réussite et l’ambition scolaire des autres élèves, moins avantagés et plus fragiles scolairement. Par conséquent, au lieu de contribuer à la lutte contre les inégalités des chances, ces dispositifs peuvent participer à les accroître. Ces constats appellent une vigilance particulière sur la mise en œuvre des programmes. D’une part, au sein de notre échantillon, les programmes les plus coûteux ne sont pas plus à même de produire des effets bénéfiques. Par ailleurs, comme le suggèrent les travaux nord-américains, les accompagnements de longue durée s’appuyant sur des accompagnateurs expérimentés s’avèrent plus efficaces. Dans leur mise en œuvre, les programmes étudiés révèlent des modalités d’accompagnement parfois peu en phase avec les recommandations de la littérature en matière de bonnes pratiques (relation d’accompagnement courte, accompagnateur étudiant).
47Si les programmes présentés ont été expérimentés au début des années 2010, les résultats d’évaluation présentés ici fournissent néanmoins des enseignements mobilisables et transférables permettant d’éclairer les dispositifs actuels. En effet, les programmes d’aujourd’hui sont hérités des programmes d’hier. Parmi ces derniers, certains sont toujours mis en œuvre, d’autres ont partiellement évolué. Un seul des six programmes semble définitivement suspendu (Actenses). Ainsi, quatre des six structures ayant expérimenté les programmes étudiés dans cet article sont actuellement soutenues financièrement par les pouvoirs publics pour déployer des programmes de même nature, dont les contenus et modalités d’accompagnement ont plus ou moins évolué, dans le cadre des cordées de la réussite et/ou du plan 1 jeune 1 mentor.