3Mais, au fil des ans, d’autres acteurs ont investi ce nouveau segment des services éducatifs : aux côtés des associations d’étudiant·es de Grandes écoles, de multiples entreprises associatives (Hély, 2009) ont reconverti une partie de leurs activités pour proposer des prestations d’accompagnement ciblant ce public scolaire, ou se sont créées spécifiquement dans cet objectif. Cet élargissement des intervenant·es sur la thématique de « l’égalité des chances » a suscité une évolution du ciblage des élèves et des objectifs attribués aux prestations d’accompagnement, avec le passage d’une sélection sur critères scolaires, visant des élèves susceptibles de contribuer à l’ouverture des Grandes écoles, à un recrutement fondé avant tout sur la motivation et l’adaptation aux attentes des bénéficiaires en matière d’orientation.

5Ce nouveau format pédagogique et les acteurs qui le mettent en œuvre sont mal connus. Seul·es les tutrices et tuteurs de dispositifs portés par les Grandes écoles ont fait l’objet de quelques travaux (Allouch, 2008 ; Soubiron, 2015) : ils font état de la distance sociale importante qui sépare les tuteur·rices des élèves ciblés par ces prestations. Il s’agit pour elles et eux de socialiser ces élèves issu·es de milieux populaires aux visions et pratiques des classes supérieures, leur conversion à celles-ci étant posée comme condition d’intégration des élites (Allouch et van Zanten, 2008). Or, les associations étudiantes liées aux Grandes écoles constituent un modèle spécifique au sein de l’espace social lié à la cause de l’égalité des chances. En prenant le mentorat comme unité d’analyse, l’hétérogénéité des statuts, des profils et des caractéristiques sociales des mentor·es devient frappante. Le présent article entend questionner la façon dont ces propriétés sont corrélées aux modes d’appropriation du mentorat, en lien avec le positionnement des mentor·es vis-à-vis de l’institution scolaire.

6La mise en commun de deux enquêtes, l’une portant sur les politiques et dispositifs dits de promotion de l’égalité des chances, l’autre sur l’association Afev, permet d’apporter des éléments de réponse.

7Après une présentation des terrains et des méthodes, la première partie de cet article revient sur la place des mentor·es dans la division du travail éducatif relative à ces prestations d’accompagnement. La seconde partie identifie quatre modes d’appropriation du mentorat de la part des mentor·es, en lien avec quatre critiques de l’institution scolaire : faire avec l’École, faire différemment, faire mieux et faire en dehors.

Méthode

8Entre 2018 et 2022, nous avons mené des enquêtes portant sur quatre associations qui proposent des services de mentorat. Ces associations présentent les attributs suivants :

Tableau 1 : Caractéristiques des associations enquêtées

9La première association, l’Afev, est une importante association nationale dont le financement émane principalement de subventions publiques. Le pôle local enquêté représente une équipe de 12 salarié·es qui encadrent une trentaine de volontaires en service civique ; eux et elles-mêmes assurent le suivi d’environ 300 mentorats. Ces derniers sont réalisés par des étudiant·es de l’université auprès d’élèves de l’éducation prioritaire issu·es de collèges partenaires de l’association. Certain·es élèves présentent des difficultés sociales et/ou scolaires, d’autres sont ciblé·es en vertu de leur appétence scolaire. Emily Lopez Puyol a mené sa thèse sur cette association, par observation participante, y ayant été engagée en tant que salariée, mais aussi via des entretiens avec les membres de l’association (34 entretiens avec les mentor·es, 23 avec les salarié·es et 35 avec les volontaires en service civique) (2023).

10Alice Pavie a enquêté dans les trois autres associations dans le cadre de sa thèse. Trinidad est une association financée par le privé, présente dans plusieurs grandes villes de France. L’antenne enquêtée a ouvert en 2018, gérée par une unique salariée avec l’aide de deux ou trois travailleuses en contrats précaires (stages, volontariats en service civique) ou bénévoles qui se succèdent. Ensemble, elles assurent la supervision des mentor·es : des bénévoles exerçant par ailleurs pour la plupart une activité de cadre dans de grandes entreprises. Ils et elles effectuent du mentorat individualisé auprès d’environ 40 élèves, scolarisé·es dans 5 collèges REP+ partenaires et sélectionné·es sur la base de leur « potentiel » supposé. Une observation participante de quelques mois en tant que bénévole y a été réalisée, ainsi que des entretiens avec des mentor·es et des salarié·es (N=12).

11L’association étudiante Partage est hébergée par une école d’ingénieurs où un service d’une petite dizaine de salarié·es et volontaires en service civique assurent la coordination des actions dédiées à l’égalité des chances, notamment l’encadrement d’une vingtaine de membres du bureau de l’association qui font le lien avec la centaine de mentor·es bénévoles étudiant·es de l’école. Ces dernier·es assurent des séances d’accompagnement semi-collectif auprès d’environ 300 élèves, sélectionnés sur la base de leur appétence scolaire et de leur motivation et scolarisé·es dans les 7 collèges REP ou REP+ et 4 lycées partenaires. Plusieurs observations de séances et des entretiens (N=15) avec les membres du service égalité des chances et les membres de l’association étudiante ont été menés.

12Enfin, l’association étudiante SaisisTaChance est elle aussi hébergée par une Grande école, mais il s’agit d’une école de commerce, qui ne dispose pas de service interne dédié aux actions de mentorat. La vingtaine de membres du bureau de l’association dispose de l’appui d’un enseignant de l’école qui les accompagne dans leurs démarches administratives sur son temps personnel et fait le relais auprès des établissements (4 collèges dont 3 REP+ et 2 lycées). Ils et elles disposent d’une forte autonomie dans l’encadrement des quelques 130 étudiant·es qui s’engagent chaque année comme mentor·es. Les 300 élèves mentorés sont là aussi sélectionnés sur la base de leur appétence scolaire et de leur motivation. Des observations au sein de l’association (séances de tutorat, recrutement des futurs membres) et des entretiens avec ses membres (N=6) ont été conduits.

13Par ailleurs, un questionnaire a été adressé aux mentor·es de ces associations – Partage N=58 ; SaisisTaChance N=58 ; Afev N=212 –, à l’exception de Trinidad, en raison de l’implantation récente de l’antenne et du faible nombre conséquent de mentor·es.

Entre conflits et autonomie : la place des mentor·es dans la division du travail éducatif

La division du travail interne aux associations

14Le cahier des charges de l’appel à projet 2022 du plan « 1 jeune, 1 mentor » définit le mentorat de la façon suivante :

« Le mentorat désigne une relation interpersonnelle d’accompagnement et de soutien basée sur l’apprentissage mutuel. Son objectif est de favoriser l’autonomie et le développement de la personne accompagnée en établissant des objectifs qui évoluent et s’adaptent en fonction des besoins spécifiques. Le binôme mentor/mentoré agit au sein d’une structure professionnelle encadrante (formation, suivi, évaluation…). Le mentorat est un des piliers d’une société de l’engagement : le mentor ne peut être rétribué : il/elle agit bénévolement ou dans le cadre d'un engagement d'intérêt général type service civique ».

15Cette définition qui met l’accent sur la valeur de l’accompagnement (contribution à l’autonomie et au développement de la personne accompagnée) et les compétences nécessaires à son accomplissement (relationnelles, d’adaptabilité) stipule que « le mentor ne peut être rétribué », au motif de sa contribution à une « société de l’engagement ». Cette définition mentionne également comme prérequis la présence d’une « structure professionnelle encadrante » : en effet, ces binômes doivent être sélectionnés, mis en relation et suivis le temps de l’accompagnement.

16En interne, dans les associations, la division du travail oppose donc d’un côté des tâches liées à l’animation, assurées bénévolement par les mentor·es qui y consacrent entre quelques heures par semaine et quelques heures par mois ; de l’autre, un travail d’encadrement et de gestion administrative comme recruter les mentor·es, les mettre en relation avec les bénéficiaires et suivre les mentorats, contacter les établissements et obtenir des financements. Ce travail est généralement réalisé par des salarié·es, mais il est souvent aussi en partie délégué à des volontaires en service civique ou stagiaires, qui reçoivent une indemnité ou une rémunération autour de 600 euros par mois pour un travail compris entre 24h et 35h par semaine. La figure 1 illustre cette division hiérarchisée dans le cas des quatre associations enquêtées :

17Dans tous les cas, il s’agit en définitive de fournir une prestation d’accompagnement qui prend forme dans la relation entre élèves bénéficiaires et mentor·es bénévoles. Ces binômes sont formés et supervisés tantôt par des volontaires en service civique (Afev), des stagiaires ou apprenti·es (Trinidad), qui perçoivent une indemnisation monétaire, tantôt par des bénévoles (étudiant·es d’écoles d’ingénieur·es à Partage ou de commerce à SaisisTaChance). Ces encadrant·es sont elleux-mêmes placé·es sous l’autorité de superviseurs : salarié·es et pour la plupart en CDI à l’Afev et Trinidad, salarié·es de l’école d’ingénieur·es en CDD à Partage, enseignant de l’école de commerce non indemnisé pour son investissement à SaisisTaChance.

Tableau 2 : Caractéristiques sociales des mentor·es des structures enquêtées

Source : 3 questionnaires distincts ont été adressés aux bénévoles de Partage, SaisisTaChance et l’Afev, les données concernant Trinidad sont issues de statistiques internes à l’antenne.

Mentor·es dans la division du travail avec les personnels éducatifs

19Les prestations d’accompagnement sont proposées par les associations aux établissements scolaires, qui sélectionnent des élèves pour en bénéficier. La prestation prend la forme d’un accompagnement individualisé ou en petits groupes, dans l’enceinte de l’établissement ou à l’extérieur, parfois complété par d’autres activités (visites culturelles ou d’entreprises, voyages, etc).

20La sélection des bénéficiaires est quasi-systématiquement déléguée à des personnels éducatifs des établissements, notamment des enseignant·es (Pavie et al., 2021) : c’est là un moyen de reconnaître leur expertise, mais aussi de circonscrire leur participation. Ainsi, les enseignant·es ne jouent pas un rôle pédagogique central dans la mise en œuvre des prestations d’accompagnement, leur rôle consistant à superviser l’organisation des séances (trouver un créneau, une salle, accueillir les mentor·es). La plupart des personnels éducatifs n’interviennent pas auprès des mentor·es dans la préparation ou le déroulement des séances, même quand celles-ci ont lieu au sein de l’établissement :

21« Je passe pour dire bonjour aux tuteurs, je leur dis s’il y a vraiment quelque chose, "merci au revoir, bonne journée". Je les laisse en totale autonomie. De temps en temps je demande aux élèves "alors vous avez fait quoi ?" mais je ne demande pas aux tuteurs ». Enseignant en SVT dans un collège REP+ et responsable des programmes d’égalité des chances du collège.

22C’est là une différence avec d’autres dispositifs d’ouverture sociale comme les Conventions éducation prioritaire ou le « programme de démocratisation PEI » de Sciences Po Lille, où les personnels éducatifs peuvent être amené·es à animer des ateliers de préparation auprès des élèves. Ce sont ici les mentor·es qui sont placé·es au cœur du dispositif et disposent a priori d’une forte autonomie. Cette autonomie et les rapports noués avec les enseignant·es varient néanmoins d’un contexte associatif à l’autre.

23C’est au sein de l’Afev que la distance entre mentor·es et enseignant·es est sans doute la plus importante. Les contacts entre ces acteur·rices sont rares, voire inexistants. En effet, les mentor·es interviennent en dehors des heures de classe, à l’extérieur de l’établissement scolaire. La mise en relation des bénéficiaires et des mentor·es est effectuée par l’association, souvent au domicile de l’élève, sans que l’enseignant·e soit nécessairement présent·e. Des bilans ponctuels concernant l’ensemble des bénéficiaires d’un établissement sont effectués auprès de ses personnels éducatifs, mais les mentor·es sont alors absent·es. Les personnels éducatifs transmettent certaines informations concernant les bénéficiaires et parfois des suggestions relatives au mentorat, mais toujours de façon indirecte, via l’association. Quant aux mentor·es, ils et elles ne se perçoivent pas forcément comme intégré·es dans un partenariat entre l’Afev et l’établissement scolaire, n’ayant de contacts qu’avec l’élève et sa famille.

24Dans les deux associations d’étudiant·es de Grandes écoles, les contacts avec les personnels éducatifs sont occasionnels : les séances semi-collectives de mentorat se déroulent pour certaines au sein des établissements scolaires, des personnels éducatifs participent aussi parfois à des voyages organisés avec les bénéficiaires comme accompagnateur·rices. Selon les cas, ces contacts peuvent être brefs et d’ordre essentiellement pratique ou plus chaleureux, agrémentés d’échanges sur les élèves ou le déroulement des séances. Néanmoins, il arrive qu’ils soient conflictuels, comme le rapporte l’enseignant de l’école de commerce en lien avec l’association étudiante SaisisTaChance :

« On a eu un souci il y a deux ans : il y a eu un voyage […] il y a un prof qui les avait accompagnés qui n’était pas du tout apprécié des élèves et entre un gamin et ce prof, ils n’arrêtaient pas de se charger. […] Il y a eu l’insolence de trop et au retour le prof a fait exclure le gamin. Et les étudiants ont été révoltés et ces cons ils ont pris parti pour le gamin contre le collège, et ils ont fait des témoignages pour le père ! Là ils ont foutu la principale dans une merde noire, parce que ce genre de truc ça monte tout de suite… Moi quand j'ai découvert ça, même pas ils m'en ont parlé, [je leur ai dit] : "mais ça ne va pas ! Attention vous ne pouvez pas prendre parti […] Nous on est là pour aider les collèges, vous avez 25 gamins que vous voyez une fois par semaine, eux ils en ont 400 qu'ils voient tous les jours. […] Nous on est là pour que ça se passe mieux, on n’est certainement pas là pour rajouter des problèmes à des gens qui en ont". Ce qu’ j'essaye de faire maintenant’ c'est que avant de faire rencontrer les gamins, je les emmène dans l'établissement, je les fais rencontrer proviseurs, profs, CPE, etc.  Pour qu’eux leur parle du contexte et leur disent pourquoi le projet est important pour eux et ce qu'ils en attendent. Et puis qu'ils comprennent qu'ils sont au service du collège et du lycée. »

25À l’issue d’un voyage organisé dans le cadre des activités de l’association SaisisTaChance, les étudiant·es-mentor·es prennent parti pour un élève dans un conflit avec un enseignant de collège les ayant accompagné. La proximité d’âge et de statut (élève/étudiant) entre mentor·es et bénéficiaires contribue à éclairer ce positionnement. L’enseignant de l’école de commerce tente de les rappeler à leur rôle de prestataires, au service des établissements scolaires en priorité, car c’est avec eux que se négocie la mise en œuvre des prestations, et non auprès des élèves.

26Enfin, les relations nouées par les mentor·es de l’association Trinidad avec les enseignant·es prennent une forme spécifique. En effet, l’association entend proposer un mentorat « tripartite » : aux côtés du mentor ou de la mentore un·e « référent[·e] pédagogique » est désigné·e au sein de l’établissement de l’élève mentoré·e (souvent une enseignante) qui doit accompagner l’élève sur la dimension scolaire de son parcours et aborder l’orientation, il ou elle peut également participer aux sorties organisées. Néanmoins, dans une large majorité de cas, le ou la « référent·e pédagogique » est peu présent·e – voire absent·e, Trinidad peine à les recruter. Ceci provoque la frustration des mentor·es, qui critiquent le manque d’investissement personnalisé des enseignant·es auprès de « leur » filleul :

« [Et vous disiez que vous n’avez pas beaucoup de contact avec la référente pédagogique ?]

Pas vraiment non. Mais je pense que c'est le problème de la plupart des tuteurs parce qu'on a fait une réunion Teams il n’y a pas longtemps et c'est ce qui ressortait : c'est que les référents pédagogiques ne sont pas beaucoup là. Ils ont autre chose à faire peut-être. […] C'est vrai que je trouve que c'est un peu dommage, par principe, qu’ils ne s’investissent pas plus. […] Ils devraient ! » (Mentore de Trinidad depuis 2018, cadre d’une fondation d’entreprise, née en 1963).

27Pour les enseignant·es jouant le rôle de « référent·es pédagogiques », l’attention portée à ces élèves s’insère dans un quotidien professionnel fait de relations avec des dizaines ou centaines d’autres (« vous avez 25 gamins que vous voyez une fois par semaine, eux ils en ont 400 qu’ils voient tous les jours ») rappelait l’enseignant de l’école de commerce aux mentor·es). Les personnels éducatifs ne considèrent pas l’accompagnement d’un·e élève mentoré·e comme plus crucial qu’un·e autre. Cette attention de l’enseignant·e est censée se justifier par le « potentiel » décelé chez ces élèves et leur motivation, tandis que ce sont plutôt les élèves en difficulté à qui du temps supplémentaire est habituellement consacré par les enseignant·es. Ainsi, si l’association Trinidad semble afficher une reconnaissance de l’expertise enseignante en matière de conseils éducatifs à prodiguer aux élèves bénéficiaires, dans les faits, les mentor·es portent souvent un regard critique sur les pratiques professionnelles enseignantes, façonné par leur appartenance au secteur privé et à la déconsidération dont font parfois l’objet les fonctionnaires en son sein.

28Ainsi, les mentor·es des dispositifs d’« égalité des chances » exercent en tant que prestataires de service auprès des établissements scolaires, mais sans en avoir toujours conscience, puisque leur activité se centre sur le contact avec les élèves. Cette perspective tient à la division du travail interne aux associations, porteuse d’une dichotomie entre celles et ceux qui nouent les partenariats et les administrent et celles et ceux qui mettent en œuvre concrètement les prestations. Ils et elles témoignent parfois d’un regard critique sur les enseignant·es, de rapports souvent distants et ponctuellement conflictuels. Nous allons voir que leur rapport au mentorat et la relation nouée avec les mentoré·es s’inscrit plus largement dans un rapport critique à l’institution scolaire.

Rapports au mentorat et perceptions critiques de l’École

29Les engagements des mentor·es s’inscrivent dans un contexte spécifique à chaque association. Le caractère bénévole de l’accompagnement limite la capacité des structures à le contrôler (Simonet, 2010), néanmoins, elles constituent des « matrices d’engagement » (Nicourd, 2019) qui orientent les discours et pratiques des mentor·es. Les représentations de l’institution scolaire que ces associations véhiculent sont elles-mêmes en partie le reflet de celles des mentor·es, corrélées à leur inscription dans les rapports de pouvoir. En définitive, quatre idéaux types relatifs à la pratique du mentorat peuvent être identifiées ; chacun se retrouve majoritairement, mais pas exclusivement, dans l’une des associations enquêtées et est associé à certaines caractéristiques sociales chez les mentor·es.

Faire avec l’École

30Au sein des deux associations étudiantes, Partage hébergée par une école d’ingénieur·es et SaisisTaChance par une école de commerce, l’engagement comme mentor·e s’inscrit dans la participation à l’univers associatif des écoles. En son sein, ces associations ont une image « sérieuse » et sont tournées vers l’extérieur, à l’opposé d’associations culturelles ou festives qui visent à animer la vie étudiante. Partage est ainsi surnommée par certain·es étudiant·es ingénieur·es « l’asso de l’enlise », en raison de l’investissement temporel régulier exigé de ses membres. Elles sont rapprochées d’associations humanitaires ou en défense de causes (lutte contre le cancer, par exemple). Outre le contraste entre orientation commerciale ou vers l’ingénierie, le prestige différentiel des deux établissements – école d’ingénieurs parmi les mieux cotées contre école de commerce de second rang - impacte la composition des associations étudiantes au sein de ces deux écoles Ainsi, les mentor·es de Partage, à l’image du reste des étudiant·es de l’école, sont issu·es des classes supérieures, il s’agit de très bon·nes élèves, passé·es par les meilleures classes préparatoires.

Réponses à la question « Quels sont, selon vous, les besoins des jeunes tutorés ? » :

« Ils ont besoin de voir des choses nouvelles et de sortir du monde assez clos de leur quartier. […] Créer du lien au-delà des différences leur permet de déconstruire leurs préjugés et leur donner confiance en les autres »

(Tutrice de Partage en 2015, née en 1995, originaire d’Île-de-France, mention TB au bac, parents cadres commerciaux).

« […] Se sentir à l'aise avec des personnes issues de groupes sociaux plus aisés et plus blancs, avoir des éléments de culture en commun [...] ».

(Tuteur de Partage en 2018, né en 1998, originaire d’Île-de-France, mention TB au bac, père chef d’entreprise et mère médecin).

32Les séances de mentorat mises en œuvre à Partage sont donc centrées sur la transmission de contenus culturels ou scientifiques et abordent parfois l’orientation pour « lever les barrières » que se poseraient les jeunes eux et elles-mêmes ou auxquelles les confronteraient leur environnement.

33Cette démarche s’inscrit en complémentarité vis-à-vis de l’école : il s’agit d’apporter aux jeunes ce à quoi elle ne leur donne pas accès. Ce qui sous-tend cette conception, c’est l’idée – parfois caricaturée (Garcia, 2018) – que la culture non scolaire contribue indirectement à la réussite scolaire :

« On a revendiqué un projet très culturel, très peu scolaire […]. C'était moi, donc très "j'ai lu Bourdieu". Très centré sur la question des implicites, des représentations, voilà des rapports au monde et très peu centré sur la question scolaire en tant que telle, en se disant que la question scolaire est la conséquence de la question sociale »

(Directeur du service de l’école chargé d’assurer la coordination des projets d’égalité des chances).

35Du point de vue du contenu, un programme est proposé pour chaque séance, en concertation avec le service de l’école ; celui-ci assure des « visites » de séances à l’issue desquelles des conseils sur le contenu et la forme sont dispensés. La transmission de connaissances – même si elle se conjugue avec des activités ludiques (blind-tests, jeux de simulation type ONU…) – demeure primordiale. La distinction vis-à-vis de la forme scolaire passe alors par l’attachement à une pédagogie active, qui se traduit concrètement le plus souvent par un encouragement à la participation des élèves, finalement proche des préoccupations de certain·es enseignant·es (Deauvieu, 2009). Quelques mentor·es de l’échantillon (7) relèvent d’ailleurs la proximité avec la situation d’enseignement, qui les a motivé·es à s’engager :

« J'aimais beaucoup l'aspect d'échanges/transmission, proche de l'enseignement »

(Tutrice en 2010, responsable tutorat au bureau, née en 1990, père médecin, mère infirmière, mention TB au bac).

36Témoignant de scolarités exemplaires, d’un rapport a priori très positif à l’École, les mentor·es de Partage se positionnent en complémentarité vis-à-vis d’elle, sans contester son rôle et son importance.

Faire différemment de l’École

37Au sein de SaisisTaChance, association étudiante au sein d’une école de commerce, le lien avec le monde de l’entreprise et les caractéristiques sociales des bénévoles nourrit un autre rapport, plus critique. Les profils sociaux et scolaires des mentor·es sont plus hétérogènes : seuls un tiers a obtenu une mention très bien au bac, contre plus de 75% des mentor·es de Partage ; 31% ont un père ouvrier ou employé contre 15% pour les mentor·es de Partage, 41% ont un père cadre contre près de 69% au sein de Partage ; par ailleurs, la proportion de mentor·es dont un ou deux parents est immigré·e y est aussi beaucoup plus importante : 45% contre 18%. Les étudiant·es issu·es des minorités sont surreprésenté·es à SaisisTaChance au sein de l’école de commerce, ce qui lui vaut le surnom péjoratif « d’association des Noirs et des Arabes », rapporté par plusieurs enquêté·es. Sa réputation d’association « communautaire » - un mentor explique : « les étudiants voyaient SaisisTaChance comme étant une asso réservée à certaines personnes, et que pour y rentrer il fallait être de cette communauté-là ou savoir danser » - est renforcée par son mode de recrutement. Si l’engagement au sein de Partage est massif dans l’école d’ingénieur (1/3 de chaque promo) et compatible avec la participation à d’autres associations, c’est moins le cas de SaisisTaChance dont les 130 mentor·es ne constituent qu’une part minime des effectifs de l’école et dont l’engagement est plus souvent exclusif (à 54% contre 11% à Partage) ; les mentor·es y sont d’ailleurs sélectionné·es, ce qui n’est pas le cas à Partage.

38Ces éléments se reflètent dans les motivations des mentor·es : plus nombreux·euses à revendiquer s’engager au nom de l’égalité des chances pensée comme une cause ou pour défendre des valeurs (à 45% contre 24% pour les bénévoles de Partage), une partie (14%) déclare s’être engagé par identification avec les élèves accompagnés :

« Je connaissais l’asso étant au collège, la cause me tient à cœur étant donné que j’étais moi-même à la place de ces enfants »

(Tutrice en 2020, 18 ans, mention B au bac, scolarité dans un QPV de la ville enquêtée, père maçon, mère au foyer, né·es en Tunisie).

39D’autres travaux sur le mentorat relèvent que la proximité entre les mentor·es et les mentoré·es peut expliquer l’engagement de certain·es mentor·es, mais aussi prédire la durée de l’accompagnement. En effet, une étude étatsunienne (Raposa et al., 2019) a identifié le partage d’une même identification ethno-raciale comme un facteur qui prédit des relations plus longues, tout comme une aversion partagée vis-à-vis de certaines activités. Qui plus est, lorsque les mentoré·es et les mentor·es expérimentent des processus de racisation similaires, ces dernier·es peuvent constituer un soutien significatif pour des jeunes qui subissent de la discrimination raciale dans le cadre de leurs études (Griffith et al., 2019).

40Dans leur rapport à l’institution scolaire, ces mentor·es’inscrivent majoritairement dans l’idéal-type « faire différemment », associé à un objectif de développement personnel par le mentorat. Ils et elles considèrent non pas que les jeunes ont un effort à faire pour s'ouvrir vers l'extérieur, mais au contraire qu'il faut partir d'elles et eux, en leur offrant une écoute, une attention, et en construisant un accompagnement personnalisé, en leur offrant un cadre et un soutien scolaire et en travaillant sur leur motivation. Il s'agit de développer leurs capacités préexistantes, en offrant un suivi personnalisé sur le mode du coaching plutôt que de chercher à extraire du milieu d’origine.

41C’est une autre critique classique sous-jacente de l’institution scolaire qui s’exprime alors : son formatage excessif, sa non-prise en compte des besoins individuels spécifiques. Là encore, les formats pédagogiques prescrits sont en rupture avec ce que les mentor·es s’imaginent être les formats scolaires traditionnels :

« On a été à leur place plus jeune, ben comme l'ensemble des professeurs, mais malheureusement ils sont régis par certaines contraintes j'ai envie de dire. Par exemple, un professeur qui est dans une école publique, qui voudrait faire une formation de type Montessori, il ne pourrait pas forcément, tandis que nous, à SaisisTaChance, on peut leur transmettre ce qu'on a envie de leur transmettre, de la manière qu'on veut, donc on peut échanger avec eux, souvent c'est sous forme de débats. […] Par exemple on aborde des sujets tabous avec eux : la semaine dernière on a parlé de racisme anti-blanc, on parle de contraception... […] On le fait de manière plutôt ludique »

(Tutrice en 2020, née en 2000, mère plongeuse en restauration, père absent, originaire d’un QPV de la ville enquêtée).

42Comme ailleurs, le ou la mentor·e est promu·e comme figure pédagogique alternative qui s’inscrit dans une relation aux élèves moins verticale, transmet son savoir sur un mode différent de l’enseignant·e (Allouch et van Zanten, 2008). Mais ici, l’accent est mis sur le développement de soft skills, la personne et non l’élève est « le sujet éducatif par excellence » (Chambard, 2020). Le contenu en termes de connaissances revêt une importance moindre. En revanche, des débats portant sur l’actualité ou des sujets polémiques sont organisés : le contraste est important vis-à-vis de Partage, marqué au contraire par une forme d’« évitement du politique » (Eliasoph, 2010), où les mentor·es écartent certains sujets (religion, droit des femmes) par peur de voir les séances « leur échapper ».

43Pour ces mentor·es – issu·es des classes moyennes et parfois populaires, témoignant de parcours scolaires moyens, engagé·es dans des études supérieures commerciales rejetant le « souci scolaire » au profit du « sérieux managérial » (Abraham, 2007) – l’École apparaît comme le lieu de la contrainte. La relation de mentorat est au contraire celle de tous les possibles pédagogiques, offrant l’opportunité d’une meilleure prise en compte de l’individualité.

Faire mieux que l’École

44Le troisième idéal type correspond à une pratique de mentorat où un objectif stratégique domine. Elle se retrouve surtout chez certain·es mentor·es de Trinidad, salarié·es du privé, pour la plupart cadres de grandes entreprises. Ils et elles ont tou·tes effectué des études supérieures, la majorité jusqu’au niveau bac + 5 ; bien plus âgé·es que dans les autres structures, la moyenne d’âge y est de 43 ans.

45Le contexte de leur engagement est celui d’un 3^e âge du mécénat (depuis la fin des années 1990) qui privilégie des projets qui requiert l’implication des salarié·es (Rozier, 2016). Ce sont les entreprises des mentor·es qui financent leur participation, à hauteur de 1 500 euros par accompagnement. Elles y trouvent un moyen de « contester aux pouvoirs publics le monopole de l’intérêt général et promouvoir une prise en charge privée d’une partie de celui-ci » (Bory, 2008, p. 261). En l’occurrence, l’École publique est présentée comme inefficace pour garantir la réussite des élèves.

47L’objectif principal assigné au mentorat est la réussite scolaire et professionnelle, définie en des termes élitistes. Les mentor·es qui correspondent à cet idéal mettent en œuvre des stratégies scolaires interventionnistes, similaires pour certain·es à celles appliquées à leurs propres enfants : suivi des résultats scolaires et remédiation en cas de baisse de note (via leur propre intervention ou des cours particuliers) ; choix des établissements scolaires en fonction de la perception de leur performance, impliquant des stratégies de contournement ; investissement dans des pratiques culturelles et sportives encourageant le développement du « goût de l’effort » et favorisant la réussite scolaire (Garcia, 2018).

48Tandis que ces mentor·es donnent à cette réussite scolaire la place la plus centrale, ils et elles entretiennent le rapport à l’École le plus frontalement conflictuel. Le cas d’Erwan l’illustre : cadre dans une grande entreprise, âgé de 53 ans, ancien militaire, diplômé d’un master 2, il considère qu’on lui a confié une « mission », celle de faire en sorte qu’Ahmet, son filleul en classe de 3^e dans un collège REP+, réalise son rêve de devenir médecin. Il est particulièrement attentif à ses résultats scolaires, allant jusqu’à assister à ses conseils de classe. Pour lui, l’existence de Trinidad découle de l’échec de l’Éducation nationale et vient pallier ses manques :

« S’il n’y avait pas [Trinidad], [mon filleul] n’a absolument aucune chance d’évoluer pour les raisons suivantes : l’école publique a abandonné le projet d’instruction. Elle est maintenant dans un projet de… On n’est plus dans une logique de progression mais dans une logique d’innovation. Et donc on écoute en permanence les élèves, on met l’élève au centre de la classe et le discours d’instruction n’existe plus. […] Je constate qu’effectivement on a une vraie mission dans ces écoles parce que les enfants sont abandonnés. »

49Il impute cet échec au déclin de l’autorité, aux enseignant·es qu’il qualifie de « décrocheurs » et au recours à des pratiques pédagogiques « innovantes ». Il fustige l’enseignement public et veut faire en sorte qu’Ahmet rejoigne un lycée privé.

50Ces mentor·es estiment en général ne pas devoir leur réussite professionnelle – déjà établie – à l’École publique : ou bien parce qu’iels y ont eu une mauvaise expérience, ou bien parce qu’iels ont effectué leurs trajectoires scolaires dans le privé. Iels entretiennent un rapport instrumental et méfiant vis-à-vis de l’institution scolaire et estiment être plus à même d’orienter leurs mentoré·es vers les choix les plus stratégiques pour œuvrer à leur réussite.

Faire en dehors de l’École

51Enfin, le dernier idéal type, faire « en dehors de l’École » fait du mentorat une pratique à visée avant tout récréative. Ce dernier idéal type caractérise une minorité de mentorats réalisés via l’Afev dont les mentor·es s’inscrivent plus souvent dans le « faire avec ». La dimension récréative de l’accompagnement est souvent un objectif secondaire pour de nombreux·ses mentor·es qui le conjuguent avec d’autres, en alternant les séances ou bien en variant les activités au cours d’une même séance (clore une séance centrée sur l’apprentissage par un goûter, par exemple). Mais, pour quelques rares mentor·es, cet objectif n’est pas secondaire mais premier.

52Les mentor·es qui abordent le mentorat d’une telle manière appartiennent aux classes populaires et sont issu·es d’une immigration récente ou né·es à l’étranger et rattaché·es à l’Afev dans notre échantillon. Iels témoignent souvent elles et eux-mêmes d’une relation compliquée à l’institution scolaire, incluant des vécus de minorisation au cours de leur scolarité. Partageant une position proche dans les rapports de race et de classe, ils et elles s’identifient à leurs mentoré·es, ayant parfois été scolarisés dans les mêmes établissements scolaires.

53Ces mentor·es adoptent alors une « logique réparatrice » (Lebon, 2020), en cherchant à faire sortir ces jeunes en difficultés sociales de leur quotidien. Ici, des activités récréatives ou bien la discussion et l’écoute apparaissent comme l’objectif premier du mentorat. La question de la réussite purement scolaire est mise de côté, le rapport à l’institution scolaire plus distant. Le témoignage de Khaled sur son expérience de mentorat auprès d’élèves récemment arrivé·es en France l’illustre :  

« Je demandais [à accompagner] des jeunes qui venaient d'arriver, parce que je me voyais à travers eux, parce que j'étais passé par là, j'étais arrivé aussi, je ne savais pas parler français, j'avais rencontré les difficultés et moi le but c'était justement d'échanger avec eux, c'était le plus important, avant tout, pour leur montrer certaines choses que moi j'ai pu rencontrer pour qu'ils les évitent ». Mentor en 2019, 21 ans, étudiant en L3 d’économie et finance, arrivé d’Algérie en classe de CM2. Père chauffeur poids lourd, mère en arrêt maladie. 

54Sarah, une autre mentore de l’Afev est étudiante en première année de Sciences de la Vie. Après des expériences de discrimination vécues au lycée lorsqu’une enseignante apprend qu’elle porte le foulard en dehors de l’établissement, elle considère que « l'école des fois ils sont de ton côté, mais des fois c'est eux-mêmes le problème en fait (..) De la primaire au lycée, tu es considéré comme le noir ou le blanc de service, ou l'arabe de service. Moi j'étais considérée comme l'arabe de service ». Elle accompagne une lycéenne de seconde qui selon elle porte « trop de responsabilités », elle précise : « elle doit rentrer à une certaine heure parce que c'est elle qui fait à manger, c'est elle qui s'occupe de ses sœurs, qui les emmène à l'école, qui vient les récupérer ». Puisque la jeune est inscrite dans un autre dispositif d’aide aux devoirs, elle choisit des activités plus récréatives : 

« On a fait beaucoup de sorties, on est parties au parc, une fois manger des glaces, une fois à [sortie nature], une fois à la bibliothèque, une fois on a fait des crêpes, c’était que du loisir, les devoirs on a fait ça que deux ou trois fois »

(Mentore en 2019, 19 ans, père plombier-chauffagiste, mère employée dans une boulangerie). 

55Mana, bénévole depuis deux ans au sein de l’association Afev, connaissait déjà la jeune collégienne qu’elle accompagne, puisqu’elles sont « des habituées du tribunal », leurs frères respectifs ayant fait des « conneries ensemble ». L’objectif de l’accompagnement pour elle est de combler un sentiment d’abandon que pourrait ressentir la jeune, confrontée à une situation familiale difficile :  

« En fait en ayant vu ces points que moi j’avais déjà vécu, je faisais tout pour pas qu’elle pense à ça. Je l’ai amenée à la patinoire, ou [en ville] pour qu’elle puisse juste se balader. La mère travaillait beaucoup et, à cause de son fils elle se trouvait dans des merdes financières : je ne voulais juste pas que la mère arrive en pleurs car la mère aussi mentalement elle n’allait pas bien. Alors on s’est posées, on a mangé un truc. Je ne voulais juste pas qu’elle se sente délaissée »

(Mentore Afev, née à Mayotte, mère femme de ménage, famille monoparentale). 

56Ces mentor·es sont encore proches en âge de leurs mentoré·es, comme elles et eux assigné·es racialement et issu·es de milieu populaire : iels s’identifient fortement aux jeunes accompagnés. Ayant subi la marginalisation scolaire et parfois des discriminations raciales, iels cherchent à transmettre des compétences forgées par ces expériences (Talpin, 2021). Dans cette optique, ils et elles s’efforcent de créer un environnement propice à l’échange, visant notamment à offrir des moments de répit hors de toute référence au cadre scolaire, mais également des stratégies pour contourner les assignations imposées par l’institution scolaire.

Conclusion

57La promotion de la figure du « mentor » peut se lire en miroir de celle de l’enseignant·e. Elle fait écho aux velléités de modernisation de l’institution scolaire et de transformation de ce métier.  

58En particulier à deux éléments : d’un côté, la montée du thème de l’adaptation aux besoins éducatifs particuliers par la personnalisation de la prise en charge des élèves (Ebersold et Armagnague, 2021), de l’autre, l’incitation à s’investir dans des projets hors classe. Ainsi, le mentorat comme prestation de service s’accompagne de contreparties, voire d’exigences, vis-à-vis des personnels éducatifs qui doivent assurer de nouvelles fonctions et tâches : il contribue ainsi aux transformations de leurs professionnalités. 

59Les mentor·es apparaissent ainsi comme des nouveaux acteurs et actrices pédagogiques, dont la non-professionnalité et l’absence de formation est présentée comme un atout. Leurs positionnements critiques vis-à-vis de l’institution scolaire se traduisent par la mise en avant de pédagogies supposément innovantes, le fait de relativiser l’importance des savoirs scolaires ou la capacité de l’École à les transmettre. Néanmoins, l’inscription des mentor·es dans les rapports de pouvoir ainsi que les contextes institutionnels associatifs dans lesquels leur engagement s’inscrit façonnent l’accompagnement des mentoré·es. Les pratiques de mentorat traduisent des conceptions situées tant de l’institution scolaire que des façons de répondre aux enjeux de réussite et d’échec scolaire.  

60Le mentorat rejoint par ailleurs les dynamiques d’externalisation et de sous-traitance des problématiques de l’École (Moignard et Rubi, 2013). Le recours massif au travail bénévole des mentor·es dans la production du mentorat rend les politiques publiques liés à l’égalité des chances peu coûteuses et explique aussi leur succès. Néanmoins, la concentration de moyens sur un nombre restreint d’élèves, souvent en réussite, pose question, de même que l’attribution de ces moyens à des partenaires externes au détriment de l’investissement dans l’institution scolaire.