Introduction

2Parmi les différents enjeux de la protection de l’enfance, celui de l’isolement des jeunes sortant de l’Aide sociale à l’enfance, à leur majorité, a été largement documenté (Stein 2008 ; Robin et Séverac, 2013 ; Kerivel, 2015). Les travaux montrent également que le défaut de capital social des jeunes ayant connu des parcours de placement impacte négativement leur insertion professionnelle, et conduit une part importante d’entre eux à connaître des périodes de vie à la rue (Fréchon et Goyette, 2013).

3L’importance du maintien et du développement de multiples liens sociaux d’attachement, pendant toute la durée du placement, permettant l’acquisition de capital social mobilisable au moment du passage à l’âge adulte et de l’insertion sociale et professionnelle, a également été documentée (Kerivel et al., 2023). Ces besoins de liens sociaux d’attachement, et de capital social sont souvent mis en avant comme des besoins auxquels le parrainage et le mentorat peuvent répondre. Le texte de loi donne une définition des deux termes, qu’il distingue. Le parrainage est décrit comme « une relation durable coordonnée par une association et construite sous la forme de temps partagés réguliers entre l'enfant et le parrain ou la marraine » alors que le mentorat « désigne une relation interpersonnelle d’accompagnement et de soutien basée sur l’apprentissage mutuel », dont l’objectif est « de favoriser l’autonomie et le développement de l’enfant accompagné en établissant des objectifs qui évoluent et s'adaptent en fonction de ses besoins spécifiques ». Alors que la loi insiste sur les règles encadrant le parrainage d’enfants en France telles que les modalités d’habilitation des associations de parrainage, la signature d’une charte par l’association de parrainage et l’accompagnement et le contrôle des parrains/marraines, elle n’apporte pas d’information précise sur la règlementation du mentorat. L’une des hypothèses permettant d’expliquer cette différence est la nouveauté du mentorat dans le champ de la protection de l’enfance, par rapport au parrainage qui a une certaine antériorité dans ce secteur, même si nous verrons que cette pratique est minoritaire.

5La troisième et dernière enquête mobilisée a été menée en 2022 auprès de 163 enfants ou jeunes de l’ASE mentorés ou parrainés par six associations de parrainage et de mentorats, sur l’ensemble du territoire dans le cadre d’une mesure d’impact du plan 1 jeune 1 mentor sur l’effet du mentorat sur les jeunes de l’ASE.

7Ainsi, nos deux angles d’approches : les enfants et jeunes confiés à l’ASE (à partir de terrains d’enquêtes dans les lieux de placement) et les enfants parrainés et mentorés (à partir de terrains d’enquêtes auprès d’associations de parrainage et de mentorat).

9Ainsi, après un rapide cadrage historique et une contextualisation de la place de ce type d’accompagnement dans le champ de la protection de l’enfance (et du travail social de manière plus générale) nous nous concentrerons sur les expériences de parrainage, apparaissant dans nos terrains de recherche menés dans des établissements de la protection de l’enfance. La dernière partie posera la question des enjeux de l’application de la loi assurant à chaque jeune la possibilité d’être parrainé et mentoré et de ce qu’implique la généralisation du dispositif “1 jeune 1 mentor” en mobilisant les enseignements de la mesure d’impact.

Accompagnement individuel par des bénévoles et le mouvement inclusif dans le champ de la protection de l’enfance

10Si la question du parrainage ou du mentorat d’enfants et jeunes confiés à l’Aide sociale à l’enfance, telle que la loi les définit aujourd’hui, n’a pas encore fait l’objet de publication en France, elle nous semble liée à deux grands thèmes développés dans la littérature sur le travail social qui nous permettent de situer le développement de cette modalité et ses enjeux. Les premiers travaux, décrivent l’évolution du travail social vers un modèle individualiste et inclusif avec lequel le mentorat - relation entre enfants jeunes et un adulte de la société civile - peut être perçu comme en cohérence. Les seconds travaux décrivent la place des bénévoles dans l’histoire du travail social et de la protection de l’enfance, illustrant le fait que le caractère bénévole des parrains et mentors est loin d’être inédit. Enfin, le développement du parrainage et du mentorat auprès des jeunes confiés à l’Ase s’inscrit dans un contexte de crise du travail social que nous précisons ici.

11S’il n’existe pas de consensus concernant les définitions du parrainage ou du mentorat, dans la majorité des cas, il s’agit d’une relation individuelle entre un parrain et son filleul ou un mentor et son mentoré. Or, l’ensemble des recherches sur l’évolution du travail social, s’accordent sur un mouvement d’individualisation qui succède à une conception collective et se traduit par l’avènement du projet individualisé, pour chaque personne accompagnée par des travailleurs sociaux (Castel et Duvoux, 2013 ; Ion, 2005 ; Corcuff, 2005 ; Hély, 2017). Il s’agit de proposer par l’accompagnement personnalisé « un armement capacitaire de chaque personne prise dans sa singularité pour faciliter son positionnement positif dans une société d’individus » ce type d’évolution conduisant au « développement de dispositifs prestataires de services » (Lafore, 2020, p. 45). Ce changement se situe dans le mouvement plus global du travail social vers « un modèle inclusif » (Ibid.), qui vise principalement à « proposer aux personnes accompagnées des parcours individualisés tout en faisant en sorte qu’elles soient inscrites dans le « droit commun ». Ce modèle vise à sortir les personnes, autrefois enfermées dans des établissements ou « institution totale » (Goffman, 1968).

13Aujourd’hui, le travail social est traversé par une crise « de légitimité, sur fond de décalage croissant avec les politiques publiques, qui se traduit par une démobilisation de beaucoup de professionnels et par une baisse d’attractivité des métiers du social » (Jaeger, 2020, p. 51). Ainsi, les enfants confiés à l’ASE sur l’ensemble des terrains dans lesquels nous avons enquêté - la fondation, les structures du département, ou les autres structures associatives - ont non plus un ou deux éducateurs mais des dizaines d’éducateurs qui se succèdent auprès d’eux, lorsqu’ils ne sont pas accompagnés au quotidien par des intérimaires (Kerivel et al., 2023 ; Charles, 2019). Dans un contexte de crise du travail social généralisée, où le secteur peine à recruter et où le turnover des professionnels est élevé, l’usage du parrainage avec hébergement est parfois suggéré. Dans le département observé, face aux démissions de plusieurs assistantes familiales, se pose la question de l’accueil relais, pour, entre autres, permettre à ces assistant.e.s familial.e.s de prendre un WE de congé tous les deux mois. La généralisation des dispositifs de parrainage et de mentorat pose la question du rôle des parrains et mentors dans l’écosystème de la protection de l’enfance, bien que l’hypothèse de solliciter des parrains/marraines pour accueillir les enfants jeunes en question semble peu probable, si l’on considère le peu d’enfants qui bénéficient de parrains/marraines.

Parrainage : des exceptions, dans la continuité de rencontres entre enfants et adultes de leur environnement

14Dans cette première partie, nous présenterons les résultats d’enquête réalisés en amont ou en dehors de la mise en œuvre du plan 1 jeune 1 mentor (2021) qui a précédé la loi. Nos enquêtes portent sur les liens sociaux d’attachement et le capital social des enfants confiés à l’ASE, et sont réalisées auprès de populations d’enfants et jeunes représentatifs des enfants confiés à l’ASE au sein d’une fondation et dans un département rural. Nous avons demandé (par le biais d’un questionnaire) aux enfants et aux jeunes quels étaient les adultes sur lesquels ils pouvaient compter, et nous leurs avons demandé s’ils avaient un parrain/une marraine ou un mentor. Puis nous avons mené des entretiens approfondis avec les enfants ayant déclaré avoir un parrain, une marraine ou un mentor, ainsi qu’avec le parrain ou la marraine lorsque cela a été possible. Le sujet a également été évoqué lors d’entretiens réalisés avec les professionnels de la protection de l’enfance accompagnant les enfants et les jeunes au quotidien. Ces enquêtes s’insèrent dans des démarches de recherche-action et s’accompagne par la co-contruction par les professionnels de la protection de l’enfance, de 26 actions visant à développer les liens sociaux d’attachement et le capital social des enfants confiés. Deux de ces actions se rapportent au parrainage : l’une sur la démarche de proposer un parrainage en faisant appel à une association, l’autre sur la possibilité pour les professionnels de maintenir un lien avec l’enfant par un parrainage en cas de départ du professionnel, de changement de lieu de placement ou de retour en famille. Dans ce contexte, les professionnels ont été amenés à échanger en groupes sur leur représentation du parrainage, sur les situations qu’ils identifient.

Méthodes

Enquête Fondation villages d’enfants

L’enquête a été menée entre 2019 et 2021 dans le cadre d’une recherche-action sur les liens sociaux d’attachement et le capital social des enfants confiés à l’ASE et accueillis dans six villages d’enfants d’une même fondation. Cette démarche a été financée par la fondation elle-même, a donné lieu à trois rapports et à deux articles scientifiques.

Les données de terrain recueillies

Volet quantitatif

Les questions portaient essentiellement sur les différents types de liens sociaux d’attachement des enfants et jeunes : liens familiaux, amicaux, adultes sur qui compter et sur les parcours de placement et situations des enfants et jeunes. La population enquêtée représente 20% de la population totale. Les enfants enquêtés ont entre 3 et 19 ans, et l’âge médian des enquêtés est de 12 ans. 55% sont des filles et 45 % sont des garçons. Parmi l’ensemble des enfants/jeunes, pour 52% d’entre eux, leur famille n’a pas de droit d’hébergement. En ce qui concerne la scolarité des enfants et jeunes, 67% des enfants et jeunes suivent une scolarité ordinaire (en maternelle, école élémentaire, collège ou lycée général), 12% suivent une scolarité dans un établissement pour personnes en situation de handicap (IME, IMPRO, classe ULIS). Pour les plus grands, lorsqu’ils suivent une filière professionnelle, c’est beaucoup plus souvent en lycée professionnel qu’en apprentissage.

Des tris à plat, des tris croisés et des régressions ont été réalisés dans le cadre de l’analyse.

Volet qualitatif :

Si dans le cadre de l’enquête de manière générale, près de 200 entretiens ont été réalisés avec des enfants et jeunes, des professionnels (éducateur spécialisé, chef de service, veilleur de nuit) et d’autre adultes dans l’environnement de l’enfant (enseignants, surveillants, parrains/marraines), cet article se focalise sur les entretiens ciblés sur le parrainage et le mentorat, soit :

-15 enfants et jeunes parrainés ayant entre 9 et 22 ans

- 5 parrains/marraines

- 3 chefs d’établissements impliqués dans les démarches de parrainage.

Les entretiens ont tous été réalisés dans les villages d’enfants, à l’exception de trois entretiens avec les parrains/marraines réalisés par téléphone.

Lors des entretiens, les questions de la rencontre, des activités, de l’engagement dans une relation de parrainage formel, du lien avec les structures de la protection de l’enfance et association, du contrat de parrainage, des activités communes et des évolutions étaient abordées avec les uns et les autres.

Dans l’ensemble des enquêtés, nous comptons 4 binômes enfants/jeunes parrainés et leur parrain/marraine.

Autres sources mobilisées

Sept groupes de travail ont été organisés entre 2019 et 2021, qui rassemblent des professionnels (éducateurs familiaux, chef de service, direction) de six établissements (villages d’enfants) de la fondation.

Méthode

Enquête dans un département

L’enquête s’étend de 2021 à 2024. Ici sont mobilisés les données et résultats obtenus entre 2021 et 2023.

L’enquête a été réalisée dans le cadre d’une recherche-action portée et financée par le département, sur les liens sociaux d’attachement et le capital social des enfants confiés à l’ASE. Entre 2021 et 2023, la recherche-action a fait l’objet de deux rapports et d’un chapitre d’ouvrage.

Les données de terrain recueillies

Volet quantitatif

Un premier questionnaire a été rempli en décembre 2022. Il comporte deux parties, l’une à remplir par les enfants/jeunes (avec/par un adulte si nécessaire) âgés de 0 à 20 ans et faisant l’objet d’une mesure de placement dans le département et l’autre à remplir par un professionnel qui s’occupe au quotidien de l’enfant/du jeune. 215 professionnels (assistants familiaux et éducateurs) et 195 jeunes ont rempli le questionnaire, et pour 145 enfants/jeunes, les deux volets ont été remplis. Cela représente 20% des enfants/ jeunes qui font l’objet d’une mesure de placement dans le département.

Le questionnaire porte sur 1) les caractéristiques détaillées de l’enfant (sociodémographiques, parcours de placement, droits de visite/ hébergement, handicap et parcours scolaire), 2) les liens sociaux qu’il a créés et sa situation d’isolement, à travers plusieurs indicateurs (copains, personnes qui comptent pour lui, possibilité de garder contact, nuits passées hors du lieu de placement, activités…), 3) l’évaluation des fiches actions mises en place (voir paragraphe ci-dessous).

Parmi 215 répondants, nous comptons environ autant de filles que de garçons. Les enfants/jeunes sont à 61% en famille d’accueil et 39% en maison d’enfants à caractère social (MECS). La moyenne d’âge est de 11 ans (73% ont entre 7 et 16 ans). 53% des enfants sont séparés au quotidien de leurs frères et sœurs. 32% des enfants ont une mesure de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Les données collectées à l’échelle du département pour l’ensemble des enfants confiés à l’ASE sont limitées : lieu de placement, genre, âge. En se fiant à ces quelques caractéristiques, notre échantillon est représentatif de la population. Le questionnaire recense 14 enfants ou jeunes parrainés ou mentorés.

Volet qualitatif

250 entretiens ont été réalisés avec des enfants et jeunes confiés, de 3 à 18 ans, à l’Aide sociale à l’enfance du département de l’Ain, des professionnels (éducateurs, assistants familiaux et leurs conjoint/enfants, éducateurs référents), et des parents, centrés sur les liens d’attachement des enfants.

-Deux rencontres ont eu lieu avec l’association de parrainage à destination des enfants confiés à l’ASE du département.

-Les entretiens se sont déroulés toujours sur place pour les enfants, le plus souvent dans le lieu d’accueil, et pour les professionnels de l’aide sociale à l’enfance et les parents, les entretiens se sont déroulés soit en visioconférence, soit sur place.

Les entretiens menés avec les enfants et jeunes visent à interroger les liens d’attachement qu’ils ont créés avec les enfants et adultes des différents espaces qu’ils fréquentent ou ont fréquentés (famille, écoles, lieux de placement, loisirs, vacances, internet, quartier), et comment sont maintenus ou non des liens créés dans le passé. Un des sujets abordés dans ce cadre est la création ou le maintien d’un lien avec des adultes extérieurs au placement actuel et qui comptent pour l’enfant. Le point de départ est donc ici le besoin des enfants en termes de liens d’attachement, qui conduit à aborder les questions d’existence de parrainage et de relation au parrain/marraine ou de construction d’un projet de parrainage. Pour deux binômes, les parrains ont été rencontrés lors d’un entretien, et les jeunes ont répondu au questionnaire en ligne sur les liens sociaux.

Autres sources mobilisées

21 groupes de travail ont été organisés entre 2021 et 2023, qui rassemblent des professionnels de l’Aide sociale à l’enfance : éducateur.ice.s, assistant.e.s familiale.s, assistant.e.s social.e.s, psychologues, directeur.ices territoires, familles relais, éducateur.ice.s référent.e.s.

15Dans nos enquêtes, les enfants et jeunes parrainés ou mentorés ne représentent pas plus de 5% des situations. Pour toutes ces situations, il s’agit de parrains, le terme mentor n’a jamais été utilisé. Or, l’engagement de la fondation, et du département dans les recherche-actions sur le capital social et les liens sociaux d’attachement des enfants et jeunes confiés, témoigne d’une sensibilité à ces sujets peut-être plus importante qu’ailleurs. Ainsi sur les quatre autres départements contactés à titre de comparaison dans le cadre de l’enquête, trois n’ont pas de chiffres ou aucun parrain/mentor. Seul un département plutôt très urbain compte 5% d’enfants ou jeunes parrainés. La description de ce qu’implique le parrainage pour les différentes parties prenantes peut permettre d’apporter des éléments de compréhension de ce caractère minoritaire. Dans les sections suivantes, nous nous intéresserons aux 29 situations d’enfants et jeunes ayant un parrain ou une marraine. Aucun n’utilise le vocable mentor, et nous constatons d’ailleurs que le terme n’est pas connu des professionnels qui accompagnent les enfants au quotidien. Par ailleurs, d’autres formes d’accompagnement par des bénévoles existent, mais n’ont pas été identifiées par les enfants et jeunes rencontrés comme du parrainage et mentorat, parce que les relations ont été courtes, très ponctuelles, ou se sont achevées longtemps avant l’entretien.

16Parmi ces 28 enfants, nous retrouvons des enfants entre 6 et 18 ans, dont les familles ont ou pas des droits de visite, et une partie de ces enfants sont en situation de handicap.

Des parrainages d’enfants par des professionnels de l’ASE : les situations les plus fréquentes

17Sur les vingt-neuf enfants parrainés étudiés, les trois quarts sont parrainés par d’anciens professionnels de la protection de l’enfance qu’ils ont rencontrés en amont de la relation de parrainage. Cette continuité de la relation rappelle les adoptions par des mères éducatrices d’enfants dans les villages d’enfants (Puyraux, 2007) qui avaient disparu avec la professionnalisation du secteur.

18Dans ces situations, l’association de parrainage n’est pas à l’initiative de la relation de parrainage, mais a formalisé une relation. Ici, le parrainage permet de conserver un lien après une séparation, qui peut être soit le départ du ou de la professionnel/professionnelle, soit le départ de l’enfant (pour un changement de lieu de placement, ou un retour en famille). Ces changements sont très fréquents dans les parcours des enfants (Potin, 2012). Ainsi, dans notre enquête dans le département, 63% des enfants et jeunes ont changé au moins une fois de lieu de placement depuis leur premier placement.

• 10 Au sein de la fondation, le terme village désigne un établissement de type Maison d’enfant à caract (...)

Ina : Jenny c'est une dame elle était éducatrice et elle est partie après du village10 pour aller à un autre village, du coup elle voulait qu'on vienne avec elle

Q : Et toi ça te disait bien ?

I : Oui parce qu'elle est gentille, avec mes deux sœurs

Q : Et du coup vous êtes allés pour les vacances ?

I : Oui des fois.

Q : Combien de fois ?

• 11 Pour garantir l’anonymat, lorsque des extraits d’entretiens sont mobilisés, les prénoms sont changé (...)

I : Deux fois (Ina11, 10 ans, MECS).

« Le parrainage je trouve que c'est bien, ça change d'endroit, tu es pas obligé de rester au foyer, à chaque fois tu revois des personnes. Moi ma marraine c'est une ancienne éducatrice avec mon frère et ma sœur, c'est Jenny, elle était éducatrice ici, elle s’est proposée un jour parce que nous on voyait moins nos familles que les autres donc elle s'est proposée. Du coup pendant les vacances on part chez elle, elle est chez sa mère, le temps de pouvoir s'installer dans sa nouvelle maison, elle va habiter à Bordeaux » (Sihem, 10 ans, MECS) .

« R : Bah notre marraine... enfin oui, notre marraine elle s’appelle Pauline c’était une éducatrice avant dans notre pavillon, et Amande et moi on s’est beaucoup attachées à elle, du coup elle a proposé de faire des visites libres avec elle et si ça se passe bien, au fil du temps, on pourra faire des week-ends avec elle.

Q : Là, vous pouvez pas encore, les week-ends ?

R : Non, pas encore, là c’est des samedis. Maintenant, des fois, on fait toutes les deux, après on fait chacune notre tour (Roxane, 12 ans, MECS).

Du parrainage comme possibilité de formaliser des relations singulières entre des enfants et des professionnels

19Dans les situations précédemment citées, il s’agit de relations de « parrainage informel », qui devient formel dans le contexte de cette nouvelle possibilité qui témoigne d’une reconnaissance du droit à la continuité de la relation, dans un contexte où les parcours des enfants et des jeunes placés sont souvent marqués par de nombreuses ruptures (Potin, 2012 ; Kerivel, 2015). Les travaux de recherche anglo-saxons ont utilisé le terme de natural mentoring (Van Dam et al., 2018). Le terme anglais mentoring englobe les notions de parrainage et de mentorat que l’on distingue en français, et on traduira « natural mentoring » par du parrainage naturel, décrits par ces auteurs comme « des relations qui se forment de façon organique entre les jeunes et les adultes qui se trouvent au sein d’une même communauté ». Les parrains naturels peuvent être des membres de la famille élargie, enseignants, coachs sportifs, voisins, amis et autres adultes de l’entourage. Van Dam et son équipe ont réalisé une méta analyse de trente évaluations qui ont mesuré les effets des mentors naturels sur la réussite scolaire et professionnelle, le développement socio-émotionnel et la santé physique, des jeunes mentorés (âgés de 13 à 24 ans) (Van Dam et al., 2018). Les évaluations montrent que le parrainage dit naturel a des effets qui peuvent être encore plus bénéfiques que les mentorats formels, et que les mentors ayant une expérience dans une « profession d’aide » (comme enseignant, travailleur social) étaient associés à des résultats positifs en termes de réussite scolaire et professionnelle et de santé physique, plus importants chez les jeunes mentorés.

20Si nous tentons de décrire les étapes de ces situations de parrainage, nous observons une rencontre entre un enfant/un jeune et un adulte, une relation qui se noue, et la volonté de la formaliser qui trouve une solution par l’existence des associations de parrainage et de mentorat ou par un contrat élaboré par l’établissement lui-même.

« Alors John, c’était... C’est plus maintenant, c’était un petit peu le vilain petit canard du village, personne n’en voulait, alors je lui ai dit, “bah tu sais quoi John moi je vais te prendre en vacancesˮ, donc j’ai fait la demande et il est parti en vacances avec ma famille et moi, il est parti... moi le vilain petit canard ça me touche, donc viens le petit canard, après ça veut dire que... C’est un petit garçon qui a son intelligence, il sait faire la part des choses, qu’on soit au village, ou qu’il soit avec nous, il fait bien la différence » (Arnaud, chef de service, MECS).

22Ces cas de professionnels ayant créé un lien, en particulier, avec un enfant étant repéré comme particulièrement isolé ont été rencontrés à plusieurs reprises dans l’enquête. Bineta, maîtresse de maison dans un foyer d’adolescents, explique s’être prise d’affection pour Fatou, avec qui elle partage une culture commune liée à leur pays d’origine. Bineta, témoin au quotidien des difficultés de Fatou à créer des liens, et de ses soucis de santé, lui a déjà parlé de cette possibilité d’être sa marraine.

23Dans ces situations, la constitution des binômes parrains-enfants se fait donc en amont, et l’association vient formaliser et contractualiser le lien déjà existant. Une pratique qui n’avait pas nécessairement été prévue par les associations.

« Ce qui arrive de plus en plus, et ça, on l'avait pas imaginé comme ça, c'est qu’on a des parrains/marraines qui nous contactent pour parrainer un enfant en particulier. Les éducs, les assistants familiaux, donc là du coup c'est encore différent, puisque du coup c'est pas vraiment une sélection pour un enfant que nous on aurait en attente. C'est une sélection pour un enfant particulier mais du coup c'est pas du tout à la marge finalement. Je crois qu'on n'est pas loin d'avoir une dizaine de demandes de parrainage dans ce cadre-là. Pour l’enfant c’est très fort : des ados qui sont parrainés par des anciens éducs, quand les ados apprennent que les pro veulent les parrainer, c’est magique... c’était pas « que » des professionnels, c’est très chouette ces moments » (Irène, responsable d’une association locale de parrainage et mentorat créé en 2019).

24Le parrainage au départ dit « naturel » et en particulier le parrainage par des professionnels de la protection de l’enfance se différencie, en quelque sorte de l’idée de parrainage par des personnes issues de la société civile, même si les parrains/marraines insistent pour différencier leur rôle de « professionnel » et leur engagement en tant que parrain/marraine. Marie, ancienne éducatrice de Rebecca, 8 ans, et maintenant sa marraine, explique :

« Mon objectif c’est de proposer à Rebecca un espace, du temps dans la simplicité des choses. Je lui promets pas de truc de ouf, de vacances de rêve, mais juste une petite bulle hors de la protection de l’enfance. Sinon autour d’elle, elle ne fait qu’entendre les histoires des autres, moi elle m’en parle, “est-ce que tu sais que le papa d’untel il a fait çaˮ. Même dans la famille d’accueil, elle en entend parler. Alors que chez moi ce n’est pas le sujet, il y a des petites embrouilles, des embrouilles d’enfant. Et mes enfants je leur dis “elle vous racontera ce qu’elle a envie et à son rythmeˮ. Elle a pas son étiquette d’enfant placé quand elle est ici. J’étais déjà partie en camp avec elle donc elle connaît déjà ma tête du matin, mais là c’est complètement autre chose. Même si elle vient me questionner sur mon travail aussi. C’était ma crainte au début mais en fait je sens qu’il y a vraiment pas cette casquette de pro ou d’éduc » (Marie, marraine de Rebecca, 8 ans).

Le parrainage pour formaliser et maintenir des liens avec des personnes rencontrées en amont

25Lorsqu’il ne s’agit pas d’anciens professionnels, les parrains/marraines sont des adultes que les enfants et jeunes ont rencontrés en amont, qui peuvent également être considérés comme au départ comme des « parrains naturels ». Il s’agit alors d’adultes rencontrés à travers les loisirs (entraîneur de sport), l’école (enseignant, directeur), des parents copains, ou encore des proches de professionnels de l’aide sociale à l’enfance. Dans nos enquêtes, seul un enfant a un parrain rencontré via une association, qui peut être lié au développement récent de ces associations. Lorsque l’enfant a vécu dans une famille d’accueil, les relations tissées avec des membres de la famille qui ne sont pas le professionnel responsable du jeune peuvent être à l’origine d’une demande de parrainage. Par exemple, Aline et sa sœur sont devenues les marraines de Gabriel, qui a été en accueil chez leurs parents pendant 5 ans.

« Ma mère était assistante maternelle il y a une dizaine d’années. Elle a eu au moins 25 enfants à la maison. Beaucoup de bébés à la naissance adoptés au bout de 3 mois. Quelques enfants qui sont restés un peu plus, Gabriel notamment. (...) De ses 2 à 7 ans on l’a vu grandir, ça nous a fait de la peine quand il est parti. On lui a fait un petit livre avec des mots et des photos. Quand il est parti de chez mes parents j’avais 31 ans. Un peu après qu’il soit parti une collègue de ma mère, éducatrice ou je sais plus, lui a dit que c’était possible d’être marraine. Donc, nous, pour garder un lien, pouvoir le suivre, ça nous a intéressées. On a eu un peu peur, c’est un gros engagement. Avec ma sœur on pensait que ça ne pouvait être qu’une des deux, mais on a vu ensuite qu’on pouvait être les deux marraines. Donc ça nous a rassurées aussi. Moi là par exemple j’ai des travaux et tout j’ai eu un dégât des eaux, donc elle le prend plus. On a juste fait une demande à la référente. Elle a dit “OK je vais demander au juge et à sa mèreˮ. La juge a dit qu’on était personne de confiance dans le dossier, pour qu’on ait des droits de visite. La juge nous appelle personnes de confiance. On avait donné nos possibilités. Moi j’avais dit je voulais que ce soit par sessions de 3 jours, car j’habite à 2 heures de route. Donc moi, demandé comme ça, et ma sœur le prend sur des week-ends parce qu’elle est un peu plus près. Après l’accord du juge, les référentes ont fait les plannings » (Aline, 35 ans, marraine de Gabriel).

26Pour Shade, Kaïs et Marius (parrainés par Sybile et sa famille), le parrainage s’est fait suite à une expérience de famille d’accueil pour les vacances. Un lien d’affection va se construire durant ces vacances entre les familles et les enfants, l’expérience va se renouveler et évoluer vers un parrainage.

Kaïs : je suis parti dans une association dans une famille pendant les vacances ça s'est très bien passé, j'ai voulu revenir.

Q : Tu y vas à chaque fois pendant les vacances ?

K : Ça peut aussi être pendant les week-ends mais vu qu'ils habitent loin c'est surtout pendant les vacances (Kaïs, 12 ans, Établissement E).

Marius : C’était ma famille d'accueil de vacances mais ce sont mes parrain et marraine depuis décembre.

Q : C’est toi qui a demandé ?

M : Ils voulaient le faire, ils m’ont demandé mon autorisation et j'ai dit oui et on a fait les papiers

Q : Et toi Shade ?

Shade : Ça fait 4 ans que je vais les voir.

Q : Que pendant les vacances tu as pas le week-end ?

S : Si depuis décembre aussi

(Entretien avec Shade et Marius, 9 et 11 ans, Établissement E).

27Dans deux autres situations, ce sont les parents de copains d’école qui ont parrainé des enfants.

« Le petit Nolan, c’est par le biais d’un copain qu’il a à l’école, et après cette dame a fait la démarche pour pouvoir l'accueillir les week-ends, de temps en temps, alors il ne part pas en vacances avec je crois. C’est un gamin qui sympathise avec un autre et les parents disent bah... Clémentine (la maman) c’est ça et ils disent “tu voudrais que ton copain vienne plus souvent à la maisonˮ, et après voilà les gens s’engagent ou pas » (Arnaud, chef de service, Établissement F).

28Le cadre particulier de la protection de l’enfance, implique la formalisation de la relation de parrainage qui peut difficilement être informelle avant la majorité puisque toute rencontre implique un accord du juge, du référent Aide sociale à l’enfance et des parents de l’enfant (sauf dans le cas où ceux-ci sont déchus de leur autorité parentale) et aussi un engagement souvent présenté comme « sur le long terme » associé au souci de ne pas démultiplier les ruptures de liens pour des enfants et jeunes qui ont déjà fait l’expérience de multiples ruptures dans leur parcours à la protection de l’enfance.

L’expérience du quotidien partagé en famille, comme définition du parrainage selon les besoins des enfants

29Si les définitions du parrainage et du mentorat restent suffisamment larges et abstraites pour permettre différentes modalités de relations, les descriptions des enfants et des jeunes se rejoignent pour décrire des relations qui ne sont pas uniquement avec leur parrain/marraine mais avec la famille de ceux-ci, et la satisfaction de partager le quotidien de cette « famille de parrainage », ou « famille de cœur », pour reprendre les termes utilisés par les enfants eux-mêmes.

Je les appelle tata et tonton. Ma tata c’est Sybile, mon tonton c’est Franck. Ils ont deux filles, Louisa et Caroline (...) je connais tout le monde, les parents, les cousins, cousines, parce qu'on les voit souvent pendant les vacances. Chez le frère de ma tata on est parti on a fait du quad et de la moto, ils habitent pas loin, il y a même les arrière-grands-parents. Des fois, je fais le tour du village en vélo il y a même une fois je l'ai fait en moto. J’en ai déjà fait quatre fois » (Marius, 12 ans, MECS).

« Ma marraine Caroline, ils ont deux filles. Calypso et Iris. Calypso elle a 6 ans et Iris a dans les 8 ans. Non c’est l’inverse. La première fois que je les ai rencontrés, ils habitaient Villedieu. Ils avaient deux chiens, Djumbé et Love. Ils ont des poules, un chat qui s’appelle Pandora » (Shade, 9 ans, MECS).

« Benjamin, c'est le monsieur, il était vétérinaire, il a arrêté, il veut faire l'homéopathie. Du coup, là, il est au chômage pendant 2 ans. La dame elle s'appelle Luna elle est maîtresse de yoga. Ils ont des enfants, une fille Mila elle est en CE2, elle va avoir 9 ans en juin, donc au début elle était petite et quand je l'ai rencontrée elle avait 4 ans. Il y a la grand-mère de Lisa qui s'appelle Bernadette, il y a la sœur de Stéphane, le mari de la sœur à Lisa, le mari de la sœur à Stéphane, et Sabrina c'est la cousine à Lisa. Safia que je considère comme cousine et Leïla comme une sœur » (Kaïs,12 ans parrainé depuis 5 ans, MECS).

30Du côté des parrains/marraines, l’enjeu d’associer toute la famille à la décision de parrainer un enfant ou un jeune est souvent mentionné. On comprend que le parrainage n’est souvent pas l’affaire d’une relation entre un enfant et un adulte, mais d’une relation entre l’enfant et une famille, souvent élargie.

« Mon mari, mes filles et moi, c’est un engagement, tous les 4. Même plus, moi je suis proche de mes parents, mes frères et sœurs, mais c’est un engagement bien plus large, tout le monde le connaît, tout le monde sait, que Marius est là. Tout au début, c’était très dur de trouver notre place, mon mari c’était compliqué, mes filles et moi, c’était très dur de le laisser à la fin du premier séjour. Au début vous avez envie de remuer ciel et terre pour le bien de cet enfant, et malheureusement vous jouez un peu le rôle de mère : apporter des bisous, des câlins, il y a de la tendresse qui se crée et donc ça peut faire du mal. Au fil du temps, maintenant il nous appelle tonton et tata. Au début mes parents, il les appelait papy et mamie, je lui ai dit, vis à vis de mes filles, je lui ai proposé de les appeler Régis et Jocelyne » (Sybile, marraine de Marius).

31Du côté des parrains/marraines et mentors, le mentorat est avant tout présenté comme une relation individuelle, alors que l’implication ou du moins la place des familles (ou de l’entourage) est un réel sujet qui peut être à l’origine de l’impossibilité d’aller au bout d’une démarche de postulant au parrainage ou au mentorat.

« Pour les postulants qui finalement disent non, parce qu'en effet, en termes d'engagement, les choses étaient pas forcément évoquées comme ils l'avaient pensé et ou alors c'est souvent que c'est pas encore un projet de famille (...) Lorsqu’on a un parrain ou une marraine qui est volontaire, on demande son casier judiciaire, et celui de tous les majeurs de la famille, ou de la colocation, et on réalise un entretien avec chacune de ces personnes » (Irène, responsable de l’association de parrainage, mentorat dans le département).

32Du côté des enfants, cette inscription dans la famille ou le groupe d’ami, participe à une forme de reconnaissance et au sentiment d’être un membre de ce groupe. Kaïs raconte le Nouvel An « avec pleins d’amis » de ses parrains, en précisant qu’il s’agit « du plus beau Jour de l’An de sa vie ».

« Q : Quel est ton meilleur souvenir avec la famille de parrainage ?

M : Ah, on a fêté Noël c'était trop bien ! Y’avait les cousins, les cousines, on était environ dix, et les frères et sœurs, la famille et moi. On avait un apéro et tout ça ; pour les petits y’avait de la grenadine et pour les grands il y avait du jus d'orange avec de la grenadine un peu d'alcool et on a goûté un petit peu. On a fait un peu de tout : on a fait la fête, on a écouté de la musique, on a regardé la télé, on a parlé, on a joué à cache-cache avec tous les cousins. Là-bas, pour trouver les cadeaux on fait des chemins de papillote. En fait ils les répandent et les mettent en petit chemin, on doit les ramasser, c'est pour retrouver le chemin du retour et à la fin pour trouver les cadeaux des papillotes » (Marius, 12 ans).

« On a fait mon anniversaire de moi et ma sœur c'était drôle on s'est bien amusés. On a fait aussi Nouvel An, on est parti avec ses amis, ils discutaient, nous on jouait à FIFA, aux courses de voitures. Après on a fait une sorte de nuit blanche, et voilà on n'a pas tenu, je crois que j'ai tenu jusqu'à 4h, après on a dormi jusqu'à midi » (Sihem, 12 ans, MECS).

33Les enfants décrivent des activités quotidiennes telles que faire du vélo, jouer, regarder la télévision ensemble, boire du chocolat chaud, soit des activités familiales ordinaires réalisées avec les parrains/marraines, qui se différencient des « activités en groupe » effectuées avec la maison d’enfant, dans des cadres de travail qui peuvent rendre difficile la spontanéité.

« On va pêcher parce que son fils aussi il aime bien pêcher euh, on rigole, et on est en train de refaire une maison. Oui on a déjà été à Walygator, c’est trop bien, on va souvent au lac du Der, c'est un grand lac qui est près de Madine, enfin un peu plus loin c’est Madine quoi, on fait plein d'activités » (Nolan, 12 ans, MECS).

« On est parti se promener, on a fait des jeux, j'ai pas utilisé du tout mon téléphone, pas une seule fois. Je suis aussi partie en vacances avec eux à Paris (...) J'aide un peu des fois quand ils sont occupés, je donne la douche à la petite, je joue avec elle, je la connais depuis qu'elle est bébé » (Juliette, 18 ans, MECS).

« Am : Mais des fois avec notre marraine, on va promener les chiens mais des fois on va se balader.

Q : Vous allez où ?

Am : Bah dans des parcs, on va au bord des lacs.

Am : Et aussi, j’aime bien être avec la famille parrainage parce que ça nous fait sortir parce que moi je sortais pas beaucoup. En plus j’ai pas envie de devenir comme les ados, parce qu’en fait ils restent toujours dans leurs chambres avec leurs téléphones » (Amanda, 10 ans, MECS).

« Vu qu'ils habitent à la campagne y’avait des animaux, on est parti dans un truc, dans un parc d'attraction avec des jeux gonflables, des jeux d'eau, on a joué au foot, on a fait du vélo et voilà. On a regardé des films quand il pleuvait, on se posait au chaud à la maison. Une fois on a fait une journée film avec du chocolat chaud » (Kaïs, 12 ans, MECS).

« Il y a quelque chose qui m’a marqué, lorsque Ines est arrivée chez nous pour la première fois, elle prêtait attention à des choses, comme le fait que les couverts étaient tous différents. Comme elle a passé toute sa vie dans une maison d’enfants, la vaisselle, le mobilier tout est très aseptisé. Et puis on lui a expliqué aussi qu’on n’est pas obligé de jeter les restes, comme c’est le cas à la cantine. On peut les garder et les re-cuisiner le lendemain » ( Claire, 35 ans, marraine d’Ines).

35Ces types de parrainages s’approchent de ce que Van Dam nomme « natural mentoring » ou « youth initiated mentoring » : mentorat à l’initiative du jeune, ces formes de mentorat ayant plus d’effet sur les enfants et jeunes, que le « mentorat formel » lorsqu’il s’agit de rencontre organisée par des associations. Mais l’implication de ces associations est une des possibilités d’augmenter le nombre d’enfants et de jeunes parrainés ou mentorés.

Passer d’une pratique à la marge à un dispositif généralisé : les enseignements d’une étude sur le mentorat des jeunes de l’ASE

36L’instauration de la loi, et l’intervention d’associations associées à une communication à ce sujet, conduit donc des professionnels, ou des membres de l’entourage des enfants et des jeunes à se proposer comme parrains/marraines d’enfants rencontrés en amont (comme nous l’avons observé chez les deux enquêtés précités), mais implique également un recrutement de parrains/marraines ou mentors afin de répondre à l’ambition affichée.

37Afin de nous intéresser au développement et à la structuration du parrainage et du mentorat des enfants et jeunes de l’ASE et aux enjeux qu’implique le développement de ce dispositif formalisé, nous mobiliserons, en plus des données des enquêtés précités, les données d’une autre enquête réalisée en direction de six structures de parrainage et mentorat ciblant la population des enfants et jeunes de l’ASE.

Le « mentorat » un terme qui englobe plusieurs types d’accompagnement et permet le positionnement de différents types de structure

38La mesure d’impact visant à regarder les effets du mentorat sur les jeunes de l’ASE, implique le Collectif mentorat, « réunissant 73 organisations qui développent des programmes de mentorat à l’attention des publics jeunes (de 5 à 13 ans). Le nom du collectif indique le choix d’un vocable, que l’on retrouve dans le plan du gouvernement « 1 jeune 1 mentor » et la volonté d’unifier et généraliser une pratique. Alors même que la loi concernant la protection de l’enfance utilise le terme de parrain, et le terme de mentor, comme deux accompagnements différents et complémentaires. En précisant que le « mentorat est proposé à l’entrée au collège ». Les six structures étudiées dans le cadre de la mesure d’impact sur le mentorat des jeunes de l’ASE rendent compte de la diversité des associations, qui proposent « le mentorat aux enfants et jeunes confiés à l’ASE » :

39Il y a les structures existantes depuis plus de 20 ans, qui diversifient leur champ d’intervention : du parrainage ou tutorat au mentorat et en ciblant en particulier le public des jeunes de l’ASE :

• Une association nationale proposant du parrainage depuis plus de 75 ans.

• Une association nationale positionnée initialement sur le tutorat d’élèves par des étudiants bénévoles, créée depuis 30 ans.

• Une association positionnée sur les quartiers prioritaires des politiques de la ville proposant initialement de l’accompagnement à la scolarité et à l’orientation à des jeunes issus de ces quartiers depuis 20 ans.

40Ces grosses associations ont, pour certaines, connu de profondes modifications dans un contexte de financement conditionné davantage par des appels d’offre que par des financements pérennes, aujourd’hui, managées par des sortants d’école de commerce (Hély, 2017).

41Puis, il y a les structures créées depuis la loi qui peuvent être également de différentes natures. À titre d’exemple, nous pouvons citer

• « une association d’intérêt général » créée en 2021 par d’anciens étudiants d’écoles de commerce, passés par des cabinets de conseil, visant à proposer des aides ponctuelles sur des sujets précis, la plupart du temps en visio, à des jeunes de l’ASE.

• • 15 Le terme parrainage de proximité est souvent utilisé par des associations qui proposent du parraina (...)

  une association soutenue par un département et créée par des professionnels de la protection (ancienne assistante sociale) de l’enfance en 2020, visant à proposer du parrainage de proximité15 sur le territoire.

42Ces deux derniers exemples illustrent parfaitement la diversité des modalités d’accompagnement : sur la durée, ou de manière ponctuelle, en direct ou en visioconférence.

« J’allais une fois par semaine au foyer. Le premier c’était un garçon de 11 ans. J’ai demandé ce qu’il attendait de l’accompagnement, il n’en attendait pas grand-chose. Lui au départ, il n’avait pas d’envie car on lui a imposé La première séance, on a regardé des vidéos de physique. Il était passionné de physique. Il connaissait plus de choses que moi, alors qu’il était en 6^e et moi j’ai un bac+2 ! Une collègue faisait aussi un accompagnement ASE. On a fait des sorties en binômes. On est allé dans un parc, on jouait dans un parc, les deux jeunes jouaient et nous on discutait » (Julien, 21 ans, mentor de Mattéo, 11 ans).

« J’ai accompagné un jeune en foyer d’urgence. Le petit était prévenu de rien, il était avec des plus grands des plus jeunes, il ne savait pas quand je venais. Quand j’arrivais il n’était pas là. C’était mal programmé. Le petit savait jamais quand je venais, j’arrivais il était avec les amis. On abordait la lecture, la discussion, on faisait des petits jeux, les devoirs, il se lassait très vite. On a réussi à créer du lien. Et du jour au lendemain, il partait en famille d’accueil. Je suis arrivée le jour de son départ, il disait au revoir à son papa. Il a pas du tout voulu me voir. On s’est même pas dit au revoir » (Claire, 22 ans, mentor d’Hamid 5 ans).

Le cadre de la protection de l’enfance – la généralisation doit faire face à la pluralité des process et acteurs

43Si les associations de mentorat évoquent souvent une réticence, voire une opposition passive des professionnels des établissements, dans nos enquêtes, les professionnels n’émettent pas d’opposition au parrainage ou au mentorat des jeunes. Ils y voient au contraire des opportunités pour sortir les jeunes du quotidien, les aider dans leur projet d’orientation. Les freins, ne sont donc pas les professionnels, mais le cadre strict de la protection de l’enfance, que les associations de parrainage ne connaissent pas toujours. En effet, lorsque les enfants font l’objet d’une mesure de placement, les temps de visite et d’hébergement par des adultes (famille ou autre) décidés par le juge des enfants, sont organisés dans un cadre strict par le professionnel du département.

44Lorsque l’enfant est mineur, et confié à l’ASE, la formalisation d’une relation de parrainage ou de mentorat dépasse le simple accord entre l’association, le mentor/parrain et l’enfant. Le juge, le référent Aide sociale à l’enfance du département, et les parents de l’enfant doivent donner leur accord, de manière formelle.

45Marie, anciennement éducatrice de Rebecca (8 ans), et maintenant sa marraine, explique ainsi que la formalisation du parrainage est passée par la coordination d’une multiplicité de personnes.

« J’ai été l’éducatrice de Rebecca pendant 1 an et demi. J’étais déjà en cheminement car j’aimerais bien garder contact. Rencontrer l’asso de parrainage m’a permis de cheminer plus. Les parents biologiques voulaient l’accord de la directrice territoriale (DT) du département. L’accord officiellement c’est avec l’asso : il y a des psys, entretiens avec les services de l’asso. Ils viennent visiter mon domicile, mes proches, mon conjoint, mes enfants, tout l’entourage. Ensuite ça a été amené par la DT et les parents. Au cours d’un entretien entre les parents et eux. Les parents ont ensuite demandé à me rencontrer. Quand on a signé le contrat avec les parents, l’enfant et l’association, ça nous engage tous jusqu’aux 18 ans de l’enfant. Ça peut être réévalué en cas de litige. Moi dans mon cas, le parrainage se fait à la demande de l’enfant. C’était ma volonté, de pouvoir respecter ce qu’elle souhaite, à l’allure qu’elle souhaite et comme elle le souhaite. Que ce soit hors de tout ce qu’elle voit où on lui impose un rythme bête et méchant. Au début elle n’était pas partante pour rester à la maison. Donc juste un début d’aprèm, mais après elle voulait rester plus. Donc on a discuté pour rester plus longtemps (Marie, marraine de Rebecca, 8 ans).

47Du côté des parents, le fait que des professionnels de la protection de l’enfance deviennent parrains ou marraines est rassurant pour certains. D’autres sont initialement réticents, et peuvent par exemple percevoir le parrainage ou le mentorat comme une menace d’être remplacé.

Marine, ancienne éduc, a quitté le village et souhaite parrainer Sophie et Jessica, le papa avait toujours dit qu’il serait contre : « ils ont déjà une famille » ; « mes filles ont des parents » (Astrid, cadre, MECS).

« Quand on a demandé l’autorisation pour accueillir Gabriel, la référente a dit que nous avions besoin de l’autorisation de la maman de Gabriel. C’est la maman qui a demandé à nous rencontrer elle s’inquiétait elle nous a dit “vous allez en faire quoi de mon fils ?ˮ Elle se demandait pourquoi on voulait accueillir son fils. Je pense qu’elle se rend pas compte des liens créés en jouant le week-end, en allant au parc avec eux, en partant en vacances. Elle était un peu inquiète comme ça, savoir pourquoi on voulait gratuitement s’occuper de son enfant » (Aline, marraine de Gabriel, 10 ans).

Des structures qui doivent faire face aux difficultés de recrutement pour étendre l’accompagnement

49Conjointement au développement de nouvelles structures et missions de mentorat et au financement par l’État des actions visant les enfants et jeunes de l’ASE, se pose la question du recrutement, de la formation et des modalités de suivi des parrains/marraines et mentors.

50Pour les associations les plus anciennes, il s’agit de mobiliser un vivier de tuteurs ou de parrains, vers un nouveau type d’accompagnement en direction d’un public parfois inhabituel, les jeunes de l’ASE. Concernant les associations nouvellement structurées, il s’agit de recruter des parrains ou mentors, pour ce public spécifique. Pour les uns comme pour les autres, la loi, et les financements imposent un nombre de binômes conséquent. En annonçant que les 300 000 enfants et jeunes confiés à l’Aide se verraient proposer un ou plusieurs parrains et un ou plusieurs mentors, la puissance publique fixe un objectif ambitieux pour toutes les structures de parrainage et de mentorat.

51Ainsi, les associations utilisent les réseaux sociaux, la presse, les médias locaux ou nationaux, afin de recruter des parrains et des mentors en effectifs suffisamment élevés.

« Alors en fait, c'est la phase la plus difficile, de recruter des parents et des marraines. On fonctionne par réunion d'information collective. Avril et décembre, on avait eu 76 personnes qui avaient participé aux informations collectives et on avait eu 25% de dépôts de candidature. Aujourd'hui, l’association compte 19 enfants parrainés dont 6 par des personnes qui faisaient partie de l’environnement de l’enfant, parmi les enfants parrainés, 4 sont des mineurs non accompagnés, 27 enfants sont en attente de parrainage. La difficulté pour nous est d’investir tout le territoire, parce qu’on s’est dit, c’est 30 minutes maximum entre le domicile de l’enfant et du parrain et en réalité, des fois, ça colle pas (Irène, responsable de l’association de parrainage du département).

52Les lieux de placement de nos enquêtes, sont très souvent en dehors des grandes villes (les assistants familiaux devant disposer d’une chambre par enfant accueilli et les établissements collectifs nécessitant de la place) dès lors la difficulté à trouver des binômes proches géographiquement est complexe. L’apparition, après la crise du COVID 19 du mentorat en visioconférence et l’utilisation de cette modalité par certaines associations, permettent d’élargir le recrutement des mentors. Dans l’enquête quantitative réalisée auprès des jeunes mentorés par les 6 structures de mentorat, 35% des jeunes ont déjà rencontré leur mentor ou parrain en personne, ce qui signifie que pour une part importante d’entre eux, le mentorat se fait exclusivement en visioconférence. Un moyen de recruter plus facilement des mentors et d’éviter les étapes d’un protocole garantissant la protection de l’enfance (demande des casiers judiciaires du mentor, de son ou sa conjointe, de ses colocataires... visite du lieu de vie, échange avec l’ensemble des personnes vivant avec le mentor). Au total, 84% des relations de mentorat mises en place par ces structures se déroulent en visioconférence.

53Alors que certaines associations ont initialement des profils de mentors : étudiants pour l’association proposant initialement du mentorat, actif classe supérieur urbain pour l’association proposant initialement de l’accompagnement à l’insertion professionnelle de jeunes de quartiers prioritaires, les associations nouvellement implantées au local tentent de recruter plus largement.

« Alors c'est très, très hétérogène, on n’a vraiment pas que des personnes à la retraite puisque dans nos candidats on a une retraitée par exemple. Seulement c'est, on s'attendait pas du tout à ça, c'est soit des couples qui ont une cinquantaine d'années puis qui ont des enfants plus grands qui sont partis faire des études. Et qui sont quand même encore dans cette dynamique d'avoir des enfants à la maison et d'avoir encore envie de partager. On a aussi des gens qui ont beaucoup voyagé et qui sont dans l’idée d’inclure au sein de leur famille, un jeune, un mineur non accompagné par exemple. Soit en effet des personnes seules qui n'ont pas d'enfant. Et on a actuellement des gens qui arrivent parce qu'ils nous sont orientés par le département, c'étaient des candidats à l'adoption. Donc, qui n'ont pas pu voir le projet d'adoption aboutir alors soit pour un critère d'âge, soit par rapport à l'enfant qu’ils souhaitaient adopter » (Irène, responsable de l’association de parrainage du département).

54L’un des freins souvent énoncés au recrutement de parrains et mentors est la demande d’un engagement sur le moyen ou long terme. Une demande très variable en fonction des organisations. Pour les étudiants qui deviennent parrains ou mentors, la durée du mentorat est souvent associée à la durée des études, ou au service civique, lorsque le mentorat se déroule dans ce cadre. Rencontrés en entretiens, plusieurs de ces jeunes mentors témoignent avoir pu être en grande difficultés face aux souffrances des jeunes de l’ASE.

56Dans le cadre de la protection de l’enfance, les enfants et jeunes de l’ASE, font face à de multiples intervenants, et il semble que les mauvaises expériences ne sont pas qualifiées de mentorat ou de parrainage par les enfants eux-mêmes. Les mentors ou parrains sont alors perçus par les jeunes comme d’énièmes intervenants qu’ils n’ont pas choisis et qui se succèdent auprès d’eux : (éducateurs, psychologues, intervenants soutien scolaire, assistantes sociales, stagiaires, intérimaires...). Il n’en demeure pas moins que lorsque l’accompagnement se termine sur une rupture, nous pouvons faire l’hypothèse de conséquences sur ces enfants/jeunes dont les parcours sont déjà jalonnés de multiples ruptures de liens. La littérature internationale rend compte des effets néfastes de ces ruptures ou changements successif de mentor (Grossman et al., 2011 ; Larose, 2012).

Généralisation du parrainage et du mentorat et risques d’exclusion de certains publics de l’Aide Sociale à l’Enfance

57Les impératifs de recrutement de parrains et de mentors, et les modalités flexibles sur la durée, la fréquence et la nature (en ligne ou avec rencontres) peuvent occasionner des relations de mentorat éloignées des besoins des enfants accompagnés, si l’on se réfère au besoin de quotidien partagé, d’intégration dans une famille et de participation aux événements familiaux, pour reprendre les exemples explicités par les enfants cités précédemment, mais aussi si l’on considère le besoin de relations stables.

« J’étais service civique dans l’association de mentorat, et on nous propose de faire 2h de bénévolat, soit un jeune en QPV, soit un jeune de foyer de l’ASE. Le premier jeune que j’ai mentoré, vu que c’est un foyer d’hébergement d’urgence, quand il y a une place quelque part, les jeunes partent.

Moi j’ai su au dernier moment, un jour où j’allais chercher le jeune pour une sortie collective, on m’a dit : “Yamin a eu une place, il est plus làˮ. La seconde jeune que j’ai mentorée, ça a pas été facile, la première rencontre, elle avait très peur. Elle était cachée derrière son éducatrice et elle ne voulait pas me voir. J’ai vite compris, elle avait peur des hommes. Quand j’ai fini mon service civique, j’ai pas souhaité poursuivre car j’avais des projets autres. Je l’ai prévenue progressivement, elle l’a plutôt bien pris, c’était synonyme de vacances (Julien, 25 ans mentor).

« Par exemple, j'avais quelques difficultés en maths et tout. Du coup, il m'aidait à réviser par rapport à ça. Et franchement, c'est vrai que ça m'a beaucoup aidé. Ça m'a aussi aidé à comprendre certains points et tout. Et ensuite, pour mon examen de maths, ça m'a beaucoup aidé » (garçon, 19 ans, Contrat Jeunes majeur, mentoré depuis 5 mois).

« On programmait un jour chaque semaine et on faisait vraiment le bilan de ben, comment je vais, comment s'est passé mon cours, etc. […] C'est le fait de vraiment connaître un peu plus les matières où je suis du coup. Quand on fait le bilan, c'est vraiment par rapport aux matières, par rapport à mes révisions. Avec le brevet, voir où on était par rapport à mes révisions » (fille, 15 ans, mentorée depuis 3 mois).

« Ben, c'était plus par rapport à moi au début, vraiment pour parler de mes objectifs de l'année, ce que je voulais faire plus tard. Je lui ai dit ce que je voulais faire et aussi les besoins que je voulais aussi par rapport à mon année. Au début c'était plus pour la troisième, par rapport au brevet, et cette année, je suis en professionnel, donc c'est plus pour être Community manager et donc elle pourra m'aider un peu. [...] On parlait de l’année prochaine, ce que je voulais faire par rapport à mes stages aussi. […] Si je voulais, elle pourrait me proposer des stages, me proposer des idées » (fille, 15 ans, mentorée depuis 3 mois).

59Les mentors confirment les besoins des jeunes qu’ils mentorent et leur capacité à y répondre.

« J'avais déjà engagé en amont pas mal de choses. [...] Son projet était quand même fait dans les grandes lignes. On avait déjà bien déblayé le terrain. C'étaient vraiment les attentes sur Parcoursup, de comment les écoles vont interpréter ce que lui il peut mettre dessus, sur son CV, sa lettre de motivation. […] Après c'est parce qu'on n'a pas eu le temps non plus [...] [L’association] on l’a rencontrée quand les gamins devaient déjà savoir vers quoi ils devraient s'orienter. Maintenant qu’on la connaît, qu'on sait que [les mentors] existent et comment ils interviennent, on pourrait les solliciter plus tôt » (Éducateur).

« Honnêtement pour le projet professionnel, la majorité, ils sont déjà carrés, ils savent déjà ce qu'ils veulent faire [...] [La valeur ajoutée] c'est pour les aider à vraiment définir leurs projets professionnels, voir quelles portes on peut leur ouvrir » (femme, mentor depuis 4 mois).

« On a beaucoup cherché par rapport à trouver un job étudiant. Vraiment, on envoyait des liens, des personnes qui cherchaient justement des postes. […] Par rapport à moi, je trouve que c'est grave utile et c'est important d'avoir quelqu'un qui connaît plus de choses que nous, qui peut nous aider à trouver un travail, donner des conseils... » (garçon, 19 ans, mentoré depuis 5 mois).

60Ainsi, dans l’enquête quantitative, 77% des mentorés disent que leur mentor les a aidés à être plus persévérants, et à aller au bout d’un projet, et 22% des mentorés ont été aidés par un mentor pour trouver un emploi, et les mentors/parrains se perçoivent comme une aide mobilisable par le jeune à toutes les étapes du processus de recrutement. Cette aide se traduit également par une mobilisation de son réseau par le mentor. Ainsi, cette acception du mentorat s’adresse en particulier aux jeunes qui ont la capacité de formuler une interrogation ou un besoin clair et précis d’accompagnement sur un aspect particulier (par exemple, les choix d’orientation scolaire ou de formation). Pour cette raison, les jeunes les plus précarisés – en décrochage ou en échec scolaire, porteurs de handicap, en foyer d’urgence - sont très peu représentés parmi les relations de mentorat développées par les structures. Nous pouvons nous interroger sur les raisons qui peuvent expliquer qu’un type de population soit sur-représenté parmi les jeunes mentorés qui peuvent être des sélections opérées par les travailleurs sociaux, ou de manière implicite par les modalités de mentorat : la visio impliquant qu’un jeune soit en capacité de rester concentré 1h en visio (ce qui peut être compliqué pour certains jeunes ayant des troubles du comportement). Dans le cadre de cette mesure d’impact, les associations de mentorat ont sollicité les départements ou fondations afin de proposer le mentorat. Les propositions ont donc été faites aux établissements, et les professionnels ont proposé aux jeunes cette modalité d’accompagnement peu connues sur les terrains. Les jeunes se sont donc portés volontaires, encouragés par des professionnels.

61À partir de cette enquête, nous pouvons dire que le mentorat permet de répondre à des besoins formulés tels que le soutien à la scolarité, l’aide à l’orientation (choix mais aussi démarches administratives), l’accès à un stage, un apprentissage, un emploi. Le mentor apporte un regard extérieur et centré sur un ou deux sujets, (contrairement aux professionnels de l’ASE qui accompagnent le jeune avec toutes ses problématiques) pour soutenir le jeune afin qu’il puisse mener à bien un projet ou débloquer des situations bloquantes (administrative). Il peut également mobiliser son réseau afin d’aider l’accès à un stage, un apprentissage ou un emploi.

Pour conclure

62Distingués comme des types d’accompagnement différents dans la loi, parrainage et mentorat sont parfois utilisés de manière interchangeable - le plan 1 jeune 1 mentor a par exemple contribué à englober plusieurs types d’accompagnement (parrainage, tutorat, mentorat) sous une même étiquette. Nos enquêtes auprès de jeunes parrainés ou mentorés, parrains et mentors, professionnels de la protection de l’enfance et structures de parrainage ou de mentorat, montrent les spécificités en termes de types d’accompagnements, d’engagement des parrains ou mentor et de besoins des enfants et jeunes auxquels ces dispositifs répondent.

63Le parrainage, premier type d’accompagnement, consiste le plus souvent en l’accueil régulier au domicile de parrains/marraines et de leur famille visant le partage de quotidien des enfants ayant le moins souvent la possibilité de sortir des établissements (parce que les parents n’ont pas de droits d’hébergement, qu’ils n’ont pas d’occasion d’aller dormir chez des tiers) et la construction de relations affectives sur le long terme. Dans les enquêtes réalisées, les parrains et marraines ont souvent été rencontrés par les enfants/jeunes avant la formalisation de la relation de parrainage. Moins fréquemment, des associations locales, ou des associations nationales ayant des antennes locales peuvent aussi mettre en contact des parrains/marraines avec des enfants et jeunes de l’ASE, et les accompagnements proposés peuvent être à plus court terme et se concentrer sur l’ouverture sur l’extérieur (par exemple par des sorties culturelles). Le mentorat est le second type d’accompagnement, qui s’effectue lors de rencontres régulières (hebdomadaires ou bimensuelles) dans l’établissement ou en visio afin de travailler sur un projet ou une demande précise, formulés par le jeune ou son éducateur, sur un temps court (centré sur la durée du projet).

64Si les jeunes parrainés sont représentatifs de la population de l’ASE (situation scolaire, handicap...) les jeunes mentorés représentent une partie plus restreinte de jeunes plutôt en situation de réussite scolaire et ayant un projet défini. Notons cependant que les enfants parrainés sont plus jeunes et les jeunes mentorés plus âgés. La généralisation du parrainage et du mentorat soulève donc des enjeux liés au risque d’exclusion de certaines populations de l’ASE, et, particulièrement dans le contexte de la protection de l’enfance, de la formation et du suivi des parrains et mentors. Le dispositif requiert notamment pour les associations qui mettent en place parrainage et mentorat, de s’insérer dans les processus complexes de la protection de l’enfance, et dans un contexte de crise du travail social, caractérisé par un turnover très important des équipes qui s’occupent au quotidien des enfants confiés.

65Alors qu’aujourd’hui, un pourcentage faible d’enfants sont parrainés ou mentorés, l’injonction à la généralisation risque de faire fi des étapes, procédures et points de vigilance qu’entraîne l’implication d’un bénévole dans l’accompagnement d’un enfant confié à l’ASE, ainsi que la nécessité de formation et de suivi des bénévoles eux-mêmes, qui peuvent être confrontés à des situations difficiles (dues aux différents traumatismes liés aux vécus de ces enfants et jeunes). Cette politique publique a, entre autres, du fait d’une communication nationale et locale, entraîné des attentes, notamment auprès des enfants et jeunes les plus isolés, qui risquent de rester sans réponse.