• 1 J’utiliserai le terme de « conventionnel » pour désigner tout participant à une convention citoyenn (...)

2Si l’on s’en tient au domaine de la démocratie et de l’action publique, en trois décennies, l’extension d’une offre de participation est manifeste dans la quasi totalité des champs d’intervention selon des formes diverses, plus ou moins procéduralisées, à toutes les échelles territoriales (débat public de la Commission nationale du débat public (CNDP), conseils de développement, budgets participatifs, conventions citoyennes…). À cette offre institutionnelle, s’ajoutent des initiatives citoyennes de toute facture configurant dans le même temps une offre civile de participation (Neveu et al., 2022). On notera d’emblée que la norme participative n’a pas reconfiguré pleinement les choses : les institutions et mécanismes représentatifs dominent ; les intentions ne sont pas exemptes d’arrière-pensées et les offres parfois en trompe-l’œil ; les inégalités sociales de participation restent patentes ; les ambivalences des individus que nous sommes déroutent – à la fois défenseurs exigeants de ce qui permet d’être écoutés davantage sur tout ce qui a une incidence sur le cours de nos vies, et à la fois, déserteurs ou participants intermittents des scènes publiques proposées à cet effet. Mais, quoi qu’il en soit des bilans, l’institutionnalisation de la participation a aussi transformé les processus et les modalités d’action et de décision de façon significative. Elle s’est accompagnée de l’apparition de nouveaux métiers, avec la création d’un marché et de professionnels de l’ingénierie participative comme elle a conduit à l’internalisation de nouvelles fonctions dédiées au sein des organisations et institutions (Bessie2024-11-09T14:28:00BNonjon, 2006 ; Mazeaud, 2012 ; Lee, 2015 ; Bherer et al., 2017 ; Mazeaud et Nonjon, 2018) ; elle a aussi fait émerger de nouveaux rôles afférents à la division du travail participatif et délibératif, à l’instar de ceux de conventionnel1, de membre de comité de gouvernance ou autre comité de pilotage ou encore de celui de garant, spécificité française. C’est de certains de ces derniers rôles dont il sera question ici, à partir de l’expérience qui a été la mienne.

• 2 Ce n’est d’ailleurs pas une singularité française. Pour exemple, le Groupe de soutien académique de (...)
• 3 Pour un retour d’expérience des chercheurs-observateurs de la convention citoyenne sur la fin de vi (...)

4Les configurations participatives et délibératives donnent aux chercheurs qui s’emparent de ces objets l’occasion d’un tour de rôles, entre recherche et expertise, avec ou sans finalité immédiate de production de connaissances. À la façon dont Gans (1967, p. 440) distingue les différents rôles qui s’offrent au sociologue de terrain et qu’il a mobilisés lui-même, il est possible de s’envisager comme un chercheur « total » - d’autres diraient un « pur » chercheur -, un chercheur-participant ou un participant « total ». Celles et ceux qui défendent la plus-value des démarches ethnographiques pour observer les dispositifs participatifs (Cefaï et al., 2012) savent que la combinaison de ces différentes stratégies est heuristique. Ces postures restent ici définies par le seul objectif scientifique, et c’est en toute autonomie que le chercheur décide des conditions de production de connaissances au regard de ses propres intentions. La maîtrise du degré d’immersion et d’intervention est bien sûr dépendante des négociations et transactions de toute situation d’interaction. Les dispositifs participatifs et délibératifs sont de ce point de vue plus ou moins faciles à pénétrer. Les dispositifs « ouverts », accessibles à toutes celles et ceux qui souhaitent débattre, n’appellent généralement rien de plus que de se poster sur les scènes d’échanges et de déployer des méthodologies et des protocoles d’enquête que l’on définit et opérationnalise en toute indépendance. Dans le cas des dispositifs « fermés », à l’instar des conventions citoyennes qui reposent sur la constitution d’un mini-public tiré au sort, les chercheurs doivent compter avec les règles et conditions d’accès23, en partie imposées, en partie négociées, comme pour bon nombre de recherches empiriques. Sauf à avoir la bonne fortune du politiste J. Boswell (2021) qui fut tiré au sort pour siéger dans une assemblée citoyenne locale sur la qualité de l’air au Royaume-Uni, se trouvant ainsi en position d’éprouver ce qu’être un « citoyen délibératif » veut dire.

• 4 C’est toutefois le cas pour les garants de la Commission nationale du débat public (CNDP) qui sont (...)

6Une fois réglée la question de la disponibilité, et étant précisé que ces charges publiques ne font généralement pas l’objet de rétribution ni même d’indemnisation4, accepter de telles sollicitations procèdent de bonnes raisons multiples. Des inclinaisons personnelles (goût pour ce qui rompt les routines professionnelles, affinités électives, curiosité pour le sujet soumis à délibération, …) peuvent bien sûr entrer en considération. Une expérience de « pure » praticienne au début des années 2000 explique aussi dans mon cas l’attention d’emblée favorable que je porte à ces sollicitations. Surtout, il y a là toujours des opportunités d’accès à un « terrain » d’observation qu’il est difficile de refuser, tant elles promettent, même sans intention scientifique immédiate, de nourrir analyses et enseignements, en particulier en ce qu’elles placent à l’intérieur de la « boîte noire » des dispositifs ; elles permettent de mettre à l’épreuve des faits, savoirs et expertises. Enfin, accepter de telles missions peut aussi constituer une « forme d’engagement politico-scientifique » (Lefebvre et Legris, 2018) ou d’un « engagement civique en faveur des innovations démocratiques » (Jacquet et Reuchamps, 2017) lorsque l’on envisage que la mise à disposition de son expertise pourrait contribuer au progrès démocratique. Si je peux faire miens ces mobiles, j’ajouterais que pour une sociologue formée à la sociologie tourainienne et à sa méthode d’intervention sociologique (Touraine, 1978 ; Cousin et Rui, 2013), il y a une continuité évidente entre l’intervention comme actrice des processus participatifs et délibératifs et le fait d’envisager que la connaissance sociologique se fait en dialogue avec les acteurs, l’ambition étant toujours de contribuer à l’augmentation de leurs capacités réflexives et de leurs capacités d’action, pour transformer l’ordre social et politique. En dépit de leur diversité interne, les théories participationnistes et délibératives ont d’ailleurs aussi des visées transformatrices, qu’il s’agisse de la société ou de l’émancipation des individus.

• 5 C’est le cas du collectif Pièces et Main d’œuvre. Voir « Les rebelles de l’acceptabilité », billet (...)

7L’état de l’art en matière de participation démocratique s’étoffe en continu tant au plan théorique qu’empirique, et doit pour une bonne part aux insiders (Jacquet et Reuchamps, 2017 ; Suiter et al., 2019 ; Pech, 2021 ; Fourniau, 2022 ; Fleury, 2022). Ces contributions s’accompagnent parfois de considérations méthodologiques, épistémologiques, voire déontologiques, depuis ces situations d’« expérience-enquête », selon la formule forgée par Dominique Schnapper (2011) pour relater et analyser son expérience de sage au Conseil constitutionnel. Pour une bonne part, les chercheurs reviennent sur les défis, parfois l’inconfort, mais aussi les plus-values de ces positions « embarquées » (Alam et al., 2012 ; Lefebvre et Legris, 2018) ou « hybrides » de « méthodologues » (Jacquet et Reuchamps, 2017). Sous l’angle des enjeux scientifiques, les expériences rendent compte des tensions, sommes toutes ordinaires en sciences sociales, qu’exacerbent ces positions qui supposent de ne pas rester en surplomb, mais bien d’intervenir eu égard au rôle que l’on a accepté d’endosser. Que font ces positions entre recherche et action à la connaissance ? Jusqu’où cette dernière peut-elle être jugée objective et fiable ? N’est-elle pas corrompue en même temps que l’on se corromprait ? Les réponses à ces questionnements viennent nourrir une réflexivité collective, ancienne, toujours nécessaire. Chacun s’efforce de trouver le point d’équilibre entre « intellectuel bureaucrate » et « intellectuel libre » (Merton, 1965), entre engagement et distanciation (Elias, 1983), entre attachement et détachement (Callon, 1999), entre jugements de faits et jugements de valeurs (Weber, 1959) quand il est pris dans « la dialectique sans fin entre le rôle de membre (qui participe) et celui d’étranger (qui observe et rend compte) » de toute enquête de terrain (Hughes, 1975). C’est aussi sous l’angle des enjeux sociaux et politiques que les chercheurs interrogent l’effet de leurs propres interventions. Que font de telles implications aux dispositifs, aux politiques participatives ou encore aux résultats des délibérations ? Faut-il et comment parer à toute velléité d’instrumentalisation de la part des pouvoirs instigateurs comme de celle des participants ? Faut-il et comment éviter de servir de caution en devant un rouage d’une entreprise de pure légitimation ? Surtout que les mises en cause à front renversé ne sont pas rares : tantôt perçu comme un savant inutile, quand on assure être bien en peine d’énoncer ce que devrait être une « bonne pratique », tantôt comme l’idiot utile des dispositifs quand on se voit taxer d’« acceptologues » 5par des opposants, aussi hostiles aux projets soumis à la procédure de débat public qu’au principe même de cette dernière, et qui dénoncent l’intervention des chercheurs comme concourant à la fabrique de « l’acceptabilité sociale ».

• 6 Voir sur ce point le dossier de la revue Participations. (Collectif, 2017).

8Les réponses apportées par les chercheurs et les stratégies mises en œuvre dépendent des objets, des contextes, mais aussi des paradigmes dans lesquels ils s’inscrivent. La distinction qu’opérait Cécilia Claeys il y a près de 20 ans en matière de participation environnementale n’est par toujours aussi nette entre la posture du sociologue critique qui se méfie, voire refuse, la demande sociale afin « de ne pas contribuer à asseoir scientifiquement le pouvoir des classes dirigeantes » (Claeys, 2006, p. 8) et celle du sociologue de la critique, enclin à s’inscrire dans l’accompagnement social de processus misant sur l’hybridation des savoirs. Comme elle le pensait alors, certains peuvent estimer que le métier de sociologue suppose de ne pas renoncer à « l’objectivation comme fondement de la posture sociologique » et devrait conduire à résister à la tentation de jouer les arbitres ou les animateurs, en laissant ces fonctions à l’ingénieur social. Mais O’Miel et ses collègues (2017) rappellent qu’une sociologie critique n’empêche ni l’engagement ethnographique, ni les interventions sociales6. De surcroît, les tournants épistémologiques contemporains (Latour et Woolgar, 1988 ; Callon et al., 2001 ; Burawoy, 2005), comme le développement des sciences participatives légitiment de nouveaux régimes de production des savoirs, et donc de pouvoir, où les frontières entre experts et profanes, comme entre humains et non humains, sont reconfigurées. La diversité des rôles reste suffisamment étendue pour que, quelles que soient les formes d’engagement dans le métier, des chercheurs investissent les configurations participatives et délibératives, qu’ils envisagent d’être ainsi en position de faire de « l’entrisme méthodologique » (Lefebvre et Legris, 2018), d’intervenir en « méthodologues » critiques (Jacquet et Reuchamps, 2017), ou de trouver de quoi défendre un délibérativisme radical (Fourniau, 2022).

• 7 Voir la discussion que proposent de cette notion Meyer et Molyneux-Hodgson (2011).

9Le fait est que le rôle des chercheurs est manifeste dans « la construction et la consolidation de l’édifice participatif français » (Blatrix, 2012, p. 60), les institutions participatives puisant dans leurs travaux et leurs interventions une légitimité tant académique que démocratique. Mais qu’il existe ainsi des liens forts entre un mouvement de réforme et l’activité académique n’est pas une singularité de ce domaine. Comme tout phénomène social ou politique émergent, son institutionnalisation s’est accompagnée de la formation d’un collège invisible, avec un effort de structuration de la recherche qui n’efface ni la diversité des approches, ni la porosité entre communauté scientifique et communautés de pratiques (Blondiaux et al., 2016), avec un dialogue continu aussi bien avec les praticiens de la participation qu’avec les acteurs du monde politique et de la société civile organisée intéressés par ces questions. Si la notion de « communauté épistémique » n’est sans doute pas pleinement adaptée7, les circulations sont indéniables et participent des logiques de renforcement mutuel et d’approfondissement entre les théories participatives et délibératives, leurs implications pratiques et les enquêtes empiriques dont ces dernières font l’objet, le tout contribuant à une redéfinition des standards normatifs (Ercan et Dryzek, 2015.)

• 8 Ainsi, on trouve trace d’un document archivé sur le site de la CNDP qui indiquait alors « … il conv (...)
• 9 Notice d’information sur le rôle des garant.es. Annexe à l’appel à candidature 2023 [https://www.de (...)

12Sur ce point, le travail de la CNDP est toutefois à souligner. Cette dernière a construit en quelques décennies son assise, sa doctrine et sa méthodologie eu égard à une procédure de débat public très balisée. Ainsi, le rôle du garant censé veiller à l’indépendance, l’impartialité et la sincérité de la démarche, initialement invité « à tracer les contours de sa mission selon ses propres constats » 8a-t-il été progressivement affermi, avec une dimension désormais très interventionniste et prescriptive9. Cet « observateur et témoin actif » ne doit pas se contenter d’être un « greffier » mais bien intervenir dans l’organisation des débats publics. Il reste que rien n’oblige un instigateur de démarche participative à puiser dans le vivier des garants de la CNDP, et ce alors même que cette fonction est devenue courante, en particulier pour les conventions citoyennes qui se multiplient à bien des échelles. Accepter de jouer le rôle de garant suppose donc la plupart du temps d’en « tracer les contours », parfois en dialogue avec les instigateurs ou au sein d’un collège de garants, parfois en totale autonomie et selon la conception que l’on se fait de cette fonction de tiers indépendant.

• 10 Ces termes se trouvaient dans la lettre du président du CESE pour la désignation des membres du com (...)
• 11 Le règlement intérieur du comité de gouvernance de la CCFV, établi sur la base des principes des ar (...)

13Devoir « tracer les contours » de sa mission, c’est aussi ce qui attend tout membre d’un comité de gouvernance d’une convention citoyenne, qu’il s’agisse de la CCFV à laquelle j’ai contribué ou, avant elle, de la Convention citoyenne pour le climat (Pech, 2021 ; Fourniau, 2022). Il est attendu qu’un tel comité garantisse « le bon déroulé de la Convention et sa transparence » et qu’il procède « aux arbitrages méthodologiques structurants à toutes les étapes du processus »10. Dans les faits, il s’agit bien d’arbitrer quant aux critères de recrutement des citoyens, aux documents constitutifs du socle documentaire, au déroulement des différentes sessions, aux options méthodologiques, au profil des experts à auditionner… Sur tous ces points et d’autres encore, il s’agit donc bien de décider, en l’occurrence dans un cadre collégial, ce qui confère une responsabilité tout autant individuelle que collective. En l’occurrence, servent de guide les principes puissants admis comme des ressorts de la qualité et de la légitimité des processus délibératif (OCDE, 2020 ; Fatin-Rouge Stefanini et Geynet-Dussauze, 2022). Apparents parfois dans les courriers de sollicitation, les chartes et règlements intérieurs11 établis pour un processus donné, parfois peu formalisés, ils sont toutefois ces valeurs auxquelles se conformer pour (bien) jouer son rôle, et celles qu’il faut respecter pour assurer la qualité du processus délibératif lorsqu’il s’agit de faire des choix méthodologiques ou, en tant que garant, en apprécier la pertinence. Ainsi « gouverner » ou « garantir » une convention citoyenne suppose de respecter des conditions d’indépendance (à l’égard de l’autorité à l’origine de la question comme à l’égard de tout acteur qui pourrait chercher à faire pression sur le processus), d’intégrité et de neutralité à l’égard du sujet soumis à délibération. « Gouverner » ou « garantir » revient aussi à faire en sorte que le processus réponde aux principes suivants : la qualité, l’accessibilité et le pluralisme des informations versées à la discussion via les documents comme via les intervenants auditionnés ; la représentativité, l’inclusion et l’égalité de traitement des conventionnels, comme la protection de leur vie privée ; la transparence des décisions de l’entité organisatrice ; la publicité des travaux, notamment par leur médiatisation ; enfin, la redevabilité des autorités publiques à l’origine de la saisine. Opérationnaliser les principes n’a rien d’évident, et un processus délibératif est pavé de fausses bonnes idées, d’erreurs et de malentendus. Mais ces principes sont bien à l’esprit de tous, membres de la gouvernance, animateurs, garants comme participants. Ils font d’autant plus l’objet d’une vigilance constante, à la fois à titre personnel qu’au plan collectif, qu’il en va de la « réussite » de la démarche. Cet horizon partagé revient à la fois à penser l’efficacité de la démarche – il convient de créer les conditions pour que plusieurs dizaines de citoyens, divers socialement, coopèrent pour répondre à la question posée et remettre un avis argumenté sous forme d’un rapport de qualité, et à une échéance fixée à l’avance – et à la fois de créer les conditions qui assoient sa légitimité, c’est-à-dire faire en sorte que le processus soit reconnu, à l’intérieur comme à l’extérieur, comme irréprochable sous quelque rapport que ce soit.

• 12 Face aux critiques émises à l’égard du comité de gouvernance de la CCC, Thierry Pech recommande de (...)
• 13 Voir sur ce point la discussion proposée par P. Maniglier, 1998,.

15Cette autonomie est toutefois relative eu égard à la collégialité et plus encore à la force d’enrôlement de la dynamique délibérative. L’éthos du sociologue permet pour soi-même de savoir quoi faire des tensions entre ses expériences, intérêts, savoirs et convictions. On sait d’ordinaire faire aussi avec les contradictions devant lesquelles on peut être placé. Comme Boswell devenu « citoyen délibératif », ce que l’on croyait savoir, ce dont on pouvait être convaincu, se trouve bousculé par le « réel » des processus. Et c’est d’abord une chance que de pouvoir avoir ainsi l’occasion de remettre en question ce qui était devenu évident. Ce qui l’est moins par moments c’est que, quelle que soit la façon dont on s’appuie sur sa propre réflexivité pour prendre position, il convient de faire avec la collégialité des décisions, qu’il s’agisse d’un collège de garants ou d’un comité de gouvernance. Dans le cas de la CCFV, les décisions du comité de gouvernance procédaient d’une délibération guidée le plus souvent par la recherche du consensus, ce qui n’a pas exclu le recours aux votes pour dégager une majorité afin de dépasser les désaccords. Ces discussions, attendues, se sont doublées de celles, inévitables entre personnes venues d’horizons différents - experts du sujet soumis à la délibération, membres de l’institution organisatrice, experts de la participation -, qui, toutes indépendantes à l’égard de l’autorité à l’origine de la saisine, restent toutes prises dans des rapports sociaux de pouvoir du fait de leurs statuts respectifs, et ont elles-mêmes à composer avec les expériences, intérêts, savoirs et convictions. Nous avons donc dû apprendre à nous faire confiance. Ces discussions ont pu porter sur les possibles « conflits d’intérêt », non pas sous l’angle de « l’intéressement au résultat » de l’issue de la délibération12, mais bien sous celui des « conflits de loyauté » du fait de l’ambiguïté statutaire caractérisant chacun d’entre nous. À quoi chacun donnait-il la priorité ? Aux enjeux scientifiques ? Aux enjeux politiques ? Aux enjeux sociaux ? Au nom de qui les différends portant sur des conceptions différentes du fait participatif convenait-il de trancher ? Cette réflexivité collective prend une dimension décisive quand la convention proprement dite est lancée. La force de l’enrôlement de la dynamique conventionnelle, qui ne se « gouverne » jamais pleinement, est ce qui permet à un comité de gouvernance composite, au sein duquel chacun découvre et compose avec un rôle incertain, de prendre la mesure d’une responsabilité qui ne peut qu’être partagée une fois les citoyens entrés en jeu. Cette association des citoyens aux choix méthodologiques, selon des mécanismes divers, dont des votes sur la méthode, a permis en dernière instance de faire émerger un sens partagé au rôle qu’il s’agissait de jouer. En l’espèce, c’est bien plutôt d’une « charge publique » dont il faut parler, au sens où comme pour les conventionnels, elle relève d’une liberté politique qu’il convient d’accomplir en pratique et qui permet de s’accomplir comme citoyenne13.