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Résumés

À partir d’une enquête empirique en situation d’observation participante, nous proposons d’analyser les enjeux sociaux et politiques du désengagement financier d’un conseil départemental dans la Vienne envers un service de prévention spécialisée associatif. En parallèle de ce remaniement se joue une reconfiguration socio-politique de l’aide sociale locale dans les quartiers populaires de cette ville moyenne notamment par la municipalisation de moyens et la sécurisation du travail socio-éducatif par la préfecture. En effet, l’hypothèse est que ce conflit reflète l’imposition d’un modèle technocratique du travail social, sous-tendu par une vision de l’action sociale comme variable d’ajustement économique et sécuritaire reconfigurant les rapports sociaux des professionnels avec les habitants comme « victime émissaire ».

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Texte intégral

  • 1 Fernand Deligny, Graines de crapules, Paris, éd. Dunod, 1998.

Tout est dans la manière » (Deligny, 1998, p. 31)1

  • 2 Stéphane Beaud et Michel Pialoux, Violences urbaines, violence sociale. Genèse des nouvelles classe (...)

1Suite à la mort de Nahel, à l’été 2023, la France a été secouée par onze jours de violences urbaines2. Le rapport de la commission des lois du Sénat, rendu public le 10 avril 2024, a dénombré 50 000 émeutiers, dont les dégradations ont été estimées à 1 milliard d’euros.

2Au cœur de cette période de turbulences urbaines, les plus importantes depuis celles de novembre 2005, des éducateurs de prévention spécialisée, dits « éducs de rue », furent en première ligne dans de nombreux quartiers populaires, notamment à Poitiers, où se déroule cette enquête. Entre novembre 2023 et septembre 2024, j’ai réalisé, en situation d’observation participante, un travail de terrain auprès d’acteurs de la prévention spécialisée, composée de professionnels et d’administrateurs d’une association confrontée à la suppression de cinq postes d’éducateurs de rue de par le Conseil Départemental.

Il s'est agi de la mise en œuvre de la méthodologie de l'observation participante, consistant en une immersion active dans le mouvement social, où le chercheur, en s'engageant directement dans les événements, les situations et les interactions, observe les acteurs dans leur environnement quotidien afin de saisir leurs dynamiques internes et leurs perspectives.

  • 3 Selon Michel Agier, l’approche situationnelle : « […] s’abstient, par décision de méthode, de faire (...)

3En complément des observations, j’ai réalisé des entretiens non-directifs avec des acteurs engagés dans les scènes décrites ci-dessous et procédé à des analyses documentaires d’un événement ayant eu des répercussions au niveau national. Ces analyses s’inscrivent dans une ligne théorique issue de travaux en sociologie des réactions sociales à la déviance, et en anthropologie situationnelle des marges urbaines3.

4La problématique initiale était d’analyser les raisons institutionnelles du désengagement financier de la collectivité territoriale envers ce service de prévention, en expansion permanente dans la région depuis sa création en 1972. Cependant, à la lumière des données de terrain, la problématique fut remaniée en une interrogation sur les augures, conjectures à venir de la métamorphose d’un dispositif de régulation sociale institutionnalisé et historicisé en termes de gestion des désordres au sein des quartiers populaires.

  • 4 Yann Le Pennec, « Bourdieu et les “fantassins du socialˮ, Les cahiers de l’Actif, 2002, n°314-315/3 (...)
  • 5 Véronique Le Goaziou, 2017, « Les “forces faiblesˮ de la prévention spécialisée », VST - Vie social (...)

5En 2024, on compte environ 3 500 « fantassins du travail social », tels que les nomma Pierre Bourdieu dans La Misère du monde, sur le territoire français4. Leur mission principale est de travailler avec des « jeunes » en situation de marginalité plus ou moins avancée. Soumis à des principes d’intervention fondés sur la libre adhésion, l’anonymat et le secret professionnel, ils tendent à favoriser l’inclusion sociale de jeunes en situation de disqualification sociale et/ou prévenir les processus de désaffiliation sociale. Comme le signale Véronique Le Goaziou : « Sur les territoires où on leur demande d’être – principalement des enclaves populaires –, les éducateurs ont d’abord cette posture originale de n’avoir aucune réponse toute prête ou aucune solution immédiate. D’abord, ils regardent, déambulent et s’imprègnent de la vie du territoire – quasiment à la manière des ethnologues – pour saisir son fonctionnement, ses logiques et ses dynamiques, pour comprendre qui sont, ce que font et ce que vivent les habitants, tant sur le plan de leurs difficultés que sur celui de leurs possibilités. De la sorte, ils n’arrivent pas en position de surplomb et encore moins d’intrusion, mais dans une forme singulière d’observation participante et d’empathie bienveillante. À l’égard de leurs publics (des jeunes et leurs familles), ils se tiennent dans l’offre d’un lien possible que ces publics peuvent saisir, ou pas. Le lien débute souvent par un “presque rienˮ : une vague demande, une rapide interpellation, parfois juste un regard, auxquels les éducateurs vont s’efforcer de répondre »5.

6Pourtant, ce métier, plébiscité par le ministre chargé de la ville en 2021, grâce au recrutement d’éducateurs de rue et de médiateurs sociaux au sein des « bataillons de la prévention » dans 45 quartiers prioritaires pour tisser un « filet de protection contre la délinquance de la ville », est devenu dans maints territoires de l’Hexagone une véritable variable d’ajustement économique. En effet, selon l’INSEE en 2023, le déficit public s’élevait à 5,5% du PIB, la dette publique à 110,6% du PIB. En septembre 2014, Bercy pointait la hausse des dépenses des collectivités territoriales qui représenteraient entre 8 et 9% d’une dette globale estimée à 3 000 milliards d’euros. Pour rappel, la loi oblige les collectivités à voter des budgets à l’équilibre. En décembre 2023, de par la loi de programmation des finances publiques, il leur fut demandé de réduire leurs dépenses de 0,5 point par année entre 2024 et 2027. De plus, au début de l’été 2024, Bruno Le Maire alors ministre de l’Économie et des finances appelait les territoires à maintenir un objectif de deux milliards d’euros d’efforts d’ici fin 2024.

7C’est dans ce contexte que, le 29 mars 2024, le Conseil départemental de la Vienne a entériné une baisse de la dotation annuelle allouée aux services de prévention spécialisée de l’ADSEA 86 de 250 000 euros. Étant une compétence obligatoire de l’Aide Sociale à l’Enfance mais au financement facultatif, cette coupe budgétaire a entraîné la suppression de 5 postes d’éducateurs dans des quartiers de Poitiers et Châtellerault, touchés par les émeutes de l’été 2023. Ainsi, environ 400 enfants et familles ne seront plus accompagnés socialement par ces éducateurs de proximité.

8En 2022, en Ardèche, le département avait annoncé la fin de ses financements en direction de la prévention spécialisée, avant de faire machine arrière et de réduire de moitié la baisse de subvention, en appelant d’autres collectivités à les compléter. À Perpignan, 8 des 12 éducateurs des « bataillons de la prévention » ont été menacés de licenciement en 2024, l’incertitude restant de mise pour 2025. Ces trois exemples ne sont que l’illustration, dans de nombreux autres territoires de la République, de la survie présente et à venir de ces services sociaux de proximité soumis à des équations budgétaires aux multiples inconnues.

  • 6 Michel Chauvière, Trop de gestion tue le social. Essai sur une discrète chalandisation, Paris, éd. (...)

9En effet, bien que les éducs de rue soient rattachés pour la plupart aux conseils départementaux, leur garantissant un cadre d’action structuré dans le cadre de la protection de l’enfance, les injonctions sécuritaires se sont immiscées au cœur de l’éducatif dans la rue. Certaines équipes sont municipalisées, d’autres, telles que celles des bataillons de Perpignan, sont soumises à la gestion de la délinquance ainsi qu’aux fluctuations financières des préfectures et des conseils départementaux, au cœur d’enjeux politico-financiers locaux et nationaux. De manière parallèle à la chalandisation du travail social6, depuis quelques années, les dispositifs liés au travail social se retrouvent également fortement remaniés de par la prolifération de logiques gestionnaires des marges urbaines à tendance sécuritaire.

10Ces professionnels, historiquement attachés au secteur de la protection de l’enfance et spécialistes de l’« aller-vers » des jeunes qualifiés de « factieux » ou « sauvages » par l’extrême droite en raison de leur activité de « travail de rue » dans des quartiers qualifiés par certains opinologues de « coupe-gorges », ont besoin de pérennité et d’engagement à long terme.

  • 7 David Puaud et W. Guo, « Le marché des marges sociales », Journal des anthropologues, 2020, n°160-1 (...)

11En 2020, nous faisions l’hypothèse d’un « tournant du travail social »7 Désormais, force est de constater que les dispositifs liés à l’action sociale se retrouvent soumis à un rouleau compresseur technocratique, nivelant le sol structurel des administrations sociales et ajustant les variables d’intervention des services, notamment dans les quartiers populaires. De plus, l’affermissement du socle sécuritaire, notamment depuis les années sarkozystes, renforce les logiques de surveillance, de correction et/ou de punition envers les jeunes désignés comme récalcitrants et/ou « incasables ».

12À partir d’une approche situationnelle liée aux enjeux sociaux et politiques du désengagement financier d’un conseil départemental dans la Vienne envers un service de prévention spécialisée associatif. En effet, l’hypothèse est que ce conflit reflète l’imposition d’un modèle technocratique du travail social, sous-tendu par une vision de l’action sociale comme variable d’ajustement économique et reconfigurant les rapports sociaux des professionnels avec les habitants comme catégorie sacrifiable.

Lutte à contre-pente

  • 8 David Puaud D., Le spectre de la radicalisation. L’administration sociale en temps de menace terror (...)

13Au niveau national et, pour une certaine part, localement, il y eut un avant et un après la loi de prévention de la délinquance de 2007. La mise en place, entre autres, du Fonds Interministériel de la Prévention de la Délinquance a permis le fléchage de postes d’éducateurs ayant pour mission d’effectuer, à plus ou moins long terme, une mission de prévention de la délinquance au détriment de la protection de l’enfance. De plus, dans l’objectif de développer l’activité des services de prévention, des responsables ont opté pour le financement de postes précaires avec des financements municipaux, notamment pour développer l’activité sportive dans les quartiers populaires. La logique de ces éducateurs aux missions « à part » dans les services a engendré des tensions, notamment en ce qui concerne la place de la mission historique de ces services en termes de protection de l’enfance au regard de nouvelles missions liées à la prévention de la radicalisation8.

14Les attentats de 2015 ont marqué un nouveau tournant : le Fonds Interministériel de la Prévention de la Délinquance (FIPD) devenant le FIPDR, avec la radicalisation en toile de fond des interventions spécifiques. De nombreux services, au financement précaire et aléatoire, ont opté pour le financement de postes d’éducateur en prévention « de la radicalisation », sous couvert notamment de la création, par exemple, de « cellules d’écoute et d’accueil des familles ». Bien que dans la majorité des associations gestionnaires ces cellules soient devenues des entités spécifiques d’actions, d’anciens éducateurs de rue se sont reconvertis ; leurs missions s’amalgament entre l’appréhension de certains jeunes en danger (protection de l’enfance) et dangereux (délinquance et/ou radicalisation). Certains responsables de services de prévention ont entretenu des relations avec les services de renseignement, communiquant dans certains cas des listes nominatives.

15De plus, nombre d’éducateurs de rue participent désormais aux cellules départementales pour la prévention de la radicalisation et l'accompagnement des familles (CPRAF). Leur cadre d’intervention s’inscrit dans la sûreté de l’État, avec la détection et le repérage du bas spectre de jeunes et/ou familles en voie de radicalisation.

16À ces agencements et remaniements se sont ajoutés des recrutements locaux de contrats aidés, tels que des éducateurs de prévention spécialisée orientée vers le « plan de prévention et de lutte contre la pauvreté », ayant pour objectif d'aller vers les jeunes de 16 à 25 ans en difficulté socio-économique et de les accompagner pour les inscrire dans une démarche d'insertion sociale et professionnelle.

17Depuis 2007, nombre de conseils départementaux ont choisi de ne plus financer, ou de financer de façon restreinte, les services de prévention spécialisée, bien que ceux-ci relèvent de leur compétence obligatoire, mais paradoxalement à financement facultatif.

18Ainsi, à Poitiers, entre janvier et juillet 2024, nous avons observé une véritable lutte à contre-pente des éducateurs de rue, visant à maintenir les 250 000 euros du conseil départemental, correspondant à la dotation annuelle allouée au service de prévention spécialisée, dépendant d’une association locale. Pour les professionnels du service, telle Marie : « cette décision venait acter le tout répressif et la fin partielle du préventif dans une période où les sujets liés à la jeunesse, à la protection de l’enfance, aux violences et aux incivilités semblent être au cœur des préoccupations du gouvernement. » Ainsi, les acteurs locaux se sont réunis durant trois journées de grève, à l’initiative de deux syndicats de l’association, devant le conseil départemental voisin, situé symboliquement à côté de la Préfecture de la Vienne. L’objectif était que le conseil départemental révise sa décision, qui actait la suppression de cinq postes d’éducateurs de rue.

19Cependant, les attentes des professionnels étaient plus vastes, comme le soulignait une représentante syndicale :

20« D’autres services de prévention spécialisée sont ou ont été en danger de la même manière que nous. Ainsi, au-delà de notre situation locale, l'enjeu revêt un caractère national. En effet, si récemment la prévention spécialisée a été reconnue comme compétence obligatoire des départements, il n’existe aucun texte légal qui encadre les moyens et donc les financements que les départements devraient allouer à ces services. Pour ne plus servir de variable d’ajustement budgétaire, il est indispensable de reconnaître la Prévention Spécialisée en tant que compétence et financement obligatoire du Département ou de la métropole. Une mission ministérielle de 2017 sur l’avenir de la prévention spécialisée avait établi 12 recommandations. Pour nous, il est urgent d’engager une réflexion et des actes sur les 3 axes prioritaires suivants :

  • Élaborer un texte réglementaire définissant les orientations doctrinales fondamentales et précisant le cadre de référence de la prévention spécialisée

  • Inscrire toute mesure complémentaire pour la Prévention Spécialisée financée par l’État dans le cadre d’une convention avec le Département ou la métropole, afin de garantir son inscription dans le champ de l’Action Sociale.

  • Exiger une formation de qualité pour les nouveaux professionnels et une reconnaissance statutaire. »

21Durant trois mois, les éducateurs du service de prévention se sont démenés, faisant de leur lutte locale un enjeu national. Une pétition en ligne a recueilli plus de 3 700 signatures, dont celles d’élus de la municipalité écologiste, mais également de personnalités du milieu académique, certains ayant travaillé sur la thématique de la prévention spécialisée : Pascal Le Rest, Laurent Mucchielli, Daniel Verba, Thierry Goguel d’Allondans, Véronique Le Goaziou, Marwan Mohammed. Des politiciens se sont également impliqués, dont Philippe Poutou et Mathilde Panot, qui ont relayé leur appel au niveau national. Des tribunes de soutien ont aussi été publiées au niveau national dans les Actualités sociales hebdomadaires, Mediapart, Le Monde, Le Média Social. Du côté des jeunes de quartiers, ils témoignèrent leur soutien de manière directe aux éducateurs notamment par le refus de sortie coûtant selon ces derniers « trop de sous ». D’autres ont proposé de vendre des gâteaux pour garantir les postes. Enfin, les gars du « ter-ter » (ancrés dans le territoire en tension avec toutes les autres institutions) ont déclaré à un éducateur : « Mais qui va venir nous voir comme des humains ! Pas des businessman ni des délinquants ! »

Amertumes

22Suite à deux manifestations suivies par environ 80 personnes, ce matin du 21 juin 2024, l’ambiance est morose. Un parterre d’une quarantaine de travailleurs sociaux fait face à un cordon de policiers bloquant l’accès à l’entrée de la préfecture et du conseil départemental. À l’intérieur, se déroule à huis clos un vote de décision modificative de budget. Les élus doivent voter sur les affectations de l’excédent budgétaire de 2023, estimé à 5,9 millions d’euros.

23L’atmosphère est morose car, effectivement, quelques jours plus tôt, le président de l’association gestionnaire, tout juste réélu, a négocié en catimini avec le président du conseil départemental. Ainsi, pour le CD : « l’aide pour la prévention spécialisée sera de 979 200 euros en 2024, soit une baisse de seulement 12,3 % par rapport à 2023. » Les élus ont communiqué cette sortie de crise dans le journal local, actant la résolution du conflit.

24Cependant, les représentants syndicaux ont stipulé ne pas être dupes du jeu de communication, au regard notamment de l’excédent budgétaire de 2023 (5,9 millions d’euros), comme l’a souligné Anne, l’une des syndicalistes du mouvement : « Effectivement, lorsque l’on additionne l’ensemble des subventions du CD envers l’ADSEA, cela fait de grosses sommes, mais les associations n’ont pas la main sur la manière dont elles vont les répartir. Effectivement, cela représente environ 70% du budget global de l’association. Donc il s’agit d’une réorientation des fonds, par exemple pour le développement des services accueillant des mineurs non accompagnés et/ou pour le développement de mesures d’accompagnement à domicile. […] Spécifiquement pour la prévention spécialisée, il s’agit d’une baisse de dotation. En effet, rien ne change sur le fond : le recul de la baisse pour 2024 ne permet que de combler le déficit. Ce déficit est la conséquence des paiements des salaires des professionnels entre janvier et mai, puisque l’annonce de la baisse de dotation est intervenue en cours d’exercice. Le département a lui-même généré ce déficit ; il n’avait donc pas d’autre choix que de l’absorber. Pour autant, l’accord acte une baisse de dotation de 250 000 euros dès le 1er janvier 2025. Ainsi, le département confirme sa décision d’abandonner 400 jeunes et leurs familles. […] Le département communique sur l’extension des services de milieu ouvert et d’accueil des mineurs isolés. Ces interventions ont évidemment toute leur pertinence et leur sens au service de la population, mais elles étaient déjà annoncées. L’intersyndicale dénonce la mise en concurrence des missions les unes contre les autres et l’absence totale de vision d’ensemble ; alors que c’est notre complémentarité qui permet le maillage de tout un territoire. » D’un air frondeur et blasé, l’ancien directeur du service de prévention durant vingt ans, m’indique avoir remis la médaille de l’ordre du mérite qui lui avait été attribuée pour ses services.

  • 9 Jean Sébastien Alix, Les travailleurs sociaux face au néo-libéralisme. Entre assentiment et résista (...)

25Dans cette lutte à contre-pente, certains éducateurs de prévention craignent la disparition du service ou redoutent son orientation en termes de prévention de la délinquance à plus ou moins long terme. Confrontés à une nouvelle remise en cause du financement d’un poste par la Caisse d’Allocations Familiales quelques mois plus tard, la plupart d’entre eux adoptent désormais une résistance plus individualisée, teintée d’amertume. En effet, la mobilisation collective au fil des mois s’est retrouvée ébranlée par la dilution des prises de décisions dans le temps par le Conseil départemental et les éléments de langage des cadres dirigeants. Ceci a créé chez les professionnels une forme de « grammaire de l’assentiment » contrainte visible dans leur « structure langagière »9. Certains arguent par exemple la nécessité de techniciser et objectiver leurs pratiques dans un souci de légitimation. Le marasme collectif entraîne également des doutes autour d’une disparition pure et simple des principes d’intervention des éducateurs de rue stipulés dans l’arrêté de 1972 : l’absence de mandat nominatif, la libre adhésion du public, le respect de l’anonymat des jeunes et des familles, la libre adhésion du public, l’inter-inter-institutionnalité, la non-institutionnalisation des activités, et le support associatif.

26Pourtant, du côté des familles, elle souligne l’importance de ce service social aux principes atypiques : « Je suis la maman de deux enfants aux Couronneries. Je suis découragée d’entendre les nouvelles. Je veux que ça continue, parce que moi ça m’a beaucoup aidée, car je suis venue ici nouvellement. Ce service m’a donné beaucoup de joie, de curiosité, de découverte. Avec eux, j’ai confiance, sécurité et ça me montre les valeurs du pays ; petit à petit, Sylvie et Sébastien ont commencé à nous suivre ma famille et moi. Nous avons tissé des liens de confiance… À l’époque, j’étais en couple avec le papa de ma dernière fille. Petit à petit, notre relation avec mon mari s’est dégradée, et Sylvie et Sébastien ont toujours répondu présent afin de nous aider à trouver les meilleures solutions. »

27Soumis au secret professionnel et à la non-institutionnalisation de leur activité, ces professionnels se voient parfois reprochés d’être trop peu visibles. Comme le souligne un éducateur : « Les pouvoirs publics nous demandent régulièrement : “Que fait la prévention ?ˮ Une des erreurs du service est de ne pas avoir poursuivi le travail de rue lors des périodes de confinement. Nous n’avons pas poursuivi l’aller vers, d’autres s’en sont emparés, tels les centres sociaux, et les pouvoirs publics nous ont subtilement fait comprendre notre manquement. »

28Ces dernières années, malgré la mise en place d’outils de traçabilité de l’activité, tels que le logiciel « Traject », pensé par le Comité National de Liaison des Acteurs de la Prévention Spécialisée (CNLAPS), et/ou des opérations de communication des services, il est reproché à ces éducateurs de rue, intervenant dans le cadre de l’Aide sociale à l’enfance, de n’être que trop peu efficaces, notamment concernant la question de la délinquance et/ou de la radicalisation.

29À Cholet, dans le Maine-et-Loire, l’unique association de prévention spécialisée a également subi des restrictions budgétaires de la part du conseil départemental ces dernières années. De la même manière que dans la Vienne, il s’agit de la disparition à petit feu du modèle historique de la prévention spécialisée liée à l’éducation populaire, privilégiant un travail dans la durée et dans l’ombre plutôt qu’un modèle interventionniste et actionniste, visible publiquement. Comme le souligne une éducatrice de rue choletaise : « Ça ne se voit pas quand on travaille bien. Mais quand on travaille mal, ça se voit : on va avoir des enfants en décrochage scolaire, des problèmes d’incivilité dans les quartiers… » Pour cette éducatrice, il s’agit de « la première étape de l’extinction de la prévention spécialisée, alors qu’on sait pertinemment qu’il y a des besoins. » En effet, les principes d’intervention de ces professionnels sont en contradiction avec le modèle interventionniste de l’action publique contemporaine, contraire « aux attentes des municipalités qui souhaiteraient qu’on fasse de la prévention de la délinquance, qu’on surveille les points de deal ou les poubelles qui brûlent. On n’est pas des cow-boys. »

30Ainsi, il s’agit bien d’une dé-spécialisation à petit feu du métier d’éducateurs de rue par les conseils départementaux. Dans maints départements, le financement de ces services a disparu, mais l’enjeu actuel se situe également ailleurs, comme le signalait de manière lapidaire un élu du département de la Vienne : « […] désormais, en termes de prévention spécialisée, les autres collectivités locales doivent prendre leurs responsabilités. »

Une absence de visibilité

31Selon les éducateurs de rue avec lesquels nous nous sommes entretenus, la compréhension de la logique d’un territoire demande du temps. L’instauration d’un climat de confiance avec la population ne peut se faire que par un « travail de longue haleine » favorisé par l’anonymat et l’absence de mandat nominatif. Ils revendiquent les temps de travail dans la rue à des horaires diffus, les micro-interactions tissées au fil des jours avec les habitants, dans l’objectif de désamorcer des situations de conflit, réaliser des démarches d’inclusion sociale, monter des projets associatifs… Ils répètent inlassablement que leurs actions restent « indéfinissables, multiples et non quantifiables. »

  • 10 Le Goaziou, op. cit., 2017.

32Comme le souligne Véronique Le Goaziou, ces éducateurs de rue, de par leur mandat territorial dans le cadre de la protection de l’enfance, s’efforcent d’aller à la rencontre des jeunes ne fréquentant plus les institutions de droit commun, d’aller vers ceux qui ne « […] s’emploient non pas à avoir plus ou à être mieux, mais à ne pas avoir moins que ce qu’ils ont et à n’être pas moins que ce qu’ils sont. Ils ne cherchent pas à gagner plus d’argent mais à préserver leur pouvoir d’achat. Ils ne cherchent pas un meilleur emploi, mais juste un emploi. Ils ne cherchent pas un plus grand ou un meilleur logement, mais ils s’efforcent de conserver celui qu’ils ont. Les jeunes scolarisés ne visent pas nécessairement un diplôme, mais au moins à se maintenir dans leur scolarité… Et l’on pourrait ainsi décliner à l’envi les énergies inouïes déployées par des enfants, des jeunes, des hommes, des femmes ou des familles pour demeurer accrochés aux lisières de la (sur)vie sociale. Mais tout cela ne se voit pas, ne se compte pas et s’évalue encore moins. Par conséquent, une part non quantifiable – mais que je pense majeure – du travail des équipes de prévention spécialisée échappe à la plupart de nos outils d’observation et de nos grilles d’analyse. Ce sont tous nos indicateurs qu’il faudrait ainsi renouveler pour percevoir et rendre visibles ces multiples et très discrètes mobilisations. »10.)

  • 11 À noter que plusieurs éducateur.ices m’indiquèrent durant les entretiens considérés cette brochure (...)

33De plus, cette absence de visibilité est difficilement conciliable avec le temps court du champ politique et la « fait diversation » quotidienne de nos sociétés. En outre, la loi du 7 août 2015 portant sur une nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) a supprimé la clause générale de compétence pour les régions et les départements. En faisant passer la prévention spécialisée sous la responsabilité des métropoles, ce texte favorise la municipalisation de ces services en les déplaçant de la protection de l’enfance vers les politiques de la jeunesse. Les bataillons de la prévention créés en 2021 sous l’égide des préfectures ont accentué les amalgames entre médiateurs sociaux et éducateurs de rue, recrutés dans le cadre de la prévention de la délinquance et de la radicalisation. Recrutés massivement via des contrats adultes-relais, ces 5 000 agents de l’aller-vers, dévoyés vers l’inclusion et la prévention de la violence, ne jouent plus le rôle originel de la prévention spécialisée défini par l’arrêté de 1972, qui stipulait que : « La prévention réalisée par les clubs et équipes est une action spécialisée. Cette action se différencie de la prévention naturelle réalisée par les mouvements de jeunesse, les associations sportives, les patronages, les maisons de jeunes et de la culture, dont le champ d’attraction est dans le même secteur sociogéographique et avec lesquels les clubs et équipes doivent travailler en étroite liaison. La prévention spécialisée se différencie également de l’action éducative en milieu ouvert, à laquelle il est recouru dans le cadre de la protection de l’enfance en danger et qui est plus individuelle11. » (Conseil Technique des clubs et équipes de prévention spécialisée, 1998).

34Ce qui se joue avec ce morcellement des financements, c’est la dilution des fonctions et des missions des professionnels. J'ai assisté à des réunions où tous les professionnels étaient éducateurs de prévention, mais leurs missions étaient variées : protection de l’enfance, prévention de la délinquance, prévention de la radicalisation, insertion-réinsertion, actions de remédiation par le sport, médiation culturelle, sociale, gestion des conflits.

35À Poitiers ces dernières années, un service de médiation a été créé, principalement par le biais d'emplois aidés. Ce service, bien qu'affilié au pôle prévention de l’association, a finalement été repris en main par la municipalité après quelques années de fonctionnement. L'objectif affiché par la mairie était « de renforcer le lien social et d'accroître la présence humaine auprès des habitants, une nécessité mise en lumière après les violences urbaines de juin 2023 ».

  • 12 Séverine Fontaine et Éric Marlière, « La médiation de rue comme régulation des désordres urbains », (...)
  • 13 Manuel Boucher, « L’expérience du Ghetto. Stomy, Abou et leur clan : rebelles et débrouillards », D (...)

36La reprise en main de ce service par la municipalité n’est pas anodine comme le soulignent E. Marlière et S. Fontaine : « Si les objectifs visés d’un tel dispositif sont clairement le maintien pragmatique de l’ordre public dans la rue et ce, quels que soient les moyens utilisés, la médiation s’apparente à une forme d’achat de la paix sociale12. Dans le cas de notre terrain, l'objectif était d’avoir une médiation sociale plus flexible, capable de répondre aux besoins des terrains et aux attentes des acteurs publics œuvrant dans les quartiers périurbains de la ville, comme la société de bus locale et les bailleurs sociaux. À défaut d’un développement de professionnels formés aux métiers de l’éducation spécialisée, il est préféré le recrutement momentané d’animateurs, médiateurs et autres acteurs socioculturels de proximité : « Désormais, dans la pratique, les pouvoirs publics locaux recrutent massivement des médiateurs sociaux précaires à partir de critères principalement ethniques (Noirs, arabes) et territoriaux (habitant un quartier sensible et reconnaissent des “promoteurs de morales religieux et ethnoculturelsˮ. »13.

De l’autre côté du versant : morcellement et mode opératoire en « poche »

37Par ailleurs, lors du conseil communautaire d’avril 2024 à Poitiers, la vice-présidente en charge de la vie sociale et de la politique de la ville déclara lors du vote du contrat « Quartiers 2030 » : « La politique de la ville, bientôt cinquantenaire, est née du constat que les grands ensembles, concentrant des populations en difficulté économique, entravent un accès équitable aux droits ». Elle souligna ensuite que « les grands ensembles demeurent des zones où se concentrent les problématiques sociales, économiques et démographiques ».

38En 2024, le taux de pauvreté atteint près de 50% dans les quartiers populaires de Poitiers. C'est dans ce contexte que les élus de tous bords politiques, en collaboration avec le conseil départemental et la préfecture, votèrent à l'unanimité pour un nouveau contrat de ville « 2024-2030 » visant les quartiers désignés comme « poches de pauvreté ». L'objectif pour la municipalité, le conseil départemental et la préfecture, soutenus par l’État, la société de bus locale et les bailleurs sociaux, est de créer un « outil ambitieux » : une médiation sociale adaptée aux besoins spécifiques des quartiers.

  • 14 À noter qu’une poche signifie pour des habitants questionnés : « un alcoolique ». Ce terme signifie (...)

39L'usage du terme « poche de pauvreté » est significatif ; il désigne non seulement une concentration de personnes vivant dans une grande précarité au sein de la ville, mais renvoie aussi à une vision de ces quartiers comme des « non-lieux » distincts nécessitant une intervention sociale spécifique14. Lors des réunions discutant des actions des pouvoirs publics locaux, les élus, les fonctionnaires et les travailleurs sociaux utilisent souvent des euphémismes pour parler de cette population marginalisée aux multiples difficultés sociales, économiques et démographiques. En coulisse, certains se réfèrent parfois à ces individus comme des « cas sociaux », des « situations chroniques », ou évoquent des problématiques sociales complexes et persistantes.

  • 15 Selon Guy Barthélémy Germinal serait un « roman de la foule et de la dégradation, une rencontre a (...)

40Certains travailleurs sociaux utilisent une terminologie spécifique pour évoquer ce public cible : « jeunes-usagers-bénéficiaires », cependant en off certaines familles sont désignées comme « cas socs », « chroniques » regroupés dans ces « poches » de marginalité. Le terme de « cas social » est associé à des comportements spécifiques qui sont perçus comme des explications de leurs conditions sociales et économiques. Par exemple, la famille Ouvrard fut comparée à une caricature du roman Germinal d'Émile Zola15, avec des traits négatifs comme la malpropreté, le logement exigu, l'alcoolisme, l'oisiveté et la dépendance aux aides sociales. Les travailleurs sociaux et judiciaires intervenant auprès de cette famille percevaient généralement ses membres comme des « cas chroniques », impliquant une longue « maladie sociale » aux symptômes persistants et étendus. Ces familles sont souvent vues par les travailleurs sociaux et judiciaires soit comme des individus « vulnérables », victimes de difficultés sociales, soit comme des personnes dont les comportements sont considérés comme « anormaux » et déviants.

41La figure du « cas social » tend à masquer les capacités d'adaptation et les stratégies de survie déployées quotidiennement par les habitants des quartiers défavorisés. La catégorisation en « cas socs » influence les pratiques de gestion sociale et judiciaire de ces individus. Les services sociaux et judiciaires développent souvent des interventions éducatives ciblées pour les membres spécifiques de ces familles. Cependant, la concentration de ces familles dans certains quartiers populaires, souvent caractérisés par des loyers peu élevés et une faible attractivité économique, entraîne une focalisation particulière de la politique locale sur ces zones paupérisées et les comportements de ces habitants.

  • 16 La Préfecture de la Vienne, le Grand Poitiers Communauté urbaine, la Caisse d’Allocations familiale (...)

42Dans le cadre du contrat « Quartiers 2030 », les orientations stratégiques sont élaborées en collaboration avec la préfecture, impliquant une gouvernance flexible comprenant diverses institutions et acteurs locaux16. Les axes prioritaires incluent des enjeux nationaux tels que l'économie, la transition écologique, l'égalité des chances et l'ordre public. Un accent particulier est mis sur la prévention de la délinquance et la lutte contre les violences, visant à présenter des projets pour améliorer durablement la sécurité et la tranquillité publiques.

43Les quartiers spécifiques comme Les Couronneries, Saint Éloi et Bellejouane ont des orientations distinctes : rénovation urbaine et mixité sociale, identité positive par le biais des activités culturelles et sportives, maintien du lien social et des services de proximité respectivement.

44Cependant, malgré ces orientations globales, les actions mises en place reproduisent souvent des initiatives passées, comme les ateliers santé pilotés par la ville dans les quartiers. Ces projets visent à améliorer les conditions de vie à travers des actions concrètes, comme la création de lieux d'écoute et la formation des professionnels. Cependant, leur impact réel sur le quotidien des familles reste limité.

45Les contrats locaux de santé, révisés régulièrement, servent davantage à réaffirmer des représentations sur la population entre professionnels qui, eux-mêmes, construisent ce modèle de pensée. Ces réunions, comme les « ateliers santé ville », reviennent fréquemment sur des arguments médico-sécuritaires, percevant souvent la population des quartiers comme homogène à travers des traits comportementaux globalisés et figés dans des problématiques stéréotypées telles que la toxicomanie, la délinquance ou le communautarisme.

  • 17 Robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale : une chronique du salariat, Paris, éd. Fay (...)

46Pour revenir à la réunion du « conseil communautaire  » précédemment étudié, ces quartiers prioritaires furent dénommés des « quartiers politiques », non pas dans le sens d'une volonté de résoudre durablement les questions sociales et économiques par une organisation globale, mais plutôt en termes de prévention situationnelle (Clarke, 1997, p.4), de captation d'un électorat potentiel, mais également dans une logique de pacification sociale. Pourtant comme le souligne Manuel Boucher : « […] les quartiers n’ont pas assisté à la disparition complète des formes classiques d’intervention sociale, telles que l’assistance octroyée aux plus pauvres17 par des organisations laïques et confessionnelles, ni au délitement total des instances d’éducation, d’intégration ou de contrôle social (Cusson, 1983,1998). Nous assistons à une complexification des formes d’action. »

Sécurité et tranquillité publique

  • 18 25% des habitants de l'agglomération parisienne éprouvent ce sentiment d'insécurité, contre 9% en c (...)

47Mi-décembre 2023, le service statistique du ministère de l’Intérieur avait publié une étude intitulée « Vécu et ressenti en matière de sécurité », dont l'objectif était de mesurer le mieux possible l'insécurité en France. Parmi les chiffres, on peut lire qu’une femme sur quatre affirme renoncer à sortir seule de chez elle, et 18% des Français déclarent se sentir en insécurité dans leur quartier ou leur village, avec une grande disparité selon l'endroit où ils habitent18.

  • 19 Giorgio Agamben, « Théorie des dispositifs », Po&sie, 2006, vol. 115, n° 1, p. 25-33, citant Foucau (...)

48La sécurité et la tranquillité publiques occupent une place centrale dans ces préoccupations, notamment en ce qui concerne la perception des interventions socio-éducatives dans les quartiers populaires. L'objectif de la sécurité vise objectivement à prévenir et à protéger la population contre tout danger potentiel, afin de réduire les risques et d'éliminer les problèmes matériels et/ou moraux associés. Comme observé à l'échelle de l'étude à Poitiers, ces dispositifs se construisent comme : « […] un ensemble résolument hétérogène, comportant des discours, des institutions, des aménagements architecturaux, des décisions réglementaires, des lois, des mesures administratives, des énoncés scientifiques, des propositions philosophiques, morales, philanthropiques, bref : du dit, aussi bien que du non-dit, voilà les éléments du dispositif. Le dispositif lui-même, c'est le réseau qu'on peut établir entre ces éléments. »19.

49Michel Foucault a mis en perspective l'émergence de la sécurité comme une nouvelle technologie du pouvoir dès le XVIIIe siècle, marquant ainsi une rupture avec les régimes de souveraineté et de discipline. La société sécuritaire se définit par la gestion de la « population », perçue à travers ses régularités et les menaces potentielles qu'elle encourt, nécessitant une organisation efficace pour assurer la libre circulation des biens et des personnes tout en protégeant contre les risques (naturels et humains).

  • 20 Michel Foucault, Sécurité, territoire, population. Cours au Collège de France. 1977-1978. Leçon du (...)

50Cette approche représente un changement majeur, car elle ne considère plus la population comme un sujet de droit (souveraineté) ou un ensemble de corps individués évalués selon leur performance (discipline). La « population » est plutôt définie par les menaces auxquelles elle est exposée et les conséquences de ces risques, posant ainsi une nouvelle problématique centrée sur la « sécurité ». En conséquence, il devient essentiel pour le pouvoir d'anticiper et de prévenir les risques potentiels, temporels et spatiaux, évaluant ainsi les probabilités de « ce qui pourrait se passer »20.

  • 21 Foucault, op. cit., 1978, p. 33.

51Michel Foucault explore le lien entre les dispositifs de sécurité mis en place par le gouvernement et la gestion « proactive » des « problèmes d'événements ». Face à ces derniers (comme la disette, selon Foucault), le gouvernement établit un ensemble de règles et de régulations visant à empêcher l'événement de se produire, plutôt que de simplement réagir après coup ou d'essayer de l'éliminer complètement21.

52Il est crucial ici de distinguer la discipline du dispositif de sécurité. La discipline agit de manière centripète, concentrant son action de manière quasi mécanique sur des segments spécifiques de la population, régulant jusqu'au moindre détail leur vie quotidienne. Selon le sujet ou l'objet discipliné, il s'agit de déterminer ce qui est juste ou injuste, vrai ou faux, autorisé ou interdit, imposant des comportements obligatoires.

53Dans le cadre du contrat « Quartiers 2030 » de Poitiers, les actions de lien social, d'inclusion sociale, de retour à l’emploi, et de prévention des incivilités réalisées par les travailleurs sociaux de proximité, sont primordiales. Ces initiatives sont intégrées dans un dispositif socio-éducatif qui complète l'approche pénale en laissant une certaine marge de liberté et d'initiatives aux individus. Contrairement à la discipline, qui opère de manière centripète en imposant des normes strictes sur des segments spécifiques de la population, les dispositifs de sécurité adoptent une approche plus diffuse et subtile, basée sur des micro-technologies de pouvoir.

  • 22 Ibid., p. 58-59.
  • 23 Selon Michel Foucault : « Dans les disciplines, on partait d’une norme et c’est par rapport à ce dr (...)

54Michel Foucault explique que la discipline vise à quadriller un territoire et à classer les individus selon un ordre normatif admis22. En revanche, les dispositifs de sécurité, mais également socio-éducatifs, cherchent à normaliser en classifiant les comportements, attitudes et dispositions sur une échelle de la normalité à l'anormalité23. Ceux-ci sont renforcés par des contraintes juridiques, réglementaires et des représentations médiatiques liées à la délinquance et au terrorisme, ce qui contribue à susciter un sentiment d'insécurité justifiant le renforcement des dispositifs socio-sécuritaires.

  • 24 Richard Thaler et Cass Sunstein, Nudge. La méthode douce pour inspirer la bonne décision, Paris, éd (...)

55Dans cette dynamique, les professionnels sur le terrain sont incités à collaborer avec les autorités de sécurité pour prévenir divers risques, y compris la radicalisation, en utilisant des « coups de coude » ou des incitations douces plutôt que des régulations disciplinaires rigides. Cette approche, alignée avec la théorie du Nudge24 , exploite les principes de la gouvernementalité libérale, où l'obéissance se construit en encourageant les désirs individuels plutôt qu'en imposant des volontés extérieures. C'est ainsi que la modernité utilise des formes subtiles d'obéissance, souvent imperceptibles, en captant les désirs individuels pour orienter les comportements sans nécessiter une contrainte directe.

56En somme, la gestion contemporaine de la sécurité ne se base pas sur un « état de sécurité » au sens de Hobbes, mais plutôt sur des dispositifs complexes qui mobilisent des stratégies socio-éducatives et sécuritaires intégrées, influençant les conduites individuelles à travers des des incitations douces, tout en préservant une certaine liberté d'action et d'initiative.

57Frédéric Gros en 2017 soulevait une réflexion pertinente sur la gouvernementalité contemporaine, en mettant en lumière comment la modernité a développé des formes d'obéissance subtiles et insidieuses. Selon lui, notre société nous fait obéir en captant nos désirs individuels, nous rendant prisonniers de nos propres envies. Il propose ainsi que l'aliénation moderne ne résulte plus seulement de l'exploitation économique, mais plutôt de l'addiction à la satisfaction constante de nos désirs.

58Dans cette perspective, la gouvernementalité libérale se distingue par une approche qui ne cherche pas à imposer des décisions par la force, mais qui s'appuie au contraire sur les désirs des individus. C'est en créant un environnement propice, en aménageant des incitations et des encouragements subtils, que les autorités gouvernementales parviennent à orienter les comportements. Frédéric Gros propose ainsi de voir la gouvernementalité contemporaine comme un processus qui cherche à faire en sorte que les individus non seulement acceptent mais désirent les normes et les conduites recommandées.

59En résumé, cette conception met en avant une forme de pouvoir qui opère à travers la manipulation des désirs individuels plutôt que par des contraintes directes, marquant ainsi une évolution significative dans les techniques de gouvernance et de contrôle social.

60Dans cette étude, il est manifeste que certains professionnels des services sociaux s'inquiètent de plus en plus de l'intrusion croissante des services sécuritaires dans leurs activités quotidiennes. La critique ouverte de cette situation est souvent mal vue, surtout à l'ombre du nouveau dispositif Vigipirate “Été-Automne 2024ˮ, maintenu au niveau “urgence attentat" depuis le 24 mars. Bien que l'état d'urgence symbolique perdure, il est dilué dans le droit commun, ce qui ne diminue pas l'anxiété ressentie. Cette appréhension est également présente parmi les professionnels travaillant directement avec des jeunes signalés comme radicalisés, ainsi que parmi les éducateurs des cellules d'écoute et d'accueil familial. Certains de ces professionnels témoignent que leurs missions éducatives et sociales sont devenues indissociables de la lutte contre le terrorisme, nécessitant une articulation complexe des compétences entre les différents acteurs des services.

  • 25 Laurent Mucchielli, 2011, « Le rap de la jeunesse des quartiers relégués. Un univers de représentat (...)
  • 26 Mucchielli, op. cit., 2011.

61La perception de l'insécurité diffère souvent de la réalité des incidents personnels ou de proximité. Les enquêtes générales sur l'opinion publique, qui demandent si la sécurité constitue un problème prioritaire ou si la situation de la sécurité se détériore, montrent des réponses fluctuantes selon les périodes, parfois déconnectées des expériences personnelles d'agression25. Comme l'observe Laurent Mucchielli, le sentiment d'insécurité est souvent amplifié dans les zones périurbaines où les signes de désordre et d'abandon sont plus visibles26. Cette peur est exacerbée, entre autres, par l'anonymat et la solitude urbaine, où l'absence de relations de voisinage et l'anonymat prédomine. Cette disjonction entre le sentiment d'insécurité et les actes réels est souvent renforcée par l'emprise médiatique et le spectre de la violence potentielle, exploités avec succès par l’extrême droite pour semer la peur et l'incertitude.

62En réaction à ce climat, il devient difficile, sur le terrain d'aborder les questions historiques, sociales et économiques pour comprendre l'émergence de violences extrêmes. L'explication dominante tend à se concentrer sur des analyses culturalistes, religieuses et identitaires, plutôt que sur une approche sociologique plus large.

  • 27 Manuel Boucher, « Introduction », in Manuel Boucher (dir.) ,Jeunesse des rues. Représentations, pra (...)

63Durant la période du conflit social relaté plus haut, un jeune homme de 17 ans issu de l’un des quartiers d’intervention des éducateurs de rue, que ces derniers devaient « abandonner » (du fait de la réduction des postes), succomba d’un coup de couteau à la gorge lors d’une bagarre entre deux groupes de jeunes. Le journal local titra : « Rixe mortelle entre bandes à Poitiers et nuit de représailles ». En réaction, l’équipe de prévention mit en place une cellule d’écoute et de soutien destinée à la population au cœur de l’un des quartiers, alors qu’une unité de CRS spécialisée dans les violences urbaines, la 83, venue de Lyon, devait renforcer la sécurité dans les quartiers de Poitiers. Les professionnels, tout comme des jeunes des quartiers, dénoncèrent le traitement médiatique de l’événement, amalgamant les deux groupes de jeunes à des bandes rivales. Les médias locaux évoquèrent une sombre histoire de rivalités interquartiers entre bandes rivales, alors qu’il s’agissait d’une embrouille liée à une histoire amoureuse (Mohammed, 2023). Des jeunes-adultes proches de la victime créèrent en réaction l’association MGBA rappelant l’importance de la prévention spécialisée : « Nous sommes une association du quartier de Bel-Air et nous sommes surpris d'apprendre que des financements sont supprimés ainsi que des postes, qui pour nous, habitants de ce quartier, trouvons primordial dans notre quotidien. L'équipe de prévention nous accompagne dans nos projets et nous aide au quotidien dans la recherche d'emploi, dans les démarches administratives et notamment dans la création de notre association en nous mettant à disposition leurs locaux, leur matériel, leur présence à nos côtés, leur temps. La présence de l'équipe de prévention sur le quartier aide au bon vivre ensemble entre les habitants. Ils permettent aussi de créer et renforcer les liens entre les différentes institutions et les habitants. Pensez à nous !!!! » Comme le souligne Manuel Boucher : « À l’instar de la plupart des chercheurs en sciences sociales qui, comme nous l’avons vu, relativisent le concept de la “bandeˮ, les intervenants et les travailleurs sociaux qui agissent dans les quartiers populaires s’entendent donc généralement pour dire que les phénomènes de “bandes criminellesˮ sont rares et souvent confondus avec de simples regroupements de jeunes. Néanmoins, ce consensus apparent ne doit pas masquer l’existence d’un espace hétérogène de la “socialisation des risquesˮ »27.

  • 28 Clarke, op. cit., 1997.

64Un effet conséquent de ces violences urbaines peut être un sentiment d'insécurité durable parmi la population, ainsi qu’un désir de vivre dans une « tranquillité totalisante », une illusion d'une vie sans agitation ni perturbation. En politique, la tranquillité publique est définie comme l'absence de troubles et de bruits susceptibles de troubler la quiétude des habitants, une préoccupation essentielle de la police administrative. Cette aspiration à la tranquillité est soutenue par divers dispositifs de sécurité, tels que le rétablissement de la police de proximité sous l'appellation de police de sécurité du quotidien depuis 2018. Ces initiatives visent à améliorer la prévention situationnelle en adaptant les espaces urbains pour réduire le sentiment d'insécurité. Selon Clarke28, cette approche consiste à rendre les délits plus difficiles, risqués, et moins gratifiants pour les délinquants, en modifiant systématiquement et durablement les circonstances immédiates du crime.

65En somme, bien que le sentiment d'insécurité soit souvent alimenté par des perceptions médiatiques et des récits de violence, il influence profondément les politiques urbaines et les stratégies de sécurité, façonnant ainsi les réponses sociales et gouvernementales à ces préoccupations croissantes.

Un nouveau mode opératoire

  • 29 David Puaud, Les surgissants. Ces terroristes qui viennent de nulle part, Paris, éd. Rue de Seine, (...)
  • 30 Éric Marlière, La fabrique de la radicalisation. Une contre-enquête sociologique, Paris, éd. Berger (...)

66Force est de constater que, au cours de nos diverses enquêtes menées ces dernières années sur les processus de violence ainsi que sur la prévention de la radicalisation, le modèle du travail social à long terme et les budgets durables, notamment liés aux missions de protection de l’enfance, contribuent à prévenir des situations dramatiques et à restaurer les liens entre les jeunes des quartiers populaires et les institutions républicaines. La temporalité de leur “terrainˮ diffère de celle des élus locaux et des agents techniques des collectivités territoriales, soumis aux aléas de la politique à court terme29. De plus, à l’échelle d’une agglomération, les éducateurs de prévention sont des acteurs sociaux de proximité permettant une mise en perspective d’atmosphères, phénomènes territoriaux et sociaux complexes, tel par exemple celui relatif au terrorisme : « En effet, pourquoi ne pas se reposer davantage sur l’expertise situationnelle et locale des agents d’encadrement des jeunes des milieux populaires (animateurs, éducateurs spécialisés, éducateurs sportifs, etc.) ou de la petite “noblesse d’Étatˮ (enseignants, chefs de projets de collectivités territoriales, juges de proximité, etc.) »30.

67Les événements sociaux récents, comme à Roman-sur-Isère où un jeune de 15 ans a été tué à l’arme blanche dans le quartier de la Monnaie, ou le décès de Shemseddine, un adolescent de 15 ans passé à tabac devant son collège de Viry-Châtillon, ont à nouveau accentué le refrain de l’hyper-violence sécuritaire. En réponse, les vieilles rengaines sur le lien entre immigration et délinquance resurgissent, ainsi que la responsabilisation des parents des délinquants, notamment par la suppression des allocations familiales ou la création de nouveaux Centres éducatifs fermés…

  • 31 Colette Petonnet, On est tous dans le brouillard. Ethnologie des banlieues, Paris, éd. Galilée, 197 (...)

68C’est ainsi que les reconfigurations technocratiques actuelles de l’intervention sociale s’avèrent dramatiques. Sans les nommer, les quartiers dits prioritaires, désignés comme “poches de pauvretéˮ, réifient ces sujets “unanimement désignées comme marginales, asociales, inadaptées, ou handicapées, suggérant qu'elles sont pour la société contemporaine ce que les pharmakoi étaient pour les Athéniens, à la fois le mal et le remèdeˮ31 .

  • 32 Jean-Pierre Garnier, Le nouvel ordre local. Gouverner la violence, Paris, éd. L’Harmattan, 1999, p. (...)

69La reconfiguration en cours des dispositifs de prévention et de médiation, en plus de faire disparaître les missions historiques visant l’émancipation sociale de sujets en voie de marginilisation, recyclent les vieilles rengaines sanitaro-sociales et sécuritaires des politiques publiques envers les quartiers populaires. En cherchant par exemple à Poitiers, dans le cadre du contrat ville à « favoriser la médiation à travers les valeurs du sport » tout en chargeant les adultes-relais de garantir une meilleure sécurité, notamment en luttant contre les trafics de drogue, les injonctions paradoxales d’interventions des professionnels se renforcent entre contrôle et action sociale. En résumé, comment faire du neuf avec du vieux, ou autrement dit, renforcer le nouvel ordre local qui, selon Jean-Pierre Garnier, signifie une impuissance politique : « Dans un contexte de marginalisation de masse sur lequel elles n’ont aucune prise, l’intervention économique et sociale des municipalités en faveur des défavorisés peut tout au plus limiter les dégâts, mais non empêcher les situations de se détériorer. C’est pourquoi la gestion par les autorités locales des conséquences sociales de la restructuration capitaliste est appelée à revêtir un caractère de plus en plus musclé. Faute de pouvoir agir en amont sur les causes structurelles des actes de délinquance et de violence auxquels ils se trouvent confrontés sur place, les maires, fussent-ils progressistes, n’ont d’autre choix que de recourir à la bonne vieille répression, quitte à ne plus l’appeler ainsi »32.

70De plus, en octobre 2024, à l’heure ou le déficit public de l’État français avoisine désormais les 6%, la Cour des comptes exhorte les collectivités à participer à la résorption de la dette publique. L’État mise sur la contribution des collectivités territoriales, l’objectif étant de ramener le pays sous la barre dès 3% en 2027. Malgré la perception d’un sombre horizon d’ajustements structurels à venir en cascade sur le terrain, la défense des services médico-sociaux de proximité nécessitera la mobilisation des acteurs sociaux de proximité, ceci malgré un pessimisme ambiant non dénué d’une colère, salvatrice ?

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Notes

1 Fernand Deligny, Graines de crapules, Paris, éd. Dunod, 1998.

2 Stéphane Beaud et Michel Pialoux, Violences urbaines, violence sociale. Genèse des nouvelles classes dangereuses, Paris, éd. Fayard, 2003.

3 Selon Michel Agier, l’approche situationnelle : « […] s’abstient, par décision de méthode, de faire intervenir le caractère structurel/institutionnel des relations observées. C’est l’observation des phénomènes à l’échelle interactionnelle qui doit permettre de repérer les contraintes réelles de l’ordre social englobant » (2009, p. 41).

4 Yann Le Pennec, « Bourdieu et les “fantassins du socialˮ, Les cahiers de l’Actif, 2002, n°314-315/316-317, juillet-octobre.

5 Véronique Le Goaziou, 2017, « Les “forces faiblesˮ de la prévention spécialisée », VST - Vie sociale et traitements, vol. 133, n° 1, p. 32-37, ici p. 33.

6 Michel Chauvière, Trop de gestion tue le social. Essai sur une discrète chalandisation, Paris, éd. La Découverte, 2007. 

7 David Puaud et W. Guo, « Le marché des marges sociales », Journal des anthropologues, 2020, n°160-161, p. 29-34.

8 David Puaud D., Le spectre de la radicalisation. L’administration sociale en temps de menace terroriste, Paris, Presses de l’EHESP, 2018.

9 Jean Sébastien Alix, Les travailleurs sociaux face au néo-libéralisme. Entre assentiment et résistance, Paris, éd. L’Harmattan, 2023, p. 196.

10 Le Goaziou, op. cit., 2017.

11 À noter que plusieurs éducateur.ices m’indiquèrent durant les entretiens considérés cette brochure telle une « bible » symbolique.

12 Séverine Fontaine et Éric Marlière, « La médiation de rue comme régulation des désordres urbains », Pensée plurielle, 2011, n° 26, p. 13-23, ici p. 17.

13 Manuel Boucher, « L’expérience du Ghetto. Stomy, Abou et leur clan : rebelles et débrouillards », Déviance et société, 2009, vol. 33, n° 2, p. 221-248, ici p. 178.

14 À noter qu’une poche signifie pour des habitants questionnés : « un alcoolique ». Ce terme signifie également un sachet et/ou “une poche de pantalonˮ, cependant sa définition comme un adjectif peut désigner comme au Québec alors quelque chose de mauvais, de nul ou de mauvaise qualité.

15 Selon Guy Barthélémy Germinal serait un « roman de la foule et de la dégradation, une rencontre avec des figures de la dégradation...Voici donc un monde dans lequel les ouvriers (les exploités) sont réduits au statut d'animaux, tandis que les possédants (les exploiteurs) sont ramenés à celui de divinité́ anthropophage, relayés par le monstre lui aussi anthropophage de la mine. À travers le registre du mythe, perceptible dès ce premier chapitre, s'affirme ainsi la représentation d'un monde radicalement barbare... Animalisation, déformation, confusion : on pourrait les rassembler dans l'image synthétique du ‘‘grouillement’’ ». Guy Barthélémy, « La foule et le romanesque de la dégradation dans Germinal » (en ligne), Les travaux du Lycée collège Marcel Gambier, Lisieux, 1994.

16 La Préfecture de la Vienne, le Grand Poitiers Communauté urbaine, la Caisse d’Allocations familiales, le Conseil Régional, le Conseil Départemental, Le Fonds Interministériel de la Prévention de la Délinquance, Le service départemental à la jeunesse, à l’engagement et aux sports, La direction régionale des affaires culturelles, la délégation départementale aux droits des femmes et à l’égalité.

17 Robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale : une chronique du salariat, Paris, éd. Fayard, 1995.

18 25% des habitants de l'agglomération parisienne éprouvent ce sentiment d'insécurité, contre 9% en campagne.

19 Giorgio Agamben, « Théorie des dispositifs », Po&sie, 2006, vol. 115, n° 1, p. 25-33, citant Foucault, p. 25.

20 Michel Foucault, Sécurité, territoire, population. Cours au Collège de France. 1977-1978. Leçon du 11 janvier 1978, Paris, éd. Gallimard/Seuil, 1978, p. 21-22.

21 Foucault, op. cit., 1978, p. 33.

22 Ibid., p. 58-59.

23 Selon Michel Foucault : « Dans les disciplines, on partait d’une norme et c’est par rapport à ce dressage effectué par la norme qu’l’on pouvait ensuite distinguer le normal de l’anormal. Là, au contraire, on va avoir un repérage du normal et de l’anormal, on va avoir un repérage des différentes courbes de normalité, et l’opération de normalisation va consister à faire jouer les unes par rapport aux autres ces différentes distributions de normalité et [à] faire en sorte que les plus défavorables soient ramenées à celles qui sont les plus favorables. On a donc là quelque chose qui part du normal et qui se sert de certaines distributions considérées, si vous voulez, comme plus normales que les autres, plus favorable en tout cas que les autres. Ce sont ces distributions-là qui vont servir de norme. La norme est un jeu à l’intérieur des normalités différentielles […] et l’opération de normalisation consiste à jouer et à faire jouer les unes par rapport aux autres ces différentes distributions de la normalité (Foucault ; op. cit., 1978, p. 65). Voir également à ce sujet Robert Castel, La gestion des risques, Paris, les éditions de Minuit, 1981.

24 Richard Thaler et Cass Sunstein, Nudge. La méthode douce pour inspirer la bonne décision, Paris, éd. Vuibert, 2010.

25 Laurent Mucchielli, 2011, « Le rap de la jeunesse des quartiers relégués. Un univers de représentations structuré par des sentiments d'injustice et de victimation collectives », in Manuel Boucher et Alain Vulbeau (dir.), Émergences culturelles et jeunesse populaire. Turbulences ou médiations ?, Paris, éd. L’Harmattan, p. 325-355.

26 Mucchielli, op. cit., 2011.

27 Manuel Boucher, « Introduction », in Manuel Boucher (dir.) ,Jeunesse des rues. Représentations, pratiques et réactions sociales, Paris, éd. L’Harmattan, 2016, p. 24.

28 Clarke, op. cit., 1997.

29 David Puaud, Les surgissants. Ces terroristes qui viennent de nulle part, Paris, éd. Rue de Seine, 2022.

30 Éric Marlière, La fabrique de la radicalisation. Une contre-enquête sociologique, Paris, éd. Berger Levrault, 2021, p. 160.

31 Colette Petonnet, On est tous dans le brouillard. Ethnologie des banlieues, Paris, éd. Galilée, 1979, p. 377.

32 Jean-Pierre Garnier, Le nouvel ordre local. Gouverner la violence, Paris, éd. L’Harmattan, 1999, p. 156.

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Pour citer cet article

Référence électronique

David Puaud, « Poche de pauvreté et prévention « déspécialisée » »Sciences et actions sociales [En ligne], 24 | 2025, mis en ligne le 04 avril 2025, consulté le 26 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/sas/5516

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Auteur

David Puaud

Anthropologue (EHESS) / HDR (CNAM) / Qualifié en section 20 PU/ Cadre Pédagogique / Chargé d'enseignement Sciences Po campus ibéro/américain, Université de Poitiers. Dernier ouvrage : Les surgissants. Ces terroristes qui viennent de nulle part (préface de Michel Wieviorka), éditions Rue de Seine, 2022

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