1Dans son usage courant l’innovation sociale (IS) se définit comme une réponse nouvelle à une situation sociale considérée comme, au moins partiellement insatisfaisante, voire problématique. Alors que l’innovation technique n’est pas forcément conditionnée à une difficulté particulière et peut même engendrer de nouveaux besoins, l’IS est quant à elle, associée à une préoccupation sociétale, même si ces deux déclinaisons de l’innovation visent, toute proportion gardée, le mieux-être des individus, aux yeux de leurs concepteurs. Cette déclinaison sociale de l’innovation est également caractérisée par la place de l’usager qui n’est pas simplement un consommateur passif, mais un acteur impliqué à des degrés variables dans la mise en œuvre et/ou au cours de l’action. D’abord, nous montrerons que dans le champ de la médiation, la proclamation des innovations procède de l’affirmation de situations sociales jugées insatisfaisantes et nécessitant de nouvelles réponses. Pour ce faire, nous préciserons ce que nous entendons par nouveauté et par IS. Puis, nous déclinerons en trois types ces innovations dans le champ de la médiation. Le premier concerne l’innovation comme une modalité ajoutée à l’orthodoxie des autres modalités d’intervention. Ce type d’innovation s’observe en médiation sociale et en droit collaboratif chez les avocats. Le second type se définit par l’importation d’une action nouvelle issue d’un autre champ que celui du champ « d’adoption ». La médiation par les pairs et la médiation citoyenne sont emblématiques de ce type d’innovation. Enfin, la création d’une action nouvelle qui émerge de son propre champ d’expérimentation, à l’image de la médiation familiale, nous paraît constitutif de ce dernier type d’innovation.
2Du point de vue de la nature des problèmes traités, l’IS peut être liée à l’apparition d’une innovation technique, du fait de l’intensification supposée ou réelle d’une problématique ou encore de sa prégnance en raison de son caractère non résolu. Autrement dit, parfois ce sont de nouvelles problématiques qui peuvent apparaître, dues à l’apparition de nouveaux besoins1 ou usages liés à la création de nouveaux produits (comme Internet et le besoin de lutter contre le cyber harcèlement). Parfois, cette nouveauté, qui peut être relative car supposée, devient effective en raison d’une intensification d’une problématique (augmentation des séparations familiales, de la conflictualité interculturelle…) ou de son avènement dans le débat public (intérêt de l’enfant, gestion des incivilités et des actes délictueux). Parfois, ce sont les problématiques non résolues qui souvent génèrent chez les acteurs le sentiment de leur accroissement et qui les conduisent à inventer ou à importer des solutions et donc à proposer des innovations (problèmes de voisinage, conflits dans les entreprises, insatisfactions des administrés…).
3Nous entendons ici par problématique, le caractère de ce qui est considéré par les acteurs comme un « problème », c’est-à-dire qui suscite des difficultés et dont les solutions sont perçues comme absentes, partielles ou inadaptées2. L’ensemble des champs dans lesquels se développent les médiations est concerné par des situations sociales jugées insatisfaisantes. Pour reprendre certains de nos exemples cités plus haut, c’est d’abord parce que le traitement juridique des séparations familiales est considéré par les acteurs comme insuffisant, ne serait- ce que du point de vue de la préservation de l’intérêt de l’enfant, que la médiation familiale a été et est considérée, dès ses débuts, comme une réponse innovante. De même, la différenciation et la complexification des rapports sociaux, liées à un monde plus ouvert (Tapia, 2010) – caractérisé notamment par un pluralisme de valeurs culturelles et une multiplication des sources normatives – nécessitent d’apporter des modes de régulation qui prennent en compte les dimensions interculturelles. La médiation sociale apparaît dès lors comme une proposition de régulation de cette interculturalité, qui est parfois source d’incompréhensions et de conflits. Enfin, la complexification des contraintes administratives et parfois le zèle de l’administration, peuvent générer des situations inéquitables. Ceux-ci ont conduit la plupart des pays du monde à apporter ou à réactualiser des réponses, parmi lesquelles figure la création des ombudsmans. En France, les missions de ces derniers ont été intégrées (depuis la loi organique du 23 juillet 2008 et la loi ordinaire du 29 mars 2011) à celles du Défenseur des droits. La médiation administrative appelée aussi « médiature » s’avère alors être une solution face aux contraintes, à l’inflation des textes administratifs et à la complexité des démarches de réclamations des usagers. Eu égard aux insatisfactions des administrés, il a fallu ainsi instaurer de nouvelles relations, plus simples et plus individualisées avec les administrations, par les voies de la régulation amiable des litiges.
4Il apparaît donc que les effets délétères de certaines séparations familiales, l’affaissement des relations interculturelles et du vivre ensemble ou encore les récriminations à l’égard d’une décision de l’administration sont autant d’exemples de situations ou de comportements qui sont jugés problématiques dans le sens où ils « posent un problème » aux yeux des acteurs sociaux. Ce terme de problématique est d’ailleurs synonyme de « problème social » dans la mesure où il s’agit de le résoudre, de le réguler, de l’encadrer socialement, voire juridiquement. Du fait de sa nouveauté, de son intensification, de son avènement dans le débat public ou de sa permanence, cette problématique conduit les acteurs ; soit à adapter leurs réponses dans des actions déjà inscrites dans l’orthodoxie (premier type d’innovation) ; soit ils importent des actions issues d’autres champs d’intervention (deuxième type d’innovation) ; soit encore, ils expérimentent et créent de nouvelles actions (troisième type d’innovation). La réalité est certes plus complexe, dans la mesure où il peut exister des situations hybrides dans lesquelles, à des moments particuliers, des logiques d’adaptation, d’importation ou de création sont à l’œuvre. Néanmoins, cette typologie nous permet de poser quelques jalons explicatifs et non dénués d’intérêts heuristiques sur cet objet un peu obscur qu’est l’innovation en intervention sociale et particulièrement en médiation3.
5Mais avant d’aborder ces trois types de réponses innovantes, il est nécessaire de nous arrêter un moment sur ce concept d’IS. Il apparaît qu’en dépit de la richesse des travaux académiques et de la profusion d’articles internationaux, issus de nombreuses disciplines (sociologie, sciences de gestion, sciences politiques, économie…), il n'existe pas de définition commune et partagée de l’IS. Suite à notre revue de la littérature et notre analyse des publications majeures sur ce sujet, nous partageons le constat de Collorda Fossati et al., (2017, p. 46) selon lequel « ce concept a considérablement évolué au fil du temps et en globe des significations très différentes selon les disciplines universitaires et les écoles de pensée, mais aussi parmi les acteurs non universitaires (associations, autorités publiques et entreprises) ». Reprenant les propos d’Ayob et de ses collègues (2016), les auteurs soulignent que l’IS « suscite inévitablement des disputes sans fin sur leurs bons usages ». On peut ajouter que ce terme d’IS est aussi conceptuellement discuté et fait l’objet de nombreux débats4.
6Cependant, malgré son instabilité conceptuelle (Horgan et Dimitrijevic, 2018), il est possible au regard de ce rappel de dégager certains traits saillants émanant des nombreuses définitions et débats sur l'IS. Ainsi, cette dernière apparaît comme un terme générique, parfois contradictoire, qui se caractérise par une multitude d'actions collaboratives, construites sur des approches multidisciplinaires, et visant à apporter des réponses sociétales, voire, à résoudre des défis (économiques, environnementaux et sociaux) auxquels sont confrontées les groupes d’individus (Horgan et Dimitrijević, 2018). Bartels (2017) précise, à l’instar des principales caractéristiques retenues par la plupart des auteurs, qu’elle vise, à répondre à des besoins sociaux non satisfaits et à générer une nouvelle et meilleure offre de services tout en s'efforçant, de renforcer les capacités, les ressources et l’inclusion des personnes et des groupes. Pour Howald et al. (2015, p. 31) « l'innovation sociale englobe de nouvelles pratiques (concepts, instruments politiques, nouvelles formes de coopération et d'organisation), des méthodes, des processus et des réglementations qui sont développés et/ou adoptés par les citoyens, les usagers et les politiques, afin de répondre aux demandes sociales et de résoudre, d’une meilleure manière que les pratiques existantes, les défis sociétaux ». Le qualificatif de nouveauté est la plupart du temps associé aux définitions proposées. Il nous semble donc nécessaire de préciser ce que l’on entend par ce terme en matière d’innovation. Sur ce point, Cloutier (2003, p. 41) souligne que l’IS est « une "solution nouvelle" ou une "réponse nouvelle" à une situation sociale jugée insatisfaisante, situation susceptible de se manifester dans tous les secteurs de la société. L’innovation sociale se définit dans l’action et le changement durable. Les "façons de faire" sont modifiées en vue de développer l’individu, le territoire ou l’entreprise ». Les guillemets utilisés par Cloutier dans sa définition pour caractériser le type de "solution nouvelle" ou de " réponse nouvelle" sont importants, car on devine que l’auteur a voulu exprimer le caractère relatif de la nouveauté en innovation. C’est aussi le sens de notre propos et c’est pour cette raison que cette fausse approximation définitoire peut être levée, si nous souscrivons à la définition de Zaltman et al. (1973, p. 10) pour lesquels la nouveauté est relative au champ dans lequel elle se développe. Ainsi, l’innovation est définie comme « toute idée, toute pratique ou tout objet matériel perçu comme nouveau à son unité d’adoption ». Le terme de « perçu » utilisé par Zaltman et al. est pour nous ici primordial, car nous adoptons dans cette recherche un positionnement épistémologique qui se fonde sur le sens que les acteurs donnent à leurs actions et non sur la mesure de déterminants plus ou moins objectifs de l’innovation. Autrement dit, même si nous sommes conscients que les rhétoriques autour de la nouveauté et de l’innovation peuvent être des vecteurs de légitimation (notamment professionnelle5), nous examinons les projets d’innovation que les acteurs définissent comme tels.
7L’IS regroupe donc des actions, des dispositifs, des process qui sont inédits au regard des acteurs et du point de vue de leur existence dans le champ dans lequel elle s’applique. Elle implique une participation plus ou moins conséquente des usagers en visant leur mieux-être (Cloutier, 2003, p. 37) dans des domaines aussi divers que l’enfance, la famille ou encore l’inclusion des personnes dans leurs différentes sphères de vie : sociale, familiale, professionnelle…
8À partir des trois types d’innovation décrits abordés précédemment (adaptation, importation et création), nous proposons à présent de nous y attarder en mobilisant plusieurs exemples.
Encadré méthodologique
Nous proposons dans cet article une mise en perspective socio-historique de plusieurs champs de la médiation, dans divers contextes nationaux, à partir d’une synthèse de travaux relative à ce mode de régulation. L’objectif est de dégager les logiques d’innovation qui sont en œuvre dans ces champs, au moment de leur apparition. La méthodologie repose sur une recherche documentaire systématisée dans la durée et sur une analyse bibliographique s’inscrivant dans une approche diachronique et scientifique (délimitation de la recherche, sélection des sources d’information, évaluation et pertinences de ces sources…). Cette approche permet d’appréhender les conditions d’émergence et les transformations qui concernent ces modes de régulations amiables des conflits et de restauration du lien social. Autrement dit, nous avons examiné, eu égard à nos objectifs de recherche, les travaux et d’autres ressources documentaires professionnelles qui ont émergé lors de l’avènement de ces modes dans ce paysage de l’intervention sociale.
Nouvelle problématique.
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Intensification d’une problématique.
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Avènement dans le débat public d’une problématique.
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Persistance d’une problématique non résolue
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Types de réponses dites innovantes
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Adaptation d’une fonction nouvelle à l’orthodoxie : modification partielle de l’activité déjà existante
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Importation d’une action autonome nouvelle :
Apparition d’une nouvelle action parmi les autres actions existantes
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Expérimentation/création d’une action totalement nouvelle
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Acteurs impliqués
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Des professionnels en place ajustent et complètent leurs modalités d’intervention
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De nouveaux acteurs professionnels ou non développent une nouvelle action et sont des « importateurs » de cette innovation émanant
d’un autre champ que le leur.
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De nouveaux acteurs professionnels ou non développent une nouvelle action et sont porteurs de cette innovation dans leur champ d’intervention.
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Exemples
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Médiation
Sociale et approche collaborative
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Médiation par les pairs, médiation citoyenne
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Médiation familiale
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9Ce premier type d’innovation désigne des fonctions nouvelles ajoutées aux fonctions orthodoxes déjà existantes. Les logiques d’émergence de ce type d’innovation reposent sur le fait que les acteurs intègrent, à leurs modalités de travail existantes, d’autres modalités et complètent ainsi leurs modes d’intervention.
10La médiation sociale, à travers les femmes relais médiatrices et les médiateurs de quartier, a été et est particulièrement traversée par ces logiques d’innovation. On peut aussi évoquer le mouvement du droit collaboratif qui s’est développé, il y a une dizaine d’années en France, dans le champ des avocats, succédant celui entamé en Amérique du Nord, une décennie plus tôt.
11Au moment de l’avènement de la médiation sociale à la fin des années 1990 en France, la médiation sociale est caractérisée par une segmentation sexuée au niveau des fonctions exercées et des publics auxquels elle s’adresse (Ben Mrad et Jaccoud, 2011). D’un côté, les médiateurs sociaux (anciennement appelés « grands frères ») qui axent leur travail sur la « prévention sécurité » sont plutôt des hommes jeunes6, d’un faible niveau scolaire, choisis par rapport à leurs qualités de « leader positif » et leur sens du dialogue. « Figures d’exemplarité », ils interviennent auprès de l’ensemble des habitants mais surtout auprès des jeunes publics dans des missions de moralisation et de pacification sociale (Boucher, 2012). De l’autre côté, on retrouve des médiatrices sociales (anciennement appelées « femmes relais »), mères au foyer très majoritairement issues de l’immigration, qui s’occupent des problèmes liés à la sphère privée et domestique où notamment « l’on gère les problèmes de la famille, de l’intime et de l’intimité ». (Clair et Tafferant, 2006, p. 29). Les hommes plutôt jeunes, comme les femmes plutôt mères se sont, ou ont été, investis d’une fonction de restauration sociale dans les quartiers défavorisés.
12Puisque les objectifs de restauration du lien social faisaient déjà partie de leurs attributions, progressivement ces deux types d’acteurs ont intégré la résolution des conflits à leurs fonctions. Incluant ainsi la médiation, surtout comme technique de gestion des conflits, ils ont fini par adopter ce terme pour qualifier leurs activités puis leur métier. Les premières formations qui leur étaient destinées, à la fin des années 19907, puis par la suite, ont progressivement intégré, la gestion des conflits par la médiation, dans les formations initiales et continues de ces acteurs de l’intervention sociale. Dès ces années 1990, la plupart des formations que ces professionnels ou bénévoles ont suivi étaient dispensées par des formateurs appartenant au monde de la médiation et étaient déjà expérimentées dans un ou plusieurs de ses champs : pénal, citoyen, familial. Il convient aussi d’ajouter qu’un certain nombre de ces médiateurs sociaux et femmes relais ont suivi des formations généralistes à la médiation pour certifier leurs compétences8.
13De ce point de vue, on retrouve ici certains éléments qui participent à l’émergence d’une IS dans la mesure où cette dernière est consécutive de l’existence d’une problématique considérée comme non résolue, du fait de sa nouveauté, de son intensification, de son avènement dans le débat public ou de sa permanence. En effet, durant ces années 1990, il apparaissait aux yeux de nombreux professionnels et élus, que les réponses préventives habituelles (actions socio- éducatives diverses) et répressives (pénalisation des actes) étaient insuffisantes (Ben Mrad, 1998). La montée des incivilités et l’aggravation du délitement des relations sociales et de leurs effets au quotidien dans les quartiers prioritaires de Développement Social Urbain (DSU), étaient dès lors considérées comme des problématiques auxquelles il fallait répondre plus efficacement (ibid., 1998). Il ne s’agissait pas vraiment d’un nouveau « problème social », car les témoignages et les écrits de l’époque oscillent entre d’une part son intensification et d’autre part sa persistance. Durant cette période, de nombreux sociologues (Delcroix, 1996 ; Boubaker, 1996 ; Collin, 1996 ; Donzelot et Roman, 1998 ; Bondu, 1998) ont également souligné les limites des pratiques « classiques » du travail social et leurs insuffisances à contenir diverses problématiques liées aux relations sociales des habitants des quartiers populaires avec les institutions de droit commun (Ben Mrad, 1998). Invoquer une problématique non résolue implique d’affirmer implicitement ou explicitement l’insuffisance ou l’inexistence de réponses et les limites des interventions conventionnelles lorsqu’elles existent.
14À l’époque et encore aujourd’hui9, la médiation sociale est présentée comme une véritable IS par les acteurs impliqués dans sa mise en œuvre. Les auteurs précédemment cités défendent cette idée du caractère innovant de la médiation sociale. Par exemple, on peut se reporter au Guide d’évaluation de l’utilité sociale de la médiation sociale10 (Duclos et Grésy, 2009) – issu d’une commande publique du Secrétariat général du Comité interministériel des villes (CIV) – pour constater l’abondance de l’usage du terme d’innovation dans ce champ de l’intervention sociale. L’implication du CIV dans cette commande est motivée, dès l’origine, par la volonté de développer et d’accompagner (ibid., p. 4) « des dispositifs de médiation sociale, expérience jugée innovante et efficace dans les quartiers ». Ce mode d’intervention est décrit comme un nouveau métier en capacité (ibid., p. 50) « de proposer des solutions alternatives innovantes aux suivis médico-sociaux des autres professionnels ». Le recours à des rhétoriques autour de la nouveauté et de l’innovation est parfois intrinsèquement lié au processus de professionnalisation d’une activité. En effet, ce processus implique que les acteurs (associations, militants, professionnels…) instaurent une frontière qui délimite l’espace professionnel et relègue le savoir profane et les professionnels patentés à l’extérieur de cette même frontière (Ben Mrad, 2002). Pour ce faire, et donc affirmer cette démarcation professionnelle, les acteurs s’appuient sur la revendication de qualités spécifiques, sinon innovantes. Le monopole de l’activité, condition essentielle d’une professionnalisation aboutie, nécessite la plupart du temps le recours à un discours sur le caractère innovant de cette dite activité.
15Ce type d’innovation, fondée sur l’intégration et l’adoption de nouvelles fonctions supplémentaires à l’activité existante, s’est aussi observé dans le champ professionnel des avocats par le biais du droit collaboratif.
16D’après la Charte belge du droit collaboratif (article 2) celui-ci est « un processus volontaire et confidentiel de règlement des conflits par la négociation. Il réunit au moins quatre personnes, soit les parties impliquées dans un litige comme principaux négociateurs et leurs avocats respectifs qui les conseillent et les assistent. […]. Le processus tend à résoudre les différends de manière respectueuse et à aboutir à des ententes satisfaisantes et équilibrées répondant aux besoins et aux intérêts de chacune des parties11 ». Mené par des avocats, ce processus est désigné comme une technique de résolution amiable des conflits qui est fondée, comme la grande majorité des approches en médiation, sur les méthodes de la négociation raisonnée de Fischer et Ury (1982). Il est présenté dans le monde judiciaire comme une innovation de résolution de conflits permettant de préserver des relations dans l’avenir et ceci dans de nombreux domaines : famille, entreprise, droit des affaires, contrats commerciaux… En France le rôle et la présence effective de l’avocat formé à cette approche sont indispensables12 (art. 2063 à 2068 du code civil), même si certains centres de formation les dispensent à d’autres types de professionnels.
17Cette innovation est elle aussi consécutive à l’existence d’une problématique considérée comme non résolue. En effet, Stuart Webb, l’avocat à l’origine de cette innovation dans les années 1990, à Minneapolis, aux États-Unis, considérait qu’en raison des conflits persistants et de leurs effets délétères dans les procédures de divorces, le travail de l’avocat était parfois insatisfaisant, d’autant que les procès généraient l’insatisfaction d’au moins une des parties (Webb et Ousky, 2007). Cette innovation a été déployée, au milieu des années 2000, dans de nombreux domaines et diffusée dans de nombreux pays européens dont l’Autriche, la Belgique et la France. Le conflit, qui pouvait conduire à une rupture du lien, est considéré comme contre-productif dans des situations où cette rupture apparaît comme un « problème », car nécessitant le maintien du lien entre les parties. En France, c’est l’exemple de nombreux conflits qui subsistent après les divorces dits par « consentement mutuel » (dont la procédure a été récemment simplifiée) et qui connaissent depuis plus d’une décennie une augmentation importante13. Il existe donc de nombreux conflits « post-séparation à l’amiable » que les avocats déplorent et qu’ils les contraignent à apporter des réponses, au-delà d’une approche classique d’accompagnement et de conseil de leurs clients (Rivoire et Bertagna, 2014). Les conséquences des conflits apparaissent à leurs yeux délétères non seulement entre les personnes, mais aussi envers les enfants et il est donc nécessaire de faire face à ces « faux consentements mutuels » (Rivoire et Bertagna ibid., p. 44), en adjoignant à leurs missions, celle « très novatrice » de l’approche collaborative fondée sur le travail d’équipe des parties et des avocats (ibid., p. 49).
18Les réponses orthodoxes de l’avocat, conseillant et défendant son client, doivent donc être complétées par un processus collaboratif, nécessitant l’ajout d’une méthode pratique et innovante conçue dans le respect de conditions préalables à l’intention des avocats et des parties : renonciation à un procès durant les négociations, engagement à travailler en équipe, engagements de confidentialité, de loyauté et de transparence… Cette méthode de négociation contractuelle et collaborative (Stimec, 2011) est fondée sur la communication et est construite autour de plusieurs étapes, dont la plupart reprennent celle de la négociation raisonnée de Fischer et Ury14 : expressions subjectives de la situation selon les parties, recherches de leurs besoins, identifications des éléments objectifs du conflits, options envisagées et propositions. L’objectif étant la recherche d’accord entre les parties, et tout comme la médiation mutadis mutandis, les techniques préconisées de communication sont relativement identiques15 : relances, écoute active, reformulations, non-jugements…
19Pour clore ce chapitre, on peut avancer que ces deux exemples, considérés comme des actions innovantes aux yeux de leurs concepteurs, défenseurs et utilisateurs, sont des innovations dites incrémentales16. Elles sont d’intensité moins importantes que l’innovation de rupture (correspondant à des modifications techniques, d’usages ou de services importants), puisqu’elles ne révolutionnent ni les techniques d’intervention, ni l’usage, mais comptent apporter une amélioration du service (ou du produit). Comme il s’agit ici d’un service, on parlera alors d’IS, c’est-à-dire d’une innovation « immatérielle » qui permet une amélioration significative d’une action existante, notamment par l’ajout d’un nouvel usage ou process à finalité sociale. Rapportées à ces exemples, les innovations incrémentales ne transforment donc pas fondamentalement le cœur du métier puisqu’elles procèdent par ajouts. Il s’agit d’innovations qui ne déclenchent pas de destructions créatrices17 (Schumpeter, 1965) dans la mesure où ces nouvelles modalités d’intervention ne remplacent pas les anciennes mais viennent s’y adjoindre. De plus, les nouveaux acteurs de ces innovations ne font pas concurrence à des anciens jusqu’à les faire disparaître, selon ce processus schumpetérien18. En effet, dans le cas des médiateurs sociaux, leurs activités n’ont pas fait disparaître leurs autres modalités d’intervention et pour celui des avocats, les innovateurs n’ont pas engendré de la destruction créatrice d’autant que celle-ci aurait affecté leur cœur de métier.
20Il est également nécessaire de préciser que la diffusion d’une innovation est sujette à la nature de son appropriation (Akrich, 1987). Pour reprendre nos deux exemples précédents, on peut dire qu’en médiation sociale, on assiste à un processus de diffusion qui demeure encore relativement limité dans le champ plus global de l’intervention sociale19 (Ben Mrad et Jaccoud, 2011 ; Bonafé-Schmitt, 2024). En effet, la reconnaissance par les pouvoirs publics et l’institutionnalisation de la médiation sociale, notamment en France, demeure encore aujourd’hui laborieuse. Même si elle fait l’objet de nombreux plaidoyers par les opérateurs impliqués qu’ils soient associatifs20 ou élus, elle est encore actuellement présentée comme une innovation dans divers appels à projets de sources nationales ou départementales (Ben Mrad et al., 2020, p. 38). Il apparaît ainsi que certaines actions dites innovantes sont condamnées à une expérimentation renouvelée et sans fin, malgré la démonstration de leur utilité sociale (Duclos et Grésy, ibid., 2009) et de leur caractère relativement novateur, eu égard aux autres types d’intervention développés dans le champ de l’intervention sociale.
21On peut poser l’hypothèse que cette absence de développement de la médiation sociale est liée à une insuffisance de coopération et de participations d’acteurs diversifiés, qui demeure une des conditions de réussite et de diffusion d’une IS. Comme le souligne Bouchard (2005), les IS interpellent nécessairement le système institutionnel dans lequel elles émergent et qui peut être plus ou moins favorable ou craintif face à cette « nouvelle » activité. Or, en nous appuyant sur les travaux de Boucher (2021), on peut souligner que ces intervenants sociaux font l’objet d’une certaine méfiance de la part d’autres intervenants à l’image de travailleurs sociaux ou de certains élus. Ces derniers gardent malgré tout une forme de suspicion à l’égard de ces intervenants qui apparaissent à leurs yeux potentiellement transgressifs au niveau de la loi ou de la laïcité (ibid.). Or, les IS, qui par définition sont aboutis, nécessitent une coopération et participation des acteurs locaux, autour d’un projet commun et partagé (Besançon, 2015). Ces acteurs sont aussi les usagers, qui dans cette configuration contribuent ; non pas à la reproduction de l’existant mais au contraire à la transformation de ces espaces territorialisés en interpellant les organisations (services de l’État, associations…) qui y sont impliquées grâce à de nouvelles propositions de normes institutionnelles. Comme le soulignent Boucher et Belquasmi (2010, p. 18) au sujet de la médiation sociale « les habitants des quartiers ne sont pas considérés comme des individus-citoyens libres et autonomes, en capacité de coproduire leur trajectoire personnelle et la société à laquelle ils participent, mais comme des représentants de "communautés" et de catégories (âge, genre, ethnie, religion, niveau de revenu…) devant être surveillés et/ ou instrumentalisés pour collaborer à la production du contrôle social local ». Or, la production d’un contrôle social s’avère plutôt éloignée de la production d’un nouveau cadre normatif propre et favorable à l’aboutissement du processus innovationnel et susceptible d’impulser de nouvelles dynamiques sociales.
22À l’inverse, l’issue de l’approche collaborative initiée et développée par les avocats relève d’un déploiement en partie réussi. Cette issue contribue ainsi à faire passer cette innovation au rang d’intervention reconnue et plus conventionnelle. Autrement dit, constitutivement, l’innovation effective a un cycle de vie relativement court puisqu’après une expérimentation réussie, l’action innovante tombe dans le « domaine public » ou plus précisément dans des pratiques plus communes. Mais il ne faut pas oublier que la réceptivité d’une innovation dépend aussi de la nature de son adoption par le public. Or, il s’avère que cette approche collaborative se révèle encore peu accessible aux justiciables à faible capital culturel et/ou économique (Bessière et Gollac, 2017, p. 77). Cette diffusion encore limitée est certainement l’une des raisons pour lesquelles le qualificatif d’innovant y est encore associé puisque cette approche n’est pas définitivement intégrée aux modalités d’intervention courantes de l’avocat.
23Le second type d’IS concerne les actions qui font l’objet d’une importation d’un champ pour le mettre en œuvre dans un autre. Ces actions sont donc nouvelles pour ce dernier, c’est-à-dire pour le champ « d’adoption ». Contrairement au premier type d’innovation, il ne s’agit pas ici d’ajouter une nouvelle fonction aux modalités d’intervention existantes, mais de développer une activité de médiation indépendante d’autres fonctions. La médiation est alors importée et rapportée21 à divers contextes comme celui de l’école ou du quartier.
24La médiation scolaire par les pairs, procède de cette logique et nous apparaît significative de ce modèle. En France, les premières expériences de médiation scolaire, qualifiées d’innovantes, naissent au début des années 1990 et sont à l’initiative de structures associatives qui n’émanent pas directement du monde de l’enseignement (Bonafé-Schmitt, 2016). En Belgique, à la même époque, la médiation scolaire apparaît à la suite d’une recherche-action commanditée par le ministère de l’Éducation préconisant la création de dispositifs de médiation dans les établissements scolaires (Dethier et Schoenaers 2012). Comme nous le rappelle Joëlle Timmermans (2016, ibid.,, p. 7) « ce qui a accéléré cette innovation, ce sont des mouvements de révoltes et de mécontentements de la part de jeunes de quartiers populaires bruxellois, principalement issus de l’immigration ». Il s’agissait surtout de médiateurs adultes, comme tierces personnes neutres, présents dans l’établissement pour lutter contre le décrochage scolaire et l’absentéisme. En effet, les évènements violents qui ont émaillé plusieurs quartiers bruxellois en 1993 ont conduit les opérateurs de terrains et les services de l’État à réfléchir à la mise en œuvre de réponses de prise en charge de la jeunesse en difficulté. Les différents types de médiateurs scolaires (Communauté française section bruxelloise et section Wallonne, médiateurs communaux…) « sont issus de réponses politiques à des événements médiatiquement marquants (émeutes, assassinat d’un jeune bruxellois en plein milieu d’une gare…) aux accents souvent sécuritaires (Dethier et Schoenaers22, 2011, p. 8) ».
25Ici encore, l’innovation est consécutive de l’existence d’une problématique considérée comme non résolue du fait notamment de son intensification et/ou de son avènement dans le débat public. En fait, face à ces problèmes, plusieurs types de projets, autres que ceux relatifs à la médiation par les pairs, ont été développés dans le champ de la médiation en milieu scolaire. Parmi eux, certains acteurs ont étendu leurs champs d’intervention à d’autres champs comme celui des écoles, à l’image des femmes relais dont la mission première était de faciliter la communication entre des femmes (le plus souvent d’origine étrangère) et ces structures. D’autres projets plus orientés vers des missions de sécurisation aux abords des écoles ont aussi vu le jour durant cette période (Bonafé-Schmitt, ibid.,). Bon nombre de ces projets ont intégré la résolution des conflits, comme compétence complémentaire et relèvent donc du premier type d’innovation que nous avons précédemment présenté. Leurs techniques d’intervention ont été empruntées au monde de la médiation, lui-même très influencé par les approches de négociation dite « raisonnée ».
26Le constat sur l’intensification des problématiques scolaires est de nouveau mobilisé par de nombreux auteurs anglo-saxons23 et francophones, lors des premières expériences de médiation par les pairs. Par exemple, Jean-Pierre Bonafé-Schmitt (1996) considère que l’école est en crise en raison notamment du déficit de régulation et de l’hétérogénéité des nouvelles populations accueillies, nécessitant de considérer le pluralisme normatif. De même, on peut aussi relever les propos de Marianne Souquet (2013, p. 8) qui souligne que « nous sommes entrés avec les années 2000 dans une ère d’augmentation de la violence existante, d’apparition de nouvelles formes de violence […] ». Sans parler de Déthier et Schoener (2011, p. 2) qui considèrent qu’« au sein du milieu scolaire, la pluralité des mondes et la montée des incivilités ont généré localement l’arrivée d’activités de médiation dans une école en crise ». Dans ce contexte comme dans d’autres, l’IS apparaît et s’envisage donc en rapport à des problèmes à résoudre, qui ici se seraient intensifiés et nécessiteraient l’apport de nouveaux modes d’intervention.
27Parmi la variété d’interventions24 en milieu scolaire, celle prodiguée par les pairs, c’est-à-dire par les élèves, relève plutôt de ce second type d’innovation. Dès le début des années 1990, des initiatives associatives de médiation par les pairs, qui ont fait leur apparition deux décennies plus tôt aux États-Unis et au Québec, se sont développées en France (Bonafé-Schmitt, 1994), en Belgique (Timmermans, op.cit., 2016, p. 8) et dans d’autres pays européens (Pays-Bas, Allemagne…). Ce type de médiation, tout en socialisant les enfants et adolescents à la culture non violente, vise à promouvoir et à adapter des techniques de résolution des conflits provenant d’autres champs de la médiation. Il ambitionne d’apporter des solutions de régulation à des conflits, face auxquels la communauté éducative est parfois démunie. La sensibilisation et la formation à la médiation comme mode de résolution des conflits apparaissent dès lors comme des réponses à de multiples problématiques scolaires : intimidations, violences, insultes… La médiation par les pairs n’est qu’une des réponses s’inscrivant dans une préoccupation globale qui est celle de la prévention de la violence et pour laquelle il s’agissait de développer une ou des approches innovantes de traitement des conflits.
28Ce traitement des conflits est d’ailleurs un objectif que l’on retrouve dans l’ensemble des projets de médiation par les pairs, en complément évidemment à d’autres objectifs comme la communication non-violente, la coopération ou l’éducation à la citoyenneté. Ce traitement apparaît même central dans les définitions proposées par les auteurs, à l’image de celle de Diaz et Liatard-Dulac (1999, p. 11) pour lequel la médiation par les pairs « est un processus qui permet, lors d’un conflit, l’intervention de personnes extérieures et formées, pour dépasser le rapport de force et trouver une solution sans perdant, ni gagnant » Celle-ci est une « médiation par les jeunes, pour les jeunes, avec les jeunes et entre les jeunes ». Ces autrices et praticiennes qui ont été des précurseuses dans la mise en place de la médiation par les pairs en France, ont d’ailleurs suivi, avant la réalisation de leur projet en 1993, une formation à la médiation. Elles ont importé ce mode de résolutions des conflits, adaptées au contexte d’intervention scolaire et aux élèves. À ce propos, elles ont créé des outils en accommodant des jeux de rôle, des mises en situation, des supports d’expression. Elles ont aussi adapté l’apprentissage des techniques de médiation qu’elles avaient apprises elles-mêmes à leurs élèves25. Autrement dit, la médiation par les pairs s’est fondée sur l’apport des techniques de résolution des conflits importées du champ de la médiation et de la négociation.
29D’ailleurs, les principes fondamentaux de la médiation, comme l’impartialité, la neutralité et la responsabilisation sont ceux qui guident les élèves médiateurs. De plus, les auteurs (Roderick, 1993 ; Bonafé-Schmitt, 2000 ; Dethier, 2012 ; Timmerman, 2017…) et défenseurs de ce type d’approche de médiation par les pairs défendent l’idée d’une généralisation de l’enseignement de la gestion des conflits à l’ensemble des élèves et des professeurs. La médiation par les pairs était alors considérée, hier comme aujourd’hui, par ces derniers et d’autres, comme une innovation éducative qui promeut « l’écoute active, l’affirmation de soi, la coopération et ensuite les techniques de médiation » (Roderick 1993, p. 60). L’importation d’actions, considérées dans son nouveau champ d’adoption comme innovantes, s’observe aussi dans les champs comme ceux de la médiation citoyenne ou de la justice restaurative.
30Les organismes de justice alternative au Québec se sont mobilisés autour de deux problématiques principales ; l’accès au droit comme une des modalités de démocratisation de la justice et la recherche d’alternatives aux modalités non punitives de règlements de conflits, à l’image de la médiation (Jaccoud, 2009, p. 96). À côté du champ pénal, cette médiation s’est aussi déployée dans le champ de la médiation citoyenne.
31Contrairement, à la logique promotrice et développementale de la médiation sociale en France
32– qui obéit plutôt à une logique d’assimilation des techniques de résolution des conflits aux missions des médiateurs sociaux (premier modèle de notre typologie) – le modèle canadien et français de médiation citoyenne entend développer des pratiques de médiation réalisées par des citoyens non professionnalisés et bénévoles26. Ces derniers sont formés aux pratiques de médiation importées des premières expériences de médiation citoyenne mises en œuvre par les boutiques de droits (accès aux droits) de Lyon et particulièrement par Jean-Pierre Bonafé- Schmitt27. Dès le début des années 2000, ce chercheur et praticien sera la figure de proue et l’un des inspirateurs des nouvelles pratiques et orientations des organismes de justice alternative du Québec (ibid., Jaccoud, 2009, p. 98) et de la médiation citoyenne en France. Les problématiques invoquées pour ce type de médiation sont les mêmes que celles mises en avant en médiation sociale : montée des incivilités, aggravation du délitement des relations sociales, concentration de la population urbaine… La médiation citoyenne telle qu’elle est pratiquée, c’est-à-dire orientée vers la régulation des conflits par « l’entremise d’un tiers impartial » (pour reprendre les termes d’un des projets de l’époque), apparaît dès lors comme une action nouvelle du point de vue du champ de l’intervention sociale dans les quartiers populaires. L’objectif est de permettre à des citoyens d’exercer des fonctions de médiateurs en leur donnant des outils de résolution des conflits. Dans ce type de projet, considéré comme innovant, des médiateurs bénévoles sont formés aux techniques de résolution des conflits, déjà éprouvées et appliquées dans d’autres champs de la médiation : pénale, familiale, entreprise… Ainsi, en 1994, suite aux expériences de Valence et de Lyon (fin des années 1980), le projet de médiation citoyenne développé à Thionville en France était et est toujours fondé sur la formation de bénévoles au processus de médiation et dont les techniques sont similaires à celles utilisées en médiation familiale ou pénale28. Cette médiation citoyenne, comme fonction principale, fondée sur le processus et étapes de la médiation, s’est avérée par la suite au Québec comme en France, peu efficiente dans les conflits de types non réalistes au sens de Coser29 (Ben Mrad, 2004 ; Jaccoud, 2009). Néanmoins pour les conflits dits « réalistes », à l’image des conflits de voisinage, la médiation citoyenne apparaît comme une alternative innovante par rapport à des réponses coercitives ou de confrontations judiciaires.
33Pour clore cet article, on peut affirmer que l’avènement de la médiation scolaire en Belgique et en France, celui de la médiation citoyenne au Québec et en France procède prioritairement d’actions et de services importées d’autres champs que ces derniers. Pour reprendre la définition de l’innovation de Taylor, il s’agit « de nouvelles manières de faire les choses » et « dont le but est de répondre à des besoins sociaux particuliers ». On peut ajouter, eu égard à ce second modèle d’innovation, que ces innovations renvoient à de nouvelles pratiques par rapport à l’existant et apparaissent de ce fait originales du point de vue du nouveau champ dans lequel elles s’exercent. Comme souvent, les expérimentations sources d’innovations se développent dans un contexte de discordes, voire de conflits où des acteurs sociaux issus de la société civile, de la recherche, des organisations ou des pouvoirs publics modifient l’existant et contribuent à des confrontations autour des territoires professionnels (Ben Mrad, 1998). L’innovateur s’oppose au conservatisme et aux réactions parfois corporatistes auxquelles il doit faire face et face auxquelles il doit légitimer sa spécificité30. L’échec et l’insuffisance de l’orthodoxie (approches traditionnelles) conduisent de nombreux acteurs à s’inspirer d’actions déjà existantes. Les réactions d’opposition et parfois des controverses sont observables dans les différents champs que nous avons étudiés dans cet article. L’instauration de la médiation par les pairs rend un certain nombre d’enseignants sceptiques, voire opposés à cette instauration, avançant plusieurs raisons : prise de pouvoirs d’élèves déjà en difficulté, peu d’effets sur les comportements, délitement de l’autorité de l’enseignant… (Bonafé-Schmitt, 2006 ; Arbach, 2017). De même, ce type d’opposition est manifeste en médiation citoyenne. Elle fait l’objet depuis de nombreuses années de critiques émanant des tenants d’une conception professionnelle pour lesquels la médiation doit s’appuyer sur une formation longue et certifiée et ceci même s’il s’agit d’habitants bénévoles. D’autres tensions professionnelles existent aussi avec d’autres types d’intervenants comme les conciliateurs de justice assurant des permanences dans les quartiers et pour lesquels la médiation citoyenne n’est qu’un doublon de ce qu’ils font déjà (Ben Mrad, 2002).
34Lorsque les acteurs expérimentent de nouvelles actions, qui par la suite peuvent potentiellement devenir innovantes, celles-ci correspondent à la troisième modalité relative à la création d’actions nouvelles pour gérer des problématiques émergentes ou non résolues. L’exemple de la médiation familiale, considérée à ses débuts et encore aujourd’hui comme une innovation, nous conduit à nous arrêter un moment sur son contexte d’émergence, puisque celui-ci est typique de ce troisième type d’innovation. Il faut rappeler que toute nouveauté est relative au champ duquel elle se manifeste et ne constitue pas une valeur absolue en soi qui ignorerait cette importante précision. Toutes les innovations radicales ne sont pas le produit d’une invention fulgurante qui aurait trouvé son application dans un domaine particulier. Beaucoup sont le résultat d’une succession d’hybridations multiples. Ainsi, Internet est le fruit de plusieurs inventions successives (Renaud, 2000, p. 96) qui débouchent sur une innovation technique majeure produisant des effets sur de nombreuses sphères de la vie familiale, économique, sociale31…
35La succession d’hybridations multiples caractérise aussi la médiation familiale, dès ses débuts, dans les années 1970 aux États-Unis, puis au début des années 1980 au Canada pour apparaître en France au début des années 199032. Dans ces trois contextes d’émergence, la médiation familiale, comme toute innovation sociale émerge de l’affirmation de problématiques non résolues ou considérées comme recrudescentes. O. J. Coogler, avocat états-unien d’Atlanta, qui fut le précurseur de la médiation familiale dans son pays, entendait répondre aux effets délétères et aux conflits dommageables sur les enfants des couples séparés. Les modalités d’intervention traditionnelles de l’avocat n’étaient pas toujours suffisantes pour appréhender les effets du conflit parental. S’appuyant dans un premier temps sur des techniques d’arbitrages, il affine progressivement ses techniques d’intervention et collabore avec J. M. Haynes qui était quant à lui travailleur social. Ce dernier introduira par la suite la médiation familiale au Québec (Rousseau, 2010) en intégrant le modèle de la négociation raisonnée de Fisher et Ury. En France, la médiation en matière familiale s’est développée grâce à des initiatives personnelles et associatives ; et comme dans les autres contextes culturels précités, elle est consécutive de diverses problématiques non résolues relevant de la sphère familiale et du fonctionnement des institutions existantes : effets délétères des conflits parentaux sur les enfants, éclatement du modèle familial traditionnel, accroissement des séparations, insatisfactions des justiciables, coûts excessifs des procédures, inadaptation du système accusatoire judiciaire eu égard aux besoins des familles en rupture conjugale…
36La médiation familiale telle que nous la connaissons aujourd’hui est le fruit d’initiatives et d’interventions successives, fondées sur l’intégration de divers savoirs théoriques et expérientiels. Elle s’inscrit notamment dans un mouvement favorable au développement des modes alternatifs de régulation des conflits (Noreau et Amor, 2004) et est liée à l’émergence de la question parentale (Bastard, 2013). De nombreux théoriciens et praticiens ont contribué à son développement et à l’institutionnalisation de cette innovation : notamment Coogler, Saposnek, Bush, Folger aux États-Unis ; Haynes, Benjamin, Filion au Canada francophone ; Parkinson en Angleterre ou encore Bonafé-Schmitt, Guillaume Hofnung, Bastard, Dahan, Babu en France.
37Si la médiation familiale est « une innovation sur le "comment" » (Théry, 1997) ou encore « une innovation mobilisatrice » qui participe « au renouvellement des formes d’action existantes » (Bastard, 2013, p. 20), elle demeure encore marginale du fait de son usage limité chez les couples et dans le travail des magistrats. Se pose ici, encore une fois, la question de la diffusion d’une innovation que nous avons déjà traitée précédemment avec la médiation sociale. Malgré son appropriation par l’institution judiciaire et la transformation du rôle de l’État envers la société civile (Faget, 2005), la médiation familiale en France et dans plusieurs pays européens a du mal, encore aujourd’hui, à s’institutionnaliser (Cartuyvels et Bernard, 2020 ; Bastard, 2020).
38Si l’État, à travers ses dispositifs de financement soutient des initiatives innovatrices connaissant une phase expérimentale réussie à ses yeux, il n’en demeure pas moins que ce soutien ne permet pas toujours leur généralisation. En France, même s’ils ne sont pas suffisants, ces dispositifs de financement existent, notamment à travers des Caisses d’allocations familiales. Pourtant, l’usage plus généralisé de cette innovation demeure laborieux. Pour reprendre le questionnement de Bastard (2020, p. 198) « Comment se fait-il qu’on ait parfois, et depuis longtemps, l’impression d’une innovation qui n’avance pas, marquée par de grands espoirs, des déceptions tout aussi fortes et finalement une stagnation irrépressible ? ». Les raisons de cet insuccès sont multiples : cultures professionnelles différentes entre médiateurs et magistrats, concurrence professionnelle avec les avocats, apparition de nouvelles formes de régulation amiables des conflits comme le droit collaboratif, simplification de l’accès au divorce et place prépondérante des professions judiciaires (consacrés notamment par loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016), absence de monopole de l’activité de médiation familiale (contrairement à ce qui est souvent affirmé ) ou encore souhaits des justiciables à demeurer dans le registre judiciaire (et ceci malgré les entretiens préalables d’information à la médiation)…
39Au-delà de ces raisons, la médiation familiale est donc dans une situation « d’éternelle innovation » (Bastard, 2020, p. 222) ou « d’innovation sans fin » (Ben Mrad et al., 2020). En fait, l’innovation doit apporter une plus-value, c’est-à-dire avoir une certaine utilité sociale33 aux yeux des acteurs concernés : innovateurs, institutions, mais aussi usagers. Autrement dit, elle implique une forme d’intérêt des usagers à son égard. Il existe évidemment plusieurs freins à l’adoption d’une innovation sociale (Bartels, 2017), mais lorsque ces usagers n’y adhérent pas ou très peu, elle devient ineffective car elle ne rencontre pas ou insuffisamment de public. Pour devenir généralisable et dépasser le stade de l’expérimentation sans fin, l’innovation s’incarne dans une forme d’institutionnalisation qui nécessite obligatoirement l’intérêt des usagers. Il apparaît que cette condition est sans objet lorsqu’au contraire ces usagers sont contraints à participer à un dispositif dit innovant, à l’image, toute proportion gardée, d’une médiation familiale qui serait rendue obligatoire. Autrement dit, l’innovation sociale comporte forcément une dimension responsable puisqu’il est difficile d’imaginer qu’une action ou un dispositif innovant se fasse au détriment de personnes, de l’environnement ou des règles contraires aux libertés individuelles. La considération de la dimension responsable s’apprécie tant au niveau de l’effectivité de l’action qu’au niveau de son stade de projet qui le précède.
40À partir du moment où cette action comporte des risques délétères pour les personnes, pour leurs environnements ou à partir du moment où elle les contraint dans leurs libertés, il est difficile de la considérer comme socialement innovante. Chaque innovation renferme une part d’imprévisibilité, mais celle-ci ne peut être une menace au sens où nous venons de la décrire. Permettre de contribuer à certaines visées sociétales dites « nobles », comme la restauration du lien parental ; ou même faciliter la diffusion d’une innovation par l’État, ne suffisent pas34 pour installer une innovation dans le paysage social. Il nous semble donc que l’IS (ou même l’innovation technique) doit avoir pour finalité de provoquer non seulement des changements individuels, mais aussi des changements sur une échelle plus élargie. Ces changements pour être pérennes et s’appliquer à un échelon plus étendu impliquent une satisfaction plus grande des usagers, comparativement à la situation antérieure.
41La modélisation proposée ici est un tableau idéal-typique où les situations réelles ne sont pas complètement « pures » au sens sociologique du terme, mais elle nous donne des indications et nous permet une relative intelligibilité quant à la nature de certaines IS dans le champ de la régulation amiable des conflits et de la restauration des liens sociaux. Quand les ajustements ou adaptations ne sont pas suffisants, on observe souvent que les acteurs, engagés dans des réponses à des situations jugées problématiques, sortent de l’orthodoxie pour ajouter de nouvelles modalités, importer ou créer une nouvelle action, qu’ils qualifieront eux-mêmes d’innovantes. Le travail de l’historien, nous paraît ici primordial car grâce à ses outils et ses approches, il pourrait appréhender de manière adaptée le contexte social, économique et professionnel…, de certaines innovations considérées comme telles au moment de leur émergence. L’histoire contemporaine de la médiation, des années 1950 à nos jours, dans les pays occidentaux reste à faire et mérite l’attention des historiens pour non seulement considérer l’histoire lato sensu des idées, mais aussi celle des acteurs engagés dans l’importation ou la création des innovations dans le champ de la médiation. Les faits historiques sont pluriels et ne peuvent se limiter aux sources écrites publiées. Il est nécessaire, dans le cadre d’un travail plus ambitieux que le nôtre d’adopter une perspective holistique à la fois diachronique et synchronique. Respectivement, il s’agirait alors de réfléchir à l’évolution et à la construction historique des faits qui constituent ce que la médiation est aujourd’hui, et de manière conjointe, de dresser l’état des lieux du champ de la médiation actuelle, en y repérant la multitude des dimensions qui le définit.
1 La question du « besoin » est ici intimement liée à celle de « problématique », telle que nous l’entendons dans ce texte, c’est-à-dire est problématique ce qui est considéré par les acteurs comme « problème ». Par exemple, si des besoins nouveaux apparaissent, comme celui de la réappropriation des conflits par les individus en matière familiale, l’absence de prise en compte de ce besoin devient alors une problématique non résolue ou qui émerge dans le débat public.
2 Notre définition est donc éloignée des définitions philosophiques de ce terme, à l’exemple de celle de Kant (2006[1782]) pour lequel les jugements sont problématiques lorsqu'on admet l'affirmation ou la négation comme simplement possibles. De même, nous n’utilisons pas ce mot dans son acception épistémologique qui renvoie à la manière de traiter un problème.
3 Cette typologie peut aussi être appréhendée de manière dynamique composée de l’enchaînement de ces trois phases : améliorations à partir de pratiques orthodoxes (1), intronisation d’une pratique déjà éprouvée dans un autre champ (2) et/ou expérimentation/création (3). Cet enchaînement peut également comporter deux phases (Il peut aussi n’y avoir aucun enchaînement du fait que l’innovation soit de fait dans l’une des trois phases décrites). L’enchaînement est alors nourri par le fait que les réponses précédentes proposées pour « résoudre un problème » ne donnent pas entière satisfaction, justifiant ainsi l’apport de réponses supplémentaires à celles déjà existantes (intronisation d’une pratique déjà éprouvée dans un autre champ puis/ou expérimentation).
4 Voir notamment les travaux de Tom Montgomery (2016) qui analyse le champ de l’IS en identifiant deux courants émergent et dont leurs perceptions des besoins sociaux, des problèmes et des solutions sont définies par leurs paradigmes respectifs. Le premier courant, qu’il qualifie paradigme « technocratique », est fondé sur des fondements néo-libéraux qui « vise l’autonomisation des communautés, mais qui mobilise les technologies de gouvernance pour réduire l’espace de la dissidence politique (p. 1997) ». L’accent est mis sur l’importance d’aller vers des services publics plus efficaces, le calcul des retours sur investissement dans l’IS, la dépolitisation des questions sociales (p. 1996). Quant au second courant, représenté par le paradigme « démocratique », il se caractérise non seulement par la participation des communautés mais par la volonté de créer des « espaces dans lesquels des alternatives au projet néolibéral peuvent être poursuivies » (p. 1993). Les visées sont émancipatrices et reposent notamment sur la recherche de satisfaction des besoins humains, l’élévation du niveau de participation et l’autonomisation des personnes. Dans le paradigme démocratique, « l’objectif de l’innovation sociale est de remettre en question les pratiques qui continuent d’exclure des groupes et de créer des espaces où ces groupes peuvent être entendus » p. 1992).
5 Il n’est pas besoin de rappeler que les rhétoriques autour de l’innovation sont aussi intrinsèquement liées au processus de professionnalisation d’une activité ou d’un métier.
6 Les jeunes femmes sont aussi présentes dans ce champ de la médiation sociale. Mais on retrouve dans les pratiques cette même division sexuée des espaces d’intervention ; le dialogue avec les filles et les femmes du côté des médiatrices sociales et les interventions plus « musclées » du côté des médiateurs (Chantrenne 2004, p.10), (clair, Tafferant, 2006, p. 28).
7 Notamment à travers les dispositifs d’emplois aidés de type « emplois jeunes » ou « adultes relais ».
8 À l’image du Diplôme d'université à la médiation dispensé à l’Université parisienne de Panthéon-Assas.
9 À l’image des déclarations contenues dans livre blanc des assisses nationales de la médiation sociale (2011, p. 10) où « La médiation sociale repose sur une approche innovante et alternative, et constitue un outil pertinent et efficace dans la création d’une politique de cohésion sociale et de tranquillité publique sur un territoire ». Plus récemment, on peut invoquer parmi les nombreuses affirmations, le témoignage, d’André Moisan, selon lequel « La médiation sociale est une innovation forte qui se construit dans la pratique », La gazette des communes du 01/10/2019.
10 Les objectifs principaux de ce guide sont de proposer un référentiel global « CITER (Cohésion sociale, Innovation et apprentissage, Tranquillité publique, contribution économique, Reconnaissance), pour permettre aux dispositifs de médiation sociale de construire leurs propres référentiels et de justifier de leur utilité sociale. Le critère « innovation » de ce référentiel global est décliné (Duclos et Grésy, 2009, p. 92) par des indicateurs de résultat du type « taux de démarches innovantes mises en place par la structure » et des indicateurs d’impact de type « nombre d’idées innovantes reprises par d’autres structures ».
11 [https://avocats.be/sites/default/files/pdf/charte_de_participation_droit_collaboratif.pdf] (consulté le 29 décembre 2020).
12 Karim Berthet souligne (2017, p. 753) qu’il « Il s'agit d'un acte juridique signé par les parties assistées de leurs avocats. Le rôle de l'avocat est indissociable de ce mode alternatif, puisque sa présence est obligatoire tout au long du processus ».
13 Source : ministère de la Justice / SG / SEM / SDSE / Exploitation statistique du Répertoire Général Civil.
14 Il est incontestable qu’il existe de nombreuses différences entre la posture du médiateur et celui de l’avocat « collaboratif », mais on peut noter une grande parenté entre leurs méthodes d’intervention respectives, fortement inspirées des principes de la négociation raisonnée de Fisher et Ury. Tout comme la roue de Fiutak (2009) à laquelle la plupart des médiateurs se réfèrent, les différentes étapes de la méthode collaborative reprennent le modèle de Fischer et Ury : traiter séparément les questions des personnes et celles de fond, se concentrer sur les intérêts en jeu et non sur les postions, exploration des différentes options, plan d’action et choix de critères objectifs pour les décisions, etc.
15 Les différences avec la médiation sont certes nombreuses, mais notre propos n’est pas d’aborder les particularités du processus collaboratif, comme la nécessité de respecter certains engagements préalables des parties et surtout la possibilité de négociations directes entre les avocats, sans parler de leur implication et de leur rôle de conseil.
16 Traditionnellement, les auteurs définissent plusieurs intensités d’innovation. Selon les approches, celles-ci peuvent se décliner de trois à dix intensités (Schumpeter, 1965 ; Christensen, 1997 ; Scott-Morgan, 2002 ; Larry Keeley & Helen Walters, 2013…). Dans un but didactique, nous retiendrons les trois principaux niveaux d’intensité : innovation incrémentale, d’adaptation et de rupture (ou radicale).
17 Rapidement dit, le concept de destruction créatrice chez schumpeter (1965) désigne un processus courant observable dans les activités économiques. Il se caractérise, de façon simultanée, par la disparition de secteurs d'activité économique conjointement à la création de nouvelles activités économiques. Ce sont les divers types d’innovations qui déclenchent ce processus de destruction créatrice.
18 À ce propos, Schumpeter (1965, p. 40) affirme que « le nouveau ne sort pas de l’ancien, mais il apparaît à côté de l’ancien, lui fait concurrence jusqu’à le ruiner et modifie toutes les situations de sorte qu’un “processus de mise en ordre ” est nécessaire ».
19 Les raisons relèvent parfois de la responsabilité des pouvoirs publics, mais aussi des associations : émiettement des initiatives de médiation, fragmentation et dispersion des centres décisionnels, « déverticalisation » de l’État fondé sur un transfert de responsabilités vers les collectivités territoriales ; ou des instances privées (gestion de la sécurité) et aussi mise en concurrence professionnelle (avec notamment les travailleurs sociaux et les agents de sécurité).
20 Notamment par le biais d’associations nationales à l’image de « l’union nationale des PIMMS » ou encore de « France médiation ».
21 On peut citer par exemple dans ce type d’innovation – visant la transposition ou l’adaptation d’une action ou d’un service d’un champ vers un autre – l’usage des plates-formes de location de sa propre habitation en chambre d’hôtel (Airbnb, HomeAway, Booking…), de sa voiture en taxi (Uber, SnapCar, chauffeur privé…).
22 Séminaire du 4/11/2011 (consulté le 3 janvier 2021). [https://orbi.uliege.be/bitstream/2268/101753/1/Dethier%20%20S%C3%A9minaire%2004112011.pdf].
23 Par exemple Benson et Benson (1993, p. 106) qui insistent sur le « nombre alarmant d’incidents violents qui se produisent dans ou autour des écoles » et de la nécessité de « lutter contre l’incidence croissante de la violence à l’école ».
24 Pour une typologie détaillée voir les travaux de Bonafé-Schmitt (2016 ; 2000).
25 Une analyse rapide des méthodes d’intervention contenues dans les programmes d’apprentissage de formation en direction des élèves médiateurs, aussi bien chez les anglo-saxons que chez les francophones, montre que les étapes de médiation reprennent le modèle classique de Fisher et Ury (1982) très usité dans le monde de la médiation : recueil de l’information, travail sur les besoins et intérêts communs, évaluation de différentes options…
26 Ce type de médiation est aussi apparu en France dès les années 1984-1985, avec notamment l’association Amely à Lyon, mais il est resté et reste encore relativement peu développé, voire marginal, en France.
27 Lui-même influencé par les projets de médiation citoyenne des Community Board de San Francisco créés en 1977 à l’initiative de Raymond Shouholtz, juriste dans cette ville.
28 À ce propos, de nombreux formateurs de ces bénévoles sont issus eux-mêmes d’autres champs de la médiation.
29 Coser (1982) distingue deux grands types de conflits : les conflits réalistes et les conflits non réalistes. Les seconds, au contraire des premiers se caractérisent par des conflits mal identifiés et portent sur des objets impersonnels : dégradations de mobiliers urbains, rassemblements intempestifs de bandes. Par exemple, les objets contre lesquels sont orientés les actes d’incivilité ou de délinquance relèvent majoritairement de conflits non réalistes, d’autant que l’un des médiés n’est pas une personne physique.
30 On retrouve ici, l’une des idées développées par Norbert Alter (2003, p. 19) selon laquelle « l’innovation se trouve en conflit avec l’ordre établi et avec les tenants de la norme […] cantonnée aux marges d’un milieu social, elle n’y prend finalement place qu’avec difficulté ».
31 En effet, Internet est le résultat de nombreuses inventions technologiques et de nombreuses coopérations entre divers réseaux et regroupement d’infrastructures. Dès le début des années 1970, « Arpanet » est déjà un réseau d’ordinateurs reliant plusieurs laboratoires de recherche. Les banques développent aussi des réseaux centralisés permettant de disposer de bases de données (Renaud, 2000, p. 92). L’interconnexion de tous les ordinateurs d’un réseau permettra de nombreuses applications. En raison de nombreuses évolutions techniques l’apparition du web dans les années 1990 permettra la généralisation des échanges mondiaux et des applications. Sur l’ensemble de cette période de développement, le lecteur pourra se reporter à l’article de Pascal Renaud (2000).
32 Il ne s’agit pas ici de dresser un historique de la médiation familiale souvent présenté dans la plupart des articles et livres traitant ce champ de la médiation, mais de mieux saisir les processus d’émergence d’une IS. Pour une perspective historique détaillée, le lecteur pourra notamment se reporter aux travaux de Spielvogel et Noreau (2002), de Noreau et Amor (2004), de Rousseau (2010) ou encore de Bastard (2020).
33 Il est vrai que la notion d’utilité sociale est relativement floue et ne fait pas l’objet d’une définition unique. Néanmoins, le lecteur pourra se reporter sur l’article 2 de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 qui en donne une définition assez complète. Selon cet article, « Sont considérées comme poursuivant une utilité sociale au sens de la présente loi, les entreprises dont l'objet social satisfait à titre principal à l'une au moins des trois conditions suivantes : 1) Elles ont pour objectif d'apporter, à travers leur activité, un soutien à des personnes en situation de fragilité […]. 2) Elles ont pour objectif de contribuer à la lutte contre les exclusions et les inégalités sanitaires, sociales, économiques et culturelles, à l'éducation à la citoyenneté […]. 3). Elles concourent au développement durable dans ses dimensions économique, sociale, environnementale et participative, à la transition énergétique ou à la solidarité internationale […] ».
34 On peut citer comme exemple une expérience, qualifiée d’innovante et avortée quelques mois après sa création en septembre 2016, d’un centre dit de « déradicalisation » dans un département français (Indre-et-Loire) qui devait accueillir 25 personnes. Cette expérimentation très controversée a concerné seulement neuf pensionnaires, dont aucun n’a suivi le programme jusqu’à son terme. Cet échec a conduit le gouvernement français à fermer ce centre en juillet 2017 et à réorienter ses réponses vers la mobilisation des dispositifs existants de droits communs (Ben Mrad, 2020 p. 51).