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Transformations sociales en Asie

Vincent Simoulin

Texte intégral

1L’Asie n’existe pas plus que l’Europe ou l’Amérique. Les pays asiatiques diffèrent par bien des aspects. Pour autant, ils ont des spécificités dont l’une est de connaître aujourd’hui une période de profondes transformations. Les migrations internes entre villes et campagnes (Bian, 2002) mais aussi entre pays d’un même espace régional, les processus de mobilité ascendante et inversement de déqualification et de précarisation (Rocca, 2008), eux-mêmes à l’origine de formes d’action collective (Tang, 2007), l’évolution des politiques de formation (Broustail, Paloro, 2005) et des systèmes d’enseignement supérieur, traduisent même un moment de transformations assez remarquable par l’intensité de celles-ci et leur enchaînement (Terssac, Quoc, Catlla, 2014).

2Les pays asiatiques ont également en commun de connaître une forte activité industrielle. Les sociologues du travail y retrouvent des usines devenues rares dans un certain nombre de pays occidentaux, parfois rutilantes et confondantes de gigantisme et de modernité, parfois décrépites et à l’image de conditions de travail qu’on croyait oubliées depuis des lustres. Les analyses sur les entreprises familiales, les clusters locaux ou les multinationales peuvent toutes y trouver des terrains d’étude et des villes ou parfois des régions entières sont consacrées à des organisations de l’un de ces types. Et à côté subsistent encore des petits métiers exercés dans la rue, comme des coiffeurs ou des réparateurs de vélo.

3Une autre spécificité commune des pays asiatiques est la rapidité de leur développement et le fait qu’ils permettent ainsi de réinterroger des paradigmes sociologiques forgés lorsque les pays occidentaux ont eux-mêmes connu leur propre modernisation, amenant à forger de nouvelles théories comme la « modernisation compactée » (Chang, 2010) ou la « transition sociale » (Sun, 2007). Surtout, ce regard a permis de développer une « théorie post-occidentale » (Roulleau-Berger, 2011 et 2016) qui nous en apprend autant sur les perspectives théoriques qui renouvellent ainsi nos représentations que sur celles des fondateurs de la modernité et de la plupart des théories « modernes » des sciences humaines et sociales.

4Étudier les transformations sociales en Asie nous permet donc de nous interroger sur celles-ci, aussi bien que sur la capacité des théories et méthodes sociologiques à en rendre compte et finalement également sur les propres transformations de nos sociétés par effet de miroir (Roulleau-Berger, 2011). Nous avons fait le choix de répondre à ces questions en explorant des terrains en Chine, en Malaisie et au Vietnam. Ce choix a bien sûr pour but de nous offrir une palette de pays assez complète et variée, même si nous ne pouvons prétendre rendre compte de l’ensemble des transformations en cours en Asie. La Chine et le Vietnam nous permettent d’observer des pays d’une taille bien différente mais liés par l’histoire et dont le problème commun est d’inventer et de développer un socialisme de marché. La Malaisie offre l’exemple assez fascinant d’une pluralité de communautés et de religions (Shamsul, 2015) qui est aussi l’un des traits majeurs de l’Asie.

5Un premier champ d’interrogations que ce numéro spécial a pour objectif de couvrir porte par conséquent sur les pays asiatiques et les transformations sociales qui y sont en cours. L’adoption d’un nouveau modèle de développement économique, et parfois la sortie ou la réinvention d’un modèle politique, supposent des réorganisations internes de grande ampleur, sur les plans identitaires et organisationnels. L’édification des États providence, les conditions de travail dans les entreprises, les modifications des comportements alimentaires, sont ici les sujets que nous explorerons et qui nous permettront aussi bien d’apporter des éléments sur les transformations sociales en cours en Asie que, par effet de miroir, sur les propres sociétés des observateurs européens que nous sommes.

6Un second but de ce numéro est d’analyser la capacité des paradigmes sociologiques à mettre en lumière ces transformations et à en rendre compte. Les approches de la sociologie du travail et des relations industrielles ont-elles ainsi en Chine, en Malaisie ou au Vietnam la même portée explicative que dans les pays où elles ont été développées ? L’importation des analyses occidentales conduit-elle à désigner des phénomènes similaires en Asie à ceux dont elles prétendent rendre compte en Europe ou dans le monde anglo-saxon ou accroît-elle au contraire les confusions ou les malentendus ? Qu‘apporteraient à l’inverse aux chercheurs européens une meilleure connaissance des théories de la modernisation compactée ou de la transition sociale et la réalisation de travaux européens menés dans ces cadres théoriques ?

7Tous les articles auront enfin pour troisième objectif d’initier une réflexion sur les dynamiques des Policy transfers entre les pays asiatiques eux-mêmes et entre ceux-ci et les pays occidentaux, ainsi que leurs difficultés d’application. Les processus d’influence entre la Chine et le Vietnam pour la mise en place d’une politique d’assurance sociale, les espaces spécialisés de longue date dans ces hybridations et métissages comme Hong Kong ou la Malaisie, seront ici au cœur de notre exploration. Alors que la question des Policy transfers (Delpeuch, 2009) est surtout connue en Europe par des travaux sur l’influence anglo-saxonne, les processus de transition en Europe de l’Est ou les échanges Nord-Sud, l’étude des transferts entre le monde occidental et l’Asie ou entre les pays asiatiques ouvre ici à un regard renouvelé.

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Bibliographie

Bian Y., 2002, « Chinese Social Stratification and Social Mobility », Annual Review of Sociology, vol. 28, 91-116.

Broustail J., Paloro G., 2005, « La formation des élites managériales dans les économies en transition : les exemples du Cambodge, du Laos, du Viêt-Nam et de la Thaïlande », Entreprises et histoire, vol. 4, n° 41, 51-70.

Chang K. S., 2010, South Korea and compressed modernity. Familial Political Economy in transition, Londres, Routledge.

Delpeuch T., 2009, « Comprendre la circulation internationale des solutions d’action publique : panorama des Policy transfer studies », Critique internationale, 2009/2, n° 43, 153-165.

Rocca J. L. (Éd.). La société chinoise vue par ses sociologues. Migrations, villes, classe moyenne, drogue, sida. Paris, Presses de Sciences Po, 2008.

Roulleau-Berger L., Yuhua G., Shiding L., 2008, La nouvelle sociologie chinoise, Paris, CNRS Editions.

Roulleau-Berger L., 2011, Désoccidentaliser la sociologie. L’Europe au miroir de la Chine, La Tour d’Aigues, Editions de l’Aube.

Roulleau-Berger L., 2016, Post-Western Revolution in Sociology. From China to Europe, Brill publishers, Leiden.

Shamsul A. B., 2015, « One State, Three Legal Systems: Social Cohesion in a Multi-ethnic and Multi-religious Malaysia », in Possamai A., Richardson J. T., Turner B. S. (Éd.), The Sociology of Shari’a: Case Studies from Around the World, Heidelberg, Springer, 17-30.

Sun L., 2007, « La transition sociale : un nouvel enjeu pour la sociologie du développement », Cahiers internationaux de sociologie, 2007/1, vol. CXXII, 53-72.

Tang J., « » En haut, il n’y a plus de ciel, en bas, plus de terre ! » La logique de l’action collective ouvrière dans la Chine contemporaine », L’Homme et la société, 2007/1, n° 163-164, 155-180.

Terssac G. de, Quoc T. A., Catlla M., 2014, Viêt-Nam en transitions, Lyon, ENS Éditions.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Vincent Simoulin, « Transformations sociales en Asie »Sciences de la société [En ligne], 104 | 2019, mis en ligne le 01 septembre 2020, consulté le 20 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/sds/10566 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sds.10566

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Auteur

Vincent Simoulin

Université de Toulouse, CERTOP, UMR 5044 CNRS.

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