1Nous avons souligné le manque de travaux consacrés à la Liberté académique en France et le déficit de textes de loi utilisant et/ou définissant ce concept (cf. Introduction). De là à établir une relation de cause à effet entre les atteintes à la liberté académique et le manque de travaux universitaires sur le sujet, il y a sans doute un pas à ne pas franchir trop vite. Un concept peut intéresser des universitaires en particulier et générer une profusion d’articles et d’ouvrages sans que l’ensemble des universitaires, ou la majeure partie d’entre eux, le maîtrisent. Prenons un exemple. Malgré une littérature universitaire abondante sur la laïcité, la plupart des enseignants chercheurs seraient bien en peine de faire un cours sur le sujet (Le Cornec Ubertini, Pellen, Mesquita, dans ce dossier). Ajoutons que littérature abondante ne veut pas dire pluralité des sources (voir par exemple le Groupe Sociétés, Religions, Laïcité, LA voix de la laïcité à l’université).
- 1 Art. 431-1 du code pénal : « Le fait d’entraver, d’une manière concertée et à l’aide de menaces, l’ (...)
2À l’instar de la laïcité française en France, bien que la littérature anglophone sur la liberté académique, academic freedom, soit dense (Beaud, 2021), il n’est pas certain que cela soit la garantie d’une bonne connaissance par les universitaires de leurs droits et devoirs. Pour preuve, ce que constatait le Professeur Terence Karran, de la School of Education de l’Université de Lincoln au Royaume-Uni, dans un rapport sur les Menaces à l’encontre de la liberté académique et de l’autonomie des universités en Europe : « À l’évidence, faute d’une connaissance suffisante de leurs droits en matière de liberté académique, il est peu probable que les membres du personnel universitaire se battent pour les défendre » (Karran, 2020, p. 4). Et comment se battre si l’on ne sait pas si la bataille que l’on mène est légitime ou pas ? Dans une étude exploratoire (Le Cornec Ubertini, Pellen, Mesquita, op. cit.) sur le métier d’enseignant-chercheur, nous avons démontré la faible connaissance par nos collègues du cadre légal dans lequel ils exercent leur profession. Il nous semble utile de prolonger le questionnement par un volet concernant les étudiants au regard des atteintes à la liberté académique dont ils peuvent être les auteurs. La presse s’en est fait régulièrement l’écho (Charlie Hebdo, 2018 ; Radio France, 2019 ; France3-régions, 2019 ; Marianne, 2020 ; Le Figaro-étudiant, 2020 ; L’Express, 2020 ; France-tv-info, 2021, Le Monde 2023…). Riss (Charlie Hebdo) s’interrogeait sur ce qui restait de Mai 68 : « En 2018, ce sont les étudiants qui censurent, interdisent, bâillonnent ». Connaissent-ils la liberté académique de leurs enseignants ? Notre hypothèse est qu’il leur manque des connaissances sur ce sujet. Il existe probablement des étudiants qui connaissent les droits de leurs enseignants et qui les enfreignent volontairement, mais il nous semble peu probable que les étudiants en général connaissent mieux la profession d’enseignants-chercheurs que les principaux intéressés. Cette ignorance est propice, selon nous, aux abus de droit. Une meilleure connaissance du cadre légal par les étudiants et les enseignants pourrait donc circonscrire les entorses à la liberté académique aux atteintes qui sont volontaires. Elle permettrait aussi aux étudiants de ne pas être influencés en amont par des informations erronées qui circulent dans leur environnement et les amènent parfois à enfreindre la loi en se rendant coupables d’infractions pénales (Art. 431-1 du code pénal)1.
3Pour valider notre hypothèse, nous avons construit deux questionnaires avec l’application LimeSurvey, l’outil de sondage de notre université. Les étudiants répondaient en ligne. Les étudiants interrogés étaient en 2e année de licence Sciences sanitaires et sociales (L2SSS).
4Le premier questionnaire était composé de 16 questions dont deux portaient sur la formation suivie par les étudiants et leur nombre d’années de présence à l’université. 14 concernaient leurs connaissances des droits et obligations de leurs enseignants et leur formation sur le sujet. Au titre des obligations, les étudiants devaient dire s’ils connaissaient la mission d’information du citoyen de leurs enseignants, la mission d’éducation à la responsabilité civique des étudiants, l’obligation de tendre vers l’objectivité du savoir et de respecter la laïcité. S’agissant des droits, les étudiants devaient dire s’ils connaissaient la totale liberté d’expression (dont la limite est le droit commun) de leurs enseignants, leur droit à l’indépendance et à la sérénité, leur droit à l’image et leurs droits d’auteur, leur droit à la gestion démocratique de leur université et leur liberté académique.
5Le deuxième questionnaire a été conçu après la passation du premier afin de vérifier une réponse sur la laïcité, pilier de l’université (art. L141-6 du code de l’éducation) et source d’atteintes à la liberté d’expression et à la sérénité des enseignants. Il comptait 11 questions fermées (sur le mode vrai/faux). Nous avions privilégié dans le premier questionnaire le déclaratif, pour ne pas donner l’impression aux étudiants de les soumettre à un contrôle de connaissances et encourager ainsi leur participation, mais bien sûr l’erreur sur la réelle connaissance d’une notion est l’un des biais de réponse possible. Le deuxième questionnaire interrogeait le savoir réel de l’étudiant sur une notion fondamentale.
6Pour fixer le nombre théorique de bonnes réponses attendues auquel comparer les réponses réelles, nous avons tenu compte de plusieurs facteurs, sachant que la décision reste largement arbitraire (De Landsheere, 1998). En effet l’exigence diffère en fonction de ce qui est considéré comme suffisant. La validation d’une année universitaire par exemple est généralement donnée à partir d’une moyenne de 10/20. En revanche, le code de la route ne s’obtient qu’à partir de 17,5/20 (soit 5 fautes au maximum pour 40 questions). Les enjeux ne sont pas les mêmes. Peut-on se contenter d’une connaissance moyenne du cadre légal dans lequel les enseignants interviennent à l’université ? Nul n’est censé ignorer la loi dit-on, mais il s’agit d’une expression qui signifie que tout le monde doit s’y soumettre, qu’il la connaisse ou non. La nécessité de la connaître réellement dépend des risques liés à l’absence de savoir, lesquels dépendent aussi parfois des courants idéologiques qui traversent la société, et, dans le cas qui nous occupe, s’invitent à l’université. Étant donné l’importance du respect de la liberté académique pour une société démocratique et libérale qui « se dirige sans aucune intervention dogmatique et surnaturelle, par les seules lumières de la conscience et de la science » (Jaurès, 1904), et la violence des attaques contre la liberté d’expression (principale liberté attaquée, cf. les médias cités plus haut) des enseignants, nous avons convenu d’une moyenne de 16/20 (80 %). Ces 80 % correspondent au pourcentage de bonnes réponses que nous observons régulièrement lors des évaluations semestrielles portant sur des notions signalées comme importantes et incontournables à l’examen.
7Un test du Chi2 a permis ensuite de vérifier si l’écart entre les données obtenues et celles qui étaient attendues était statistiquement significatif ou non.
8Nous avons recueilli 84 réponses, soit 84 questionnaires renseignés.
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Questions
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Oui
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Non
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Sans réponse
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Avez-vous été formés à l'université au droit à l'image et au droit d'auteur qui concernent vos enseignants ?
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33,33 %
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59,52 %
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7,14 %
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-
Avez-vous été formés au cadre juridique général qui régit la profession de vos enseignants à l'université ?
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8,33 %
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84,52 %
*
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7,14 %
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-
Le connaissez-vous ? 1 non, 2 très peu, 3 moyennement, 4 bien, 5 oui tout-à-fait.
(réponses regroupées 1et 2 et 3, 4 et 5)
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12,82 %
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87,18 %
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Sur la mission d'information « Article L411-1 du code de la recherche Les personnels de la recherche concourent à une mission d'intérêt national. Cette mission comprend : [...] c) L'information des citoyens dans le cadre de la politique nationale de science ouverte et la diffusion de la culture scientifique et technique dans toute la population, notamment parmi les jeunes [...] ». Auriez-vous dit spontanément que la mission des enseignants-chercheurs était notamment de donner une information scientifique au citoyen ?
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69,05 %
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22,62 %
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8,33 %
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Sur la liberté d’expression « Article L952-2 du code de l’éducation Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d'une pleine indépendance et d’une entière liberté d'expression dans l'exercice de leurs fonctions d'enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d'objectivité ».
Décision du Conseil constitutionnel : « 19. Considérant dès lors que, par leur nature même, les fonctions d’enseignement et de recherche non seulement permettent mais demandent, dans l’intérêt même du service, que la libre expression et l'indépendance des personnels soient garanties par les dispositions qui leur sont applicables ; que l’article 57 de la loi fait, dans leur principe, droit à ces exigences en disposant : « Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d'une pleine indépendance et d'une entière liberté d'expression dans l'exercice de leurs fonctions d'enseignement et dans leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions de la présente loi, les principes de tolérance et d'objectivité » (Décision n° 83-165 DC du 20 janvier 1984) Saviez-vous qu’il n’y a pas de devoir de réserve ou d’obligation de réserve pour les enseignants chercheurs ?
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12,35 %
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79,01 %
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8,64 %
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Mission d'éducation civique « Article L121-1 du code de l’éducation Les écoles, les collèges, les lycées et les établissements d'enseignement supérieur sont chargés de transmettre et de faire acquérir connaissances et méthodes de travail. Ils contribuent à favoriser la mixité et l'égalité entre les hommes et les femmes, notamment en matière d'orientation. Ils concourent à l'éducation à la responsabilité civique, y compris dans l'utilisation d'internet et des services de communication au public en ligne, et participent à la prévention de la délinquance. Ils assurent une formation à la connaissance et au respect des droits de la personne ainsi qu'à la compréhension des situations concrètes qui y portent atteinte ». Saviez-vous que la mission des enseignants-chercheurs consistait, entre autres, à veiller très concrètement au respect du cadre juridique républicain français ?
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38,75 %
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57,50 %
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3,75 %
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Sur l'objectivité du savoir et la laïcité « Article L141-6 du code de l’éducation Le service public de l'enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ; il tend à l'objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions. Il doit garantir à l'enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique ». Connaissiez-vous cette obligation de tendre autant que possible vers l'objectivité du savoir, la recherche de la vérité ?
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72,15 %
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22,78 %
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5,06 %
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Pourriez-vous expliquer ce qu’est la laïcité française sans préparation particulière ?
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67,09 %
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24,05 %
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8,86 %
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Avez-vous été formé à la laïcité à l’université ?
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27.85 %
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70,89 %
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1,27 %
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Droit à l'indépendance et la sérénité « Article L123-9 du code de l’éducation À l’égard des enseignants chercheurs, des enseignants et des chercheurs, les universités et les établissements d'enseignement supérieur doivent assurer les moyens d'exercer leur activité d'enseignement et de recherche dans les conditions d'indépendance et de sérénité indispensables à la réflexion et à la création intellectuelle ». Connaissiez-vous ces garanties légales d’indépendance et de sérénité ?
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14.10 %
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84,62 %
*
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1,28 %
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Démocratie organisationnelle « Article L711-du code de l’éducation Les établissements publics à caractère scientifique […] sont gérés de façon démocratique avec le concours de l'ensemble des personnels, des étudiants et de personnalités extérieures ». Saviez-vous que l’université devait être gérée de façon démocratique ?
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78,21 %
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15,38 %
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6,41 %
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Vos enseignants vous ont-ils déjà expliqué ce qu'est la "liberté académique" ?
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5.19 %
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92,21 %
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2,60 %
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Si la réponse est oui, de quoi vous souvenez-vous ?
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(3 réponses)
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La liberté de choisir ce qu'on enseigne et comment on l’enseigne.
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Certes il y a un programme mais les enseignants sont libres de l’organisation de leur cours, des bibliographies et une souplesse sur le contenu
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Chaque académie peut choisir des modalités d'examen et de cours
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Si vous n’avez pas appris ce qu’est la "liberté académique" grâce à vos enseignants, peut-être avez-vous néanmoins une idée de ce qu’elle signifie (vous pouvez choisir de répondre en quelques mots seulement ou en développant) ?
(28 ont tenté une définition)
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C’est peut-être la liberté laissée aux enseignants en matière de recherche et d’apprentissage
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Ils peuvent nous apprendre selon leur manière
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La liberté de venir en cours magistraux et ainsi que d’y participer
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Le droit d’étudier librement
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Pouvoir choisir le sujet / les éléments que l’on souhaite étudier / analyser ?
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Liberté de participer aux cours
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Liberté académique : liberté sur le choix des sujets abordés, des mots employés, de donner son avis concernant le travail des enseignants
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Le droit d’étudier
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La liberté académique signifie selon moi la liberté de chaque académie à exercer leur choix
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Liberté de s’exprimer au sein de l’Université
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La liberté des enseignants à transmettre de leur manière leurs savoirs aux élèves ?
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La liberté académique est de questionner les étudiants et de prendre en compte leurs avis et incertitudes afin de veiller au mieux à l’épanouissement des enseignants ainsi que des étudiants.
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La liberté académique est la liberté des membres académiques de transmettre des savoirs et d’en acquérir
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Chaque académie est libre de faire certains choix tout en respectant le grade supérieur.
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Une certaine liberté dans la façon d’enseigner, avec tout de même des limites
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La liberté au sein de l’université.
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Celui qui choisit son mode d’enseignement
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C’est peut-être la liberté qui est autorisée à un enseignant pour aborder un sujet quelconque.
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Il peut choisir la manière de l’approche de la thématique.
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C’est la liberté des savoirs en matière de recherche scientifique que les enseignants doivent pouvoir nous transmettre
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Souplesse de contenu, choix de l'organisation du contenu, choix de bibliographie, choix de modalités d'évaluation
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Je pense que cela voudrait dire que chaque université et enseignant chercheurs est autonome et libre de faire le programme / cours universitaires qu’il souhaite sans obtenir d’obligation de la part d’autorités
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Liberté dans la manière d'enseigner
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Laisser le choix aux enseignants pour leur support de travail et les références qu'ils transmettent dans les cours
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Liberté de format des cours, des CC pour les enseignants chercheurs
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Le libre choix d'enseigner les sujets que les enseignants souhaitent aborder
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Une liberté que les enseignants ont dans leur façon d’exercer le travail ? Dans le sens où ils sont libres de leurs méthodes d’enseignement, ou dans le cas des enseignants-chercheurs, de rechercher selon leurs manières de faire
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Liberté d’expression
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Seuls les pourcentages soulignés d’un * sont significatifs à p < .01.
9Les réponses au questionnaire montrent un écart statistiquement significatif entre les réponses données et les réponses attendues sauf pour 4 questions. Les étudiants savent que leurs enseignants ont aussi pour mission de donner de l’information scientifique à la population (question 4) et qu’ils doivent tendre vers l’objectivité du savoir (question 7). Ils se sentent capables d’expliquer ce qu’est la laïcité (question 8), ils savent que l’université doit être gérée démocratiquement (question 11). En revanche, seuls 12 % disent savoir que la liberté d’expression de leurs enseignants n’est pas assortie d’un devoir de réserve, 10 % que les universités doivent donner à leurs enseignants les moyens d'exercer leur activité d'enseignement et de recherche dans les conditions d'indépendance et de sérénité indispensables à la réflexion et à la création intellectuelle et 39 % que leurs enseignants ont une mission d’éducation à la responsabilité civique et de prévention de la délinquance.
10Les questions finales sur la liberté académique montrent que seuls 5 % ont bénéficié d’une explication sur ce concept. Ils ne sont en tout que 31 à avoir tenté une définition et parmi eux, 7 ont pensé qu’elle concernait les étudiants et 3 qu’il s’agissait d’une liberté laissée aux académies. Il reste 22 réponses « exactes » mais partielles soit environ un quart des étudiants.
11Après avoir lu les résultats du questionnaire, nous avons voulu vérifier les connaissances des étudiants en matière de laïcité puisqu’ils se sentaient capables de l’expliquer, ce qui nous paraissait surprenant. En effet, le questionnaire adressé aux enseignants-chercheurs (cf. supra) comprenait une question supplémentaire sur la laïcité (Vous sentez-vous compétent en matière de laïcité ?) et montrait un hiatus entre une nette impression de savoir et une faible capacité à expliquer. Au cours suivant, nous avons donc soumis les étudiants pensant pouvoir expliquer la laïcité à un questionnaire sur la laïcité (ils devaient cocher les items qui leur semblaient exacts).
12Nous avons recueilli 63 réponses
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Vrai ou faux sur la laïcité ? Cliquez sur la ou les réponses qui vous semblent exactes.
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Questions
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Pourcentages de réponses affirmatives
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Réponses attendues
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-
La laïcité c'est la neutralité de l'Etat mais pas des individus.
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40 %
*
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vrai
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-
La laïcité c'est la neutralité de l'Etat et des Eglises (cultes).
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33,33 %
*
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vrai
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-
Il est interdit de tenir des réunions politiques, d'inciter à résister à l'exécution des lois ou aux actes légaux, dans les lieux de cultes, sous peine de prison et d’amende.
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26,67 %
*
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vrai
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-
La critique de toutes les religions, de tous les Dieux, de tous les prophètes, est permise.
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18,33 %
*
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vrai
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-
L'Etat ne reconnaît aucune religion.
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41,67 %
*
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vrai
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-
Les manifestations extérieures des cultes sont interdites sauf autorisation des représentants de l'Etat (comme toute autre manifestation).
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33,33 %
*
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vrai
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-
La laïcité permet la liberté de croire ou ne pas croire, la liberté de choisir sa religion et la liberté d’en changer.
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93,33 %
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vrai
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-
Le rapporteur de la loi de 1905, Aristide Briand, a dit qu’il fallait « Répondre aux principes de persécution du clergé, par des principes de liberté ; rejeter les prêtres dans leurs églises, pour que soit affranchie la société laïque ».
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10 %
*
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vrai
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-
Il est interdit d’apposer tout signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit (à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions).
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68,33 %
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vrai
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-
La laïcité c’est la liberté de manifester sa religion dans l’espace public.
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11,6 7%
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faux
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-
La liberté de conscience c’est la liberté de pratique religieuse.
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41,67 %
*
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faux
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Seuls les pourcentages soulignés d’un * sont significatifs à p < .01.
13Les étudiants n’ont donné que trois bonnes réponses (questions 7, 9 et 10). Ils savent que la laïcité permet de croire ou ne pas croire et de changer de religion (question 7), qu’il n’y a pas le droit d’apposer un signe ou emblème religieux sur les monuments publics (question 9) et que la laïcité ce n’est pas la liberté de manifester sa religion dans l’espace public (question 10).
14Les 8 autres réponses sont fausses (soit 70 % des réponses).
- 2 Briand Aristide, Rapport fait le 4 mars 1905 au nom de la commission relative à la séparation des É (...)
- 3 « Si l’État demeure neutre à l’égard des Églises, celles-ci doivent observer une neutralité absolue (...)
15Commençons par le deuxième questionnaire sur la laïcité dont nous venons de lire les résultats. La réelle capacité d’explication de ce qu’est la laïcité est d’autant plus faible que les réponses exactes sont peu nombreuses (3 sur 11) et que les résultats obtenus aux autres items s’écartent significativement de la réponse attendue. Les étudiants (une majorité statistiquement significative d’étudiants) croient qu’il est permis (sans peine d’amende ou de prison) de tenir des réunions politiques, d'inciter à résister à l'exécution des lois ou aux actes légaux, dans les lieux de cultes (question 3), il pensent que le blasphème est interdit (question 4) et ils pensent que le rapporteur de la loi de 1905, Aristide Briand, n’a pas dit qu’il fallait « Répondre aux principes de persécution du clergé, par des principes de liberté ; rejeter les prêtres dans leurs églises, pour que soit affranchie la société laïque »2 (question 8). Si l’on ajoute qu’ils ne pensent pas que la laïcité est la neutralité de l'État et des Églises (cultes)3 (question 2), mais qu’ils croient, en revanche, que la laïcité c'est la neutralité de l'Etat mais pas des individus (question 1), la laïcité qu’ils expliqueraient (question 8 du premier questionnaire) ne correspondrait pas à la laïcité française. En revanche, elle serait très proche de la « laïcité » anglo-américaine. Nul doute qu’ils ne connaissent ni la loi de 1905, ni les débats qu’elle a occasionnés, ni la position du rapporteur de la loi, Aristide Briand. Il y a là une source de tension extrêmement forte, à la fois entre les étudiants et les enseignants et entre les enseignants, dans les équipes de recherche ou d’enseignement et dans leurs rapports avec les pairs élus (conseil disciplinaire, présidence de l’université…).
16Dans le contexte actuel de la multiplication des atteintes à la liberté académique, l’intérêt de l’Université, des enseignants-chercheurs et des étudiants eux-mêmes, est de former les enseignants et les étudiants au « contrat » qui les engage. Contrairement à un contrat de travail, le contrat qui lie les enseignants et les étudiants ne figure pas sur un texte de quelques pages que les uns et les autres auraient eu à signer. Cet engagement mutuel est fait de plusieurs articles de loi qui ne se suivent pas dans un code (articles L. 952-2, L. 141-6, L. 121-1, L. 123-9, L. 711-1 du code de l'éducation, notamment), de l’article 15 de la loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030, d’une décision du Conseil constitutionnel de 1984, de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) (Requêtes n° 364/04 et n° 39779/04), de l’article 6 du Traité de Lisbonne (2009) qui reprend l’article 13 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (2000) (cf. Introduction)… En quelques mots, sans savoir que ces textes existent et sans savoir qu’il faudrait les chercher, il y a peu de chances que la force de l’habitude suffise en cas de crise. Sur des sujets aussi sensibles que la liberté d’expression, la garantie l’indépendance et de sérénité, la laïcité et la liberté académique, il peut paraître surprenant que les principaux intéressés soient aussi peu compétents et/ou informés. Il est très étonnant que 88 % des étudiants croient que leurs enseignants ont un devoir de réserve. C’est pourtant une notion juridique peu familière. Quoi qu’il en soit, le défaut de formation correspond aux droits attaqués, notamment la liberté d’expression, sans autre réserve que le droit commun, le droit à la critique des religions, la garantie d’indépendance en matière de recherche et d’enseignement et la garantie de sérénité (cf. supra). Il est d’autant plus facile de porter atteinte à la liberté académique de ses enseignants, ou de laisser faire, que l’on ignore les droits des enseignants et que les enseignants eux-mêmes ne maîtrisent pas leurs droits et devoirs. En effet, 80 % des enseignants que nous avions interrogés (Le Cornec, Pellen, Mesquita, op. cit.) méconnaissaient l’article L121-1 du code de l’éducation - qui donne aux établissements d’enseignement supérieur une mission d’éducation à la responsabilité civique et de prévention de la délinquance - et leurs garanties d’indépendance et de sérénité. S’ajoutait, pour une partie non négligeable d’entre eux (35 %), l’ignorance de leur liberté d’expression sans devoir de réserve.
17Ces carences freinent la bonne compréhension des rôles respectifs au sein de l’université française. La relation étudiants-enseignants est asymétrique et les étudiants ne sont pas des clients. Ils ne s’endettent pas à long terme pour payer leurs études universitaires comme aux États-Unis. Or la culture des campus américains pénètre les universités françaises et avec elle une légitimation théorisée des atteintes à la liberté académique (Heckmann, 2022). L’influence porte à la fois sur le modèle organisationnel et sur les idées et les théories dominantes en Sciences humaines et sociales (SHS). S’il existe des théories généralisables à l’ensemble des êtres humains, certaines proposent une grille de lecture des rapports sociaux propre au système politique et juridique américain, à son histoire, à sa géographie. La distinction ne semble néanmoins pas opérée malgré les différences majeures et inconciliables entre les modèles français et américains. D’un côté :
- un pays américain fédéral divisé en États distincts, avec des lois distinctes, eux-mêmes composés de groupes distincts, en fonction de la religion et/ou de l’origine ethnique, bénéficiant d’accommodements raisonnables (aménagements de la loi notamment pour des raisons religieuses notamment) ;
- un modèle juridique de common law qui donne à la jurisprudence et donc aux juges le rôle principal dans les litiges ;
- un modèle économique et social libéral (avec peu de protections sociales) qui puise son individualisme dans la conception religieuse de la relation individuelle à Dieu (Willaime, 2005) et qui, s’il n’« établit » aucune religion officielle, ne saurait interdire le libre exercice d’une religion dans l’espace public (1er amendement de la Constitution des États-Unis – U.S. Bill of Rights) ;
- un modèle qui consacre le droit du peuple de détenir et de porter des armes (2e amendement).
- 4 Sauf dans des cas particuliers encadrés par la loi, comme le permis de chasser certains animaux sel (...)
18De l’autre, une République française indivisible, laïque, démocratique et sociale qui assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion (Art. 1er de la Constitution de 1958), dans le cadre d’un système juridique civiliste basé essentiellement sur des textes de loi. Une République qui interdit le port d’armes aux citoyens4 et le réserve à l’État. Si l’on ajoute les différences historiques et géographiques, l’adoption des lunettes américaines pour voir la société française est une aberration intellectuelle et scientifique. Le choix d’une société communautarisée permet certes de mieux régner (« diviser pour régner ») mais entraîne automatiquement des conflits intergroupaux (Tajfel et al., 1971) dans lesquels chaque groupe peut se dire victime d’un autre et vouloir lui imposer sa loi ou ses accommodements avec la loi. La cancel culture, qui va de l’empêchement d’exercer une profession [celle d’enseignant en particulier], à la censure des paroles, des écrits, des œuvres artistiques, de l’histoire, en est l’illustration la plus parlante et la protection de la liberté académique américaine ne résiste pas à de tels assauts. Ce rapport de force ne viendrait-il pas aussi, pour partie, du premier amendement sur l’autorisation du port d’arme (et donc l’autorisation de s’en servir), qui fait naturaliser dès le plus jeune âge une possibilité de comportements violents (la possibilité d’éliminer quelqu’un d’autre) ?
19Rien de tel dans le modèle français n’explique, au premier abord, cette perméabilité à la culture américaine. Comment la comprendre ? Nous ne pourrons dans le cadre de cet article poursuivre ce questionnement mais disons que le manque d’étanchéité correspond généralement à l’ouverture d’une ou plusieurs brèches. Elle correspond aux orientations politiques prises par les gouvernements successifs contre l’avis des citoyens. L’exemple emblématique de cette marche forcée vers un modèle anglo-saxon, que les citoyens refusent, est l’adoption le Traité de Lisbonne, entré en vigueur en 2009, malgré un vote par référendum contre le Traité établissant une constitution pour l'Europe en 2005 (copie presqu’exacte du Traité de Lisbonne). Mais d’autres stratégies existent : la désinformation (Mathien, 2004 ; Breton, 2020) ou l’absence d’information. L’une des options pour pousser au changement de modèle de société est en effet de ne pas former à ce modèle.
20Les réponses des étudiants interrogés sur le métier d’enseignant-chercheur montrent qu’ils le connaissent mal et qu’ils n’ont pas été suffisamment formés à la liberté académique. Partant du postulat qu’une notion est acquise lorsque 80 % des étudiants d’une promotion (ici en 2e année de licence) la maîtrisent, notre hypothèse est confirmée pour une majorité d’items. Si quelques notions semblent néanmoins acquises, il n’est pas certain que l’impression de connaître un sujet corresponde réellement à un savoir. En effet, majoritairement convaincus qu’ils sauraient expliquer ce qu’est la laïcité, les étudiants se trompent sur des éléments de définition fondamentaux. Dans une prochaine recherche, il faudrait approfondir leur connaissance de ce que signifie la gestion démocratique des universités (78 % disent savoir que l’université doit être gérée de façon démocratique – question 11).
21Notre analyse nous incite à établir une relation causale entre le défaut de connaissance du métier d’enseignant-chercheur et la pénétration de la culture universitaire américaine de la censure, due en partie au multiculturalisme, dans les établissements d’enseignement supérieur français. Pourtant, cette relation ne va pas de soi. Le modèle français devrait immuniser les universités contre les atteintes à la liberté académique propres à une conception américaine des rapports sociaux, antagonistes à ceux que la France a légalement organisés. Le manque de résistance en France pourrait cependant s’expliquer à la fois par un manque de formation au modèle français, au-delà de la seule université, et par un manque de volonté de formation au modèle français, au profit d’une adoption progressive du modèle nord-américain.