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AccueilNuméros103La déconnexion… C’est gratuit ?

La déconnexion… C’est gratuit ?

Logout… it’s free ?
La desconexión... ¿es gratis?
Françoise Armand et Pierre-Michel Riccio
p. 18-27

Résumés

Après un rapide tour d’horizon de la typologie des modes de déconnexions des outils de télécommunications (téléphone, tablette, ordinateur,…). Nous envisageons la déconnexion sous un angle économique. En effet, le flux économique sous-jacent que générent les données et les traces laissées sur les réseaux numériques ont une énorme valeur marchande pour les entreprises et les états.

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Texte intégral

1Internet place au centre des débats un large ensemble de questions : les fausses rumeurs, la temporalité, l’ubiquité virtuelle, la gratuité des informations et des applications, l’utilisation des données personnelles à des fins commerciales, le droit d’auteur, la validation de l’information. Chacun de nous se positionne, jour après jour, et au cas par cas, sur ces sujets à travers ses pratiques et usages, comme également à travers des discours d’accompagnement.

2Commençons par une petite histoire pour illustrer la difficulté que nous avons tous à questionner nos pratiques, y compris lorsqu’on est un usager exceptionnel tel que l’artiste belge Stromae.

  • 1 Carmen, extrait du deuxième album de Stromae, Racine carrée, 2013.

3Dans un article paru en 2015, Anne-Claire Ruel conseillère en stratégie d’opinion et enseignante à l’Université Paris xiii commente la sortie du nouveau clip qui accompagne la chanson Carmen1 du chanteur belge Paul Van Haver, dit Stromae, centrée sur l’addiction aux réseaux sociaux en questionnant l’idée d’une décroissance numérique : « Nous ne dialoguons plus avec nos proches, nous ne cherchons plus à les découvrir et les aimer, plongés que nous sommes dans la lecture frénétique et compulsive de nos notifications Facebook, Twitter, Pinterest, Periscope et autre Instagram. » (Ruel, 2015). On voit immédiatement les bénéfices médiatiques qu’un artiste soucieux de son image éthique tel que Stromae peut tirer d’un texte résumé ainsi par ces quelques phrases.

4Mais, si l’on fouille dans l’histoire de cet artiste, nous constatons qu’il a utilisé les réseaux sociaux de façon intensive et ce depuis longtemps. Au début de sa carrière il a diffusé des tutoriaux « Les leçons de Stromae » via Youtube puis il a utilisé habilement cette même plateforme pour lancer son premier single qui avait été annoncé via Facebook et diffusé uniquement sur internet. Nous pouvons ajouter à cela un puissant merchandising de produits dérivés avec une ligne de vêtements via son site web mosaert.org. Ce site arrive d’ailleurs en tête de liste lors d’une recherche sur internet avec le mot clé stromae, ce qui traduit une utilisation fine du référencement.

5Ce long préambule pour imager la puissance économique des données qui circulent sur internet et qui est parfois dissimulée derrière des discours convenus et des postures. Cette histoire en deux temps décrit notre difficulté à mesurer nos usages et pratiques au regard de leurs conséquences économiques. Si aujourd’hui nous sommes globalement informés du fait que nous produisons des données et que cette production collective représente une forte valeur économique. Cette connaissance est parfois vague, elle nous arrive souvent sous forme de rumeur catastrophiste aux relents de complot planétaire. Quoiqu’il en soit, cette économie existe et soutient l’existence même d’internet.

L’économie comme facteur d’indexation des données 

6La connaissance est diffractée par internet qui déconstruit toutes les indexations historiques connues principalement basées sur la chronologie, la sémantique, les ontologies. Aujourd’hui dans les pages de résultats des moteurs de recherche, se côtoient des textes anciens de philosophes patentés et des blogs sur des sujets divers et variés, les « fake news » alternent avec les dépêches afp, sans hiérarchie apparemment rationnelle. Depuis l’avènement des moteurs de recherche, cette déstructuration du rangement a été analysée. L’indexation selon des principes millénaires, utilisée pour classer les papyrus dans la bibliothèque d’Alexandrie est remise en question par les algorithmes de recherche basés sur l’occurence des mots-clés, sur la chronologie et également sur des données économiques. Ainsi la question économique est toujours sous-jacente, elle est complexe et avance quelquefois masquée, et pour toutes ces raisons, nous intrigue. Dans cet article nous aborderons la question de la déconnexion à l’aune de son poids économique.

7Avant de voir plus en détail ce que la déconnexion implique en termes économiques, refaisons un tour d’horizon de la typologie des différents modes de déconnexion.

La déconnexion aux mille visages

  • 2 Soirée di*/zaïn organisée par les Designers interactifs, 22 juin 2016, <https://graphism.fr/la-dern (...)
  • 3 Xavier de la Porte est rédacteur en chef de Rue89 et a chroniqué, tous les matins sur FranceCulture (...)

8De place de place, un certain nombre de chercheurs d’un côté et d’usagers-bloggeurs de l’autre tentent une typologie des divers types de déconnexion. Francis Jauréguiberry propose une définition générale de la déconnexion qui « n’est jamais définitive, mais toujours ponctuelle, partielle et située dans des contextes où “trop” est trop, où “encore” ne fait plus sens et où “plus” devient insupportable… Il ne s’agit pas de renoncer aux tic, mais d’essayer d’en maîtriser l’usage en instaurant des coupures, des sas temporels, des mises à distance. Il semble que nos contemporains fassent en la matière [déconnexion] preuve d’un savoir-faire de plus en plus original au fur et à mesure que les tic se complexifient. » (Jauréguiberry, 2014). Au cours de la soirée di*/zaïn2, Xavier de la Porte3 fait une introspection joviale et pertinente de sa propre expérience où il rend compte de son expérience de ne pas avoir de smartphone alors qu’il est journaliste, spécialisé dans les usages d’internet et qu’on s’attend logiquement à ce qu’il soit sur-connecté.

Déconnexion militante

9Dans ce cas très précis, on souhaite, paradoxalement, que notre déconnexion soit publique qu’elle soit diffusée sur les réseaux sociaux. On veut fournir une explication, une justification de son acte qui fait alors acte pédagogique. On construit un discours pédagogique plus ou moins militant et puis on disparait, en apparence tout au moins, puisque nos données laissent une trace au sein des serveurs mondialisés. Traces qu’on ne peut totalement effacer.

Déconnection programmée et située

  • 4 fomo : Fear Of Missing Out.

10Dans une démarche qu’on souhaite très maîtrisée, on donne des limites à notre connexion : en fonction du temps et du contexte. On se dit « pas de mail pro après 20h », « pas de fb le week-end », « pendant les vacances : instagram et c’est tout », « linkedIn, deux fois par jour en ce moment parce que je cherche un emploi », « j’arrête facebook parce que je me suis trop faite insulter »… Pour Mary-Jane Kwok-Choon « Les formes de déconnexion privées sont des conduites de préservation » (Kwok-Choon, 2016) et ceci va aussi dans le sens de la loi. Mais la connexion est un acte de sociabilisation, alors la peur d’avoir manqué quelque chose (fomo)4 de ne plus être visible, de ne pas participer aux discussions, nous pousse à nous reconnecter.

Déconnexion payante

11Via un certain nombre de médias, le mot addiction a été rapidement adossé au mot connexion, ce qui a conduit à un mouvement d’intérêt d’abord, puis de panique (on est dans le cadre d’une maladie) puis à l’émergence de solutions de thérapie, puisque maladie il y a, sous forme de séjours de type digital detox. D’un week-end en Bretagne à 350 € sans téléphone, sans portable ni tablette à une semaine en Corse pour 1800€, les offres se multiplient. Certains auteurs désenchantent cette dramatisation en montrant qu’être dépendant n’est pas équivalent à être addict. Serge Tisseron ne transige pas : « Cette offre [digital detox] repose sur une mystification, car il n’y a pas d’addiction au numérique mais simplement une pression sociale. Elle ne constitue donc pas un sevrage. » (Tisseron, 2013). Même si cet aspect, qui concerne probablement peu de gens, peut paraître anecdotique ici, il n’en reste pas moins que ce nouveau business est florissant et qu’il s’est rapidement développé à partir de l’observation de nouveaux usages.

12Plus problématique est la déconnexion des services en ligne tels que les impôts, les banques, les assurances,… pour lesquels il faudra (faut) payer pour ne pas les utiliser. Evgeny Morozov dans son article « Le prix de la déconnexion » note de façon lapidaire : « Payez et vous pourrez jouir des libertés que vous teniez autrefois pour acquises. » (Morozov, 2017).

Déconnexion, droit et devoir

13Depuis janvier 2017, l’article 55 de la loi Travail astreint les entreprises à mettre en place une régulation des usages des outils numériques. Contre l’injonction puissante de travailler en dehors des heures normales sous le prétexte que la technique le permet, cette loi est là pour assurer « le respect des temps de repos et de congés ainsi que l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle et familiale ». D’une certaine façon, et à front renversé, cette loi avalise le fait que l’on peut (on doit ?) être toujours connecté (Morozov, 2017). Si vous devez passer par le droit pour vous déconnecter, c’est que la connexion est naturelle. C’est ce qui peut créer une fracture entre ceux qui vont revendiquer l’application de la loi et ceux qui ne le feront pas. La régulation des usages nécessite certes un passage par des règles et des lois, mais la pression sociale agit bien au-delà. La culture et la pédagogie sont les deux armes qui peuvent nous aider dans notre apprentissage raisonné des technologies numériques.

Déconnexion endogène

  • 5 devotic : Déconnexion Volontaire aux Technologies de l’Information et de la Communication

14C’est l’archétype du non-usager (Wyatt, 2010), le refractaire ou l’utilisateur très ocassionnel décrits dans l’étude devotic5 (Jauréguiberry). Nous sommes ici dans un cas différent de celui d’une déconnexion militante. Il s’agit là d’un rejet global pas forcément conceptualisé ni argumenté. Que dire de la disctinction entre non-usage et déconnexion ? Fabien Granjon dans Le « non-usage » de l’internet : reconnaissannce, mépris et idéologie, fait une typologie des non-usagers sous l’angle de nos imaginaires sociaux liés aux développements technologiques (Granjon, 2010). Il s’inspire de différents travaux et classe les non-usagers en 4 catégories : les abandonnistes volontaires (rejecters) qui n’utilisent plus internet par choix personnel, les abandonnistes involontaires (expelled) qui ont cessé de l’utiliser involontairement, les exclus (excluded) qui manquent de moyens techniques ou économiques et enfin les résistants (resisters) qui n’ont jamais utilisé internet par choix.

Déconnexion subie, ostracisation numérique

  • 6 Le « ghosting » n’est pas une nouveauté en matière de rupture de relations mais se développe fortem (...)

15C’est plutôt dans le domaine des relations amoureuses que ce phénomène existe. Du ghosting (faire le mort, ne plus répondre aux sollicitations6) au breadcrumbing (miettes digitales). Il existe plusieurs façons de subir une déconnexion. Clémentine Gallot, dans un savoureux article dans Liberation.fr, décline ces nouvelles formes qui ne sont plus du tout volontaires mais subies : du coup de ciseau net, à l’effilochage savant (Gallot, 2017).

  • 7 Paroles de chauffeurs d’Uber: entre précarité et déconnexions forcées, ladepeche.fr, lundi 14 août (...)

16Moins glamour et socialement beaucoup plus violent, les chauffeurs Uber peuvent être semble-t-il déconnectés de la plateforme centrale, mis à pieds de façon instantannée. L’un d’eux raconte « j’ai été déconnecté le premier jour où j’ai travaillé avec Uber, après cinq courses. Au début, il suffit qu’un client vous mette une note de 1 sur 5 pour faire chuter votre moyenne et que vous soyez déconnectés »7.

Déconnexion par « submersion » ou « inondation »

17On est ici à la marge du concept de déconnexion. Si quelqu’un souhaite qu’une information sensible qui apparaît sur un site (et qu’il ne peut pas retirer) devienne invisible, il la dissimule en multipliant les informations non pertinentes. Ainsi l’internaute est noyé sous un flot d’informations et ne peut pas identifer avec précision l’information pertinente. L’internaute est passif, il subit une stratégie de masquage de l’information un peu comme dans la lettre volée d’Edgar A. Poe. Même si les données qui lui seraient utiles sont sous ses yeux elles sont perdues dans un océan de données parasites. On ne peut parler de déconnexion stricto sensu, mais il serait intéressant d’appréhender cette question d’un point de vue un peu décalé.

Scansion située, un balancement nécessaire entre connexion et déconnexion

18Cette rapide cartographie ainsi que celles qu’on trouve dans la littérature, font état d’une relation au temporel et au contexte. On définit une déconnexion en terme de temps et de situation ; une heure, un week-end, des vacances, une soirée au théatre, une fatigue informationnelle... On le voit, la déconnexion fait naître une scansion vitale. Pris dans nos multiples contextes culturels et sociaux nous ressentons la nécessité de cette rythmique, cette respiration. Ce balancement est probablement une respiration vitale qu’il faut apprendre. La scansion, la respiration, le rythme de l’alternance déconnexion/connexion a des conséquences sur la quantité et la qualité des données émises et donc recueillies.

19Si je me dispense de facebook et twitter pendant une heure tous les jours, il y aura des conséquences essentiellement pour moi et ma satisfaction à maîtriser mon temps de connexion. Par contre se déconnecter de façon massive, à l’échelle d’une ville, d’un pays, entrainerait des conséquences diverses et en particulier dans le domaine économique. Rappelons la grève de géolocalisation des taxis Uber, pour protester contre le fait que les distributions de courses et les tarifs étaient calculés à partir de toutes les données géolocalisées de l’ensemble des taxis. Rappelons que des entreprises du web sont cotées en bourse (ce jour l’action Meetic vaut 18,87 €).

20L’internaute navigue, se déplace de site en site et laisse des traces de son passage. Les traces numériques, celles que l’on laisse en conscience et celles qui sont récupérées à la volée par le simple fait de notre passage sur un site ou par la localisation de notre portable, ces traces transformées en données représentent un flux économique gigantesque et qui reste relativement masqué aux yeux des usagers. Que pourrait être l’impact d’une déconnexion massive sur le plan économique ?

Déconnexion : arme économique à double tranchant

21Que se passe t-il pour les marchands de données lorsqu’un individu ou des millions d’individus se déconnectent ? Dans un article récent, Le prix de la déconnexion, Evgeny Morozov décline de façon pertinente les tenants et aboutissants économiques de l’acte de déconnexion. Il nous pousse à questionner notre rôle dans une économie mondialisée. De quoi fait-on l’économie lors d’une déconnexion ?

22La connexion aux appareils numériques, du téléphone à l’ordinateur personnel en passant par l’ensemble des devices possibles, est d’abord matérielle. Cette étape qui mériterait en soit une étude d’usages est parfois semée d’embûches mais une fois passée, l’usager commence à naviguer sur/dans le web.

23S’en suivent des actions volontaires de contacts, lectures, achats, discussions, au travers de réseaux sociaux, sites de ventes/ d’échanges, blogs, plateformes de partage… On avance facilement en évitant de lire les conditions générales d’utilisation ou de vente et autres mentions légales. Contrairement à la connexion, la déconnexion n’a d’autre but qu’elle-même. En effet on se connecte pour surfer, chatter, faire des mails, lire, écrire, voir, apparaître dans le monde digital… mais on se déconnecte pour faire… on ne sait quoi ?

24Nos données éparpillées sous forme de traces font de nous des produits. Nous produisons des informations dans un format contraint par l’architexte du site, pour faciliter leur récolte, qui seront ensuite investies de sens via des outils de fouille de données. Là, advient un changement de paradigme pour l’internaute. Comme le dit Laurent Chemla « Si vous êtes le produit, alors ce n’est pas gratuit. » (Chemla, 2016) en réponse au célèbre et faussement évident « Si c’est gratuit, vous êtes le produit ». Si je donne des informations pour faire un achat, ou si je produis un texte qui va être gratifié de likes, de retweets, je suis dans un échange de type don/contre-don (Mauss, 1925) ou sous forme de contribution-rétribution (Gomez-Meija, 2016). Toute la question est de savoir ce que chacun met dans les plateaux de la balance. En donnant gratuitement des informations personnelles nous contribuons à alimenter des bases de données.

25La rétribution est alors de deux ordres :

  • rétribution sociale imaginée / souhaitée par l’internaute qui en déposant un certain nombre de données sur un site, attend un renforcement de son lien social avec les habitants du site, un espoir de reconnaissance de leur part,

  • rétribution d’ordre économique puisque la revente de données à des sites marchands permet en contrepartie d’accéder gratuitement à du contenu, des jeux, des vidéos, ...

26Nous pouvons le voir, en-deçà des échanges manifestes, que nous avons plus ou moins le sentiment de maîtriser, il y a les échanges latents qui constituent l’économie numérique au sens de la marchandisation des données.

27Le modèle économique d’internet est basé, pour sa plus grande part, sur les régies publicitaires et sur le commerce des données personnelles. Donc une déconnexion massive peut représenter un enjeu important.

  • 8 Le poids économique de la « déconnectique » offre un champ d’études à explorer.
  • 9 Laurent Lefévre, chercheur à l’inria, propos recueillis dans l’article de Pierre Guyot, Usbek & Ric (...)
  • 10 Voir l’infographie sur le site WordlessTech, « The Cost of Powering the Internet », 25 novembre 201 (...)
  • 11 Aymeric Esqué, « Combien valent vos données personnelles ? », <http://e-delit.com/prix-2/combien-va (...)

28Dans l’acte économique de la déconnexion, il y a le prix de la  déconnectique. Qui n’a pas dans ses placards, tiroirs et autres valises en carton des tas de cordons, câbles, prises, pc au rebut, téléphones cassés ou dépassés8 ? Pour parler uniquement d’écologie et pour ne donner qu’un seul exemple, reprenons l’image donnée par Laurent Lefevre9 « Envoyer 33 mails d’1 Mo à 2 destinataires agit autant sur l’effet de serre que de rouler en voiture pendant 1000 km » ! Sur ce même sujet, le site WordlessTech10 dressait en 2012 un panorama édifiant sur les dépenses énergétiques d’internet, panorama que l’on pourrait facilement extrapoler dans notre contexte contemporain. En dehors de ces coûts énergétiques, la commercialisation des données et les revenus publicitaires représentent une valeur qui semble incommensurable tant les informations sur ce sujet sont vagues. Même si on estimait votre profil Facebook à 6 $ il y a 3 ans11, les data brokers et les gafam (Google-Apple-Facebook-Amazon-Microsoft) ne sont pas enclins à partager cette information sensible.

29Imaginons qu’un grand nombre d’internautes se déconnectent, comme cela a déjà été fait par les usagers du réseau électrique, l’économie réelle ou fantasmée liée au commerce des données vacillerait. Un manque à gagner pour les marchands de données qui utilisent notre servitude volontaire. La participation volontaire ou non à l’économie numérique via le nombre de clics, via la marchandisation des données légale ou pas, est une question complexe.

30La déconnexion n’est pas un acte à part entière, hors sol, il est lié aux différents modes d’inscription ou d’abonnement aux sites. Chacun en fait l’expérience, une désinscription d’un site n’est pas aisée, sans parler des désinscriptions aux courriers-spams qui relèvent parfois d’un cauchemar kafkaïen. Des internautes vigilants œuvrent pour faciliter les désabonnements, on l’a vu avec Facebook par exemple. Chaque site veut retenir ses clients de façon plus ou moins habile (voir par exemple le site sfr qui crée à chaque client une nouvelle adresse courriel en @sfr). Plus on est pris dans la toile, plus on est abonné/ client/ follower-followé/ influenceur/ informé via les réseaux numériques, plus il est difficle de s’en déconnecter car il faut alors renoncer à un grand nombre de services, d’interactions sociales, d’informations. Et d’ailleurs si l’on saisit l’expression « combien coûte la déconnexion ? » dans un moteur de recherche, on n’obtient pas de réponse ou alors a contrario des réponses concernant « le coût d’une connexion » ! Par contre, on a une foule de réponses pertinentes à la question directe « combien coûte la connexion ? ».

Conclusion

31Se déconnecter coûte cher d’un point de vue psycho-social lorsqu’on s’intéresse au comportement d’un individu. On a vu que l’acte de déconnexion est simple d’un point de vue matériel mais le désabonnement aux sites qui nous utilisons est plus complexe par ses répercussions économiques et sociales. Comme le conseillait Etienne de la Boëtie dans la conclusion du Discours sur la servitude volontaire, « Apprenons donc enfin ; apprenons à bien faire ». La solution pour essayer de comprendre nos usages au regard des promesses et des imaginaires que nous proposent la technologie est probablement d’enseigner quelques notions d’économie numérique très tôt dans le développement de l’internaute.

32Aujourd’hui les technophiles pensent qu’apprendre le code informatique aux écoliers va leur permettre de maîtriser les échanges sur les réseaux numériques et d’en comprendre du même coup les enjeux économiques, sociaux et politiques. Si l’apprentissage du code sert à comprendre la logique des langages informatiques, ce qui n’est déjà pas rien, il ne faut pas en rester là.

33Savoir comment fonctionne un téléviseur n’a jamais permis au téléspectateur d’avoir du recul sur les images télévisées qu’on lui propose. Par contre, l’histoire de l’art, la philosophie et la sémiologie sont aptes à nous aider, nous encourager à décrypter ces images. Ce type d’apprentissage n’a malheureusement pas été programmé par l’éducation nationale au moment de l’avènement de la télévision. Va-t-on faire la même erreur pour la compréhension des outils numériques, des pratiques et usages, et des multiples enjeux qui s’y rattachent ?

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Bibliographie

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Chemla Laurent, 2016, « Si vous êtes le produit, ce n’est pas gratuit. », La Quadrature du net, août, <https://laquadrature.net>.

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Gallot Clémentine, 2017, « Le breadcrumbing, nouveau fléau amoureux », liberation.fr, 7 fév.

Gomez-Meija Gustavo, 2016, Les fabriques de soi. Identité et industrie sur le web, Edition MkF.

Granjon Fabien, 2010, « Le “non-usage” de l’internet : reconnaissance, mépris et idéologie », Questions de communication, n° 18, 37-62.

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Jeanneret Yves, 2008, Penser la trivialité. 1. La vie triviale des êtres culturels, Paris, Lavoisier Hermès,

Jauréguiberry Francis, 2014, « La déconnexion aux technologies de communication », Réseaux, n° 186, 15-49, <http://www.cairn.info/revue-reseaux-2014-4-page-15.htm>.

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WordlessTech,, 2012, The Cost of Powering the Internet, <https://wordlesstech.com/the-cost-of-powering-the-internet-infographic/>, November 25.

Wyatt Sally, 2010, « Les non-usagers de l’internet. Axes de recherche passés et futurs », Questions de Communication, n° 18, 21-36.

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Notes

1 Carmen, extrait du deuxième album de Stromae, Racine carrée, 2013.

2 Soirée di*/zaïn organisée par les Designers interactifs, 22 juin 2016, <https://graphism.fr/la-derniere-soiree-dizain-28-deconnexions/>.

3 Xavier de la Porte est rédacteur en chef de Rue89 et a chroniqué, tous les matins sur FranceCulture, l’actualité numérique puis sur Radio Nova et sur France Inter.

4 fomo : Fear Of Missing Out.

5 devotic : Déconnexion Volontaire aux Technologies de l’Information et de la Communication

6 Le « ghosting » n’est pas une nouveauté en matière de rupture de relations mais se développe fortement grâce aux nouvelles technologies de la communication.

7 Paroles de chauffeurs d’Uber: entre précarité et déconnexions forcées, ladepeche.fr, lundi 14 août 2016.

8 Le poids économique de la « déconnectique » offre un champ d’études à explorer.

9 Laurent Lefévre, chercheur à l’inria, propos recueillis dans l’article de Pierre Guyot, Usbek & Rica.

10 Voir l’infographie sur le site WordlessTech, « The Cost of Powering the Internet », 25 novembre 2012.

11 Aymeric Esqué, « Combien valent vos données personnelles ? », <http://e-delit.com/prix-2/combien-valent-vos-donnees-personnelles/>.

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Pour citer cet article

Référence papier

Françoise Armand et Pierre-Michel Riccio, « La déconnexion… C’est gratuit ? »Sciences de la société, 103 | 2019, 18-27.

Référence électronique

Françoise Armand et Pierre-Michel Riccio, « La déconnexion… C’est gratuit ? »Sciences de la société [En ligne], 103 | 2019, mis en ligne le 01 mai 2020, consulté le 22 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/sds/9676 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sds.9676

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Auteurs

Françoise Armand

lgi2p, imt Mines Ales, Université de Montpellier, francoise.armand mines-ales.fr

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Pierre-Michel Riccio

Professeur de l’Institut Mines Télécom, lgi2p, imt Mines Ales, Université de Montpellier, pierre-michel.riccio mines-ales.fr

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Droits d’auteur

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