La Réforme des armées en France, B. Irondelle
Bastien Irondelle, La Réforme des armées en France, Presses de Sciences Po, Paris, 2011, 217 p.
Texte intégral
1Jacques Chirac devient président de la République le 17 mai 1995, le 22 février 1996 il annonce la fin du service militaire obligatoire. Comment s’est élaborée cette décision qui rompt avec la tradition du soldat-citoyen instaurée en 1905 et qui, selon certains commentateurs, a permis aux français de résister en 1914 à la pression des armées allemande et autrichienne ? C’est à cette question que ce livre tente de répondre, par l’analyse du processus d’élaboration du Livre blanc de la Défense nationale de 1994 et des délibérations du Comité stratégique de la Défense, en 1994 et 1995. Ces travaux s’appuient sur un nombre important d’entretiens avec des responsables militaires, civils, experts, administrateurs et politiques qui chacun ont participé à ce dispositif institutionnel (110 personnes interrogées).
2Quelle situation conduisait à cette décision présidentielle ? Le début des années 1990 est marqué par deux événements majeurs en matière militaire : la chute du mur de Berlin à la fin de la décennie précédente, donc l’arrêt, faute de combattants, de la guerre froide, et l’invasion du Koweït par l’Irak, menant l’Occident à déclarer la première guerre du Golfe. Ces deux événements créent des conditions de césure dans la politique française de Défense : la victoire des occidentaux sur le Pacte de Varsovie rend partiellement obsolètes la stratégie nucléaire de dissuasion et la nécessité d’avoir une armée numériquement importante à opposer à la ligue adverse. La première guerre d’Irak avait montré une capacité de projection des troupes françaises et de mobilisation de combattants plus faible que celle des Britanniques, lesquels n’avaient pas de conscrits. Ce fait avait été souligné à Jacques Chirac par deux de ses conseillers militaires, Pierre Lellouche et François Fillon, dont l’auteur souligne l’anglomanie d’alors.
3Un troisième élément favorisant la césure est le contenu du traité de Maastricht, dont les effets se font sentir dès 1993, obligeant à rompre « le consensus inflationniste » qui avait permis l’équipement régulier de l’armée française et l’essor de son industrie d’armement. Ainsi, comme le dit un des auteurs cités « L’instauration d’une armée de métier n’est pas une surprise sociologique » (p. 17).
4Mais ce livre veut combattre cette apparence qui fait du chef de l’État le décideur suprême d’une politique qui, en quelque sorte, s’impose à lui. D’où la multiplication des entretiens et le contenu très détaillé des processus préparant la décision présidentielle. La narration de cette dynamique témoigne d’une unité de vue des rédacteurs du Livre blanc et du président François Mitterrand autour d’une armée mixte (conscrits et soldats de métier) et le ralliement progressif du ministère de la Défense aux vues de Jacques Chirac sur une armée seulement professionnelle.
5Bastien Irondelle présente son livre comme celui qui « renouvelle l’étude de la politique de défense française après la guerre froide en étayant plusieurs thèses inédites » (p. 29). Il combat pour cela les thèses qui minimisent la décision, thèses qui cherchent à priver le président du pouvoir de choisir, soit en attribuant la décision à la bureaucratie, soit en postulant que « la décision est dissoute dans l’action collective » (p. 19). De même, son analyse montre que les décisions étatiques sont des compromis entre les différentes logiques des secteurs publics. Enfin que les décisions présidentielles ne sont pas prises comme dans une épopée romantique par un homme seul, enfermé dans son cabinet, mais sont préparées par des groupes informels dont les membres peuvent s’ignorer mais qui aboutissent aux mêmes conclusions.
6Ces thèses sont éparpillées dans le texte et discutées à l’occasion d’un fait, sans les souligner, car la construction du livre ne s’y prête pas : il est sans conclusion mais avec une introduction qui pourrait être conclusive, tant le niveau d’abstraction suppose la lecture du reste du livre pour être tout-à-fait comprise. Et il se dégage à sa lecture l’impression d’une construction en spirale, où les mêmes thèmes, les mêmes personnages et attributs reviennent régulièrement. Comme si l’auteur n’avait pas su trouver un ordre d’exposition où la pensée et les apports conceptuels progressent.
7Certes, la lecture de l’ouvrage fait prendre conscience de la complexité de la prise de décision dans le domaine militaire, ainsi que les manœuvres des responsables pour éviter, dans les lieux d’influence, la présence d’adversaires déterminés de la mutation désirée ; et l’habile utilisation de termes polysémiques — ici, professionnalisation — pour créer le consensus sur un malentendu. Mais les défauts du livre semblent réduire sa portée à celle de prolégomènes d’un futur texte, clair, pédagogique et bien écrit, sur la dynamique de la réforme administrative, dans le domaine militaire ou civil.
Pour citer cet article
Référence papier
Pierre Tripier, « La Réforme des armées en France, B. Irondelle », Sociologie du travail, Vol. 55 - n° 3 | 2013, 403-404.
Référence électronique
Pierre Tripier, « La Réforme des armées en France, B. Irondelle », Sociologie du travail [En ligne], Vol. 55 - n° 3 | Juillet-Septembre 2013, mis en ligne le 29 juillet 2013, consulté le 12 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/sdt/11276 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.11276
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