1À quelles sources d’informations puisent les parents, et notamment les mères, pour élaborer leurs choix éducatifs et en matière de soins auprès de très jeunes enfants ? Et qu’est-ce qui les rend « plus ou moins dociles face aux arguments d’autorité émanant de certains prescripteurs » (p. 8) ? Comment composent-ils leurs préférences entre conseils provenant des familles, des professionnels de la petite enfance et des sources écrites ? Telles sont les principales questions auxquelles ce livre tente de répondre, en accordant une place prépondérante aux mères, en tant que principales responsables des tâches domestiques et des soins aux enfants, et principales destinataires des interventions des professionnels. La notion de métier renvoie ici « aux différentes expériences sociales de la maternité » (p. 13). Les tâches en matière d’alimentation retiennent en particulier l’attention de l’auteur qui s’intéresse à la constitution de compétences maternelles et de savoir-faire, au gré de modèles et contre-modèles expliqués en rapport avec la classe sociale d’appartenance, celle d’origine et en fonction de la trajectoire sociale.

2L’auteur montre en premier lieu la force de la transmission familiale, et la préférence pour les conseils en provenance de la mère (plutôt que de la belle-mère). Se distinguent toutefois les situations de reproduction sociale, où la transmission familiale est forte, et les situations d’ascension sociale marquées par une rupture, les transfuges souhaitant le renouvellement des pratiques éducatives en recourant à d’autres sources. Évoluant entre mode et application de références scientifiques nouvelles, les « modèles savants » se font également prégnants. Dans les classes supérieures, ils s’établissent davantage en continuité avec le modèle familial. Mais dans les classes modestes, légitimité scientifique et légitimité pratique entrent en concurrence. L’auteur présente trois logiques maternelles contemporaines :

• le modèle « au feeling », qui compose avec les deux sources de conseils, de façon complémentaire, valorisant la spontanéité, est plus fréquent dans les classes supérieures ;

• le modèle « à l’ancienne » caractérisé par le primat des conseils d’origine familiale est davantage prisé par les mères de classes sociales très modestes ;

• le modèle « à la lettre » caractérisé par le primat des « interlocuteurs savants » qui est davantage le fait des femmes en ascension sociale.

3Cette tentative de généralisation n’interdit pas la présentation de variantes : être mère et soi-même professionnelle de la petite enfance (ce qui permet de montrer la pluralité des normes professionnelles) ; préférer sa belle-mère à sa mère ; l’importation dans les normes professionnelles actuelles de normes anciennes venues d’ailleurs (portage, massage, etc.). Le recours à des sources livresques dépend lui aussi de la trajectoire et de l’appartenance sociales des mères : les femmes d’origine populaire sont « perturbées par le constat d’écarts » entre la singularité de leur expérience et ce qui est décrit dans le livre (p. 101) tandis que les femmes des classes moyennes et supérieures en font un usage davantage pragmatique.

4Dans tous les cas, les mères se sentent tenues de devoir justifier leurs pratiques, surtout si elles se sentent non conformes. La culpabilité affleure très rapidement au cours des témoignages. Mais la force de l’expérience, soit dans sa jeunesse, soit au fil des naissances de ses propres enfants, apparaît nettement comme facteur d’autonomie, comme le montre le chapitre 4. Enfin, le dernier chapitre s’interroge sur les enjeux sociaux du modèle de la « bonne mère » disponible : modèle normatif qui ne tient pas compte de la diversité des situations en termes de conditions de vie et de logement, de contraintes temporelles, professionnelles et budgétaires. La disponibilité à l’enfant est notamment abordée à travers la pratique de l’allaitement. Les normes changent. La diversité des positions des mères à l’égard de cette pratique est rendue dans toute sa complexité, ses paradoxes, entre bien-être pour l’enfant et risque d’enfermement domestique.

5Ce livre nous permet un tour d’horizon tout à fait intéressant des enjeux sociaux des pratiques maternelles contemporaines. L’auteur aurait pu préciser quelques points toutefois : la notion de métier, qui apparaît dès le titre, mériterait d’être réinterrogée, entre référence à la vocation et à la profession. De même, la notion de « norme dominante » en matière de puériculture est d’emblée supposée connue par le lecteur. Or quelques descriptions et définitions initiales permettraient de mieux en clarifier les traits. Enfin, convoquer la sociologie de la famille et celle du genre auraient permis de mettre davantage en relation maternité et conjugalité, et d’affermir la grille de lecture en termes de trajectoire sociale.