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AccueilNumérosVol. 55 - n° 1Comptes rendusLa Société civile dans les cités ...

Comptes rendus

La Société civile dans les cités : engagement associatif et politisation dans des associations de quartier, C. Hamidi

Economica, Paris (2010). 230 p.
Anni Borzeix
p. 127-130
Référence(s) :

Camille Hamidi, La Société civile dans les cités : engagement associatif et politisation dans des associations de quartier, Economica, Paris, 2010, 230 p.

Texte intégral

1Les associations — l’une des composantes majeures de la société civile — sont-elles des passerelles vers la société politique ? Des écoles de démocratie ? Des lieux d’apprentissage du débat public ? Dans quelles circonstances et pour qui ? Telles sont les questions soulevées par Camille Hamidi dans son livre La Société civile dans les cités. Pour y répondre, elle a choisi de mener une enquête intensive en participant, il y a une dizaine d’années (entre 1998 et 2000), à la vie de trois associations locales de jeunes issus de l’immigration maghrébine : l’une à Saint-Denis, durant 2 ans, et les deux autres à Nantes, durant 9 mois. La taille réduite de cet échantillon, celle des effectifs d’adhérents rencontrés, la spécificité de la population suivie et l’absence d’objectifs directement politiques des associations choisies (il s’agit d’activités à vocation sociale, culturelle ou sportive) pourraient être trompeurs. L’ouvrage n’a rien d’une succession de monographies descriptives. Il garde le cap de cet objet théorique qu’est « l’articulation entre société politique et société civile », abordé à partir des mille et une facettes qu’éclaire chacune de ces trois études de cas.

2Comment ? L’argumentation s’appuie sur une littérature abondante (et internationale) réunie et traitée en vue d’une thèse soutenue en science du politique, dont le livre est issu et porte la trace. Ce socle conceptuel robuste sert de boussole, de cadrage et de problématique à l’auteur, tout au long de son enquête de terrain, pour observer, interroger et organiser la discussion autour des matériaux empiriques récoltés : que se passe-t-il au juste à l’intérieur de ces associations, au cœur de ces boîtes noires ? Il existe peu d’études micro-sociologiques des processus se déroulant au sein même des associations, encore moins d’études empiriques aussi fouillées sur le sujet, inscrites, comme elles le sont dans ce livre, dans une architecture intellectuelle fermement étayée. C. Hamidi s’obstine : les liens établis dans bon nombre de recherches entre engagement associatif et sphère politique valent-ils également pour des associations de ce type et pour ce type d’adhérents, majoritairement des jeunes femmes d’origine étrangère et de milieu modeste ? En marge des moments où les « quartiers » s’embrasent et où l’actualité prend le dessus, au-delà des vertus prêtées aux associations, cette interrogation a le grand mérite de concerner rien moins que l’avenir de la République.

3Après une présentation des terrains d’enquête, Les Gazelles insoumises, antenne en Seine-Saint-Denis des Beurettes 93, Nongo qui propose des ateliers de danse orientale comme moyen de favoriser le métissage et Attitude Cachemire, lieu de rencontre autour des activités de couture, l’ouvrage aborde trois grands sujets. Les raisons de l’engagement (partie 1), le fonctionnement associatif (partie 2) et l’hypothèse des associations comme lieux de politisation (partie 3).

4À propos des « Raisons d’entrer » (chapitre 2), Camille Hamidi opte pour une définition extensive de l’engagement (Howard S. Becker), une analyse diachronique, et refuse de choisir entre l’approche stratégique (Mancur Olson) et les tenants d’une approche identitaire. Ceci, afin de rester attentive à la pluralité des registres d’explication de l’engagement et de pouvoir reconstituer, dans une démarche de type inductif et au terme de son analyse, des « configurations d’engagement ». Trois entrées sont explorées, illustrées par des mini-portraits encadrés. Qui sont, objectivement, les adhérents côtoyés (catégorie socio-professionnelle, origine sociale, situation familiale, religion, rapport à la politique) ? Quelles sont les conditions de possibilité de leur engagement (disponibilité et ruptures biographiques, rôle des réseaux) ? Quelles sont, en troisième lieu, les raisons avancées par les acteurs eux-mêmes (proximité et/ou distance dans le rapport au public « aidé », conceptions de la solidarité, dimension identitaire de l’engagement) ?

5Le chapitre suivant (chapitre 3) décline les « Raisons de rester ». On trouve, entremêlés dans la pratique, des motifs variés : la recherche de liens de sociabilité (légère ou communautaire) ; la volonté de devenir « quelqu’un », d’être reconnu comme un acteur et celle d’aider autrui à en faire autant : « en donnant, les individus reconnaissent le bénéficiaire comme un être humain et, ce qui nous intéresse plus ici, ils se définissent également comme tels (p. 95) ; et enfin, la recherche de gratifications matérielles individuelles (débouchés professionnels, l’associatif comme substitut ou tremplin professionnel, l’acquisition de compétences). Cette approche par les configurations, estime l’auteur, a l’avantage de fournir une réponse plus satisfaisante à la question de l’articulation des raisons identitaires et stratégiques de l’engagement.

6Le fonctionnement associatif (chapitre 4) examiné dans la deuxième partie du livre est sans doute la contribution la plus stimulante du livre. La plus originale aussi car le tableau est assez accablant. Vues de près, les procédures de délibération et de décision observées sont assez éloignées des images d’Épinal d’un univers d’égalité et de relations horizontales ainsi que des critères énoncés par les théoriciens de la démocratie délibérative, tels que l’ouverture, la non-tyrannie et l’opportunité d’accès égale pour tous. Aucun de ces critères — ou presque — n’est vraiment respecté. L’analyse faite par C. Hamidi de ce fonctionnement « au concret » est convaincante par l’abondance de détails sur les décisions prises, sur les crises surmontées, sur les événements relatés. Elle est, on l’aura compris, sans complaisance : les petits groupes cumulent et conservent les sources d’autorité, ni l’accès ni la publicité des débats ne sont assurés, les statuts trop souvent modifiés sans consultation ni vote et les relations entre membres marquées par les inégalités et les tensions. Ce test empirique appuyé sur les observations précises de l’auteur fournit une liste documentée des principales entorses aux principes démocratiques : le contrôle de l’accès aux arènes délibératives, la restriction du contenu des débats aux problèmes matériels ou pratiques, la participation des adhérents aux tâches d’exécution. Le bilan de ces observations s’avère donc « en deçà », selon la formule de l’auteur, des attentes. Constat que vient tempérer (au chapitre 5) l’idée « d’effets indirects » : il peut arriver que la socialisation aux vertus démocratiques passe, pour quelques-uns, par la frustration, même si, globalement, les adhérents s’accommodent bien de cet « équilibre non participatif ». Où l’on voit que, contrairement à certaines idées tenaces, l’aspiration à la démocratie délibérative ou à la participation est loin d’être une tentation pour tous.

7Les deux derniers chapitres (partie 3) examinent l’hypothèse des associations comme des lieux de politisation, à l’échelle méso des interactions, d’abord, puis des trajectoires individuelles. Comme pour les parties précédentes, le procédé argumentatif adopté par C. Hamidi se déroule systématiquement selon les mêmes étapes : question, hypothèse, revue de la littérature, essentiellement en science politique, recherche de définitions (ici de la « politisation », plus haut, des notions « d’engagement » ou de « délibération »), et enfin, mises à l’épreuve des acquis scientifiques disponibles de son enquête de terrain dans le milieu social observé, celui des individus peu politisés investis dans des activités éloignées de la politique. Les deux éléments retenus par l’auteur pour témoigner d’une politisation (de cette population particulière) sont la référence aux principes généraux devant régir une société — la « montée en généralité » en termes boltanskiens — et la reconnaissance de la dimension conflictuelle des positions adoptées. Mais comment saisir la signification de l’expérience vécue par les membres ? Pour nourrir la compréhension des processus de politisation à l’œuvre, elle propose d’utiliser la notion goffmanienne de footing qui implique de retenir la compétence des acteurs eux-mêmes à définir l’interaction dans laquelle ils sont pris, son contexte et les règles du jeu. À cet aune, il semble que loin d’être des espaces propices à la politisation des discours et des pratiques (aux deux sens définis plus haut) l’engagement associatif peut au contraire se solder par un « évitement du politique », selon l’expression de Nina S. Eliasoph, quelle que soit la cause plus ou moins politique défendue.

8Au carrefour d’une sociologie de l’immigration, de l’action collective et de l’engagement associatif, cette recherche réussit à éviter le double écueil du misérabilisme et d’une représentation des jeunes des quartiers populaires en termes de « classe-objet », privés de parole. Mais il livre surtout une belle enquête empirique, bien maîtrisée grâce au dialogue systématique qu’il entretient avec les travaux académiques sur les associations et leurs vertus civiques : une analyse critique et pénétrante de bon nombre d’idées reçues, tant profanes que savantes. On imagine assez l’auteur, un peu surprise, troublée, voire déçue par ses propres découvertes, tentée d’euphémiser ses constats en qualifiant « d’indirects » les effets positifs de l’absence de démocratie, ou encore de « progressives » les transformations imputables à l’engagement associatif en matière de politisation. La « théorie des effets limités et néanmoins progressifs » : tels sont, en conclusion, ses mots prudents pour le dire.

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Pour citer cet article

Référence papier

Anni Borzeix, « La Société civile dans les cités : engagement associatif et politisation dans des associations de quartier, C. Hamidi »Sociologie du travail, Vol. 55 - n° 1 | 2013, 127-130.

Référence électronique

Anni Borzeix, « La Société civile dans les cités : engagement associatif et politisation dans des associations de quartier, C. Hamidi »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 55 - n° 1 | Janvier-Mars 2013, mis en ligne le 01 mars 2013, consulté le 07 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/sdt/12830 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.12830

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Auteur

Anni Borzeix

CNRS, Centre de recherche en gestion de l’École polytechnique, bâtiment Ensta, 828, boulevard des Maréchaux, 91762 Palaiseau Cedex, France
aborzeix[at]orange.fr

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