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AccueilNumérosVol. 57 - n° 3Comptes rendusL’euroscepticisme au sein du Parl...

Comptes rendus

L’euroscepticisme au sein du Parlement européen. Stratégies d’une opposition anti-système au cœur des institutions, N. Brack

Promoculture-Larcier, Windhof (2014). 342 p.
Sébastien Michon
p. 402-404
Référence(s) :

Nathalie Brack, L’euroscepticisme au sein du Parlement européen. Stratégies d’une opposition anti-système au cœur des institutions, Promoculture-Larcier, Windhof, 2014, 342 p.

Texte intégral

1L’élection d’eurodéputés « eurosceptiques » au sein du parlement de Strasbourg en mai 2014 a été beaucoup évoquée par les médias et les commentateurs de l’actualité politique européenne. L’ouvrage de Nathalie Brack vient donc à point nommé pour apporter des éléments de connaissance, de réflexion et de discussion sur ces élus que l’auteur nomme « les opposants anti-système ». Car c’est là une des originalités de la perspective adoptée par N. Brack que de s’intéresser à des acteurs périphériques ou dominés dans l’institution, qui contribuent à politiser l’Union européenne « par la contestation ».

2Issu d’une thèse en science politique, l’ouvrage propose tout d’abord une revue de littérature cohérente et informée, relative à la représentation, la représentativité sociale et politique, la théorie des rôles et l’euroscepticisme partisan. L’auteur défend une « approche substantive de la représentation » et reprend l’analyse « motivationnelle » des rôles parlementaires développée par Donald Searing (1994), qui met au centre de l’analyse les préférences et le plaisir que les représentants peuvent retirer de telle ou telle posture — un positionnement théorique également adopté par d’autres travaux francophones sur l’Assemblée nationale (Rozenberg, 2009) ou le Parlement européen (Navarro, 2009).

3L’ouvrage s’appuie ensuite sur un matériel empirique conséquent et diversifié : 65 entretiens semi-directifs avec des eurodéputés « eurosceptiques », 29 entretiens avec des eurodéputés « non-eurosceptiques », des observations, des données « socio-biographiques », une analyse qualitative du contenu des questions parlementaires et des votes, une analyse quantitative des votes de l’ensemble des députés de la sixième législature (2004-2009) sur les textes relatifs à l’intégration et à l’avenir de l’Union européenne (UE), une étude des discours des élus « eurosceptiques » lors des débats en séance plénière sur ces textes et des évolutions du règlement intérieur du Parlement depuis 1979.

4Ces données, rassemblées de manière raisonnée, sont mobilisées pour mener une analyse de l’« euroscepticisme » au Parlement européen, ou plutôt des « eurosceptiques », en se focalisant sur les acteurs.

5Ceux-ci sont identifiés au moyen d’une échelle d’« euroscepticisme », construite à partir des votes sur huit textes relatifs à l’avenir de l’UE et le processus d’intégration européenne. De la sorte, entre 2004 et 2009 puis entre 2009 et 2014, l’auteur circonscrit 20 % environ d’eurodéputés « eurosceptiques ». Ils se retrouvent principalement parmi les non-inscrits (dont les élus du Front national français), les membres des groupes conservateurs ELD (Europe libertés et démocratie, dont les membres du UKIP britannique, UK Independence Party) et ECR (Conservateurs et réformistes européens, parmi lesquels figurent des conservateurs britanniques). De l’autre côté du spectre politique, on en trouve aussi au sein de la Gauche unitaire européenne (dont les membres du Front de gauche français) et, à un degré moindre, du groupe des Verts et de l’Alliance libre européenne (ALE).

6N. Brack souligne alors la diversité des élus « eurosceptiques » ou « anti-système ». Pour ce faire, elle mobilise une « démarche interprétative et inductive » à partir des entretiens menés et des indicateurs quantitatifs de l’activité parlementaire : taux de présence, nombre de rapports, de déclarations, d’interventions, de motions de résolution, d’avis, de questions et d’amendements. Une typologie des rôles joués par les députés « eurosceptiques » est ainsi proposée : l’absent qui refuse de s’impliquer (comme, par exemple, Philippe de Villiers, fondateur du Mouvement pour la France) ; le tribunicien qui « choisit une présence active au sein de l’assemblée de façon à dénoncer le système européen par tous les moyens à sa disposition » (comme Nigel Farage, chef du UKIP) ; le pragmatique qui « développe une stratégie duale visant, d’une part, à obtenir des résultats concrets et, d’autre part, à ne pas compromettre ses convictions eurosceptiques » (comme Philip Claeys du Vlaams Belang belge) ; enfin le socialisé qui souhaite apparaître comme « un élu comme les autres » (dont Francis Wurtz, membre du Parti communiste français, et Karim Sajjad, membre du Parti conservateur britannique, sont des exemples). On peut toutefois regretter l’usage quasiment exclusif de ces indicateurs, qui renseignent sur des pratiques institutionnalisées et inégales en termes d’investissement et de temps, et délaissent les éléments sur le travail politique réalisé dans les coulisses. Une enquête moins centrée sur le discours des élus permettrait de montrer plus précisément la variété des pratiques, d’observer d’éventuels écarts aux rôles voire leur redéfinition selon les contextes, et d’appréhender certains ressorts des postures ou présentations de soi adoptées dans l’exercice du rôle — en hémicycle mais aussi en entretien.

7Dans son analyse des pratiques et de l’adoption des rôles parlementaires, N. Brack montre que, parmi ses enquêtés, les pragmatiques et surtout les socialisés ont plus souvent une expérience locale et internationale, et que les femmes se retrouvent presque exclusivement parmi les pragmatiques. Ceci étant, plus que sur le rôle de « facteurs socio-biographiques », l’auteur insiste sur deux ensembles de facteurs. Premièrement, le poids du contexte institutionnel — c’est-à-dire les règles formelles du Parlement européen (modalités de constitution des groupes politiques, marginalisation des non-inscrits, limitation du temps de parole, encadrement du comportement des élus) et ses règles (relativement) informelles (recherche du compromis, système d’allocation des rapports, affiliation à un groupe). Deuxièmement, « les préférences individuelles » à l’égard de la construction européenne, notamment le degré et la nature de l’opposition à l’Europe qui est évaluée au moyen d’un indicateur synthétique de trois attitudes : « hostile », « intergouvernementaliste », « réformiste ».

8Outre le caractère très englobant des indicateurs et des analyses, deux points méritent discussion. D’une part, l’usage du terme « eurosceptique » porte les chercheurs à prendre parti dans les luttes de classement au sein du champ politique (Neumayer et al., 2008), ce qui fait d’autant plus débat ici que sont rassemblés des acteurs et des postures politiques aussi hétérogènes que ceux du Front national, des partis « souverainistes » et de la gauche altermondialiste. Cette perspective, qui tend à résumer les positions des parlementaires au fait d’être ou de ne pas être critique à l’égard de la construction européenne, masque certains écarts dans les prises de positions, non seulement sur la construction européenne, mais aussi sur d’autres enjeux ou thématiques, et efface ainsi les positions occupées dans l’espace parlementaire ainsi que dans les espaces politiques nationaux.

9D’autre part, insister sur le poids des « préférences individuelles », notamment le degré et la nature de l’opposition à l’Europe, en délaissant les effets conjugués des « facteurs socio-biographiques », de l’affiliation partisane, des trajectoires politiques et des positions occupées dans l’espace politique européen, pose question. Par exemple, si en 2005 l’eurodéputée socialiste française Pervenche Bérès appelle à voter « non » au référendum sur le Traité constitutionnel européen en France, ce n’est pas en raison d’un « dégoût de l’Europe » ou du Parlement européen dont elle est élue depuis 1994, mais bien du fait des enjeux nationaux du scrutin, de son positionnement et de sa trajectoire dans le champ politique national. P. Bérès suit la position de son courant au sein du Parti socialiste et de son leader (Laurent Fabius) à qui elle doit une partie de sa carrière politique.

10Cet ouvrage participe donc aux débats théoriques et méthodologiques sur les assemblées parlementaires, tout en décentrant le regard trop souvent positionné sur les pays anglo-saxons et le Congrès des États-Unis. Les sociologues du travail et du politique y trouveront une entrée stimulante — s’intéresser à des acteurs dominés dans l’institution —, et une invitation à confronter leurs propres outils d’analyse.

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Bibliographie

Navarro, J., 2009. Les Députés européens et leur rôle. Éditions de l’Université de Bruxelles, Bruxelles.

Neumayer, L., Roger, A., Zalewski, F. (Eds), 2008. L’Europe contestée. Espaces et enjeux des positionnements contre l’intégration européenne. Michel Houdiard Éditeur, Paris.

Rozenberg, O., 2009. « Présider par plaisir. L’examen des affaires européennes à l’Assemblée nationale et à la Chambre des Communes depuis Maastricht », Revue française de science politique 59 (3), 401-427.

Searing, D., 1994. Westminster’s World: Understanding Political Roles. Harvard University Press, Cambridge.

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Pour citer cet article

Référence papier

Sébastien Michon, « L’euroscepticisme au sein du Parlement européen. Stratégies d’une opposition anti-système au cœur des institutions, N. Brack »Sociologie du travail, Vol. 57 - n° 3 | 2015, 402-404.

Référence électronique

Sébastien Michon, « L’euroscepticisme au sein du Parlement européen. Stratégies d’une opposition anti-système au cœur des institutions, N. Brack »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 57 - n° 3 | Juillet-Septembre 2015, mis en ligne le 17 juillet 2015, consulté le 14 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/sdt/1512 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.1512

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Auteur

Sébastien Michon

Sociétés, acteurs, gouvernement en Europe (SAGE), UMR 7363 CNRS – Université de Strasbourg, Maison interuniversitaire des sciences de l’homme-Alsace (MISHA), 5, allée du Général Rouvillois, CS 50008, 67083 Strasbourg Cedex, France
sebastien.michon[at]misha.fr

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