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Comptes rendus

Réinventer la ville, Artistes, minorités ethniques et militants au service des politiques de développement urbain, Une comparaison franco-britannique, L. Arnaud

Presses universitaires de Rennes, Rennes (2008). 176 p.
Cesare Mattina
p. 568-570
Référence(s) :

Lionel Arnaud, Réinventer la ville, Artistes, minorités ethniques et militants au service des politiques de développement urbain, Une comparaison franco-britannique, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2008, 176 p.

Texte intégral

1Dans une approche socio-historique et comparative, l’ouvrage de Lionel Arnaud se penche sur les politiques culturelles d’intégration de la diversité ethnique et raciale en milieu urbain, en prenant appui sur deux riches expériences de terrain à Londres et à Lyon. L’auteur analyse, parallèlement dans les deux villes, les modalités par lesquelles se constituent depuis les années 1950–1960 des véritables politiques de la diversité réalisant le basculement d’une logique de la répression, voire de la négation de l’expression artistique de type identitaire, à une véritable légitimation de ces cultures invitées de plus en plus, à partir des années 1980, à participer aux politiques sociales et de développement économique.

2Les cas d’étude exemplaires de ce processus sont deux manifestations culturelles, qui ont des histoires et des temporalités différentes mais dont la genèse et le développement se ressemblent sous plusieurs aspects. Le premier est le carnaval de Notting Hill, du nom d’un quartier du nord-ouest de Londres, créé en 1959 par des immigrés antillais provenant principalement de îles Trinidad et Tobago, des Barbades et de la Jamaïque. Cette manifestation, dont la musique et la culture reggae représenteront longtemps des éléments structurants, servira de moyen de rassemblement et de construction d’une identité commune en opposition au racisme et à l’hostilité d’une bonne partie de la population blanche londonienne. Né en réaction aux violences exercées pendant l’été 1958 contre les populations noires, le carnaval se veut aussi comme une tentative de dépasser le rejet et la stigmatisation, en créant le dialogue entre les différents groupes et les communautés de la ville. Le second est le défilé de la biennale de danse de Lyon, créé plus tardivement au milieu des années 1990. Selon L. Arnaud, la création et ensuite l’institutionnalisation de ce défilé de ville répond à la volonté de mettre en scène la diversité ethnique de cultures urbaines jusque-là marginalisées. La création de cette manifestation vient en effet légitimer un long processus d’intégration, de la part des pouvoirs publics nationaux et locaux — ministère de la Culture, direction régionale des affaires culturelles, région Rhône-Alpes, commune de Lyon et plus tard, communauté urbaine du Grand Lyon —, de cultures et expressions artistiques, comme le rap, le graff et la danse hip-hop, qui ont prospéré depuis les années 1970–1980 dans les quartiers de banlieue. Le défilé de la biennale de danse de Lyon, correspondant davantage qu’en Angleterre à une politique top down, participera des politiques de renouveau urbain et de développement économique de l’agglomération lyonnaise, où la culture apparaît comme un élément central.

3Notre auteur montre, de manière très convaincante, par quelles modalités l’intégration de ces manifestations populaires dans un cadre institutionnel de plus en plus interventionniste et contraignant finit par en modifier très fortement l’esprit initial — cela étant particulièrement vrai pour le carnaval de Notting Hill — afin de les rendre plus acceptables aux populations d’origine londonienne. Cela à travers plusieurs opérations : la quête de l’encadrement et le contrôle afin de diminuer les violences et les affrontements dans le cas du carnaval londonien (chapitre 2 « Mouvements culturels, habitants et partis, un face-à-face politisé ») ; la démocratisation de la participation au niveau municipal (chapitre 4 « La démocratie culturelle comme stratégie de rassemblement politique ») ; la promotion du « multi-culturel » comme nouveau moyen de construction des politiques sociales et de développement économique des quartiers urbains (chapitre 5 « Vers une économie [multi-]culturelle ») ; et enfin, un formatage esthétique des défilés comportant une délimitation des expressions artistiques (chapitre 6 « La mise en forme esthétique de la fête carnavalesque »). Tous ces moments participent de deux processus à l’œuvre dans les deux contextes urbains : une meilleure compréhension et une maîtrise, de la part des pouvoirs publiques, des mouvements sociaux et artistiques au fondement de ces minorités et, en même temps, la création d’élites professionnelles du monde des cultures minoritaires donnant lieu à des processus d’acquisition de compétences ainsi qu’à des parcours de notabilisation.

4Ne se limitant pas à la seule reconstruction des processus de décision, à leur mise en œuvre, à l’analyse d’idéologies sous-tendant un référentiel de politiques publiques, ni à la prise en compte du seul niveau local, Réinventer la ville est bien plus qu’un classique de l’analyse des politiques publiques. Il s’inscrit pleinement dans une sociologie politique de l’action publique, soucieuse des effets que cette dernière génère sur la création d’ordre sociaux et politiques dans la ville, et également des conflits correspondant aux luttes d’intérêts entre différents groupes et mouvements urbains — socio-professionnels, ethniques, culturels, etc.

5L. Arnaud a en effet le mérite de tisser constamment des liens entre les politiques publiques et la construction d’un espace publique, d’une polity au sein des deux villes. Ce va-et-vient entre policies et polity met en évidence les changements de configurations de l’ordre politique et social. Les politiques publiques de répression, ensuite d’intégration et plus tard de promotion des minorités « ethnico-raciales » sont constamment analysées en lien avec les transformations sociales à l’échelle urbaine — processus de gentrification de certains quartiers —, notamment avec les dynamiques des mouvements sociaux, la professionnalisation des élites des minorités au sein des dispositifs d’action publique et les transformations idéologiques des partis et des leaderships politiques municipaux.

6En critiquant une certaine littérature anglo-saxonne donnant un rôle prépondérant aux phénomènes culturels et aux lectures de la ville « comme espace de performance, de théâtre et de signification » (p. 13), l’auteur cherche à réintroduire les dimensions du conflit et des inégalités sociales en montrant que les cultures ethniques ou identitaires sont souvent le fait de constructions socio-historiques de différents acteurs concentrés autour des politiques culturelles et que des opérations de mises en cohérence entre cultures « vernaculaires », cultures ethniques et populations ethnicisées cachent souvent des logiques de classement socio-spatial.

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Pour citer cet article

Référence papier

Cesare Mattina, « Réinventer la ville, Artistes, minorités ethniques et militants au service des politiques de développement urbain, Une comparaison franco-britannique, L. Arnaud »Sociologie du travail, Vol. 52 - n° 4 | 2010, 568-570.

Référence électronique

Cesare Mattina, « Réinventer la ville, Artistes, minorités ethniques et militants au service des politiques de développement urbain, Une comparaison franco-britannique, L. Arnaud »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 52 - n° 4 | Octobre-Décembre 2010, mis en ligne le 23 novembre 2010, consulté le 16 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/sdt/15583 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.15583

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Auteur

Cesare Mattina

LAMES, CNRS, UMR 6127, université de Provence, 5, rue du Château-de-l’Horloge, BP 647, 13094 Aix-en-Provence cedex 2, France
cesare.mattina[at]free.fr

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