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AccueilNumérosVol. 52 - n° 4Comptes rendusLe marché des défunts, P. Trompette

Comptes rendus

Le marché des défunts, P. Trompette

Presses de Sciences Po, Paris (2008). 300 p.
Carine Ollivier
p. 581-583
Référence(s) :

Pascale Trompette, Le marché des défunts, Presses de Sciences Po, Paris, 2008, 300 p.

Texte intégral

1Dans Le marché des défunts, Pascale Trompette propose une réflexion précise et documentée sur l’institutionnalisation d’un marché concurrentiel. En s’inscrivant dans une double tradition de sociologie économique et de science politique, cet ouvrage peut faire l’objet de deux niveaux de lecture.

2Il peut d’abord être lu comme la monographie exemplaire d’un marché concret sur lequel l’auteur met en œuvre les outils de l’ethnographie économique. Elle restitue la profondeur historique du débat sur la régulation du marché des pompes funèbres en s’attachant à mettre en évidence la manière dont se sont institués les régimes successifs d’organisation des services funéraires. Soumise pendant près de deux siècles au monopole des institutions religieuses puis, à partir de 1904, au monopole municipal, l’activité funéraire est ouverte à la concurrence depuis la loi Sueur de 1993. Loin d’aboutir à une anarchie généralisée, cette libéralisation a débouché sur la mise en place d’un marché décrit comme un « espace d’action organisée » dans lequel les rapports de force ont été redistribués entre les opérateurs quels que soient leur taille ou leur statut (public ou privé. P). Trompette analyse ainsi la manière dont les évolutions techniques et les transformations de la concurrence ont conduit à des compromis successifs entre les différents acteurs du secteur (Église, régies municipales, artisans et entreprises concessionnaires dominées par les pompes funèbres générales, etc). et à la professionnalisation de ce dernier. Le lecteur trouve ici une description claire de la constitution de groupes professionnels – le cas des thanatopracteurs est à cet égard emblématique – et de l’apparition d’un véritable marché du service funéraire organisé autour des services et des soins au défunt, et non plus autour de la mise en scène de la mort associée au rituel des funérailles. Dans une partie sur l’après-libéralisation, l’auteur caractérise par ailleurs avec rigueur trois grandes formes de régulation qui s’articulent plus ou moins efficacement dans ce qu’elle nomme une « régulation conjointe » : institutionnelle avec l’État et les municipalités, marchande liée aux entreprises et professionnelle via les syndicats et les associations.

3P. Trompette met ensuite en évidence dans une analyse consacrée au « cœur du marché », la manière dont les professionnels des pompes funèbres concilient impératifs économiques et qualité professionnelle vis-à-vis de leur clientèle endeuillée. Elle montre que la compétence des croque-morts réside dans leur capacité à combiner le marchand et le non marchand, en tentant de donner une « légitimité marchande » à un secteur aux dimensions symboliques et morales fortes. On regrette cependant sur ce dernier point que l’auteur n’aille pas plus loin dans ce qu’elle définit comme une « approche totale » de la communauté qu’elle étudie. La dimension symbolique de l’activité funéraire est certes rappelée : l’encastrement dans la sphère du sacré est fréquemment évoqué et (ainsi du poids de l’Église jusqu’au début du xxe siècle ou des représentations qui entourent la mort) — dimension symbolique qui porte à parler « d’économe morale ». Mais, cette dimension n’est évoquée qu’en passant pour expliquer le caractère délicat des transactions marchandes autour de la mort et les outils de la sociologie des religions, par exemple, ne sont que peu utilisés. De même, alors que l’évolution du traitement du corps — cadavre semble avoir joué un rôle de premier plan dans les transformations du secteur funéraire (l’apparition du marché de services de soins au défunt a ainsi modifié le rituel de l’enterrement), l’analyse du rapport au corps n’est pas menée à son terme. On comprend cependant la démarche de P. Trompette consistant à se déprendre de ce qui fait le caractère atypique de son objet pour donner à son analyse un caractère aisément transposable.

4En effet, le deuxième niveau de lecture dont cet ouvrage peut faire l’objet concerne la mise en évidence de mécanismes économiques et marchands qui offre au lecteur un appareillage théorique précis et efficace pour l’analyse des marchés. En prenant pour objet la coordination marchande et en partant de la définition wébérienne du marché comme une lutte pour des opportunités d’échange, l’auteur propose une discussion originale de la problématique de l’organisation des processus marchands. Si la sociologie économique française contemporaine s’est concentrée jusqu’ici sur les dispositifs de différenciation et de qualification des biens par le client, P. Trompette propose un mécanisme alternatif de structuration de la concurrence situé cette fois du côté de l’offre. Sur le marché funéraire, le client endeuillé est peu disposé à effectuer des arbitrages entre plusieurs professionnels. L’activité des opérateurs funéraires est alors toute entière tournée vers la mise en œuvre d’agencements sociotechniques qui organisent la canalisation des clients vers un prestataire unique de la sortie de l’hôpital jusqu’au cimetière. Ces dispositifs reposent sur l’attachement à des intermédiaires qui gèrent en partie la circulation du défunt (policiers, ambulanciers, infirmiers, agents de l’état civil, etc.. .) Mais, ils reposent surtout sur la gestion des chambres funéraires privées auxquelles les hôpitaux ont longtemps délégué la prise en charge des cadavres et dans lesquelles il est aisé de faire transiter les familles endeuillées vers l’opérateur qui va régler les obsèques. Cette « économie de la captation » place au cœur de la dynamique marchande les dispositifs organisationnels qui consistent à raréfier les rencontres entre clients et prestataires, et à substituer à la possibilité d’un arbitrage entre opérateurs concurrents, un chemin tout tracé pour le consommateur. L’auteur est un peu moins précise dans la description de l’offre de services funéraires pour lesquels elle montre que toutes les propriétés du bien (de l’identification de la qualité à l’établissement du prix, jusqu’à la détermination du parcours du client) sont contrôlées par les producteur et que la pluralité des offres dessinée par la multitude de marques, noms ou labels cache en réalité une certaine standardisation de la prestation.

5Si la question de la mise en place de services publics concurrentiels concerne des marchés aussi porteurs de symboles que l’énergie, les services postaux ou les services de placement sur le marché du travail, l’élucidation des mécanismes de genèse et de fonctionnement de ces marchés est capitale. En étudiant le passage d’un monopole public au marché libre dans un domaine a priori peu propice à la concurrence, P. Trompette parvient à décrire de manière stimulante la construction historique et politique d’un marché spécifique et donne au lecteur des outils pour une théorie sociologique de la régulation marchande en plein essor.

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Pour citer cet article

Référence papier

Carine Ollivier, « Le marché des défunts, P. Trompette »Sociologie du travail, Vol. 52 - n° 4 | 2010, 581-583.

Référence électronique

Carine Ollivier, « Le marché des défunts, P. Trompette »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 52 - n° 4 | Octobre-Décembre 2010, mis en ligne le 23 novembre 2010, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/sdt/15679 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.15679

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Auteur

Carine Ollivier

Laboratoire Printemps, UVSQ, 47, boulevard Vauban, 78047 Guyancourt cedex, France
carine.ollivier[at]printemps.uvsq.fr

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