Sorties de cadre(s), le licenciement pour motif personnel, instrument de gestion de la firme mondialisée, F. Palpacuer, A. Seignour, C. Vercher
Florence Palpacuer, Amélie Seignour et Corinne Vercher, Sorties de cadre(s), le licenciement pour motif personnel, instrument de gestion de la firme mondialisée, Coll. « Entreprise et société », La Découverte, Paris, 2007, 240 p.
Texte intégral
1Cet ouvrage sur le licenciement pour motif personnel (LMP), parfois désigné par l’euphémisme « départ transactionnel », est bienvenu au moment où la majorité des organisations syndicales ont accepté le principe de « séparation à l’amiable » proposée par le Mouvement des entreprises de France (Medef) dans l’accord interprofessionnel puis la loi sur la modernisation du marché du travail. Cette étude réalisée en 2004 et 2005 par trois chercheuses en gestion comble un manque, puisqu’il n’existait aucune recherche qualitative sur le sujet. La Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) qui a commandité cette étude, a montré que le licenciement pour un motif juridiquement qualifié de « personnel », c’est-à-dire inhérent à la personne (qu’il soit fautif ou non fautif) est devenu le deuxième motif d’entrée au chômage, après les fins de contrat à durée déterminée (CDD), largement devant les licenciements économiques. Il concerne particulièrement les salariés titulaires de contrat à durée indéterminée (CDI) et est le principal motif d’inscription au chômage des cadres et des agents de maîtrise, surtout dans des secteurs innovants (industrie, informatique, banques-assurances). Afin de comprendre les logiques d’utilisation de cette forme de licenciement, son expansion et ses effets, ces chercheurs ont ciblé leur enquête sur les cadres de grands groupes internationaux de ces secteurs et interviewé des directeurs de ressources humaines (DRH) (10), des cadres licenciés pour ce motif (24), des délégués syndicaux (10) et divers experts du marché du travail (20).
2Pour ces auteurs, le LMP est symptomatique de l’évolution de la relation d’emploi vers une forme individualisée et contractualisée autour d’objectifs, dans un « management par le marché » très anglo-saxon, qui trouve sa source dans la globalisation et la financiarisation des stratégies des grandes entreprises. Elles montrent comment dans un contexte de fusions-acquisitions-restructurations où la gestion des effectifs consiste surtout à les réduire (par des techniques de reengineering et downsizing), en France, le LMP s’est substitué à d’autres modalités de départ considérées comme plus contraignantes, plus coûteuses et surtout plus socialement visibles comme les licenciements économiques et les plans sociaux. Les salariés âgés sont plus particulièrement touchés car les DRH pallient ainsi la raréfaction des préretraites financées par l’État depuis la fin des années 1990, dans un pays où les seniors sont considérés comme moins performants et trop chers. Cette forme de licenciement permet aussi de cibler les salariés dont l’entreprise souhaite se séparer et qui n’ont pas voulu démissionner de leur plein gré. Derrière cette même appellation, les stratégies de séparation sont très diverses, de la faute inventée de toute pièce à la co-construction du motif, en passant par des procédures de harcèlement parfois très violentes.
3Derrière cette diversité apparente, les auteurs montrent cependant que cette épreuve du LMP n’est pas vécue de manière similaire par tous les cadres. Une ligne de fracture sépare ceux qui ont des ressources, protégés par leur statut de dirigeant, leurs compétences, leurs diplômes de grandes écoles et leurs réseaux, et/ou par les informations stratégiques qu’ils détiennent, et les autres. Aux premiers, une négociation feutrée avec un gros chèque qui leur permet de vivre relativement bien leur départ, tant au niveau symbolique qu’au niveau pratique. Aux autres, un départ considéré comme une injustice et une compensation rarement à la hauteur du préjudice subi selon les victimes, ce qui explique le recours élevé aux prud’hommes, le montant des indemnités étant souvent « le prix de l’honneur ». Puisque l’âge et le niveau de responsabilités dans l’entreprise sont les deux variables explicatives du vécu du licenciement, les auteurs dégagent en fin d’ouvrage une typologie assez éclairante. Le cadre senior au niveau local des multinationales (postes non stratégiques), figure-typique des marchés internes, subit douloureusement cette sortie et la vit comme une rupture identitaire et affective. Le cadre junior au niveau local la subit lui aussi, mais étant socialisé à cette forme de relation d’emploi plus contractuelle, s’y adapte de manière pragmatique. Le « senior global » (le dirigeant, membre du top management de ces multinationales) possède lui les ressources pour bien négocier son départ et rebondir ailleurs. De la même manière, le « junior global » (les cadres à potentiel) peut transformer cette rupture en opportunité de mobilité choisie. C’est sur cette dernière partie centrée sur l’évolution de la relation d’emploi des cols blancs que l’on peut apporter quelques nuances à l’interprétation car les auteurs en déduisent un éclatement de la catégorie cadres, l’ouverture des marchés internes et la précarisation des cadres « locaux ». Or, on retrouve là l’hétérogénéité structurelle de la catégorie qui est le leitmotiv des travaux de sociologie des cadres depuis les années 1990. On aurait apprécié davantage de profondeur historique, afin de ne pas dramatiser une période de ralentissement sur le marché de l’emploi des cadres (2001–2003) tout comme certains l’ont fait au début des années 1990 et de ne pas retrouver les mêmes analyses en termes de banalisation/précarisation de la catégorie. Si les cadres sont particulièrement concernés par cette forme de licenciement, c’est peut-être moins un signe de précarité qu’un indicateur en creux de relative stabilité, car contrairement aux salariés non-cadres, ils sont encore peu concernés par les CDD et l’intérim et ont un taux de chômage faible. Une comparaison avec des salariés moins qualifiés ou des cadres de petites et moyennes entreprises (PME) aurait, en revanche, renforcé l’idée-clé que la relation salariale est une relation de subordination ; seuls les individus aux ressources élevées comme les dirigeants peuvent faire « comme si » un licenciement était une rupture à l’amiable...
4Une dimension intéressante de cet ouvrage mériterait d’être creusée, c’est le silence plus ou moins complice des syndicats. Ils s’opposent rarement à ce contournement du droit du travail, soit par pragmatisme (certaines grandes entreprises ont acheté la paix sociale avec prodigalité), soit pour essayer d’en limiter l’arbitraire et d’homogénéiser les pratiques. Les seuls garde-fous sont les prud’hommes, la cour d’appel et la Cour de cassation, non pas en pratique (les procédures sont lentes et incertaines) mais plutôt comme une menace de sanctions qui contrebalance le pouvoir discrétionnaire de l’employeur. Plusieurs syndicats ont accepté le principe de la rupture à l’amiable sous le terme de « rupture conventionnelle », à condition qu’elle soit qualifiée en licenciement (donnant droit à des indemnités) et homologuée par une autorité administrative prud’homal... dommage qu’ils n’aient pas lu cet ouvrage avant.
Pour citer cet article
Référence papier
Sophie Pochic, « Sorties de cadre(s), le licenciement pour motif personnel, instrument de gestion de la firme mondialisée, F. Palpacuer, A. Seignour, C. Vercher », Sociologie du travail, Vol. 51 - n° 1 | 2009, 149-151.
Référence électronique
Sophie Pochic, « Sorties de cadre(s), le licenciement pour motif personnel, instrument de gestion de la firme mondialisée, F. Palpacuer, A. Seignour, C. Vercher », Sociologie du travail [En ligne], Vol. 51 - n° 1 | Janvier-Mars 2009, mis en ligne le 11 mars 2009, consulté le 15 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/sdt/16136 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.16136
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