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AccueilNumérosVol. 51 - n° 1Comptes rendusRap, techno, électro... Le musici...

Comptes rendus

Rap, techno, électro... Le musicien entre travail artistique et critique sociale, M. Jouvenet

Coll. « Ethnologie de la France ». Éditions de la Maison des sciences de l’homme, Paris (2006). 290 p.
Laure de Verdalle
p. 151-153
Référence(s) :

Morgan Jouvenet, Rap, techno, électro... Le musicien entre travail artistique et critique sociale, Coll. « Ethnologie de la France », Éditions de la Maison des sciences de l’homme, Paris, 2006, 290 p.

Texte intégral

1Dans cet ouvrage issu de sa thèse, Morgan Jouvenet aborde les musiques actuelles (rap, techno et électro) sous un angle encore trop peu présent dans les études qui leur ont été consacrées, celui du travail artistique et des conditions de production. Ce choix permet de porter un regard nouveau sur un univers professionnel et sur une population artistique qui nourrissent de nombreuses idées toutes faites mais qui se révèlent des prises extrêmement pertinentes pour développer une sociologie « des relations de travail et au travail » (quatrième de couverture). Reposant sur une approche ethnographique très bien documentée (entretiens, observations dans des salons professionnels et des concerts, lecture de la presse spécialisée, etc.), la recherche de M. Jouvenet met en lumière les différents segments de cette filière particulière que constituent les musiques actuelles en proposant une analyse approfondie des mondes professionnels qui s’y rattachent. Avant tout ancrée dans une sociologie de la production musicale, l’analyse aborde les étapes successives d’un « travail collectif qui associe les artistes à des publicitaires, des commerciaux, des organisateurs de concerts ou des journalistes spécialisés » (p. 3). Ce faisant, l’ouvrage se donne les moyens d’interroger la singularité des carrières et des œuvres, sans jamais se laisser prendre au jeu des artistes les plus visibles et les plus médiatisés.

  • 1 È. Chiapello, Artistes versus managers. Le management culturel face à la critique artiste, Métailié (...)

2Soucieux de guider son lecteur dans un univers parfois déconcertant, M. Jouvenet a structuré son propos autour de sept chapitres qui abordent autant de facettes complémentaires du monde des musiques actuelles. Après avoir retracé l’historique de ces nouveaux genres musicaux (chapitre 1) dans une synthèse qui vise à la fois à situer l’analyse et à donner les repères nécessaires à la bonne compréhension du discours des acteurs, l’ouvrage entre de plein pied dans l’étude des pratiques de création en abordant les manières de faire qui caractérisent les musiques actuelles (chapitre 2), tout en présentant les principaux acteurs de ce monde — disk jockey (DJ), microphone controller (MC). Cette étude, qui met l’accent sur l’évolution des formats de la production musicale (en insistant notamment sur le rôle du home studio), aboutit à une discussion de l’esthétique des œuvres et de la critique sociale dont elles sont porteuses. De manière intéressante, l’esthétique est donc ici mise en relation avec les formes de la pratique (par exemple l’usage du sampling, emprunt plus ou moins autorisé d’extraits sonores) mais aussi avec les univers sociaux dans lesquels évoluent les artistes. Cette analyse se prolonge d’ailleurs par une explicitation des formes d’engagement professionnel des rappeurs et des électronistes (chapitre 3) qui introduit l’idée d’une tension permanente « entre les dimensions artistique et managériale de la production musicale » (p. 122). Selon M. Jouvenet, cette tension est littéralement « prise en charge » par des cultures musicales qui tissent des liens forts entre responsabilités sociales et responsabilités artistiques des musiciens. On touche ici à l’un des nœuds de l’ouvrage et les chapitres qui suivent préciseront les modalités de cette articulation qui s’incarne dans des structures de production et de distribution (chapitres 4, 5) mais aussi dans les trajectoires des artistes eux-mêmes (chapitres 6, 7). Loin de la critique artiste du management étudiée par Ève Chiapello1, le monde des musiques actuelles offre en effet au sociologue des modèles de travail artistique qui conduisent à questionner sous un jour nouveau le contenu du professionnalisme au sein des mondes de l’art. En mettant en lumière les comportements entrepreneuriaux des artistes, M. Jouvenet se penche ainsi sur les voies d’apprentissage d’une posture de l’artiste au travail qui passe à la fois par la maîtrise de règles organisationnelles (donnant lieu à un professionnalisme du managé selon l’auteur) et par l’imbrication étroite d’exigences artistiques et extra-artistiques (définissant une forme de professionnalisme fondée sur la fusion de profils managériaux et artistiques).

3À l’issue de cette lecture, trois remarques peuvent être faites, qui expriment moins des insatisfactions qu’elles ne visent à enrichir, dans une perspective plus large, la discussion sur les carrières artistiques.

4Au fil de l’ouvrage, le lecteur familier des mondes de l’art ne peut en effet s’empêcher de se poser la question de la spécificité de l’univers des musiques actuelles du double point de vue des carrières des acteurs et des discours que ces derniers portent sur leur activité. Si l’on retrouve bien dans les analyses de M. Jouvenet la part des réseaux de relations et l’expérience de la multiactivité qui caractérisent une grande partie des parcours artistiques, d’autres éléments semblent pointer la place particulière de ce secteur d’activité au sein des mondes de l’art (notamment l’origine sociale des artistes, leurs faibles investissements scolaires, les formes d’engagement dans les carrières, la quasi absence de soutien public, etc.). Toutes ces spécificités, qui s’articulent avec l’idée d’une pratique étroitement liée à des logiques commerciales et managériales, rendent bien sûr l’étude des comportements entrepreneuriaux des artistes particulièrement riche et pertinente. On aimerait pourtant en savoir plus sur leurs parcours professionnels et leurs stratégies de survie sur un marché de la musique et au sein d’une industrie du disque que l’on sait par ailleurs fortement remise en cause dans ses formes et ses contenus.

5Une deuxième question soulevée par l’ouvrage tient à la stratégie choisie par M. Jouvenet de rassembler dans son étude différents styles musicaux (rap, techno, électro) sans toujours préciser si les analyses présentées se rapportent à l’un ou l’autre de ces styles ou valent pour l’ensemble des musiques actuelles. On peut pourtant supposer qu’au-delà des proximités observables au niveau des espaces de production et de diffusion, des différences existent en matière de carrières et de formes d’engagement dans le travail. Un prolongement de ces analyses pourrait donc utilement venir spécifier les logiques propres à ces différents styles.

6Enfin, au-delà du caractère très fouillé des analyses proposées, on regrettera l’absence — sans doute imposée par des contraintes éditoriales — d’une annexe méthodologique et d’une présentation plus détaillée des matériaux sur lesquels s’appuie l’ouvrage.

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Notes

1 È. Chiapello, Artistes versus managers. Le management culturel face à la critique artiste, Métailié, Paris, 1998.

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Pour citer cet article

Référence papier

Laure de Verdalle, « Rap, techno, électro... Le musicien entre travail artistique et critique sociale, M. Jouvenet »Sociologie du travail, Vol. 51 - n° 1 | 2009, 151-153.

Référence électronique

Laure de Verdalle, « Rap, techno, électro... Le musicien entre travail artistique et critique sociale, M. Jouvenet »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 51 - n° 1 | Janvier-Mars 2009, mis en ligne le 11 mars 2009, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/sdt/16165 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.16165

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Auteur

Laure de Verdalle

Laboratoire Printemps (CNRS/UVSQ), 47, boulevard Vauban, 78047 Guyancourt cedex, France
laure.de-verdalle[at]uvsq.fr

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