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Comptes rendus

Le mérite et la nature, une controverse républicaine : l’accès des femmes aux professions de prestige, 1880–1940, J. Rennes

Paris, Fayard (2007). 594 p.
Sylvie Schweitzer
p. 300-301
Référence(s) :

Juliette Rennes, Le mérite et la nature, une controverse républicaine : l’accès des femmes aux professions de prestige, 1880–1940, Paris, Fayard, 2007, 594 p.

Texte intégral

1Impossible en 2007, année en France d’une élection présidentielle qui a opposé Ségolène Royal à Nicolas Sarkozy, de forclore le poids de l’histoire et les longs combats pour l’accès des femmes aux diplômes et aux professions de prestige. L’ouvrage de Juliette Rennes place au cœur de son raisonnement l’analyse de discours produits sous la iiie République, durant des décennies où change fondamentalement la condition des femmes face aux diplômes de l’enseignement supérieur et des professions auxquelles ils conduisent : c’est l’époque des pionnières, premières médecins, avocates, commissaires-priseurs, professeurs, ingénieurs, en attendant, après la Seconde guerre mondiale les premières magistrates, députées, hautes fonctionnaires. On sait que ces longues distorsions entre les métiers autorisés aux hommes et aux femmes se sont, tout au long du xixe siècle et tard dans le xxe siècle, alimentées dans un déni des acquis de la Révolution française qui avait instauré l’égalité entre les individus, dans une différence des sexes enracinée dans la « nature » des femmes, qui les aurait rendues incapables de s’instruire, de réfléchir, de commander ou encore d’arbitrer.

2Le riche corpus mobilisé pour analyser ces champs discursifs est composé tant de textes parlementaires (propositions de loi, rapports et débats), que de journaux et revues féministes, de fictions littéraires (romans, pièces de théâtres), mais aussi de textes de féministes comme Madeleine Pelletier, Nelly Roussel et Léon Richer, et, dans le dernier chapitre, de guides d’orientation professionnelle pour les jeunes filles et les jeunes gens. S’y affrontent partisans et adversaires de l’égalité entre les sexes, à propos des capacités et des droits des femmes à exercer les mêmes professions que les hommes. L’auteur dégage trois grands thèmes, trois « champs » pour articuler sa recherche : l’affrontement militant, l’affrontement politico-institutionnel, le discours d’information, analysant et classant donc ses sources selon les locuteurs et y juxtaposant les différent-e-s protagonistes, féministes ou antiféministes. C’est évidemment là une mine d’informations et de citations, de sophismes et de tautologies auxquels lectrices et lecteurs sont confronté-e-s. On peut ainsi mesurer le chemin parcouru tout comme la redondance des procès faits aux femmes : de fait, dès le xixe siècle, tous les arguments sont déjà présents, qu’il s’agisse de permettre aux femmes l’exercice des métiers de pouvoir ou de leur interdire.

3D’un côté, les arguments égalitaires (finement différentialistes ou non) insistent tant sur l’homogénéité des capacités masculines et féminines, sur l’incontournable partage des espaces de pouvoir que sur la nécessaire répartition de toutes les tâches domestiques. Les figures des pionnières sont là brandies comme exemples, puisque non seulement elles fraient matériellement la voie, mais qu’en plus elles démontrent l’inanité des postures qui relèguent « la » femme dans l’incompétence. De l’autre côté, chez les antiféministes et antiégalitaires, on insiste sur les hiérarchies immémoriales, voire divines, en s’appuyant sur l’évidente différence naturelle entre les sexes. L’équation « altérité = domination » est là largement convoquée, de même que celle de « femme = mère » qui sans cesse relégitime le (supposé) maintien des femmes dans l’espace familial. On sait en effet que les femmes ont toujours participé aux espaces publics, que ce soit par leur présence sur le marché du travail ou, pour les femmes des classes aisées, par leur participation à la vie associative. La radicalité des discours qui disent vouloir les confiner à leur famille est ainsi d’autant plus aiguë que, tout au long de la iiie République, elles ne font que progresser dans les études supérieures et les différentes professions que celles-ci autorisent. Lieux communs et prêt-à-penser sur ces thématiques sont ici organisés en un florilège qui est une mine d’informations sur l’heureuse évolution des représentations sociales sur le « sexe faible ».

4Politologue de formation, Juliette Rennes laisse cependant l’historienne quelque peu perplexe. La démarche chronologique est délibérément refusée, au motif d’un temps du discours qui ne serait pas celui de l’histoire sociale et encore de la pérennité et donc de la répétitivité des controverses, quand des évolutions sont nettement perceptibles tant dans les faits que dans les discours. Au fur et à mesure des décennies et de l’ouverture des métiers jusque-là fermés aux femmes, les arguments qui convoquent leurs incapacités physiologiques et intellectuelles se font plus rares. Ainsi, lors de la Première guerre mondiale, quand, par la force des choses, les femmes remplacent leur conjoint parti au front — comme notairesses, patronnes, pharmaciennes... — la reconnaissance de leurs capacités fait date. Parallèlement, l’hécatombe humaine et masculine est prétexte à développer l’argument qui demande l’accès des femmes à toutes les professions, au motif que l’on manquera d’hommes. Hommes et femmes féministes s’engouffrent ainsi dans la brèche ouverte par les conséquences du conflit, de vrais changements réglementaires s’installent (préparations aux baccalauréats, ouverture des écoles d’ingénieurs, féminisation des universités…), même si le Sénat refuse de donner le droit de vote et d’éligibilité aux Françaises, leur barrant ainsi non seulement les carrières politiques, mais encore celles liées à la possession de l’entière citoyenneté (la magistrature, les offices ministériels).

5Même en renonçant à une démarche chronologique marquant les continuités comme les ruptures, Juliette Rennes n’évite pas les répétitions (sur les différentes professions peu à peu accordées aux femmes et les discours redondants qu’ils suscitent) et cède souvent à la tentation de l’accumulation de citations, utilisées comme des preuves. Issu de sa thèse de doctorat, l’ouvrage reste un peu lourd à manier, parfois décourageant, ce qui affaiblit la démonstration. Même si, on en convient, ces postures antiféministes devraient être plus largement connues et enseignées, mises en exergue pour mieux débusquer ce que notre société contemporaine véhicule toujours de sexisme et de volonté, consciente ou non, de disqualifier les femmes qui s’efforcent de crever les plafonds de verre.

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Pour citer cet article

Référence papier

Sylvie Schweitzer, « Le mérite et la nature, une controverse républicaine : l’accès des femmes aux professions de prestige, 1880–1940, J. Rennes »Sociologie du travail, Vol. 51 - n° 2 | 2009, 300-301.

Référence électronique

Sylvie Schweitzer, « Le mérite et la nature, une controverse républicaine : l’accès des femmes aux professions de prestige, 1880–1940, J. Rennes »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 51 - n° 2 | Avril-Juin 2009, mis en ligne le 19 mai 2009, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/sdt/16567 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.16567

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Auteur

Sylvie Schweitzer

LARHRA, ISH, université Lyon-2, 14, avenue Berthelot, 69363 Lyon cedex 7, France
syschweitzer[at]wanadoo.fr

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