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AccueilNumérosVol. 60 - n° 1Comptes rendusMaxime Quijoux (dir.), Bourdieu e...

Comptes rendus

Maxime Quijoux (dir.), Bourdieu et le travail

Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2015, 376 p.
Gaëtan Flocco
Référence(s) :

Maxime Quijoux (dir.), Bourdieu et le travail, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2015, 376 p.

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Texte intégral

1Le livre dirigé par Maxime Quijoux est issu d’un colloque consacré à Pierre Bourdieu qui s’est tenu à Paris en décembre 2012. La thèse de cet ouvrage est double. D’une part, il montre que le travail est bel et bien présent dans l’œuvre de P. Bourdieu, contrairement à une idée répandue. Disséminé dans ses différents écrits, le travail y est abordé d’une façon critique et iconoclaste au regard des approches dominantes des années 1960-1970. D’autre part, le livre rappelle combien les concepts bourdieusiens se révèlent utiles pour éclairer bien des aspects du travail contemporain. La plupart des contributeurs sont des chercheurs en sciences sociales, sans être forcément des tenants de la théorie bourdieusienne. Tous ne sont pas non plus des sociologues du travail, mais ils se prêtent ici au jeu de revisiter leurs objets et l’œuvre de P. Bourdieu à la lumière du travail. Pour ce faire, l’ouvrage est organisé en cinq parties.

2La première partie fait office d’imposante introduction. Elle consiste à examiner quelle place le travail occupe dans l’œuvre de P. Bourdieu et de quelle manière celui-ci l’analyse. Ainsi, le travail est présent dès ses premières enquêtes ethnographiques, au cours desquelles le développement du salariat est saisi comme un « habitus économique » guidé par les principes capitalistes de productivité, de rente et d’épargne. L’étude du travail par Pierre Bourdieu se confirme ensuite lors d’enquêtes qu’il mène avec Jean-Claude Passeron sur les logiques de reproduction des postes et des qualifications offertes par l’École. Cette partie introductive présente aussi la conception ambivalente du travail chez P. Bourdieu, à la fois lieu d’une auto-exploitation poussée, à travers la « double vérité du travail », et condition d’une véritable émancipation sociale, politique et économique.

3Suite à l’exposé de ces fondamentaux, la deuxième partie effectue un retour historique sur les travaux liminaires de P. Bourdieu consacrés à l’Algérie. Ces enquêtes mettent en évidence la manière dont la société algérienne traditionnelle est bouleversée dans ses rapports au temps et aux cycles naturels par le développement de la société salariale impulsée par la colonisation. Dans une Algérie en guerre, P. Bourdieu décrit la diffusion du travail capitaliste parallèlement à la permanence d’activités artisanales et informelles, confirmant l’idée selon laquelle le passage de la société traditionnelle à la société capitaliste s’effectue lentement et progressivement, à travers des formes hybrides.

4La troisième partie porte sur le travail des professions artistiques et intellectuelles. P. Bourdieu a étudié le champ de la culture et de l’éducation, mais n’a abordé qu’en filigrane le travail de ses agents. L’objectif de cette partie est de poursuivre ses réflexions sur ce champ en se concentrant sur le travail. Cela implique d’abord de rassembler ses analyses de l’activité enseignante dispersées dans différents travaux. Dans un deuxième temps, la thèse de P. Bourdieu de la dépendance du champ artistique vis-à-vis des logiques économiques est appliquée aux secteurs cinématographique et musical. Le cas de la danse contemporaine est traité afin d’évaluer les apports des concepts de vocation, d’habitus et de violence symbolique à la compréhension des métiers artistiques. Cette partie se termine par l’exposé des continuités entre l’univers artistique de la création musicale et celui, professionnel, des agents de sécurité et des ingénieurs.

5La quatrième partie rappelle l’importance d’étudier les processus de socialisation à l’œuvre dans la famille et le système scolaire, en vue de rendre intelligibles les trajectoires sociales et les positions salariales. Elle le fait à travers l’examen de quatre situations professionnelles : les dispositions et les contextes qui président à la formation de « l’habitus petit-bourgeois » des bibliothécaires ; l’habitus professionnel des infirmières scolaires, qui puise ses sources dans certaines dispositions, garantissant la légitimité d’une position sociale dominée dans le champ scolaire et dans la société ; la capacité des concierges d’origine sociale modeste travaillant dans les hôtels de luxe à entretenir une proximité avec une clientèle fortunée tout en maintenant une certaine distance sociale avec le mode de vie bourgeois ; les vacataires des instituts de sondage qui vivent leur précarité de manière variable selon leurs origines, leurs trajectoires et leurs caractéristiques sociales.

6La cinquième partie du livre traite des dominations au travail dans une perspective relationnelle et contextuelle. On voit, par exemple, que le travail au sein d’un commissariat est hiérarchisé selon le prestige des différents services et donne lieu à des habitus différenciés, spatialement et socialement. Cette partie fait aussi ressortir que les trajectoires et les capitaux de cadres d’entreprises influencent différemment la manière dont ils vivent la domination managériale. Elle montre que le concept de champ permet d’appréhender le monde syndical dans sa dimension historique et dynamique et d’évaluer son degré de dépendance à l’égard d’autres univers comme le champ politique. Enfin, les apports et les limites du concept de violence symbolique sont discutés et mis en perspective au regard de la réflexion que consacra Michaël Burawoy dans les années 1970 aux ressorts émotionnels et symboliques du consentement des salariés.

7Ce livre ne met pas en avant une thèse sur le travail qui aurait été spécifiquement défendue par P. Bourdieu, ni une tendance saillante qui traverserait actuellement le monde du travail. Cette configuration résulte de la diversité des chapitres, à l’échelle du livre comme de certaines parties. C’est donc au lecteur d’y puiser les éléments susceptibles de lui être utiles au regard de ses propres réflexions, comme c’est souvent le cas avec un ouvrage collectif rassemblant un grand nombre de contributions. En même temps, ce livre vient combler un manque qui se faisait ressentir depuis des années en sociologie du travail : démontrer la force des liens entre l’œuvre de P. Bourdieu et le travail. Il y parvient, d’abord en offrant une synthèse exhaustive de la manière dont le travail est analysé par le sociologue français, et ensuite en illustrant de façon convaincante, à travers de multiples activités et situations professionnelles, toute la pertinence qu’il y a à mobiliser la théorie bourdieusienne pour comprendre le travail aujourd’hui.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Gaëtan Flocco, « Maxime Quijoux (dir.), Bourdieu et le travail »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 60 - n° 1 | Janvier-Mars 2018, mis en ligne le 23 février 2018, consulté le 16 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/sdt/1660 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.1660

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Auteur

Gaëtan Flocco

Centre Pierre Naville (CPN), Université d’Evry-Val-d’Essonne, 2 rue du Facteur Cheval, 91000 Evry, France
gflocco[at]univ-evry.fr

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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