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AccueilNumérosVol. 51 - n° 4Comptes rendusLa contractualisation de la relat...

Comptes rendus

La contractualisation de la relation de travail, C. Bessy

LGDJ, Paris (2007). 317 p.
Franck Bessis
p. 567-569
Référence(s) :

Christian Bessy, La contractualisation de la relation de travail, LGDJ, Paris, 2007, 317 p.

Texte intégral

1Christian Bessy centre son attention sur le contenu des contrats de travail en vue d’interpréter l’incidence d’une plus grande place accordée aux accords interindividuels dans la régulation du rapport salarial. Il étaye ainsi la critique d’une illusion inspirée par l’économie standard selon laquelle la simplification du droit du travail et l’individualisation de la relation qu’il encadre amélioreraient son effectivité et son efficacité économique (rapport Virville). Contre cette idée, l’auteur entend montrer comment le renouveau contractuel s’accompagne d’un renforcement des asymétries de pouvoir au bénéfice de l’employeur, renforcement qui érode les engagements coopératifs nécessaires à l’efficacité des entreprises. À cette fin, il développe une approche institutionnaliste de l’économie du droit centrée sur la dynamique des interactions entre les pratiques de contractualisation, les modalités de gestion de la main-d’œuvre et les règles juridiques.

  • 1 Voir l’ouvrage de Boltanski L., Chiapello É., 1999. Le nouvel esprit du capitalisme. Gallimard, Par (...)

2Son travail consiste ainsi également en un développement du modèle du changement de l’Économie des Conventions1. En centrant sa problématique sur les « usages stratégiques du droit », l’auteur développe et illustre les « microdéplacements, en dehors des épreuves de justification » (p. 40) qui sont à l’œuvre dans ce modèle. L’une des principales difficultés réside alors dans l’observation empirique de ces actions stratégiques.

3Pour la surmonter, C. Bessy multiplie les formes d’enquête, s’appuyant à la fois sur des entretiens auprès d’entreprises, d’avocats et de syndicats, la lecture d’arrêts de la jurisprudence et la constitution d’une base de 403 textes identifiés comme contrats de travail ou lettres d’engagement (étalés sur une période allant de 1970 à 2004). Cette base structure l’analyse autour de la construction d’une typologie des contrats.

4Au regard de la méthode de traitement privilégiée, l’ouvrage est organisé de manière classique. Le premier chapitre éclaire la problématique à partir d’une présentation du cadre d’analyse (conventionnaliste étendu, dans le souci de développer son traitement des actions stratégiques). Le deuxième chapitre présente la base de contrats en mettant l’accent sur les problèmes de délimitation du champ et de représentativité (liés en particulier à l’évolution des obligations légales en matière de rédaction).

5Les quatre suivants justifient la manière dont sont construites les principales variables de l’analyse, exploitées une première fois à partir des caractéristiques des emplois et des entreprises. Chacun de ces quatre chapitres est consacré à l’une des principales dimensions du codage :

  • les garanties recherchées par l’employeur au moment de l’embauche (par exemple, l’obligation pour l’employé de prouver les éléments avancés dans son CV, mais aussi l’engagement de sa part de suivre une formation à l’embauche) ;

  • la subordination du salarié à l’entreprise, appréhendée à travers des exigences en matière de flexibilité et de contrôle ;

  • la protection des actifs immatériels de l’entreprise (clause de dédit–formation, de non-concurrence, d’exclusivité, etc. ; et cession des droits de propriété intellectuelle) ;

  • les dispositifs incitatifs ou de contrôle visant à responsabiliser les salariés et maîtriser leur niveau d’effort.

6Le résultat de la classification ascendante hiérarchique est ensuite interprété au chapitre sept en cherchant à faire le lien entre différents usages du droit et la pluralité des modes de gestion de la main-d’œuvre. À la stabilité des conditions d’emploi propre au « modèle du statut » (compromis industriel–civique) est ainsi associé un usage du droit comme dispositif d’information : il n’y a pas de « véritable contrat de travail, au sens de la négociation d’un accord interindividuel » (p. 191) mais avant tout un renvoi aux accords collectifs. Au « modèle de l’autorité hiérarchique » caractérisé par une flexibilité généralisée et une forte subordination du salarié est associée une « instrumentalisation du droit », dans la mesure où l’usage de clauses de responsabilisation contrevient au rapport de dépendance domestique qui fonde la légitimité de ce modèle. À l’inverse, le « modèle marchand », identifié en priorité par les précautions prises par l’entreprise pour protéger ses actifs immatériels, peut s’accompagner d’une interprétation différente des mêmes clauses de responsabilisation, dans la mesure où d’autres principes pourraient asseoir leur légitimité.

7Les trois derniers chapitres approfondissent la compréhension des logiques et dynamiques à l’œuvre pour chaque modèle à partir d’études de cas et du regroupement des contrats de travail selon trois périodes. Ce découpage conduit l’auteur à retenir (et illustrer) le scénario-type de changement suivant : « Dans un premier temps, la contractualisation de certaines clauses est présentée comme une protection du salarié contre le pouvoir de direction de l’employeur [...], dans un second temps, l’employeur instrumentalise ce type de clause à son profit [...], dans un troisième temps, la Cour de cassation intervient pour revenir sur l’excès de contractualisation » (p. 250).

8Comprise comme le détournement d’une règle ou d’un système de règles à d’autres fins que celles pour lesquelles il a été conçu, l’instrumentalisation ne peut être repérée par le chercheur qu’à condition d’identifier le principe qui fonde la légitimité de la règle — sauf à imputer en toutes circonstances aux agents un comportement stratégique, c’est-à-dire poser comme exclusive l’hypothèse d’une rationalité « instrumentale », contre l’idée d’une pluralité de logiques d’action.

9C’est à partir du moment où ce principe est supposé partagé par les agents qu’une action sur les règles allant à l’encontre de ce principe peut être identifiée comme une instrumentalisation du droit. Mais dès lors que des agents cherchent à faire valoir un autre principe légitime à son fondement pour justifier l’usage fait de cette règle, la notion d’instrumentalisation ne suffit plus pour qualifier leurs actions, car on perd alors l’idée même d’un accord sur le principe qui fonde la légitimité de la règle. Pour continuer à parler d’instrumentalisation dans de tels cas, il faut opposer à une partie des agents un autre critère que celui qui était auparavant (avant sa contestation par ces agents) supposé partagé. Dans cette optique, au moins deux solutions sont envisageables. Il est en effet possible de s’en remettre soit à un accord passé sur l’intention initiale du législateur, soit à un accord présent sur la manière dont les juges ont réinterprété (ou ont jugé bon d’infléchir) jusqu’à présent cette intention (inscrits dans la jurisprudence). De ces deux solutions, les différentes interprétations des cas présentés dans l’ouvrage ne nous semblent pas permettre de distinguer laquelle doit être privilégiée pour l’auteur. Surtout, aucune ne semble réellement satisfaisante. La première place, face aux jugements opposés des agents contractants, le chercheur en position de juge, précisément à la place des juges qui élaborent la jurisprudence. La seconde solution que nous avons envisagée rabat au contraire l’analyse sur le travail de la jurisprudence, empêchant toute prise de distance par rapport aux jugements de droit. En conséquence, l’importante contribution à l’analyse du changement institutionnel développée dans cet ouvrage appelle à présent un approfondissement de la notion d’instrumentalisation.

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Notes

1 Voir l’ouvrage de Boltanski L., Chiapello É., 1999. Le nouvel esprit du capitalisme. Gallimard, Paris et l’article de Bessy C., Favereau O., 2003. Institutions et économie des conventions. Cahiers d’Économie Politique. 44, p. 119–164.

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Pour citer cet article

Référence papier

Franck Bessis, « La contractualisation de la relation de travail, C. Bessy »Sociologie du travail, Vol. 51 - n° 4 | 2009, 567-569.

Référence électronique

Franck Bessis, « La contractualisation de la relation de travail, C. Bessy »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 51 - n° 4 | Octobre-Décembre 2009, mis en ligne le 26 novembre 2009, consulté le 08 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/sdt/17507 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.17507

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Auteur

Franck Bessis

Laboratoire EconomiX, université Paris X Nanterre, 200, avenue de la République, 92001 Nanterre cedex, France
fr.bessis[at]gmail.com

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