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AccueilNumérosVol. 50 - n° 1Comptes rendusPierre Cours-Salies, Stéphane Le ...

Comptes rendus

Pierre Cours-Salies, Stéphane Le Lay (dir.), Le bas de l’échelle. La construction sociale des situations subalternes

Erès, Paris, 2006 (302 p.)
Anne-Marie Arborio
p. 123-126
Référence(s) :

Pierre Cours-Salies et Stéphane Le Lay (dir.), Le bas de l’échelle. La construction sociale des situations subalternes, Erès, Paris, 2006, 302 p.

Texte intégral

1Cet ouvrage publié sous la direction de Pierre Cours-Salies et Stéphane Le Lay réunit, outre des textes de synthèse, une douzaine d’études appuyées sur des travaux de recherche récents en sciences sociales. Quelle que soit la spécificité des situations éclairées par ces travaux, quelle que soit l’échelle ou le mode d’observation choisis pour les appréhender (cadrage statistique par traitement secondaire de données quantifiées, enquête de terrain dans telle institution ou tel quartier, entretiens auprès d’employés en situations diverses, suivi d’une cohorte de travailleurs handicapés, observation ethnographique des démarches d’un chômeur aux prises avec les services sociaux, analyse statistique de rapports contenus dans des dossiers judiciaires...), chaque étude éclaire une part des processus de segmentation à l’œuvre dans nos sociétés qui conduisent à qualifier des positions sociales, et ceux qui les occupent, de « subalternes ». Sans doute, chacune pourrait-elle faire l’objet de développements plus approfondis mais leur rapprochement en un seul ouvrage donne à voir une réalité plus large, multiple et massive, qui renvoie à des mécanismes fondamentaux que résume bien le titre de la postface rédigée par Claude Dubar : « les dégâts du néolibéralisme à la française ». Le rapprochement de situations singulières permet, en outre, de donner du sens à une catégorie qui recouvre toutes ces situations particulières : le « bas de l’échelle ». Cette catégorie métaphorique est d’abord issue de la pratique : mobilisée par les acteurs qui ont conscience de ne pas exercer un « vrai » métier, de ne pas avoir une « vraie » place dans la société, sans se penser complètement aux marges, même si leur espoir de « gravir les échelons » est souvent éteint. Le thème de l’invisibilité sociale y est récurrent et l’ouvrage anticipe certaines réflexions de La France invisible (Beaud et al., 2006), mais il s’agit moins ici de porter au jour des catégories invisibles dans le souci de leur rendre justice, que de rendre compte des processus qui entourent la construction de ces situations comme subalternes, dont l’invisibilité n’est qu’un indice. L’apport de l’ouvrage tient donc dans sa capacité à faire du « bas de l’échelle » une catégorie analytique qui rende compte de processus, au-delà de la « naturalisation » de situations présentées, y compris parfois par ceux qui les vivent, comme le produit inéluctable de leurs caractéristiques propres et « naturelles » (âge, sexe, capacités certifiées par l’école...).

2Les six « situations salariées » qui composent la première partie de l’ouvrage illustrent, chacune à sa manière, que les rapports entre la configuration du « bas de l’échelle » et les questions de travail sont étroits, ainsi que l’a exposé P. Cours-Salies dans le chapitre introductif. Les contraintes du travail pèsent lourdement au bas de l’échelle : pour les salariés de Mac Donald’s interviewés ou observés par Jean-Claude Benvenuti, non seulement l’organisation du travail est stricte mais la flexibilité est forte. À ces contraintes qui valent pour d’autres situations s’ajoute le caractère ingrat des tâches à réaliser. Face à la dégradation des personnes âgées en maison de retraite, les aides-soignantes étudiées par Lise Causse perdent ainsi tout sentiment de contribution aux « soins » qui pourrait donner quelque estime pour leur travail. Le fait que ces tâches leur soient déléguées, en tant que « sale boulot », renforce le sentiment d’indignité de ceux qui les prennent en charge sans aucune possibilité pour le déléguer à leur tour. La lecture de différentes contributions fait percevoir tout l’intérêt d’une analyse de la division du travail autour du « sale boulot » pour comprendre la construction de ces situations subalternes et plus largement comment ces situations se construisent à l’ombre de catégories voisines : il en va ainsi des ouvriers de l’Éducation nationale par rapport aux surveillants (Christine César). La dévalorisation des tâches est associée à une négation des compétences réellement mises en œuvre, que ce soit par la mise en avant du seul rôle d’« exécution » pour les employées de bureau (Yannick Le Quentrec) ou par l’assimilation de ces compétences à des qualités supposées « naturelles » et sexuées, s’agissant des métiers construits comme féminins (aides-soignantes ou employées de bureau). Le recrutement d’animateurs socioculturels issus de l’immigration ou des quartiers mêmes dans lesquels leur est confiée la régulation de conflits renvoie à un processus identique d’appel à des compétences non reconnues et incertaines pour gérer des situations difficiles. Ce dernier exemple, tout comme celui des jeunes salariés des sociétés de service d’ingénierie informatique sous contrat de qualification (Maud Ingarao) montre que la détention d’une formation scolaire ne suffit pas à prémunir contre les situations subalternes, surtout lorsqu’elle conduit à travailler sous des statuts précaires. Comme ces situations ne trouvent aucune compensation en termes de salaire ou de perspective de carrière, les seules issues sont la fuite par exemple pour les jeunes salariés de Mac Donald’s et chez les animateurs, ou plus souvent la résignation, qui ne va pas sans souffrance.

3Mais les situations subalternes se construisent aussi aux marges du salariat. Dans la deuxième partie, les études présentées portent chacune sur des groupes ou des individus stigmatisés, que ce soit par leur appartenance à un quartier, l’inscription progressive dans l’assistanat, leurs origines ethniques ou leur genre, ou encore par leur état de santé. Karima Guenfoud montre bien comment les « professionnels » du « biz », engagés dans des activités illégales, se projettent dans un avenir légal, où l’entrepreneur indépendant fait figure d’idéal. Mais les conditions de sortie sont difficilement réunies et les trafiquants, « patrons » ou précaires, contraints à rester dans l’illégalité, développent un imaginaire qui rend acceptable ce décalage entre leurs aspirations initiales et la réalité. Le processus suivi par le chômeur assisté dans ses démarches auprès des Assedic par Pierre Cours-Salies est aussi celui d’une acceptation progressive de la position qui lui est assignée, ici par les assistantes sociales à l’aide desquelles il cherche à retrouver ses droits aux allocations chômage ou un emploi. Pour les femmes immigrées, le stigmate est double et s’accompagne d’un processus d’invisibilisation de leur place sur le marché du travail qui est ici finement analysé par Sabah Chaib. Parmi les handicapés dont Sylvie Contrepois suit une cohorte, ceux qui retrouvent un emploi, encadré par des dispositifs spécialisés, le font souvent dans la précarité et la différenciation stigmatisante avec les autres travailleurs s’en trouve redoublée. Au bas de l’échelle, stigmates et handicaps se cumulent souvent au fil des trajectoires.

4La troisième partie, intitulée « Politiques de précarisation », fait apparaître de manière plus nette certains acteurs des processus de construction des situations subalternes, notamment l’État, qui y participe via les politiques sociales et les entreprises qui en tirent parti. Stephen Bouquin, analysant la régulation des marchés du travail par la précarisation et la segmentation, pose la question du rôle d’un « État-providence patronal » (p. 205). C’est aussi l’occasion d’analyser de manière critique la notion d’« employabilité » qui, au-delà des caractéristiques individuelles, renvoie à un mode de gestion de la main d’œuvre dans un contexte économique, démographique et à la mise en œuvre de dispositifs tels que ceux qui s’appliquent aux chômeurs de plus de 50 ans, reléguant des travailleurs perçus comme « âgés » hors du monde du travail (Isabelle Tarty). Dans les dispositifs visant les jeunes, l’intention d’insertion est plus manifeste. Mais la mise au travail salarié de jeunesses urbaines populaires, dans le programme emploi-jeunes, se fait sous tension : un accès à l’emploi mais « sans-métier » dans une position subalterne au sein de l’entreprise publique étudiée par Emmanuelle Lada qui met au jour des différenciations subtiles entre fractions de salariés, notamment des modes d’occupation ethnicisés et sexués des positions subalternes. Les effets de la précarisation sociale se conjuguent à la déstabilisation de la famille dans les itinéraires analysés par Christian Léomant et Nicole Sotteau-Léomant pour renforcer l’assignation sociale au « bas de l’échelle » jusqu’au sentiment de « non-existence sociale » (p. 257). Stéphane Le Lay montre enfin comment les dispositifs sociaux, en favorisant l’atomisation des classes populaires, laissent peu de chances à une mobilisation collective au bas de l’échelle.

5Chacun pourra regretter l’absence dans cet ouvrage de telle ou telle situation ou catégorie qui lui aurait paru d’évidence se ranger dans la catégorie du « bas de l’échelle » : le parti pris de mettre en avant la question des banlieues pourrait ainsi être contesté en ce qu’il occulte certaines fractions rurales du bas de l’échelle (Renahy, 2005). Mais l’ouvrage ne prétend pas à rendre compte de manière exhaustive des situations subalternes, encore moins à rendre justice de toutes les populations « invisibles ». Il reste peut-être à travailler les frontières : le « bas de l’échelle » ne se construit-il pas à l’aune de la norme imposée du « travailleur masculin et adulte, en bonne santé [...] associée à la norme “ordinaire” du Code du travail » (p. 276) en même temps que dans l’ombre de ceux qui sont positionnés sur les « barreaux » supérieurs ? En attirant l’attention sur le bas de l’échelle, le livre porte sur la question plus large des inégalités sociales, ne serait-ce que parce que les processus de segmentation, ici de construction de situations subalternes, ont des effets — par exemple de « mise en insécurité des salariés qualifiés et stables » (p. 23) — qui se propagent aux échelons intermédiaires.

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Bibliographie

Beaud, S., Confavreux, J., Lindgaard, J., 2006. La France invisible. La Découverte, Paris.

Renahy, N., 2005. Les gars du coin. Enquête sur une jeunesse rurale. La Découverte, Paris.

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Pour citer cet article

Référence papier

Anne-Marie Arborio, « Pierre Cours-Salies, Stéphane Le Lay (dir.), Le bas de l’échelle. La construction sociale des situations subalternes »Sociologie du travail, Vol. 50 - n° 1 | 2008, 123-126.

Référence électronique

Anne-Marie Arborio, « Pierre Cours-Salies, Stéphane Le Lay (dir.), Le bas de l’échelle. La construction sociale des situations subalternes »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 50 - n° 1 | Janvier-Mars 2008, mis en ligne le 21 mars 2008, consulté le 15 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/sdt/18810 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.18810

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Auteur

Anne-Marie Arborio

Laboratoire d’économie et de sociologie du travail (LEST), département de sociologie, université de Provence, 29, avenue Robert-Schuman, 13621 Aix-en-Provence cedex, France
anne-marie.arborio[at]up.univ-aix.fr

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Droits d’auteur

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