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AccueilNumérosVol. 49 - n° 1Comptes rendusSerge Proust, Le comédien désempa...

Comptes rendus

Serge Proust, Le comédien désemparé. Autonomie artistique et interventions politiques dans le théâtre public

Economica, 2006 (261 pages)
Laure de Verdalle
p. 121-123
Référence(s) :

Serge Proust, Le comédien désemparé. Autonomie artistique et interventions politiques dans le théâtre public, Economica, 2006, 261 p.

Texte intégral

1Issu d’une thèse soutenue en 1999 et depuis largement remaniée, l’ouvrage de S. Proust nous propose une analyse croisée de l’« autonomie artistique » et des « interventions politiques dans le théâtre public ». Ce sous-titre s’avère toutefois en partie trompeur et S. Proust précise dès l’introduction qu’il s’agit moins pour lui de s’intéresser aux liens entre théâtre et politique que d’étudier le secteur du théâtre public, du point de vue de ses pratiques et de ses modes d’organisation. Pour cela, S. Proust s’appuie sur une connaissance sans faille du monde théâtral. Il regroupe ici différents terrains d’enquête menés depuis une dizaine d’années. Le matériau amassé dans la région bordelaise pendant ses années de thèse est ainsi complété par l’analyse des récentes mobilisations d’intermittents, tandis que le festival d’Avignon lui offre une prise privilégiée pour saisir son objet dans une perspective dynamique.

2L’ouvrage, bien structuré, se compose de quatre grandes parties. Chacune d’entre elles dispose d’une introduction et d’une conclusion qui témoignent du sens pédagogique de l’auteur.

3La première partie (« Principes et organisation du théâtre public ») retrace la montée des enjeux scénographiques (chapitre 1) d’un théâtre d’art, dont la prédominance est constitutive du secteur du théâtre public. Extrêmement synthétique, ce détour resitue finement les grandes lignes d’une histoire du théâtre français marquée par la figure de Jean Vilar. Ce dernier incarne en effet un théâtre populaire d’abord dominant puis dépassé par l’apparition de nouvelles formes esthétiques qui vont privilégier la rareté des représentations et la rupture avec la demande. Ces évolutions ne peuvent se comprendre qu’en relation avec le rôle croissant de l’État et de ses différentes composantes (chapitre 2). À travers une étude éclairante des subventions accordées aux metteurs en scène, S. Proust met notamment en évidence les conséquences de l’intervention publique dans la construction des carrières théâtrales.

4Dans la deuxième partie (« La professionnalisation des entreprises théâtrales »), l’ouvrage change d’échelle d’analyse et se penche sur l’organisation interne des entreprises théâtrales. Le prisme wébérien de la rationalisation et de la routinisation du travail est mobilisé pour décrire la professionnalisation du théâtre public. Insistant sur la dimension collective des activités théâtrales, S. Proust s’intéresse à la division du travail artistique (chapitre 3) et à l’organisation administrative des entreprises théâtrales (chapitre 4). Il montre que la spécialisation accrue des métiers du théâtre et la rationalisation croissante de la gestion des structures concernées relèvent tout autant de la généralisation de l’intervention publique qui impose de nouvelles contraintes -, que d’un processus de recherche esthétique interne au milieu théâtral.

5Dans un troisième temps (« Un monde déchiré. Les divisions de l’intermittence »), S. Proust évoque les luttes menées par les intermittents et les hiérarchies qui sous-tendent un secteur profondément inégalitaire. Les apports de son travail concernent moins le fonctionnement du régime (chapitre 3) – déjà bien étudié par ailleurs (Menger, 2005), que l’analyse détaillée des mobilisations des professionnels intermittents (chapitre 4). En effet, S. Proust s’appuie sur les résultats présentés dans les deux premières parties de son ouvrage et souligne que « les mobilisations autour du régime de l’intermittence sont l’occasion de la manifestation de divisions profondes, parfois irréductibles, entre professionnels du théâtre public » (p. 170).

6Dans la dernière partie, S. Proust s’intéresse enfin à « la communauté théâtrale ». Il la présente comme un idéal, mobilisé par le milieu théâtral face à « l’ampleur de [ses] divisions et [à] la violence de [ses] conflits » (p. 171) et comme « un contre-modèle du processus de rationalisation dans le théâtre public » (p. 7). Il étudie (chapitre 7) les principales caractéristiques de la communauté théâtrale (critique de l’économie marchande, dénonciation de la bureaucratisation, faible division du travail, virtuosité et prédominance des liens affectifs) qui s’opposent traits pour traits aux évolutions décrites précédemment. Cette présentation s’achève par une analyse centrée sur les figures charismatiques de ceux qui dirigent ou ont dirigé les troupes les plus connues (chapitre 8).

7Les analyses menées par S. Proust s’inscrivent dans le prolongement d’une sociologie des professions théâtrales marquée par les travaux fondateurs de Pierre-Michel Menger (1997, 2005) et de Catherine Paradeise (1998). S. Proust s’en distingue néanmoins en décalant la focale de ses analyses vers des enjeux d’ordre esthétique (souvent sous-évalués ou ignorés par la sociologie du travail artistique) et vers la question centrale du rôle des tutelles publiques. Cette approche se révèle à la fois très riche et extrêmement stimulante. Deux questions restent toutefois en suspens et invitent à des prolongements.

8Tout d’abord si la thématique de la rationalisation est mobilisée de façon très convaincante, celle de l’autonomisation appelle une analyse plus systématique. En effet, alors que l’ouvrage repose sur une hypothèse forte, selon laquelle « il existe un lien nécessaire entre l’autonomisation de l’espace théâtral, l’intervention de l’État et l’attrait de la troupe » (p. 231), le sens que l’auteur donne à la notion d’autonomisation n’est pas toujours évident (est-elle esthétique, politique ou économique, et comment ces différentes dimensions s’articulent-elles ?). De ce point de vue, S. Proust ne parvient peut-être pas toujours à se détacher de l’ambivalence dont font preuve les artistes qu’il étudie à l’égard de l’intervention publique.

9Par ailleurs, si la diversité des matériaux d’enquête sur lesquels s’appuie ce travail est exemplaire, S. Proust choisit de concentrer son analyse sur les figures les plus en vue du théâtre public, tout en précisant que ce secteur regroupe « l’ensemble des structures théâtrales qui bénéficient de subventions publiques » (p. 2) et qu’il se caractérise par son hétérogénéité. Ce biais méthodologique déséquilibre quelque peu les analyses proposées, alors même que la troisième partie insiste à juste titre sur les tensions et les hiérarchies qui structurent le secteur.

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Bibliographie

Menger, P.M., 1997. La profession de comédien. Formations, activités et carrières dans la démultiplication de soi. La Documentation française, Paris.

Menger, P.M., 2005. Les intermittents du spectacle. Sociologie d’une exception. Editions de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris.

Paradeise, C., 1998. Les comédiens. Profession et marchés du travail. PUF, Paris (avec J. Charby et F. Vourc’h).

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Pour citer cet article

Référence papier

Laure de Verdalle, « Serge Proust, Le comédien désemparé. Autonomie artistique et interventions politiques dans le théâtre public »Sociologie du travail, Vol. 49 - n° 1 | 2007, 121-123.

Référence électronique

Laure de Verdalle, « Serge Proust, Le comédien désemparé. Autonomie artistique et interventions politiques dans le théâtre public »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 49 - n° 1 | Janvier-Mars 2007, mis en ligne le 21 mars 2008, consulté le 12 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/sdt/20821 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.20821

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Auteur

Laure de Verdalle

Laboratoire Printemps (CNRS/UVSQ), 47, boulevard Vauban, 78047 Guyancourt cedex, France
laure.de-verdalle[at]uvsq.printemps.fr

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