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AccueilNumérosVol. 49 - n° 2Comptes rendusClaude Didry, Arnaud Mias, Le mom...

Comptes rendus

Claude Didry, Arnaud Mias, Le moment Delors, Les syndicats au cœur de lEurope sociale

P.I.E.-Peter Lang, Bruxelles, 2005 (349 pages)
Evelyne Léonard
p. 285-287
Référence(s) :

Claude Didry et Arnaud Mias, Le moment Delors, Les syndicats au cœur de l’Europe sociale, P.I.E.-Peter Lang, Bruxelles, 2005, 349 p.

Texte intégral

1Quoi qu’en disent certaines dénonciations, parfois à l’emporte-pièce, des dérives néolibérales de l’intégration européenne, il existe bien une Europe sociale ou, plus précisément, un modèle social européen. Le projet de Claude Didry et Arnaud Mias est d’en analyser les développements depuis l’origine, liée à la fondation même de la communauté européenne avec le Traité de Rome en 1957. Les auteurs retracent les étapes de la formation des normes qui forment « l’acquis communautaire » en les articulant autour d’un moment charnière qu’ils appellent « le moment Delors ». Celui-ci débute en 1985 et marque un tournant dans la constitution du dialogue social européen qui, à la fois, nourrira le développement d’institutions participant de la construction européenne dans sa dimension sociale, participera de la transformation des organisations patronales et syndicales européennes, et contribuera au déploiement d’une législation communautaire dans le domaine social.

2L’analyse menée par C. Didry et A. Mias se déroule en trois temps. La première partie recadre les évolutions du dialogue social dans les grandes étapes de la construction européenne, pour montrer comment le moment où J. Delors prend en charge la Présidence de la Commission opère un basculement de perspective : la dimension sociale n’est plus comprise comme extérieure ou complémentaire au marché, mais bien comme une dimension même du « marché intérieur », envisagé comme une collectivité économique et sociale qui requiert une régulation politique dans laquelle les interlocuteurs sociaux sont appelés à jouer un rôle actif. Ce rôle prendra forme à partir de 1985 dans les « entretiens de Val Duchesse ».

3Dans la deuxième partie l’approche se concentre sur ces entretiens, comprenant réunions au sommet et groupes de travail qui produisent des « avis communs ». En exploitant les documents issus de ces entretiens, C. Didry et A. Mias analysent en profondeur la dynamique par laquelle un dialogue social s’institutionnalise peu à peu. Ils montrent d’abord, au moyen d’une analyse lexicale du corpus documentaire, comment il devient progressivement l’enjeu des débats, pour s’interroger ensuite sur le statut des « avis communs », à mi-chemin entre constat et accord, mais contribuant à la formation progressive d’une législation communautaire dans laquelle interviennent les interlocuteurs sociaux. Ils s’intéressent enfin au « réseau Val Duchesse » où se nouent des relations qui vont faire émerger des identités collectives dans et entre les organisations patronales et syndicales.

4Dans une troisième partie, les auteurs examinent comment les règles et accords nouveaux et les acteurs du dialogue social se construisent mutuellement pour former l’ébauche d’un système européen de relations professionnelles.

5Sur des questions qui préoccupent essentiellement les sciences politiques ou le droit, C. Didry et A. Mias ont le grand mérite de proposer une analyse sociologique fine qui attache une importance pointilleuse à la chronologie des faits et exploite de façon originale et fouillée un large corpus de documents. Ils montrent bien comment le dialogue social se constitue progressivement comme un processus sociopolitique, parfois chaotique certes mais finalement cumulatif, par lequel les interlocuteurs sociaux sont amenés à participer à la construction européenne par une activité législative propre. Cette institutionnalisation du dialogue social passe par l’intervention des interlocuteurs sociaux dans la production progressive de règles sur les questions sociales, et en même temps par la constitution de ces interlocuteurs en tant que « partenaires sociaux » se donnant un champ d’action européen, recevant mandat de leurs membres nationaux, et construisant une identité européenne spécifique. Il est inutile de souligner ici à quel point cette perspective est innovante dans les approches des institutions européennes, largement dominées par une lecture qui tient pour établies ex nihilo les institutions et les normes. C. Didry et A. Mias ont aussi le mérite d’accorder une attention très méticuleuse aux faits, et le lecteur a tout avantage à surmonter le caractère parfois fastidieux du développement pour retirer l’essentiel.

6Le « moment Delors » apparaît comme une clé de la voûte du raisonnement dès lors que la présidence de J. Delors fait intervenir les interlocuteurs sociaux dans la régulation du « marché intérieur ». Cette clé de voûte confère, que les auteurs le veuillent ou non, un rôle tout à fait majeur à la figure de Jacques Delors, dont la personnalité, le charisme et les initiatives génèrent un tournant « historique ». On peut regretter que le rôle de la Commission apparaisse souvent réduit à celui de son président. Plus fondamentalement, l’analyse est quelque peu paradoxale dans la mesure où elle place au centre la figure de J. Delors tout en apportant un éclairage significatif sur les multiples jeux entre organisations patronales et syndicales. La chronologie retracée par C. Didry et A. Mias, ainsi que l’analyse des réseaux et des acteurs sociaux, montrent pourtant à quel point d’autres figures importantes ont joué un rôle déterminant dans l’institutionnalisation du dialogue social européen.

7Enfin, on peut considérer que la position des auteurs sur la dimension sociale de l’intégration européenne est excessivement positive, voire euphorique. C’est effectivement le cas si l’on compare terme à terme les systèmes nationaux de relations professionnelles et le dialogue social européen, auquel cas ce dernier semble peu productif, avec quelques accords, de portée relative, conclus au cours des dix dernières années. Cela dit, « Le Moment Delors » éclaire très utilement la dimension sociale de la construction européenne à un moment, justement, où la profusion des débats masque parfois une ignorance ou une occultation de cette composante.

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Pour citer cet article

Référence papier

Evelyne Léonard, « Claude Didry, Arnaud Mias, Le moment Delors, Les syndicats au cœur de lEurope sociale »Sociologie du travail, Vol. 49 - n° 2 | 2007, 285-287.

Référence électronique

Evelyne Léonard, « Claude Didry, Arnaud Mias, Le moment Delors, Les syndicats au cœur de lEurope sociale »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 49 - n° 2 | Avril-Juin 2007, mis en ligne le 21 mars 2008, consulté le 13 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/sdt/22040 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.22040

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Auteur

Evelyne Léonard

Institut d’administration et de gestion, institut des sciences du travail, université catholique de Louvain, Belgique
leonard[at]rehu.ucl.ac.be

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont susceptibles d’être soumis à des autorisations d’usage spécifiques.

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