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Les « intermittents » de l’Église. Modalités d’emploi des personnels laïcs dans le catholicisme français

The Church’s lay workforce: Employment conditions in the French Catholic Church
Céline Béraud
p. 37-54

Résumés

Dans un contexte de gestion de la pénurie sacerdotale, plusieurs milliers de laïcs, dont une majorité de femmes, sont missionnés par leur évêque pour exercer de manière permanente des fonctions spirituelles. Une part importante d’entre eux est détentrice d’un contrat de travail. Les conditions d’emploi de ces permanents d’un genre nouveau sont plutôt défavorables : missions canoniques limitées à quelques années (malgré l’existence d’un CDI), temps partiel, rémunération proche du salaire minimum. Cette fragilité statutaire s’explique par différents facteurs : la situation financière dégradée des diocèses français, la volonté des autorités ecclésiales de présenter le clerc comme le seul permanent pleinement légitime de l’institution, le comportement attestataire des laïcs qui semblent trouver leur compte dans une telle forme d’engagement. Les tentatives d’institutionnalisation de cette intermittence ne vont pas sans difficultés tant au regard du droit du travail, qu’au niveau des effets inattendus produits en interne par la promotion d’une culture de l’engagement pour un temps.

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Texte intégral

  • 1 La Croix, 13 juin 1992.
  • 2 Ainsi parle-t-on parfois de « permanents laïcs », d’autre fois d’animateurs ou avec plus de précisi (...)
  • 3 L’invisibilité statistique des permanents laïcs contraste avec l’importance effective de leur activ (...)
  • 4 Une enquête, réalisée en 2002 à l’occasion du rassemblement annuel des animateurs laïcs en pastoral (...)

1« Ils ont l’Église pour patron1 », le titre de cet article paru dans un journal confessionnel, s’il a quelque chose de provocateur, n’en a pas moins pour objectif d’attirer l’attention sur le phénomène largement méconnu (qui l’était encore davantage à l’époque) de l’existence d’un nombre croissant de laïcs qui exercent de manière permanente des fonctions spirituelles et dont une part importante est détentrice d’un contrat de travail. Formés par l’Église, ils sont missionnés par leur évêque. L’appellation même de ce groupe composite, mêlant salariés et bénévoles, n’est pas stabilisée2. Quant à leur importance quantitative, elle est grossièrement estimée3. Dans un contexte de gestion de la pénurie sacerdotale, plusieurs milliers de permanents laïcs, dont une majorité de femmes, secondent voire suppléent aujourd’hui les prêtres dans leur activité de prise en charge de la cure d’âme. Les laïcs ont commencé par s’investir dans la catéchèse. Ils sont de plus en plus nombreux parmi les aumôniers des établissements publics, mais aussi parmi les collaborateurs directs des évêques. En paroisse, ils préparent au baptême et au mariage, conduisent des funérailles4.

  • 5 La demande de mise en forme des grands moments de l’existence (rites de passage) a certes diminué a (...)
  • 6 Le droit canon considère que l’ordination, si elle a été validement reçue, présente un caractère in (...)

2En maintenant les barrières que constituent le célibat et le genre dans l’accès à l’ordination, l’Église catholique fonctionne, pour son recrutement, en marché du travail fermé. Parallèlement, elle s’est vue contrainte de diversifier son personnel afin de pouvoir continuer à répondre aux demandes qui s’adressent à elle5. L’institution ecclésiale offre donc l’exemple d’une organisation à structure duale. En son centre exercent les clercs engagés dans une carrière officiellement sans borne6. De manière plus ou moins périphérique, gravitent d’autres catégories de personnel qui agissent ponctuellement ou durablement, aux frontières du bénévolat et du salariat. Les recompositions des formes de division du travail religieux à l’œuvre dans le catholicisme français prennent donc forme selon une logique de ségrégation des statuts régulée par un droit canon inchangé.

3Le présent article a pour objet d’examiner la fragilité statutaire de ces permanents d’un genre nouveau, tout particulièrement au regard du droit du travail. Si la condition salariale a été rejetée pour les prêtres, elle a par contre été adoptée bon gré mal gré pour les permanents laïcs. Cependant, l’Église catholique, en offrant à ses salariés laïcs des missions de quelques années, renouvelables au maximum deux ou trois fois, se place en porte-à-faux par rapport au droit du travail, même si le juge se refuse à en exiger l’application au nom du sacro-saint principe de séparation de l’Église et de l’État. Elle n’en développe pas moins des formes d’emplois des plus « modernes ».

1. Des « intermittents » de l’Église

4On peut trouver paradoxal de désigner, ce que l’on a choisi d’appeler « permanents laïcs », par le terme « intermittents ». Il est possible de le justifier en ayant recours à au moins deux arguments. D’une part, on le verra, les documents romains s’appliquent à présenter l’activité des laïcs comme une suppléance provisoire. D’autre part, l’intermittence désigne ici un mode structurel de gestion de la main-d’œuvre non ordonnée, dont le statut est marqué par la précarité mais dont l’activité présente une indéniable continuité.

1.1. Des conditions d’emploi peu favorables

  • 7 Du mois jusqu’à la récente création du contrat nouvel embauche (CNE).

5Les mandats confiés à ces non-clercs sont toujours présentés comme provisoires par les autorités ecclésiales. Les laïcs ne sont pas appelés à « faire carrière » dans l’Église (expression abhorrée par l’épiscopat) mais à se succéder sur les emplois offerts. Ils se voient recrutés pour une mission d’une durée limitée de trois ans renouvelable au maximum deux fois. Lorsqu’ils sont salariés, de telles limites temporelles ne s’inscrivent pas dans le droit français. La durée maximale des contrats précaires est normalement de 18 mois et ne saurait en aucun cas dépasser 24 mois. De plus, selon l’article L. 122‑1 du Code du travail, l’emploi précaire ne peut avoir pour objet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise7, à défaut il peut être requalifié en contrat à durée indéterminée.

6Dans la même perspective, le contrat s’exécute très souvent à temps partiel même si, dans les faits, certaines personnes effectuent de véritables temps pleins : « Le travail pastoral a la réputation d’être hors des limites du temps » (Van der Helm, 1993, p. 141). D’ailleurs, pour le passage aux 35 heures, les permanents laïcs salariés ont été assimilés dans certains diocèses au groupe des travailleurs sans horaires, au même titre que les cadres dirigeants. La professionnalisation laisse ici une place à la gratuité et au désintéressement, hautement valorisés dans le champ religieux.

7Rejoignant là aussi la thématique du don, les salaires qui sont offerts sont des plus modestes, phénomène dont les conséquences financières sont accentuées par l’exercice à temps partiel :

« Ici, à l’hôpital, c’est nous qui sommes le moins bien rémunérées. S.T. qui a été l’une des premières embauchées à l’aumônerie, elle a fait 9 ans à M., puis elle est allée à Saint-V. Du fait du changement d’établissement, elle a perdu l’ancienneté qu’elle avait accumulée. Elle est partie à la retraite avec à peine de quoi vivre… Même les dames qui font le ménage sont mieux payées que nous… Mais on ne fait pas ça pour le fric. » (Laïque, aumônier d’hôpital.)

  • 8 Cette pluriactivité concerne souvent des enseignants ou des professionnels de la santé.
  • 9 L’enquête réalisée dans un diocèse de province révèle que plus du tiers des permanents laïcs ont un (...)

8Un évêque interrogé sur ce point a rétorqué que les laïcs ne sont pas là « pour se faire de l’argent sur le dos de l’Église ». On trouve donc dans l’Église catholique des salariés qui présentent les caractéristiques des working poors mais qui, dans les faits, le sont rarement puisque les individus bénéficient du revenu de leur conjoint, voire conservent parallèlement un emploi purement profane à temps partiel8. Un tel phénomène peut permettre d’expliquer la surreprésentation des femmes parmi les laïcs permanents et dans une certaine mesure de celles issues de catégories socioprofessionnelles plutôt favorisées9. Le fait de recevoir ou non un salaire, repose dans le discours officiel de l’Église sur une réalité extrinsèque (le fait que la personne en question a besoin d’une rémunération pour vivre dignement, conformément aux exigences du droit canon) et non pas intrinsèque au travail réalisé (volume horaire, niveau de formation et de responsabilités). Ainsi les hommes et les femmes célibataires sont-ils généralement un peu mieux payés que les femmes mariées. Lorsqu’on les interroge, les membres de l’épiscopat développent le type de justification suivant :

« Une femme qui vient de se faire plaquer par son mari, on la paiera de toute façon quelles que soient ses fonctions. » (Évêque d’un diocèse de banlieue parisienne.)

« Certains animateurs laïcs mais aussi certains prêtres ou certains fidèles, quand ils savent qu’une personne mariée avec quelqu’un qui a une très bonne situation, demande à être salariée, ça fait scandale… C’est complexe ce genre de choses. Moi j’ai été sérieusement interpellé dans un cas de ce genre. J’ai pu jouer sur le fait qu’il s’agit d’un poste d’aumônerie financé par l’administration. Ce n’est pas l’Église diocésaine qui paye. […] Dans un contexte de pénurie financière, il faut salarier en priorité les personnes qui n’ont pas d’autres ressources. En gros, tout le monde est d’accord là-dessus. » (Vicaire général d’un diocèse de province.)

9Un principe de réalité semble cependant l’emporter notamment pour des postes exigeant des compétences pointues pour lesquelles il faut se résoudre à « payer le prix du marché » selon l’expression d’un évêque faisant référence à des emplois à la frontière entre travail profane et travail religieux. De plus, la difficulté croissante à recruter des bénévoles a souvent été évoquée au cours des entretiens.

10Notons aussi que l’échelle des salaires versés aux laïcs est très resserrée et reflète donc peu les écarts de compétence ou de responsabilité. Le traitement versé à l’ensemble des prêtres d’un diocèse, évêque inclus, est proche du Smic : on perçoit ici l’influence du modèle clérical sur la gestion des ressources humaines laïques.

1.2. L’articulation du droit canon et du droit du travail : les difficultés posées par un double système d’allégeance

  • 10 La Croix, 13 juin 1992.

11Conformément aux décisions prises en la matière en 1983 par la Conférence épiscopale suite aux négociations menées pendant plusieurs années avec des associations de catéchistes professionnelles, les permanents laïcs salariés jouissent d’un contrat de travail en bonne et due forme auquel est annexée la lettre de mission de l’évêque. L’articulation des deux ordres juridiques au confluent desquels se trouve défini leur statut, soulève de nombreuses questions : « Nous sommes face à deux logiques. Celle du droit canonique et celle du droit du travail. Lorsque le droit canonique parle de confier une « mission », le droit du travail parle d’« embauche ». La lettre de mission donnée par l’évêque est, selon le droit canonique, un acte unilatéral […] Le contrat de travail est par nature contractuel […]10. » Remarquons aussi que le statut canonique « s’applique […] également dans le cadre du bénévolat, en l’absence d’un contrat de travail » et qu’il ne dépend donc pas « des nécessités de la mise en œuvre du droit civil […] » (Swerry, 1991, p. 544), marquant ainsi l’autonomie des deux ordres juridiques.

12La lettre de mission remise par l’évêque vient chapeauter le contrat de travail des laïcs embauchés par l’Église et affectés à des fonctions de nature spirituelle. L’ordre canonique est censé s’imposer ici face au droit du travail séculier. Selon les textes du secrétariat national de l’épiscopat, le contrat de travail se trouve subordonné à la lettre de mission. En droit français, cette dernière n’a pourtant aucune valeur juridique. L’articulation entre le contrat de travail et la lettre de mission manifeste le double système d’allégeance auquel se trouve soumis le permanent laïc salarié. En effet, la lettre émanant de l’évêque « définit le rôle et les attributions canoniques du collaborateur, constitue la cause du contrat de travail, de sorte que le retrait de ce mandat entraîne la résiliation du contrat à l’égard des deux parties » (Dole, 2003, p. 1031). La rupture du contrat peut donc intervenir unilatéralement du fait de l’autorité diocésaine, en cours et surtout en fin de mission. On peut distinguer trois cas de figure lorsque l’échéance est atteinte. Le premier qui m’a été présenté comme fréquent consiste en la démission du permanent laïc salarié :

« Plus souvent qu’on le croit, les gens démissionnent car les conditions de travail sont très prenantes et faiblement rémunérées. Les gens n’ont pas envie de faire ça toute leur vie. » (Juriste auprès de la Conférence épiscopale.)

13La résiliation du contrat se fait alors à l’initiative du salarié qui, par conséquent, ne reçoit aucune indemnité de licenciement et ne peut prétendre à une prise en charge par l’assurance chômage qui n’indemnise que les salariés involontairement privés d’emploi. Le second cas passe par une transaction à l’amiable qui s’accompagne d’une indemnité de licenciement permettant « de se séparer correctement ». En contrepartie de cette somme d’argent, le salarié mécontent renonce alors à exercer une action en justice. La dernière voie possible est celle du contentieux qui s’est révélé jusqu’à présent défavorable aux permanents laïcs. En effet, lorsqu’un recours devant les prud’hommes a été exercé pour licenciement infondé, le juge a toujours refusé, au nom des principes de liberté religieuse et de séparation de l’Église et de l’État (proclamés par la loi de 1905), d’exercer un contrôle sur le fond des motifs invoqués par l’employeur ecclésiastique et d’en évaluer le caractère réel et sérieux (Dole, 2003, p. 1031) :

« L’articulation entre le contrat de travail qui est un CDI et la mission qui ne l’est pas, c’est une situation complexe. On n’est pas dans le cas d’un CDD… Lorsque le retrait de la lettre de mission intervient, les juridictions ont toujours admis que c’était un motif réel et sérieux de licenciement. Le juge a toujours reconnu que cela relève du rôle pastoral de l’évêque. C’est considéré très prosaïquement comme une fin de chantier. On voit selon les cas « fin de mission » ou « fin de chantier ». […] On trouve des décisions comme cela dans le domaine des aumôneries. Le retrait de la lettre de mission relève de l’organisation interne de l’Église. Elle n’a pas à être contestée, ni par le juge, ni par l’hôpital qui est l’employeur. » (Juriste.)

14L’échéance de la lettre de mission, comme son retrait, sont considérés par le juge comme un motif réel et sérieux de licenciement. Le respect du principe de liberté religieuse rend ainsi possible un régime dérogatoire en la matière.

15Le licenciement constitue aujourd’hui un mode de rupture du contrat de travail particulièrement réglementé tant par la loi que par la jurisprudence. La facilité avec laquelle peut se trouver résilié le contrat des permanents laïcs salariés, du fait du retrait de la lettre de mission par l’autorité ecclésiale, apparaît exorbitante par rapport aux conditions de droit commun. Certaines limites juridiques existent cependant face au possible arbitraire de l’évêque. Lorsque les fonctions prises en charges par le laïc sont davantage techniques (par exemple activités de traduction ou de pédagogie) que spirituelles, le juge n’admet pas le licenciement pour perte de la mission canonique (Dole, 2003). De plus, le juge peut exercer son contrôle si la rupture de la lettre de mission et consécutivement du contrat de travail ont lieu en raison du comportement du laïc dans sa vie privée et non dans son activité religieuse. Enfin, on peut estimer que même si aucune jurisprudence n’existe à ce jour en la matière, « un contrôle des inexactitudes matérielles et de l’abus de droit ne sont pas à exclure » (Dole, 2003, p. 1032). Remarquons qu’à ce jour, le contentieux a été évité dans de nombreux diocèses. La responsable des aumôneries de l’enseignement public d’un diocèse de grande taille, qui dirige une cinquantaine de salariés, m’a dit avoir eu à gérer une dizaine de licenciements en 5 ans, dont un seul cas qui s’est terminé aux prud’hommes et un second où le contentieux a été évité de justesse.

16La délicate articulation du droit séculier et du droit de l’Église concernant l’emploi de laïcs n’est pas une spécificité française. Au sein de la Comece (Commission des épiscopats de la Communauté européenne) ont lieu régulièrement des réunions de juristes au cours desquelles cette question se trouve abordée.

  • 11 Au sens interactionniste du terme.

17Précisons, cependant, que dans un contexte de gestion de la pénurie sacerdotale et malgré les discours officiels en la matière, les laïcs les mieux formés (tout particulièrement ceux qui ont obtenu un diplôme dans une université catholique), les plus expérimentés et les plus motivés, accèdent le plus souvent à une autre mission ecclésiale. Ils constituent une main-d’œuvre précieuse dont l’institution ne saurait se priver. Il est ainsi possible de rencontrer dans les diocèses de France des laïcs missionnés et salariés depuis une quinzaine, voire une vingtaine d’années. Ces derniers ont ainsi accompli une très grande partie de leur vie active dans la sphère catholique. Une telle longévité, malgré le caractère officiellement limité dans le temps des missions confiées, est rendue possible par la succession de postes de nature différente. La carrière11 de ces laïcs (surtout des femmes) commence généralement comme catéchiste bénévole au moment où leurs propres enfants se trouvent concernés par cette pratique. Puis, de manière plus variée, certains se voient ensuite recrutés dans l’aumônerie d’un collège ou d’un lycée, d’un hôpital ou d’un autre type d’établissement public (avec parfois ultérieurement, des passages d’un secteur à un autre). Les plus diplômés poursuivent quelques fois leur parcours dans le même domaine d’activités, mais à des niveaux de responsabilité croissants (diocésain, parfois régional, plus rarement national).

1.3. Une précarité contre-exemplaire et aux nombreux effets pervers

18La difficile articulation de ce double système d’allégeance met les autorités ecclésiales en porte-à-faux par rapport aux exigences séculières qui sont celles du droit du travail. On peut ici s’interroger sur l’usage que fait l’Église en interne de la doctrine sociale qu’elle a élaborée depuis plus d’un siècle, ainsi que sur les bonnes intentions affichées par l’épiscopat :

« Si on veut être impeccable, exemplaire, avoir le moins de litiges en cours, on cherche à avoir la situation juridique la plus sûre possible. On ne veut pas prêter le flanc aux critiques qui pourraient avoir valeur de contre-exemple. »

19Depuis 1891, date de l’encyclique Rerum novarum de Léon XIII, la doctrine sociale de l’Église préconise pour le monde, l’amélioration des droits, qu’il s’agisse du droit du travail comme ceux relevant de la protection sociale. Or, la situation des salariés dans l’Église semble en partie devoir échapper à cet impératif, au nom de la singularité de leur mission (Bramberg et Schlick, 1986, p. 21). « À l’heure de la flexibilité, de la déréglementation, des clauses de confiance requises maintenant pour certains cadres, d’aucuns évoquent le caractère moderne des solutions ecclésiales », écrit, non sans ironie, un juriste (Messner, 1986, p. 69).

20De plus, cette précarité conduit à un effet pervers non négligeable, en rendant plus aléatoire l’effort de formation et pose la délicate question de la reconversion professionnelle des laïcs qui renoncent à un emploi sur le marché du travail profane pour s’engager dans l’Église :

« Ma collègue repart dans l’Éducation nationale à la rentrée. Depuis que je suis ici, il y a deux ou trois diocésains qui ont repris leur métier d’origine. Une qui était infirmière en milieu hospitalier et qui est devenue infirmière scolaire. Je ne peux pas vous dire si pendant la période où elle était responsable diocésaine, on lui a permis de suivre une formation pour se maintenir à niveau dans son métier. Une ancienne diocésaine, architecte de profession, ne reprendra jamais. Elle dit elle-même qu’elle ne s’est pas tenue au courant… Elle repart dans une tout autre profession. […] Les jeunes qui veulent s’engager, il faut leur permettre de poursuivre leur formation en parallèle, une formation qualifiante… Aux personnes plus âgées, il faut offrir un bilan de compétences, permettre leur réinsertion professionnelle… Permettre de repartir dans la société civile. » (Laïque en responsabilité nationale.)

21Une telle situation est jugée insatisfaisante par certains clercs : « […] l’Église qui embauche de nombreux salariés en CDI a envers eux une responsabilité qu’il faut assumer. Resteront-ils toute leur vie permanents d’Église, avec le risque d’avoir un jour de vieux prêtres et de vieux permanents ? Pourront-ils valoriser l’expérience acquise durant ces années et trouver au bout d’un certain temps un emploi hors de l’Église ? Dans ce cas, il est important de monter de véritables modules de formation permanente » (Gourrier, 2003, p. 64). Ils en appellent à la constitution dans les diocèses d’un service de gestion des ressources humaines qui prendrait en charge les animateurs laïcs comme les prêtres : « Le « capital » le plus précieux de l’Église, ce sont ces hommes et ces femmes […]. Même si l’Église n’est pas une entreprise comme une autre, une gestion ouverte et rigoureuse de ses ressources humaines est pour elle un devoir et une tâche majeure » (Magnin, 2003, p. 128).

22Un effort de transparence a d’ailleurs été mené au cours des dernières années dans certains diocèses :

  • 12 Institut pastoral d’études religieuses.

« J’ai eu ma première lettre de mission en 1989 et mon premier contrat de travail. Sur le moment, je n’ai pas réalisé le caractère limité dans le temps… ça m’a rendue très prudente par la suite quand j’ai eu à embaucher des animateurs. Moi, j’ai la chance d’avoir un mari qui a une bonne profession et qui peut assurer le revenu… Mais à l’époque je crois qu’on n’insistait pas suffisamment sur le fait que ça ne pouvait être que pour un temps. Sans parler de vocation, moi j’étais prête à donner la fin de ma carrière professionnelle à l’Église. C’est d’ailleurs ce qui est en train de se passer ! On ne m’a pas dit que ce n’était pas possible ou peut-être que je ne l’ai pas entendu… En plus, c’était un CDI qu’on me donnait ! En 1989, il n’y avait pas cette rigueur qu’a maintenant l’Église en stipulant dans le contrat de travail comme dans la lettre de mission que ce n’est que pour trois ans. Moi, j’avais vu le mot renouvelable… C’est pour cela que dans mon diocèse, on a travaillé sur le statut des laïcs… Petit à petit, j’ai réalisé que ça pouvait s’arrêter. Il y a des laïcs qui font le choix de travailler dans l’Église. À 40 ans, on peut s’imaginer y rester jusqu’à la retraite en occupant différents postes… En plus, l’Église investit financièrement dans notre formation ! Moi quand j’étais à l’Iper12, l’évêque a accepté que je ne sois pas immédiatement nommée responsable. On s’est réparti le travail en équipe. L’Église a investi, a fait des efforts… Je me disais : « Cette formation, il ne faut pas qu’elle soit perdue ! » Les entreprises privées ont tendance à se débarrasser des salariés vieillissants pour mettre des jeunes… La comparaison n’est peut-être pas bonne… Mais tous ces gens qui ont de l’expérience, qui ont acquis des compétences, si on les met dehors, il faut tout refaire à chaque fois… Dans l’Église, c’est un peu comme ça… Je sais qu’il y a des problèmes financiers qui font que l’Église ne peut pas être un employeur comme les autres. Moi, quand j’ai recruté en tant que responsable diocésaine, j’avais la responsabilité de l’embauche bien que n’étant pas en position d’employeur… Je prenais soin de bien prévenir les gens, de dire que ce n’était que provisoire. » (Laïque, ancienne responsable de service diocésain, actuellement en poste au niveau national.)

  • 13 La Croix, 10 février 2004.

23L’initiative originale de Monseigneur Soubrier, concernant les permanents laïcs salariés de son diocèse nantais, mérite d’être soulignée. Une structure unique, l’Anap (Association nantaise pour les animateurs pastoraux) a été créée, il y a quelques mois, pour gérer l’ensemble de 127 salariés. Des instances représentatives du personnel sont en voie de constitution et une politique de formations professionnelles qualifiantes (dans des domaines tels que l’animation et l’informatique) se trouve engagée. De plus, une attention particulière devrait être portée aux renouvellements et aux fins de missions, en permettant notamment des procédures de validation des acquis. La responsable de l’association, Odile Fraslin, affirme clairement l’objectif poursuivi : « La création de l’Anap est une démarche d’honnêteté vis-à-vis du droit du travail et vis-à-vis de l’Église13. »

2. Les raisons d’une telle fragilité statutaire

24On peut distinguer trois facteurs explicatifs à cette fragilité statutaire.

2.1. Difficultés matérielles et organisationnelles

  • 14 Quelques nuances méritent d’être apportées concernant le cas allemand. Plusieurs diocèses, dont cel (...)
  • 15 Paris Notre-Dame, hors-série « Spécial argent », 2002.

25Les problèmes d’ordre économique ne sauraient être négligés. En France, l’Église est pauvre, contrairement à d’autres pays européens, notamment l’Allemagne14 où existe un impôt ecclésiastique, ou encore les Pays-Bas où les fidèles font des dons généreux. Or, elle doit assurer le salaire d’un grand nombre de ses permanents laïcs et financer leur formation ainsi que celle des bénévoles. Bertrand de Feydaux a pu affirmer : « Lorsque vous remplacez un prêtre par un laïc, cela multiplie les charges par trois15 ». L’analyse de l’économe du diocèse de Paris paraît un peu rapide, concernant une comparaison qui se révèle difficile à mener. Certes, le salaire d’un prêtre oscillant entre 740 et 1100 euros mensuels pour un temps plein, est inférieur à celui des agents pastoraux laïcs rémunérés entre la moitié du Smic et 1333,93 euros bruts par mois pour un travail qui s’effectue souvent à temps partiel. Mais, il faut tenir compte des avantages en nature dont bénéficie le prêtre : logement et chauffage qui constituent respectivement un manque à gagner (fonction de la valeur locative du bien immobilier) et des frais pour le diocèse. Si le coût de formation des permanents laïcs est important, celui des séminaristes, qui sont entièrement pris en charge pendant plusieurs années, est très élevé. Dans un diocèse comme Marseille, il représente 10 % de l’ensemble des dépenses. Les dépenses liées au personnel laïc ne représentent aujourd’hui que 10 % des charges diocésaines, contre 45 % pour le clergé. Quoiqu’il en soit, il s’agit partout de gérer la pénurie :

« Les laïcs en pastorale de mon diocèse, je ne peux pas les payer plus. Je suis en déficit chronique. Et les laïcs, ils me coûtent au moins deux fois ce que gagne un prêtre. » (Évêque.)

« Franchement, ce sont les chiffres qui nous condamnent. L’an dernier, deux postes à mi-temps étaient demandés. Au final ont été obtenus deux postes à quart de temps. Mais en fait, ce que les personnes recherchent c’est une reconnaissance par l’emploi. On nous dit souvent : « Si je suis salariée, ce ne sera pas la même chose pour mon mari, pour mon entourage… » Lorsque j’ai annoncé les deux postes à quart de temps, les personnes concernées m’ont dit que ce n’était pas grave, qu’elles continueraient malgré tout… » (Vicaire général d’un diocèse de Province.)

  • 16 La Croix, 17 septembre et 4 octobre 2004.

26Au mois de septembre 2004, Monseigneur Roland Minnerath, nouvel archevêque de Dijon, a dû procéder à une dizaine de licenciements économiques. Cette situation inédite dans l’Église de France s’explique par l’état très dégradé des finances diocésaines. L’accumulation de déficits au cours des quatre dernières années est liée à une politique d’investissements trop ambitieuse, mais aussi à de nombreuses embauches concernant des postes techniques ainsi que des agents pastoraux. En trois ans, la masse salariale a augmenté de 30 %16. Le cas de Dijon pourrait ne pas rester isolé. D’autres diocèses comme Montpellier, Lyon et Belley-Ars, connaissent d’importantes difficultés financières. Tous doivent faire face à la hausse des dépenses liées au personnel qui représentent en moyenne 55 % de leurs charges totales.

27De plus, l’Église catholique a bien du mal à se penser comme employeur, une telle situation étant profondément étrangère à son ecclésiologie. Ainsi a-t-elle toujours refusé de désigner ses prêtres comme des salariés et pris beaucoup de distance par rapport aux catégories qui sont celles du monde du travail. L’autorité diocésaine qu’est l’évêque éprouve souvent un certain malaise à exercer son rôle d’employeur :

« On est à la fois leur patron et leur évêque… De mauvais patrons d’ailleurs parce qu’on ne sait pas dire non. Les gens quand ils viennent me voir, je suis frappé parce qu’ils commencent par me parler de leurs enfants malheureux. Je leur dis : « Non, on parle de ton métier. » Il y a une espèce d’ambiguïté du patron et de l’évêque. »

28Les propos de cet évêque reflètent le piège que constitue, pour une gestion efficace de l’institution ecclésiale, l’« économie de l’offrande » : « Dans l’entreprise religieuse, les rapports de production fonctionnent selon le modèle des relations familiales : traiter les autres comme des frères, c’est mettre entre parenthèses la dimension économique de la relation » (Bourdieu, 1994, p. 205). On peut aussi s’interroger sur les compétences réelles de l’Église à assumer ce rôle d’employeur. Dans les diocèses, le traitement léger de certains dossiers relevant de la gestion des ressources humaines cléricales comme laïques peut être observé :

« En pratique, les évêques ont ce qui leur tombe sous la main. Dans certains diocèses, il y a de bons juristes. Dans d’autres, il n’y en a pas. »

29La situation des salariés y est complexe du fait de leur dispersion ainsi que de la fréquente « dissociation existant […] entre l’organisme qui recrute et rémunère le permanent et l’institution qui bénéficie de ses services » (Dole, 2003, p. 1031), ce qui met parfois les évêques en situation embarrassante. On peut ainsi distinguer les employeurs externes comme les établissements publics hospitaliers, pénitentiaires ou militaires, des employeurs internes à l’Église que sont les diocèses (par l’intermédiaire de l’association diocésaine ou d’associations ad hoc), les paroisses, les associations culturelles de loisirs notamment.

2.2. La crainte d’un jeu à somme nul au détriment des prêtres

30Les documents romains s’attachent à présenter le faible nombre des vocations dans le monde occidental comme « une parenthèse temporelle », une situation « provisoire » dont il ne saurait être question d’institutionnaliser et ainsi de cristalliser les conséquences en matière de participation des permanents laïcs à la charge pastorale. L’activité de ces derniers est alors considérée comme un « expédient temporaire » (Perrin, 2002, pp. 436–437). Les clercs sont présentés comme les seuls permanents légitimes de l’institution.

  • 17 La Croix, 30 avril 2004.

31Les formes de division du travail religieux entre différentes catégories de personnel ecclésial apparaissent, du point de vue de la construction de leur légitimité, comme un jeu à somme nul. Consolider la position statutaire des permanents laïcs (d’un point de vue ministériel ou professionnel) conduirait aux yeux de beaucoup à cristalliser l’état actuel de la démographie cléricale et par un effet de prophétie autoréalisatrice à en accélérer définitivement le déclin. C’est ce type d’argument que développe le Père Humbrecht : « On entend […] dire au sein de l’Église : « Les prêtres, dans 10 ans, c’est fini. Nous allons les remplacer. » D’un côté, on gémit parce que les vocations manquent et, de l’autre, on semble dire que ce n’est plus la peine. On ne peut pas vendre un produit en disant qu’il n’est pas le meilleur et qu’il n’a pas d’avenir : c’est un marketing catastrophique17 ! » Une personne juriste travaillant pour la Commission des Évêques de France interrogée sur la fragilité statutaire des permanents laïcs par rapport au droit du travail, concluait l’entretien par un plaidoyer en faveur des vocations sacerdotales et religieuses, comme une ultime justification à cet état de fait :

« D’un certain côté, la tension vers le salariat pour les laïcs, ça se comprend. Mais d’un autre côté, la vocation à vie, c’est quand même quelque chose de particulier. On ne peut pas risquer d’effriter le statut et la perception que l’on a du ministère ordonné par une espèce de pente glissante d’assimilation… Cela peut vous sembler loin de la question des laïcs chargés de mission, mais pour moi il y a un lien… C’est important de voir le témoignage de foi que cela représente de s’engager dans le célibat, dans une vie de prêtre ou de religieux… Je trouve dommage que cette affaire de l’engagement à vie, on en parle que comme une chose obsolète qui fait un peu rire dans les émissions de télé. C’est quand même un témoignage de foi majeur. C’est un état de vie qui est différent… Ce serait dommage de laisser tout cela s’affadir et se dénaturer, même avec les meilleures intentions du monde… Les prêtres sont très déstabilisés si on vient leur expliquer qu’on peut vivre comme un laïc et avoir une mission pérenne. Ils se sentent un peu lésés… Cela les attaque. »

32De même, un évêque affirmait son attachement à un traitement différentiel des laïcs et des prêtres du fait des dimensions sacrificielles de la vocation de ces derniers nécessitant de la part des autorités ecclésiales une reconnaissance particulière :

« — Les laïcs et les diacres ne peuvent pas être bougés. Ils ont leur métier, leur maison, leur famille. Les prêtres, eux sont de moins en moins nombreux. On est obligé de les payer moins. Or, il n’y a qu’à eux qu’on demande de bouger. Si vous ne valorisez pas ceux-là, vous êtes sûr de faire le contraire de ce que vous souhaitez. Les laïcs en pastorale eux font 35 heures. Ils se situent par définition dans un rapport autre. Si je ne valorise pas les personnes qui font 80 heures par semaine, sont moins payés et bougent tout le temps… »

– Trop valoriser les laïcs, c’est dévaloriser les prêtres ?
– La question n’est pas de trop valoriser les laïcs… Vous avez des prêtres qui sont dans l’Église depuis longtemps, qui sont payés parfois beaucoup moins. On n’hésite pas à les déranger à 11 heures du soir. Et on leur demande d’être généreux et de prendre ça avec le sourire. Vous savez, les médecins et les gendarmes en ce moment, moi ça me fait beaucoup réfléchir. Il y a un moment où ça casse… »

33Dès lors, il s’agit de maintenir une distance entre ces deux catégories de permanents par crainte que le corps sacerdotal subisse la contagion profane des laïcs et perde de ce fait sa spécificité. Dans une perspective très durkheimienne, Roger Caillois écrit : « Les qualités des choses sont payer moins. Or, s’échangent, s’intervertissent, se combinent et se corrompent, si une trop grande proximité leur permet de réagir entre elles » (Caillois, 1994, p. 33). Dans Les formes élémentaires de la vie religieuse, Émile Durkheim définit le sacré et le profane comme « deux genres opposés » qui « ne peuvent se rapprocher et garder en même temps leur nature propre ». Tout rapprochement en portant atteinte aux représentations collectives est source de malaise : « […] l’esprit répugne invinciblement à ce que les choses correspondantes soient confondues ou simplement mises en contact car une telle promiscuité ou même une contiguïté trop directe contredisent trop violemment l’état de dissociation où se trouvent ces idées dans les consciences » (Durkheim, 1991, pp. 97–98).

2.3. Le comportement attestataire des permanents laïcs : disqualification du conflit et « implication distanciée »

34Un tel système ne peut fonctionner que grâce au fort loyalisme des permanents laïcs. On pourrait s’attendre à recueillir sur le terrain des discours contestataires dans la lignée de la virulence de l’action collective cléricale et laïque menée au cours des années 1960–1970, celle de la « crise catholique » (Pelletier, 2001). Or, les personnes rencontrées sont certes en quête d’une plus grande légitimité, mais dans une posture généralement très paisible. Quel que soit le niveau de responsabilité, il est surtout question de « bonheur », d’« enrichissement » ou encore d’« épanouissement », mais très peu de revendications. Il a donc fallu décrypter l’attitude de ces hommes et surtout de ces femmes au comportement étonnamment attestataire, tant au regard de la situation dans d’autres pays (Allemagne, Pays-Bas, États-Unis notamment), que de l’histoire récente de l’Église de France.

35Dans le contexte français, le loyalisme doit être mis en relation avec la fragilisation qui semble affecter aujourd’hui le catholicisme. Cette religion est désormais vécue subjectivement par ses fidèles et ses permanents, comme minoritaire. En situation de pluralisme religieux et plus encore d’indifférence par rapport aux grandes traditions religieuses, toute contestation à la portée dévastatrice semble donc vouloir être évitée. Il n’est plus question d’ajouter une contestation interne au « discrédit » culturel externe du catholicisme (Hervieu-Léger, 2003). On trouve ici l’une des causes de la marginalisation du conflit ainsi que de la disqualification de toute posture revendicatrice au sein du catholicisme français.

36Pour comprendre le comportement attestataire des permanents laïcs, il faut aussi prendre au sérieux leur discours. La plupart d’entre eux acceptent volontiers, voire revendiquent le caractère limité dans la durée des missions qui leur sont confiées :

« Il faut que notre mission soit pour un temps déterminé parce que les jeunes changent et que nous nous usons. Ceux qui sont là depuis 10 ans, il y en a qui sont épuisés… Certains en ont ras-le-bol car c’est quelque chose qui prend toute la personne. » (Laïque en situation de responsabilité dans les Aumôneries de l’enseignement public, 55 ans, mariée à un cadre du secteur privé.)

« Lorsqu’on arrive en fin de mission, on peut faire une relecture de ce qu’on a vécu et se dire qu’il vaut mieux arrêter. On n’est pas engagé avec les gens jusqu’à la mort… Moi, je me dis que dans 3 ans, j’irai cultiver mon jardin parce que j’adore la nature. Mon jardin, c’est mon équilibre. Je me dis aussi que j’irai rendre visite à mes petits-enfants. » (Femme responsable de service diocésain, âgée de 56 ans, mariée à un enseignant du secondaire.)

37Ils développent ainsi une forme d’« implication distanciée » (Ion, 1997), réversible et maîtrisable, dont les caractéristiques tranchent avec celles de l’engagement totalisant, voire sacrificiel, propre à l’idéal sacerdotal traditionnel. La conception totale de la vocation étroitement associée à un sens aigu de l’abnégation pouvant aller jusqu’à l’oubli, voire au sacrifice de soi-même, entre en contradiction avec les valeurs « de réflexivité, de professionnalisme et de maîtrise de soi qui s’imposent aujourd’hui partout » (Dubet, 2002). La prêtrise ne fait pas rêver la majorité des permanents laïcs. Au contraire, la préférence pour un engagement temporaire mais renouvelable semble satisfaire parfaitement aux exigences de la modernité psychologique : « Le refus de l’enfermement est une des caractéristiques du fonctionnement des sociétés modernes. Le lien ne doit pas être une attache fixe. Il doit rassurer par son existence même. Il doit aussi, par sa souplesse et sa réversibilité, permettre l’affirmation d’un soi autonome et indépendant » (Singly, 2003, p. 47). Ce qui est essentiel, c’est la liberté qu’ont les individus de se désengager lorsqu’ils le souhaitent. Ils refusent de se trouver définis une fois pour toutes par leur engagement passé selon la logique du lien communautaire propre aux sociétés traditionnelles. De manière imagée, on serait ainsi passé du « timbre renouvelable et collé sur la carte » au « Post-it détachable et mobile : mise de soi à disposition, résiliable à tout moment » (Ion, 1997, p. 81). On observe ici le passage de l’« engagement militant » à l’« implication distanciée » décrit comme caractéristique du processus de « transformation de la pratique relationnelle » dans ses modes d’exercice professionnels comme bénévoles, et très largement perceptible au sein du catholicisme à travers le cas des laïcs engagés dans la division du travail religieux. L’intensité de l’implication du sujet est d’autant plus importante qu’elle se présente comme bornée temporellement. Son expérience « reste de l’ordre du maîtrisable » (Ion, 1997, p. 83). Le témoignage de cette jeune femme, permanente en aumônerie d’hôpital met en évidence un investissement d’autant plus fort qu’il n’est que ponctuel :

« Je trouve que des missions de 3 ans renouvelables deux fois, c’est bien. Au total, ça peut faire 9 ans, ce qui est déjà pas mal ! Vous savez ce qu’on fait ici est usant. Je ne sais pas comment les choses vont évoluer. Dans 3 ou 6 ans, je n’aurais peut-être plus envie de continuer… De plus, si mon engagement avait été indéterminé, je ne suis pas sûre que j’aurais autant eu le souci d’être performante. Quand on sait que quelque chose est limitée, on ne peut pas reporter les choses, il faut les faire au mieux dès maintenant. On est sûrement plus efficace, plus présente. »

38Cela ne signifie pas qu’il y ait, dans les faits, des comportements de butinage ou de zapping. Ce qui compte psychologiquement, ce n’est pas tant la rupture effective de l’engagement que la possibilité et la légitimité d’une éventuelle désaffiliation volontaire.

39Cette flexibilité acceptée, voire revendiquée, ne peut être le luxe que de ceux qui ont les moyens financiers (revenus du conjoint) de faire face, d’où une surreprésentation des catégories socioprofessionnelles les plus aisées.

3. Une intermittence en voie d’institutionnalisation ?

3.1. Une volonté d’institutionnalisation

40La volonté d’institutionnalisation de l’atypie salariale paraît partagée par les autorités ecclésiales et les autorités publiques. Le nombre de permanents laïcs salariés a connu une croissance exponentielle au cours des 10 dernières années, passant de 840 (Van der Helm, 1993) à environ 5000 (Conférence des Évêques de France, 2004). Il est encore appelé à augmenter, parallèlement à la décrue sacerdotale. Statistiquement, l’exposition au risque de contentieux en cas de rupture unilatérale du contrat de travail devient plus importante, ce qui ne peut qu’inquiéter l’épiscopat. Par ailleurs, on peut faire l’hypothèse que les autorités administratives, tout particulièrement le Bureau des cultes du ministère de l’Intérieur, bien que n’ayant aucun droit de regard sur les modalités d’organisation interne du culte catholique, ne verraient pas d’un mauvais œil les permanents catholiques laïcs acquérir une valeur exemplaire, notamment par rapport au dossier des imams et à la question de leur statut juridique au regard du droit du travail. Trois pistes principales semblent pouvoir être explorées en vue d’une « normalisation » du statut des permanents laïcs au regard du droit séculier.

3.1.1. L’assimilation à d’autres formes d’emplois atypiques existantes ?

41Il existe, chez certains des représentants de l’Église de France, la volonté d’atténuer la spécificité de leur institution dans le traitement qu’elle fait des salariés laïcs qui participent à la division du travail religieux, voire de clarifier leur statut juridique en s’appuyant sur d’autres cas dérogatoires (profanes) par rapport au droit du travail. Du côté de l’épiscopat, est parfois évoquée la situation des élus, des mandataires sociaux, des professionnels du bâtiment et même des personnels des casinos, ce qui est particulièrement révélateur d’une telle stratégie :

  • 18 Il est utile d’apporter quelques précisions concernant le contrat de chantier qui, du côté du Burea (...)

« Il y a des choses qui nous semblent enviables, que l’on aimerait transposer. On admet bien qu’un élu puisse quitter sa fonction et se débrouiller pour se réinsérer sur le marché du travail. C’est le problème des élus politiques, des mandataires sociaux qui sont révocables ad notum. Personne ne trouve cela critiquable. […] La situation des laïcs chargés de mission, lorsqu’ils sont licenciés, est assez proche de celle des personnels des casinos. Ces derniers ne peuvent être employés que s’ils ont une autorisation préfectorale. Si celle-ci tombe, le retrait d’agrément fait que la personne ne peut plus exercer dans le casino et qu’elle est licenciée. Le juge dit qu’il n’a pas à connaître le motif du retrait. Il s’appuie sur la décision du préfet pour dire que le motif du licenciement est réel et sérieux. […] Il y a différents domaines dérogatoires qui nous intéressent. Par exemple, les contrats de chantier18 qui existent dans le bâtiment. Lorsque le contrat est terminé, le personnel est licencié et reçoit des indemnités particulières à ce titre-là. Les intermittents du spectacle, c’est un peu le même problème… »

3.1.2. Un statut de volontaire associatif ?

  • 19 Également en charge de la « vie associative ».
  • 20 Trois formes de volontariat existent aujourd’hui : le volontariat de solidarité internationale créé (...)

42La réflexion menée depuis plusieurs mois au ministère du Travail puis au ministère de la Jeunesse et des Sports19 concernant l’élaboration d’un statut du volontariat associatif20, modalité d’engagement intermédiaire entre bénévolat et salariat, trouve explicitement son origine dans le catholicisme français et ne manque pas d’intéresser les autorités ecclésiales. C’est en effet la Communauté Emmaüs fondée par l’abbé Pierre qui a sollicité le ministère afin que soit clarifié et distingué juridiquement du salariat le statut de ses compagnons. La chambre sociale de la Cour de cassation a développé au cours des dernières années une jurisprudence peu claire concernant le statut des personnes s’engageant dans des associations telles qu’Emmaüs, La Croix-Rouge et Médecins du Monde (Robilliard-Lastel, 2002). En se fondant sur l’existence d’un lien de subordination ainsi que sur celle d’une rémunération, la menace d’une requalification de l’activité en contrat de travail par le juge et, de fait, d’une sanction pour travail salarié dissimulé sous couvert de bénévolat, a été prise très au sérieux. Les principales caractéristiques du volontariat associatif, formalisées au sein d’un projet de loi adopté en première lecture au Sénat le 12 mai 2005, semblent arrêtées. Se consacrant à temps plein à son activité, le volontaire se distingue du bénévole. Il jouit d’une protection sociale et reçoit une indemnité qui ne saurait être assimilée à un salaire et dont le montant est plafonné à 400 euros (donc nettement inférieur au Smic). L’engagement du volontaire est à durée limitée et s’exerce au profit de personnes morales à but non lucratif. On perçoit ici la volonté des pouvoirs publics de satisfaire aux exigences de flexibilité des associations en leur permettant d’échapper à l’application du droit du travail, tout en assurant un encadrement minimal de leurs pratiques. Les instances diocésaines pourraient souhaiter recourir à ce nouveau statut.

3.1.3. Renoncer à la conception de l’ordre public ?

43Rappelons que le droit du travail français est profondément marqué par la conception d’ordre public que l’on peut définir comme « un ensemble de principes et de valeurs dont la force contraignante préexiste au pouvoir des volontés individuelles » (Bonnechère, 1997, p. 40). L’ordre public vise à protéger (y compris contre elle-même) la partie la plus faible du contrat de travail qu’est le salarié, à l’occasion notamment d’un licenciement. D’autres pays européens, davantage influencés par le libéralisme, ont développé une conception très différente de la place de l’autonomie de la volonté dans le contrat de travail, ce qui constitue une autre voie exploratoire pour l’Église :

« En France, on en est venu à une conception très objective du contrat de travail et de ses clauses de rupture. Sur le plan européen, l’engagement personnel est considéré comme une liberté très importante. Si quelqu’un dit : « Il me plaît d’être engagé de cette manière-là », est-ce que cet engagement n’a pas à être respecté ? » (Juriste auprès de l’épiscopat.)

44Ces propos rejoignent ceux de Georges Dole qui lie autonomie de la volonté des parties et liberté religieuse : « Certes, le droit du travail présente un caractère d’ordre public et, dans les cas ordinaires, il n’est pas laissé le choix aux employeurs et aux salariés d’accepter ou de refuser de se placer dans le cadre de ce droit. En matière religieuse cependant, la prise en compte de l’intention des parties s’impose pour respecter la liberté de religion. On sait que celle-ci inclut l’autonomie d’organisation des institutions religieuses, laquelle comporte elle-même nécessairement la possibilité de traiter les relations entre les agents selon un régime dérogatoire du droit commun » (Dole, 2003, p. 1045). N’est-ce pas faire peu de cas de la nature inégalitaire de la relation salariale et du caractère protecteur que constitue la règle de droit en la matière, d’autant que l’on voit difficilement en quoi la volonté individuelle se trouverait davantage éclairée lorsque l’emploi relève d’une institution religieuse que d’une institution profane ?

3.2. Les effets inattendus, ad intra, de la promotion d’une culture de l’engagement pour un temps

45Pour finir, on peut s’interroger sur les effets ad intra produits par la volonté d’institutionnalisation de cette forme d’engagement pour un temps, sur le modèle sacerdotal de la vocation. L’« implication distanciée » est en rupture flagrante avec la figure traditionnelle du militant : « Formé à l’intérieur du groupe et donc lui devant tout, promu grâce à lui, il fait don de sa personne, pouvant même parfois sacrifier sa vie privée, négligeant le présent pour mieux assurer l’avenir. Car la longue durée est son horizon […] L’engagement ne peut être ponctuel […] Il ne peut être non plus partiel. L’individu tout entier est requis […] » (Ion et Peroni, 1997, p. 81). Or, le modèle du militant et l’idéal sacerdotal valorisent la même conception totale de l’engagement aux dimensions sacrificielles. Jacques Ion présente d’ailleurs explicitement le militant comme reproduisant la figure du prêtre (Ion, 1997, p. 31). La volonté farouche qu’ont les autorités ecclésiales de ne faire des laïcs engagés que des « intermittents du religieux », par crainte de porter atteinte au statut du seul permanent légitime à leurs yeux qu’est le clerc, contribue à développer une culture d’un engagement pour un temps.

  • 21 La communauté de l’Arche qui depuis 40 ans fait appel à des jeunes volontaires qui, pendant un ou d (...)
  • 22 Dans le cadre du service de pastorale des jeunes adultes, « Initiatives jeunes », le diocèse de Par (...)
  • 23 SNOP, Lettre d’information de la Conférence des Évêques de France, nº 990, 28 juin 1996.
  • 24 La réussite de ces opérations réside davantage dans la socialisation secondaire accélérée qu’elle a (...)

46Parallèlement, les initiatives destinées à promouvoir le volontariat des jeunes sont foisonnantes. On peut citer les expériences menées à l’Arche21 ou encore l’initiative « une Année pour Dieu à Paris22 ». En 1996, le Père Jean-Marie Launay, alors coordonnateur du Service national des vocations, proposait l’institutionnalisation d’une forme de volontariat au cœur même du travail religieux diocésain : « Autrefois, dans les monastères, il y avait des frères convers. Il y a la place, dans nos diocèses, pour des styles de fraternités où on pourrait proposer à des jeunes d’être près d’une équipe de prêtres, vivant leur vie de prière et leur vie communautaire pour un an renouvelable. On les appellerait par exemple, « frères diocésains ». La coopération a du succès car elle engage pour un ou deux ans. Les communautés nouvelles proposent aussi des temps de passage à durée limitée. Dans la vie de nos diocèses, il manque un stade où l’on proposerait à des jeunes de donner leur vie à l’Église pour quelques années23. » On peut y voir l’illustration de la prise en compte par l’Église de l’aspiration à des formes d’engagements intenses mais limités dans le temps. Or, ces dispositifs sont aussi pensés par les autorités catholiques comme une occasion d’inculcation de la vocation sacerdotale ou religieuse à des jeunes gens encore célibataires et peu intégrés à la sphère professionnelle, donc comme un préalable à un engagement total et définitif. La période de volontariat peut certes constituer une étape dans une trajectoire personnelle marquée par une vocation sacerdotale ou religieuse. Mais rien n’est systématique. L’engagement pour un temps semble d’ailleurs davantage séduire ces jeunes catholiques qu’une vocation totale et définitive. Ces différentes initiatives, dont n’ont été donnés ici que quelques exemples, reposent sur le pari d’une continuité entre deux modalités d’engagement, l’une distanciée, l’autre totalisante. Or, elles donnent à voir deux types d’idéaux vocationnels radicalement différents, voire contradictoires24. Le pari peut donc sembler risqué.

47Ces deux types de prises de distance par rapport aux formes d’implications totalisantes qui se trouvent en affinité avec les caractéristiques de la modernité psychologique, caractéristiques avec lesquelles les autorités ecclésiales sont amenées à composer, ne contribuent-t-elles pas davantage que n’importe quelle forme de revendication conflictuelle à miner les fondements de l’idéal sacerdotal classique alors même qu’elles sont censées dans un cas le protéger, dans l’autre l’encourager ?

4. Conclusion

48L’évolution que connaît l’Église catholique en adoptant une structuration composite alliant marché du travail interne protecteur et marché externe marqué par la flexibilité et la diversité des statuts (missions temporaires, multiactivité), mérite d’attirer l’attention du sociologue du travail. Contrairement à un certain nombre de prénotions (très largement nourries par le discours ecclésial lui-même qui présente son activité comme irréductible à toute autre), les permanents laïcs sont loin de constituer, pour lui, un objet d’étude exotique. Une telle étude, comme celles d’autres catégories a priori marginales telles que les artistes (Paradeise, 1997 ; Menger, 2003), permettent au contraire de dégager des tendances plus générales quant à l’évolution des formes d’emploi. L’adoption d’une perspective comparatiste peut, de fait, présenter une fructueuse portée heuristique. Ainsi les principaux éléments de l’atypie salariale mis en évidence à propos des artistes (Menger, 2003) sont-ils aisément identifiables dans le cas des permanents laïcs rémunérés dans l’Église catholique. L’un des points communs les plus évidents entre ces deux catégories d’activités occupationnelles réside dans le fort degré d’engagement qu’il requiert de la personne. La « flexibilité acceptée voire revendiquée », notamment en ce qui concerne le caractère limité dans le temps des missions confiées, est également repérable sur les deux terrains. Il faut aussi mentionner les arbitrages effectués par les acteurs entre gains monétaires et gratifications non matérielles : comme pour les artistes, « gratifications psychologiques et sociales, conditions de travail attrayantes, faible routinisation des tâches, etc. » (Menger, 2003, p. 52) constituent autant de compensations au manque à gagner financier. Dans le cadre ecclésial, ce type d’arbitrage relève aussi des thématiques du don de soi et du dévouement hautement valorisées. À cela s’ajoute la fréquence d’une pluriactivité volontaire ou contrainte. Cette pluriactivité peut être interne lorsque sont cumulés deux mi-temps dans l’Église, ou externe lorsqu’un mi-temps « alimentaire » profane permet d’atteindre un niveau de vie décent.

49Concernant plus strictement le champ catholique, on peut faire l’hypothèse de l’émergence d’un nouvel idéal vocationnel que toute tentative d’institutionnalisation contribue à renforcer. Par son caractère intermittent et distancié, il s’oppose pourtant très largement aux caractéristiques du modèle sacerdotal classique.

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Bibliographie

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Notes

1 La Croix, 13 juin 1992.

2 Ainsi parle-t-on parfois de « permanents laïcs », d’autre fois d’animateurs ou avec plus de précision d’« animateurs laïcs en pastorale », expression souvent abrégée par le sigle « ALP ». Les formules « laïcs en responsabilité » ou encore « laïcs chargés de mission » connaissent aussi un certain succès. D’autres, comme « agent pastoral » ou plus précisément « travailleur pastoral » sont moins fréquemment utilisées.

3 L’invisibilité statistique des permanents laïcs contraste avec l’importance effective de leur activité. Les chiffres produits par les diocèses (à l’exception de celui des Armées) ne concernent que les prêtres et les diacres. En tant que poste de dépense budgétaire, le nombre d’équivalents temps plein est estimé à environ 5000 en 2004. Il faut y ajouter les centaines de permanents bénévoles. Ces chiffres sont à mettre en relation avec le nombre déclinant de prêtres en activité au service des diocèses qui s’élève aujourd’hui à environ 13 000 et qui devrait être divisé par trois au cours de la prochaine décennie.

4 Une enquête, réalisée en 2002 à l’occasion du rassemblement annuel des animateurs laïcs en pastorale d’un diocèse de province, montre que 37 % des permanents exercent leur activité dans l’aumônerie d’un établissement public (hôpital, prison, collège ou lycée de l’enseignement public), 27 % en paroisse et 23 % dans un service diocésain (Béraud, 2004).

5 La demande de mise en forme des grands moments de l’existence (rites de passage) a certes diminué au cours des décennies passées mais de manière beaucoup moins forte que celle du nombre de prêtres. À cette activité de cérémoniaire s’ajoute aussi la prise en charge d’une fonction d’accompagnement notamment dans les aumôneries des établissements publics.

6 Le droit canon considère que l’ordination, si elle a été validement reçue, présente un caractère indélébile. Cependant le droit de l’Église reconnaît aussi aux prêtres qui ont atteint l’âge de 75 ans la possibilité de prendre leur retraite, même si, face à la pénurie, la tentation d’une gestion intensive de la main-d’œuvre cléricale, y compris des plus âgés, est forte.

7 Du mois jusqu’à la récente création du contrat nouvel embauche (CNE).

8 Cette pluriactivité concerne souvent des enseignants ou des professionnels de la santé.

9 L’enquête réalisée dans un diocèse de province révèle que plus du tiers des permanents laïcs ont un conjoint membre de la catégorie socioprofessionnelle « cadres et professions intellectuelles supérieures ». Moins de 2 % des personnes interrogées sont en ménage avec un ouvrier. Par rapport à la structure globale de la population active, la surreprésentation des cadres et la sous-représentation des ouvriers sont nettes (Béraud, 2004).

10 La Croix, 13 juin 1992.

11 Au sens interactionniste du terme.

12 Institut pastoral d’études religieuses.

13 La Croix, 10 février 2004.

14 Quelques nuances méritent d’être apportées concernant le cas allemand. Plusieurs diocèses, dont celui de Berlin qui était en 2003 proche de la faillite, ont du avoir recours récemment aux services de cabinets d’audit qui les ont incités à des mesures drastiques afin de réduire leurs frais de fonctionnement. Les embauches ont été suspendues et dans certains cas des licenciements effectués. Même le diocèse de Cologne qui, avec celui de New York, est le plus riche du monde, envisage de faire des économies. Ces difficultés inconnues jusqu’alors dans l’Église catholique allemande sont liées à la baisse des recettes liées à l’impôt ecclésiastique.

15 Paris Notre-Dame, hors-série « Spécial argent », 2002.

16 La Croix, 17 septembre et 4 octobre 2004.

17 La Croix, 30 avril 2004.

18 Il est utile d’apporter quelques précisions concernant le contrat de chantier qui, du côté du Bureau des cultes du ministère de l’Intérieur, est aussi présenté comme une solution juridique intéressante concernant l’emploi des laïcs dans l’Église catholique. Se situant entre le CDD et le CDI, le contrat de chantier (Art. L. 321‑12 du Code du travail) présente une nature hybride. Il permet en effet de recruter des salariés pour une durée limitée, dans des conditions dérogatoires par rapport à celle du travail précaire classique. Le temps de la mission peut en effet être supérieur à 18 mois et celle-ci relève de « l’activité normale et permanente de l’entreprise ». Détenteur d’un CDI, le salarié se trouve licencié pour un motif réel et sérieux (non économique) à la fin du chantier auquel il était affecté, à condition que ce dernier ait été informé du caractère temporaire de son emploi et qu’il s’agisse d’un usage constant dans sa branche d’activité. L’issue de la mission sur le chantier constitue le motif de rupture du contrat de travail. Cette pratique, initialement limitée aux secteurs du bâtiment et des travaux publics, s’est étendue depuis une dizaine d’années à l’ingénierie (entreprises de services spécialisés dans les technologies de pointe comme le multimédia par exemple).

19 Également en charge de la « vie associative ».

20 Trois formes de volontariat existent aujourd’hui : le volontariat de solidarité internationale créé par un décret du 1er février 1995, le service volontaire européen dans le cadre communautaire destiné aux jeunes âgés de 18 à 25 ans, le volontariat civil.

21 La communauté de l’Arche qui depuis 40 ans fait appel à des jeunes volontaires qui, pendant un ou deux ans, partagent à plein temps la vie de personnes handicapées. Cette forme d’engagement bénévole est particulièrement intensive puisque volontaires et personnes handicapées vivent sous le même toit. Elle n’en est pas moins limitée dans le temps (un à deux ans).

22 Dans le cadre du service de pastorale des jeunes adultes, « Initiatives jeunes », le diocèse de Paris propose depuis 2003 aux personnes (garçons et filles) âgées de 20 à 30 ans de faire un « break pour mieux repartir » dans une vie d’étudiant ou de jeune actif, en consacrant « une Année pour Dieu à Paris » consistant en un engagement, un mode de vie communautaire et une formation religieuse.

23 SNOP, Lettre d’information de la Conférence des Évêques de France, nº 990, 28 juin 1996.

24 La réussite de ces opérations réside davantage dans la socialisation secondaire accélérée qu’elle assure à des jeunes gens parfois peu intégrés au catholicisme, désignés dans le vocabulaire ecclésiastique par le terme de « recommençants » (manifestant ainsi l’échec des formes primaires de socialisation catholique), que dans l’inculcation d’un habitus vocationnel sacerdotal nettement plus aléatoire.

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Pour citer cet article

Référence papier

Céline Béraud, « Les « intermittents » de l’Église. Modalités d’emploi des personnels laïcs dans le catholicisme français »Sociologie du travail, Vol. 48 - n° 1 | 2006, 37-54.

Référence électronique

Céline Béraud, « Les « intermittents » de l’Église. Modalités d’emploi des personnels laïcs dans le catholicisme français »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 48 - n° 1 | Janvier-Mars 2006, mis en ligne le 21 mars 2008, consulté le 10 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/sdt/23414 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.23414

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Auteur

Céline Béraud

Centre d’études interdisciplinaires des faits religieux (CEIFR), CNRS-EHESS, 10, rue Monsieur le Prince, 75006 Paris, France
Celine.Beraud[at]ephe.sorbonne.fr

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Droits d’auteur

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