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AccueilNumérosVol. 48 - n° 2Comptes rendusJérôme Ferret, Christian Mouhanna...

Comptes rendus

Jérôme Ferret, Christian Mouhanna (Eds.), Peurs sur les villes. Vers un populisme punitif à la française ?

Presses universitaires de France, coll. « Sciences sociales et sociétés », Paris, 2005 (229 p.)
Virginie Malochet
p. 259-260
Référence(s) :

Jérôme Ferret et Christian Mouhanna (dir.), Peurs sur les villes. Vers un populisme punitif à la française ?, Presses universitaires de France, coll. « Sciences sociales et sociétés », Paris, 2005, 229 p.

Texte intégral

1Peurs sur les villes part d’un constat : l’omniprésence du thème sécuritaire dans le débat public actuel. Non pas qu’il s’agisse ici de traiter de l’insécurité dans ses manifestations objectives (chiffres de la délinquance) ou subjectives (sentiment d’insécurité), ni même d’en expliquer les causes, mais plutôt d’apprécier son impact sur la gestion des politiques locales, comme levier de l’action publique.

  • 1 Amiens, Beauvais et Montbéliard, Les Mureaux, Marseille, Nîmes et Garges-les-Gonesses, Paris, Saint (...)

2Face à ce sujet brûlant, pour parer aux spéculations idéologiques, Jérôme Ferret et Christian Mouhanna promeuvent une approche monographique des régimes locaux de sécurité. L’objectif est de mettre à jour les discours et les pratiques du personnel politique, des fonctionnaires étatiques, territoriaux et autres prestataires du secteur marchand de la sécurité. Le parti pris méthodologique, résolument empirique, consiste à fonder l’analyse sur des recherches de terrain menées dans plusieurs municipalités de taille variable et de couleurs politiques différentes. L’ouvrage regroupe ainsi neuf contributions qui, mise à part celle de Frédéric Ocqueteau sur la genèse de l’Observatoire national de la délinquance, nous font toutes visiter des villes de France1 comme autant de lieux de production des politiques locales de sécurité.

3Une question centrale traverse le livre, celle de l’avènement d’une « nouvelle forme de leadership local néoconservateur » matinée de populisme et de technocratie. Les éléments de réponse sont déclinés en trois parties. La première rend compte des stratégies proprement politiques et de la capacité des élus municipaux à modeler le jeu des acteurs de la sécurité dans la ville ; la deuxième interroge l’efficience et l’efficacité des dispositifs contractuels de coopération ; la dernière met en lumière le rôle des experts et la nature de leurs rapports avec le politique.

4Parce que, de l’avis même des auteurs, ces trois grands axes se recoupent largement et que la plupart des papiers proposés s’articulent à leur triangulation, on pourrait parfois être tenté de discuter l’agencement interne de l’ouvrage, mais au final, on retiendra l’intérêt croisé de l’ensemble des contributions : toutes éclairent les mécanismes de régulation locale des enjeux sécuritaires. Chacune à sa manière, elles illustrent les mutations de l’action publique, au carrefour de plusieurs pôles en tension : politique/professionnel, central/local, public/privé.

5La plupart des cas présentés laissent entrevoir l’émergence d’un « nouveau populisme punitif à la française », « mélange de discours simplificateurs et de solutions dites de « bon sens » ». Partout, les élus locaux s’affrontent au défi de la sécurité, gage d’attractivité de leur commune. Sur fond de crise de légitimité des institutions répressives traditionnelles, face aux demandes pressantes de leurs administrés, ils se voient contraints de « jouer le jeu sécuritaire », sous peine de « périr » politiquement. En endossant le costume du maire répressif, « patron » de la sécurité municipale, ils s’engagent alors « dans une logique inflationniste sur le plan des moyens et dans une surenchère « sécuritaire » sur le plan rhétorique » (Tanguy Le Goff). Il convient certes d’apprécier le décalage entre cette homogénéisation des discours et la diversité des mesures mises en œuvre en matière de lutte contre l’insécurité (David Katane), mais force est de constater une certaine convergence entre les villes quant à la manière de s’emparer des problèmes et de les traiter. Deux principales voies sont ainsi privilégiées : le renforcement des partenariats interinstitutionnels d’une part, le recours à l’expertise et à la technique (vidéosurveillance) d’autre part, dans une économie générale de gestion des risques urbains (Gwenola Le Naour ; Franck Sina).

6Ce livre est utile à maints égards, en premier lieu parce qu’il apporte de la connaissance sur un objet assez opaque. À la faveur d’un riche matériau empirique, il donne à voir la variété des régimes locaux de sécurité, en même temps qu’il met en évidence le processus global de « démonopolisation de l’État » par le local et par le privé. En outre, il rompt avec les catégorisations simplistes (en démontrant par exemple le caractère non opératoire du clivage gauche – prévention / droite - répression), revient sur les contradictions et les paradoxes des stratégies politiques sécuritaires (Jacques de Maillard ; Catherine Gorgeon ; Olivier Renaudie), souligne les effets pervers du « dogme coopératif » (Christian Mouhanna) et la bilatéralité des relations d’influence entre privé et public (Franck Sina)… bref, il met à mal les fausses évidences et parvient à restituer la complexité du système local de sécurité.

7L’ouvrage nous aide aussi à saisir les enjeux des transformations en cours et interroge avec pertinence leur portée sociale et politique. En conclusion, J. Ferret et C. Mouhanna s’attachent notamment à déconstruire l’argumentaire « légitimiste » mobilisé par nombre d’élus et de gestionnaires, sur le thème « on ne fait pas de politique, on fait de la technique ». Sous le couvert de ce « pragmatisme a-idéologique », la « nouvelle technocratie sécuritaire » opère pourtant un glissement du paradigme de la prévention sociale vers celui de la prévention situationnelle et tend à substituer, à un registre d’action tourné vers les personnes, des dispositifs anonymes et répressifs de sécurisation de zones ciblées. Elle procède d’une « technologisation du social » et consacre le pouvoir des experts, au détriment de la participation des citoyens et du traitement des causes profondes de la délinquance. Si les dernières pages forcent peut-être un peu le trait, Peurs sur les villes résonne en tout cas comme un appel salutaire à la réflexion et nous invite à réintroduire de la diversité et du débat dans l’analyse des problèmes de sécurité.

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Notes

1 Amiens, Beauvais et Montbéliard, Les Mureaux, Marseille, Nîmes et Garges-les-Gonesses, Paris, Saint-Herblain.

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Pour citer cet article

Référence papier

Virginie Malochet, « Jérôme Ferret, Christian Mouhanna (Eds.), Peurs sur les villes. Vers un populisme punitif à la française ? »Sociologie du travail, Vol. 48 - n° 2 | 2006, 259-260.

Référence électronique

Virginie Malochet, « Jérôme Ferret, Christian Mouhanna (Eds.), Peurs sur les villes. Vers un populisme punitif à la française ? »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 48 - n° 2 | Avril-Juin 2006, mis en ligne le 21 mars 2006, consulté le 15 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/sdt/24222 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.24222

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Auteur

Virginie Malochet

Lapsac, université Bordeaux-II, faculté des sciences de l’homme, département de sociologie, 3 ter, place de la Victoire 33000 Bordeaux, France
vmalochet[at]libertysurf.fr

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont susceptibles d’être soumis à des autorisations d’usage spécifiques.

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