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Sciences et souverainetés

Carrying American Ideas to the Unconverted: la tentative manquée du MIT d’exporter la recherche opérationnelle au sein de l’OTAN

Carrying American Ideas to the Unconverted. Philip Morse’s Promotion of Operations Research in NATO
John Krige
p. 390-411

Résumés

Les études récentes sur l’« américanisation » des pratiques économiques et culturelles ont souligné que les Européens n’ont pas été des victimes passives d’un projet « colonisateur » mais qu’ils s’en sont approprié certains aspects de manière sélective, tout en en rejetant d’autres. Cette contribution élargit cette analyse au domaine scientifique. Elle retrace l’échec de la tentative d’exporter au niveau de l’OTAN un modèle de recherche opérationnelle fondé sur l’informatique et lié aux relations sociales où des scientifiques civils étaient profondément intégrés dans le processus décisionnel militaire. Cette conception de la recherche opérationnelle et les pratiques sociales quelle entraînait ont été bloquées par les Britanniques, qui ont rejeté un modèle de recherche opérationnelle requérant une formation poussée en mathématique et en informatique, et qui ont insisté pour que l’OTAN conserve une distinction stricte entre les domaines civil et militaire. L’« américanisation » a été un projet négocié et contesté, qui, même s’il a favorisé une prise de conscience de la nécessité du changement en Europe, n’en a pas pour autant déterminé la trajectoire.

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Notes de l’auteur

Je voudrais remercier Grégoire Mallard et les lecteurs anonymes d’une précédente version de cet article pour leurs commentaires. La présente contribution fait de nombreux emprunts à John Krige, American Hegemony and the Post-war Reconstruction of Science in Europe (Cambridge : MIT Press, 2006), chapitre 8.

Texte intégral

1En décembre 1958, Philip Morse, Professeur au MIT (Massachusetts Institute of Technology), rendit visite au général Thomas Larkin, le directeur du Mutual Weapons Development Program, à son quartier général à Paris. Morse désirait ardemment promouvoir la recherche opérationnelle (RO) dans les Etats européens membres de l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique nord). Il cherchait, pour lui et quelques-uns de ses collègues, à bénéficier par le biais de Larkin d’un financement du département américain de la Défense, afin d’organiser en Europe un séminaire, visiter plusieurs sites dans divers pays de l’OTAN et rémunérer des consultants spécialisés en RO qui seraient basés pour une période plus longue dans des pays alliés choisis au sein de l’OTAN. Larkin soutint sa démarche et encouragea Morse à diffuser les idées américaines auprès des « non-convertis (unconverted) », pour reprendre sa formulation (Morse, 1977, p. 320).

2L’idée que non seulement les Européens étaient à la traîne des Etats-Unis sur le plan scientifique et technologique, mais qu’une aide américaine était nécessaire pour les sortir de leurs errements, était largement répandue à la fin des années 1950. Morse était le propagandiste de la RO à l’américaine par excellence. En 1951, avec George Kimball, il avait publié The Methods of Operations Research – le fragment théorique « déclassifié » d’un rapport en trois volumes qu’ils avaient rédigés à la fin de la guerre pour l’US Navy. Ils y définissaient leur sujet en ces termes : « une méthode scientifique destinée à fournir aux départements exécutifs une base quantitative pour les décisions relatives aux opérations sous leur contrôle » (Morse et Kimball, 1951). Cette définition était volontairement très générale. Morse croyait ardemment à la valeur de la recherche opérationnelle en tant qu’outil, basé sur l’informatique, de la rationalisation des systèmes tant civils que militaires. Il se fit l’infatigable promoteur des techniques et des pratiques de la RO, non seulement au sein de son institut, mais aussi à l’échelle nationale et internationale.

3Morse pouvait compter sur le soutien résolu du MIT à la formule qu’il proposait à Larkin. A la fin des années 50, Gordon Brown, le doyen de la faculté d’engineering du MIT, était fermement convaincu que son institution avait développé en matière d’engineering un programme scientifique sans égal, intégré dans l’État industriel moderne et conçu pour répondre aux besoins de sa modernisation. (Leslie, 1993). Le temps était venu d’exporter ce modèle à l’étranger et de contribuer au « nation building » pour reprendre les termes de ses collègues Max Millikan et Walt W. Rostow. Le MIT fournirait ainsi une feuille de route pour la formation d’élites scientifiques et techniques destinées à constituer le fer de lance de la transformation économique et politique de leurs sociétés (Leslie et Kargon, 2006). Brown et Rostow pensaient avant tout aux pays « en développement », bien entendu, qu’il s’agissait de détourner du communisme (Rostow, 1990). Mais, de part et d’autre de l’Atlantique, nombreux étaient ceux qui pensaient que les institutions et les pratiques de l’enseignement en Europe occidentale ne convenaient pas aux besoins de la société, et quelles devaient aussi être « modernisées » selon les conceptions américaines. En 1960, un panel de scientifiques et d’ingénieurs européens de premier plan, présidé par James Killian, le Président du MIT, et financé par l’OTAN et la Fondation Ford, avait plaidé avec force pour la création en Europe occidentale d’un Institut international pour la science et la technologie conçu sur le modèle du MIT (Krige, 2006). Sa nécessité se justifiait par la crainte, exprimée par le Secrétaire général de l’OTAN Dirk Stikker, d’un « sous-développement scientifique » de l’Europe (Killian, 1962).

4L’intérêt de l’OTAN pour la RO s’inscrivait dans le cadre de ce souci général de renforcer la science et la technologie européennes. Plusieurs facteurs expliquaient ces préoccupations, à commencer par l’impatience américaine de voir les Européens prendre davantage leur part du « fardeau » de la défense du « monde libre », à un moment où, selon le président Eisenhower, il convenait de réduire le nombre d’hommes déployés sur le terrain et de recourir plutôt à des armes puissantes et sophistiquées, nées de la recherche scientifique, et capables d’écraser l’ennemi. Par ailleurs, si les tendances révélées par l'analyse de la production de scientifiques et d’ingénieurs en URSS se confirmaient, les Soviétiques disposeraient à brève échéance d’une main-d’œuvre scientifiquement formée plus nombreuse et de meilleure qualité que celle des pays occidentaux. Cette crainte prit un tour hystérique après le lancement par les Soviétiques des Spoutniks, à partir de la fin de 1957 : un comité scientifique fut immédiatement créé au sein de l’OTAN (Krige, 2000, Krige 2006). Son objectif primordial était de « renforcer la science occidentale » avec l’appui des Etats-Unis. L’amélioration des capacités européennes en matière de RO était une de ses priorités, identifiée comme telle dans le rapport de l’OTAN intitulé Trained Manpower for Freedom (Jackson, 1957).

5Le présent article est une étude de cas consacrée aux efforts de Morse pour exporter le modèle américain de RO en Europe occidentale par le biais de l’OTAN. Il s’inscrit dans le cadre de l’intérêt grandissant suscité par l’« américanisation » de la science et de la technologie européennes durant les deux premières décennies de l’après-guerre. Cet intérêt s’est largement concentré sur les transferts des technologies et des pratiques managériales au travers du plan Marshall et par l’entremise de certaines fondations, notamment la Fondation Ford (Barjot, 2002, Boltanski, 1981, Gemelli, 1998, Zeitlin et Harrigel, 2000). La diffusion des sciences sociales et du comportement américaines a également fait l’objet de certaines recherches, de même que celle des sciences médicales et biomédicales (Gaudillière, 2002, Gemelli, 2001, Gemelli et MacLeod, 2003). Il pourrait ressortir de cette littérature un certain consensus sur la thèse qu’il n’y était jamais une adoption sans réserve du modèle américain en Europe occidentale. En pratique, ce modèle a fait l’objet d’une appropriation sélective, et a été modifié et adapté à des circonstances spécifiques. L’« américanisation » de la science et de la technologie européennes s’est accompagnée, tout comme l’« américanisation » de la culture européenne, de controverses et de contestations intenses. A cause des pressions extérieures, les Européens ont été confrontés aux limites de leurs pratiques et de leurs méthodes de connaissance et ils ont dû les réformer, en adoptant certains éléments venus de l’étranger, en en adaptant d’autres et en en rejetant d’autres encore. La stratégie spécifique adoptée était tributaire de contingences locales. Elle a varié d’un pays à l’autre, d’un secteur à l’autre, d’un domaine à l’autre. Et surtout, le « projet américain » na jamais remporté le succès universel dont rêvaient certains de ses promoteurs (Ellwood, 2003, Krige, 2006).

6Même si les efforts de Morse ont indubitablement stimulé l’intérêt pour la RO en Europe et au sein de l’OTAN, sa tentative pour implanter ses conceptions en la matière au sein de l’Alliance a échoué, ce qui n’était pas acquis d’avance. Comme le découvrit Morse, différents modèles de RO avaient cours en Europe au début des années 60. Certains d’entre eux, notamment en France, paraissaient très semblables au sien. Au grand dam de Morse, le modèle qui finit par prévaloir au sein de l’OTAN au début des années 60 fut le modèle britannique, qui laissait peu de place au travail « théorique » sur les problèmes abstraits posés par l’utilisation des ordinateurs. Les Britanniques mettaient plutôt l’accent sur l’application pratique de compétences mathématiques assez générales aux problèmes militaires spécifiques qui se posaient au sein de l’Organisation. L’« échec » de Morse s’explique par la conception très différente que les Britanniques se faisaient de la RO mais aussi par leur capacité à imposer leurs vues au sein de l’OTAN au début des années 1960.

1. La conception de la RO selon Morse

7Les Britanniques furent les premiers à avoir utilisé des techniques scientifiques (essentiellement la théorie des probabilités) pour améliorer l’efficacité opérationnelle de leur armement et de leurs moyens de défense durant la Deuxième guerre mondiale (Kevles, 1978, Nye, 2004). Aux Etats-Unis, le physicien Philip Morse joua un rôle pionnier (Morse, 1977, Rau, 1999). Morse se souciait moins de construire de gadgets de plus en plus sophistiqués pour les militaires que de trouver le moyen d’utiliser plus efficacement sur le champ de bataille des nouvelles technologies comme le radar. Sa chance se présenta en avril 1942, quand il fut autorisé à constituer au sein de l’US Navy un groupe de RO, qui compterait quelque 80 ou 100 analystes à la fin de la guerre, pour la plupart des physiciens et des mathématiciens. Leurs tâches étaient multiples. Ils devaient convaincre les officiers de haut rang, confrontés à des armes nouvelles et peu familières, que ces armes renforçaient les capacités de combat. Des scientifiques civils versés dans le domaine technique devaient travailler en étroite collaboration avec des utilisateurs sur le terrain, pour leur expliquer comment fonctionnait l’engin et comment résoudre les incidents techniques. Ils devaient personnellement collecter des données fiables sur lesquelles baser leurs analyses, plutôt que d’utiliser des données de seconde main tirées des archives, ou d’autres personnes au front. Enfin, ils devaient travailler en étroite collaboration avec les officiers responsables du déploiement pour veiller à ce que les technologies nouvelles ou améliorées soient utilisées avec un maximum dimpact – comme l’indiquait un rapport établi après la guerre : « dans certains cas, il était bien plus avantageux d’améliorer la tactique plutôt que d’améliorer les armes, et c'était presque toujours plus facile, plus rapide et moins onéreux ». (Fortun et Schweber, 1993, 605). L’armée, selon Pickering, a ainsi recouru à la science civile pour « intégrer les praticiens de la RO dans sa structure interne et repenser ses pratiques opérationnelles en fonction de leurs découvertes et de leurs recommandations » (Pickering, 1995, 238).

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8La réussite de la gestion de l’interface civil / militaire était la clé du succès de la RO selon les conceptions de Morse. Ce dernier utilisait une métaphore médicale révélatrice pour décrire la relation idéale entre l’expert civil et l’officier militaire, une relation fondée sur deux éléments : l’indépendance de la décision et le respect de la confidentialité.2 Le « patient », la marine américaine, devait fournir au chercheur en RO, le « médecin », un accès à tous les faits relatifs au problème à résoudre. Le « médecin » « devait se situer hors de la chaîne hiérarchique habituelle pour conserver un point de vue impartial » et « être libre d’utiliser ses propres méthodes d’analyse pour parvenir à un diagnostic […] ». La seule contrainte qui pesait sur son indépendance de décision était que les recommandations de l’expert devaient être réalistes et susceptibles d’être mises en œuvre. En échange, le « médecin » devait respecter la plus grande discrétion au sujet de son « patient » c’est-à-dire respecter le « principe selon lequel les rapports de notre travail appartenaient exclusivement à la Navy et ne pouvaient être révélés à des tiers sans l’autorisation de la Navy ». En adhérant à ces directives, « nous pourrons être loyaux et répondre aux objectifs de la Navy en dépit de notre indépendance en terme de procédure et de missions. Le succès de notre relation – Morse insistait sur ce point – dépendait de la confiance mutuelle, bien entendu – sans laquelle nous aurions pu tout aussi bien retourner dans nos laboratoires ». Le succès obtenu par Morse pour construire une relation de confiance permettant la quantification et l’optimisation du processus décisionnel militaire fut récompensé par l’attribution, à la fin de la guerre, de la Médaille présidentielle pour le Mérite.

  • 3 MIT Archives, MC75, Box 20, Folder NATO APOR 10th Anniversary, Philip M. Morse, ‘Background of the (...)

9Les résultats obtenus par la RO pendant la guerre incitèrent l’armée américaine à poursuivre dans cette voie. Morse resta activement engagé dans la RO militaire en conseillant directement les chefs d’état-major, en siégeant au Board of Trustees de la RAND Corporation, et par ses connexions avec l’Institute of Defense Analysis, une institution privée sans but lucratif établie par le MIT au milieu des années 50 pour aider les militaires à évaluer les systèmes d’armes. Mais Morse nourrissait des ambitions plus larges. La guerre, déclara-t-il par la suite, avait offert « un cours accéléré sur la manière de générer une action politique » et elle lavait conduit à penser qu’il « pouvait améliorer la vitesse et l’efficacité des décisions militaires, ou des décisions industrielles, ou peut-être même des décisions dans les affaires publiques »3 Cette flexibilité d’interprétation de la RO faisait d’elle un point de passage idéal pour les sciences sociales – notamment la science économique – désireuses acquérir une respectabilité publique, une légitimité scientifique et un financement militaire dans les Etats-Unis de l’après-guerre (Armatte, 2004, Mirowski, 1999, Mirowski, 2002). En 1951, Robert Solow, un économiste distingué du MIT, se montrait sceptique quant à la possibilité d’étendre la RO au-delà du domaine militaire. Cinq ans plus tard, dans les pages de Fortune, il ne tarissait pas d’éloges sur ses avantages : « De plus en plus, des intellectuels (longhairs) – généralement des titulaires de doctorat sans formation ni expérience en matière de gestion – entrent dans le monde des affaires », écrivait-il, « en y apportant non seulement la technologie des processus et des machines, mais aussi une nouvelle technologie générale liée aux décisions » (Solow, 1956). Selon Mirowski, « l’importance de la RO après la guerre n’était pas due à une innovation ou à une découverte d’ordre technique : la RO fut l’atelier où la relation entre les scientifiques et l’Etat s’est remodelée après la guerre, le lieu où l’économie a été intégrée dans cette approche scientifique du gouvernement, de la gestion d’entreprise et de la société » (Mirowski, 1999, 690). John Von Neumann joua un rôle essentiel dans cette reconfiguration dont les Etats-Unis furent le théâtre (Dahan, 2004, Mirowski, 2002). Il introduisit sa théorie des jeux « comme un accessoire à la RO, en apportant la puissance de feu mathématique et la force de frappe intellectuelle à la préoccupation stratégique héritée de la guerre : c'est lui qui a forgé des liens durables avec l’ordinateur comme outil et comme exemple de rationalisation organisationnelle ; c’est lui qui a tenu les promesses de la programmation linéaire pour différentes organisations militaires, et c’est lui qui a fourni le rapprochement avec la théorie de l’information » (Mirowski, 1999, 692).

10Ces évolutions de l’après-guerre en Amérique se reflétèrent dans l'ensemble des pratiques intégrées dans le programme de RO développé par Morse au MIT, et qu’il voulut exporter à la fin des années 50. Etablir le programme au sein de l’institution ne fut pas une entreprise aisée : Morse devait surmonter les frontières traditionnelles entre les disciplines pour produire un « type de scientifique bien plus généraliste », qui, « tout en ayant une formation approfondie à la méthode scientifique », était également intéressé par les interactions plus larges entre les nouveaux développements techniques et le système social (Morse, 1977, 263). Plusieurs éléments facilitèrent sa tâche, à commencer par la prise de conscience croissante, de la part des autorités académiques et administratives du MIT, qu’il était impossible de maintenir des frontières rigides entre les départements. Le Laboratoire de recherches en électronique (Research Laboratory in Electronics), établi en 1946, avait créé un précédent et, pour citer son premier directeur, Julius Stratton, « ne pouvait que favoriser le développement de centres interdépartementaux au sein de l’Institut au cours des deux décennies suivantes », des centres qui « tenaient compte du fait que les champs scientifiques en train d’émerger ne recoupaient généralement pas les limites conventionnelles entre les disciplines » (Leslie, 1990). Ensuite, il y avait la détermination de l’administration à intégrer les sciences sociales dans le programme des cours. En 1949, Stratton, qui était alors vice-recteur principal (ou provost), publia un rapport clé sur les défis de l’enseignement de l’après-guerre pour le MIT, où il préconisait notamment un renforcement des sciences sociales et des lettres au sein de l’Institut. Le nouveau président, James Killian, qui voyait dans le MIT une « université polarisée sur les sciences, l’engineering et les arts », partageait les conceptions de Stratton et soutint activement les efforts de Morse. Il y avait enfin le souhait de bénéficier d’un patronage fédéral (plutôt qu’industriel), notamment de l’armée, qui devait conduire Alvin Weinberg à affirmer en 1962 qu’il était de plus en plus difficile de dire si le Massachusetts Institute of Technology était « une université à laquelle se rattachaient un grand nombre de laboratoires gouvernementaux ou un ensemble de laboratoires gouvernementaux auxquels était attaché un excellent établissement d’enseignement » (Leslie, 1990). Ces trois caractéristiques du nouveau MIT d’après-guerre – l’engagement en faveur d’un travail interdisciplinaire, la détermination de l’administration à intégrer les sciences sociales dans le programme des cours d’engineering, et la recherche d’un patronage fédéral, notamment militaire – permirent à Morse de concrétiser son programme d’enseignement en recherche opérationnelle.

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11La conception de ce programme remontait à 1948 mais sa traduction institutionnelle dut attendre le retour de Morse sur le campus, en 1950. En 1952, il fut nommé président d’une commission interinstitutionnelle, l’Institute Committee on Operations Research, qui regroupait des représentants des départements des mathématiques, du génie civil, du génie électrique et de la construction mécanique, ainsi que de la nouvelle Sloan School of Industrial Management (Morse, 1953). La commission mit sur pied un séminaire hebdomadaire et lança un programme de cours d’été qui fut organisé pour la première fois en 1953. 70 personnes s’inscrivirent aux cours dont une quarantaine provenant de l’industrie, et 14 d’organismes militaires. Tous étaient censés posséder des connaissances de base en matière de calcul et d’équations différentielles. Morse et George Wadsworth, du département des mathématiques, y présentèrent en matinée des exposés théoriques sur ses sujets tels que les fondements de la probabilité, la modélisation mathématique, la théorie des files d’attente, les techniques de Monte Carlo, la théorie des jeux, la programmation linéaire, etc. Les après-midi étaient consacrées aux études pratiques avec des invités possédant une expérience de terrain dans des groupes industriels et militaires. Peu à peu, ce programme d’été commença à attirer aussi un public venu de l’OTAN et d’Europe. En 1957, Morse fut nommé directeur du MIT Computation Center, qui était équipé d’un IBM 704, bientôt remplacé par un IBM 709. Lorsque Morse commença à s’engager sérieusement dans son projet de formation des Européens par le biais de l’OTAN, il avait donc déjà mis sur pied un programme de premier cycle et un programme d’études supérieures au sein du MIT. Une série de cours y étaient donnés par des professeurs invités et complétés par des séminaires informels de formation. Des entreprises et des agences gouvernementales soutenaient financièrement la recherche et une formation était dispensée concernant les techniques mathématiques avancées requises par les ordinateurs à haute vitesse.4 C’est ce modèle d’enseignement, et l’ensemble des pratiques qui y étaient associées, que Morse entendait exporter. Il allait être déçu.

2. Les premiers contacts de Morse avec la RO en Europe continentale

  • 5 The Growth of Operations Research in the Free World, op. cit.
  • 6 MIT Archives, MC75, Box 18, Folder NATO Report on Est. Adv. Panel on O/R, 1959, ‘Final Report of Pr (...)

12Morse était persuadé que la capacité de l’OTAN de fonctionner comme une alliance militaire intégrée ne dépendait pas seulement d’une structure de commandement centralisée et compétente, mais aussi de la présence de groupes compétents de RO dans chaque pays de l’Alliance. Il développa cette argumentation lors d’une audition devant la Navy en 19625. Les Etats-Unis, expliquait-il, éprouvent des difficultés à communiquer avec leurs alliés au sein de l’OTAN. Ce n’était pas qu’une question de formation : le problème était essentiellement dû à la manière spécifique dont les scientifiques civils se livrant à la RO avaient été intégrés dans les services de l’armée américaine depuis une vingtaine d’années. « L’interaction entre les personnels scientifiques et militaires, entre les concepteurs et les utilisateurs des armements est si « étroite dans notre pays, tout comme elle l’est en Angleterre », disait Morse, que « cela affecte notre vocabulaire aussi bien que notre planification. Les officiers parlent comme les physiciens et les acousticiens discutent de tactique ». Les alliés de l’Amérique au sein de l’OTAN « n’étaient pas habitués à cette interpénétration des pensées scientifique et militaire ». Les pays qui ne possédaient pas de puissants groupes militaires de RO sur le modèle américain éprouvaient des difficultés à coordonner leur planification avec les Etats-Unis. Il s’agissait donc d’une tâche urgente pour l’OTAN, et Morse était naturellement le mieux placé pour l’assumer. Il avait déjà mis sur pied un programme d’été en RO au MIT, et il disposait du personnel nécessaire pour l’enseigner à l’étranger. Il possédait des relations au sein de l’establishment de la défense et savait à qui s’adresser pour obtenir des financements. Il avait déjà travaillé en étroite collaboration avec le Conseiller scientifique de l’OTAN Norman Ramsey (placé à la tête de la physique peu après la nomination de Morse comme premier directeur du Brookhaven National Laboratory en 1946). Ramsey orienta Morse vers Larkin et, sur ses recommandations, le Pentagone passa rapidement un contrat avec le MIT pour « la fourniture de services de consultants visant à contribuer à l’établissement de programmes de recherche opérationnelle dans les pays de l’OTAN ».6

  • 7 Archives de l’OTAN, ‘Note by the United States Delegation Concerning Introductory Courses in Operat (...)
  • 8 Archives de l’OTAN, ‘Policy for Mutual Support in Operational Research Between the United States an (...)

13Lors d’une réunion du Comité scientifique de l’OTAN en juillet 1958, la délégation des Etats-Unis offrit de payer les frais de logement et de nourriture et les droits d’inscription pour des scientifiques européens de pays de l’OTAN, pour qu’ils assistent à une université d’été organisée par Morse au MIT. Un contingent de 27 scientifiques, provenant pour la plupart de France, d’Allemagne et d’Italie, se rendit à Boston cet été là ; leur effectif se gonfla d’une douzaine d’autres personnes venues d'Europe.7 La délégation américaine distribua également un document décrivant en détail un certain nombre de mesures concrètes que les Etats-Unis comptaient adopter pour promouvoir la RO au sein de l’Alliance. Il s’agissait en fait d’un plan directeur pour un programme majeur de formation, inspiré et financé par les Américains, et destiné à renforcer la recherche opérationnelle au sein de l’OTAN.8 Philip Morse dirigea le programme de 1960 à 1965, en présidant la Commission consultative sur la recherche opérationnelle (APOR) du Comité scientifique de l’OTAN.

14Le projet de Morse était d’organiser en Europe, en août 1959, une variante de l’université d’été du MIT. Elle serait réservée aux ressortissants des pays alliés du continent, en excluant donc les Britanniques, dont on pensait qu’ils n’avaient pas besoin de ce type de formation. Les participants bénéficiaient d’une introduction aux techniques théoriques et expérimentales avancées, nécessaires pour résoudre des problèmes pratiques industriels et militaires. On leur apprenait également comment mettre sur pied et gérer un groupe RO efficace, conjuguant l’indépendance de la pensée et le respect de l’autorité du pouvoir exécutif. Le programme formel devait être suivi par de brèves visites dans d’autres pays pour examiner la scène nationale. Une équipe de six personnes fut désignée pour ce travail, dont une majorité provenant du MIT. George Kimble, le partenaire de toujours de Morse, et qui travaillait alors à temps plein pour Arthur D. Little Inc., était également membre de ce groupe, à titre de consultant en RO pour l’industrie et la Navy.

  • 9 MIT Archives, MC75, Box 20, Folder NATO APOR 10th Anniversary, ‘Informal Notes of the First Meeting (...)
  • 10 ‘Final Report of Project AF19(604)5442’, op. cit., Appendix D, ‘Comments of Attendees’, Appendix E, (...)
  • 11 ‘Final Report of Project AF19(604)5442, op. cit., Conclusions’.

15Environ 120 personnes participèrent aux cours, dispensés au Training Centre for Experimental Aerodynamics, près de Bruxelles, du 17 au 28 août 1959.9 La moitié des participants étaient des militaires, 30 % provenaient de l’industrie et le reste de l’université. La Belgique, la France et l’Allemagne envoyèrent chacune quelque 25 personnes, suivies par l’Italie (16) et la Norvège (10) et les Pays-Bas (9). Un sondage auprès des participants révéla que si chacun convenait que les cours avaient été bien préparés et qu’ils étaient intellectuellement stimulants, beaucoup estimaient qu’il aurait fallu donner moins d’attention à la théorie et davantage à la discussion des problèmes pratiques, notamment militaires.10 En dépit de son succès, Morse et son équipe en tirèrent une conclusion majeure : l’exercice ne devait pas être répété. « Un programme global, tel que celui donné à Bruxelles […] peut être utile pour lancer le mouvement, mais d’autres séminaires et programmes OTAN ne seraient que de peu d’utilité […] ». Ce constat s’expliquait avant tout par l’écart entre les niveaux de développement de la RO dans les pays alliés. Comme chacun avait des besoins propres, ce qu’il fallait, c’était « une aide spécifique, taillée sur mesure en fonction des besoins précis des différents pays, tels qu’ils sont déterminés au niveau technique ».11

3. Les différentes formes de RO rencontrées par Morse

  • 12 ‘Final Report of Project AF19(604)5442’, op. cit., Appendice F, ‘Excerpts from Team Reports on Visi (...)

16La diversité des situations prévalant chez les membres de l’Alliance apparut comme une évidence à l’équipe de Morse lors de ses visites sur place. La Turquie représentait un cas extrême : au-delà de l’évaluation du niveau de la RO dans ce pays, la question de l’existence même d’une RO s’y trouvait posée. Les conseillers militaires présents sur place le soulignaient : « alors qu’une grande quantité d’équipements ont été installés en Turquie, personne ne sait où ils sont, combien il y en a, et dans quel état ils se trouvent ». Dans ces conditions, il était évidemment ridicule de concentrer les efforts en RO sur les méthodes de fourniture des équipements, par exemple, un sujet classique dans les pays industriellement plus avancés. La nécessité de disposer d’une main-d’œuvre qualifiée et d’équipes de scientifiques civils destinés à travailler avec les militaires sur les problèmes de RO se heurtait à la réalité d’un analphabétisme largement répandu dans le pays, en dépit de l’adoption récente d’une loi imposant six ans de scolarité à chaque enfant. « Cela signifie », relevait l’équipe de Morse avec un bel optimisme, « que les choses s’amélioreront dans une ou deux générations ».12

  • 13 Pour la France, voir ‘Final Report of Project AF19(604)5442, op. cit., Appendice F, ‘Excerpts from (...)

17La France se situait à l’autre extrême. Les visiteurs américains furent profondément impressionnés par l’ampleur et la profondeur de la RO dans ce pays. Ils jugèrent que le niveau de la RO française, qui ne comptait pourtant qu’à peine six ans d’existence, se situait « juste en dessous des Etats-Unis et du Royaume-Uni ».13 Chaque branche des forces armées – l’armée de terre, la marine et l’armée de l’air – possédait ses propres sections de RO, sans parler d’un groupe interservices, le CIRO (Centre Interarmée de Recherche Opérationnelle). Il existait aussi un groupe civil important et en plein essor, dirigé par Charles Salzmann, le CFRO (Centre Français de Recherche Opérationnelle). Lorsque Morse et certains autres membres de l’équipe visitèrent le CFRO en 1959, ce centre rassemblait quinze membres scientifiques et une demi-douzaine de consultants civils, le plus souvent venus des milieux universitaires. 60 % de son travail était destiné aux militaires, 30 % à l’industrie privée et 10 % répondait aux demandes du gouvernement.

18Morse et ses collègues ne tarirent pas d’éloges sur la magnifique formation des militaires français, y compris leurs connaissances des mathématiques et des probabilités, et sur le terreau fertile pour la RO que représentait un pays caractérisé par, disaient-ils, « une vision rationaliste de la vie ». Leur seule préoccupation était que, « si brillante que soit la formation des membres militaires des groupes de RO », ils ne possédaient pas le « degré supplémentaire de liberté d’imagination » des scientifiques civils se livrant à des activités de recherche fondamentale. En raison du rang relativement modeste de ces militaires, leurs talents auraient été freinés par le fait qu’ils devaient faire rapport à leurs officiers supérieurs et les respecter. Ce qui manquait en France, donc, c’était cette « interpénétration » des civils et des militaires, des milieux universitaires et des forces armées que Morse et ses collègues appréciaient tant : de fait, sur les 25 participants français à l’université d’été à Bruxelles, on ne comptait qu’un seul représentant de l’université.

  • 14 Pour l’Allemagne, voir ‘Final Report of Project AF19(604)5442’, op. cit., Appendice F, ‘Excerpts fr (...)

19La visite en Allemagne fut décourageante. Morse déplora le manque quasi total de communication entre les universités, l’industrie et l’armée, et l’absence de désir de surmonter ces barrières. Les visiteurs américains relevaient que les plus jeunes voyaient sans doute bien la nécessité d’une coopération, mais ne savaient pas comment y parvenir. L’industrie et l’armée, pour leur part, semblaient n’avoir aucune idée des avantages qu’elles pourraient retirer d’une coopération avec l’université. En réalité, l’armée était même hostile à l’idée de permettre à « n’importe quel type de l’université d’avoir grand-chose à dire en matière de planification militaire » apparemment parce que les militaires considéraient que les universitaires était trop académiques et incapables de s’attaquer aux questions concrètes. Comme le dit Morse dans son autobiographie, « il semblait ne pas y avoir de place dans l’organigramme militaire pour un groupe civil, en particulier s’il comportait des universitaires » (Morse, 1977, 325).14

  • 15 Pour la Norvège, voir ‘Final Report of Project AF19(604)5442, op. cit., Appendix F, ‘Excerpts from (...)

20La situation en Norvège était plus encourageante. Morse et ses collègues donnèrent des exposés à l’université d’Oslo et à la société norvégienne de RO. Ils trouvèrent auprès du public du Norwegian Defense Research Establishment (NDRE) et des chefs d’état-major, « une compréhension bien plus grande du problème et des opportunités de développement plus importantes […] qu’en Allemagne ». Morse et ses collaborateurs acquirent une haute opinion de la qualité expérimentale et théorique des études de RO menées au NDRE, qui combinaient « le développement des armements avec la recherche opérationnelle et l’évaluation des armements pour l’ensemble des trois services norvégiens ».15 Après sa visite décourageante à Bonn, Morse fut donc soulagé de découvrir qu’à Oslo, à la différence de « pays plus au sud », « les différences de culture et de pensée » étaient négligeables. « En Norvège, nous avons découvert que nous riions des mêmes plaisanteries et nous ne nous sentions pas obligés de n’avancer nos arguments qu’avec prudence » (Morse, 1977, 325).

4. Les multiples enchâssements sociaux de la RO militaire en Europe et ses relations avec les milieux universitaires

  • 16 Voir Fourcade-Gourinchas (2001) pour une telle analyse dans le cas de la science économique.

21Ces impressions, qui n’étaient basées que sur quelques jours d’interaction en face à face doivent naturellement être interprétées avec prudence, en fonction d’une grille d’analyse qui tienne compte des évolutions propres de la RO dans les différents pays d’Europe continentale de l’après-guerre. Le niveau d’analyse requis pour décrire les formes nationales de la RO et son institutionnalisation dans un certain nombre de pays européens dépasse les limites de cet article.16 Mais ces éléments suggèrent en tout cas la nécessaire réévaluation de la thèse de Mirowski, qui doit être complétée par une analyse de la relation entre civils et militaires en Europe et de son inscription dans le contexte académique européen. Comme nous l’avons dit, Mirowski affirmait que dans l’Amérique de l’après-guerre, le sort de la RO et celui de la science économique étaient liés l’un à l’autre, la science économique apportant un sens de la cohérence, une légitimité et une identité dans un domaine qui en manquait. Par extrapolation, il a supposé l’existence d’une même interdépendance au-delà des frontières des Etats-Unis, en affirmant que même si la recherche opérationnelle « semblait différente lorsqu’elle s’est constituée au Royaume-Uni, en Amérique, sur le continent européen ou dans l’ancienne Union soviétique […] », « une grande partie de ces différences trouvent leur origine dans les vicissitudes de la Seconde guerre mondiale et dans les politiques divergentes des Etats vis-à-vis de la science, et il s’en est suivi des interactions locales avec des conceptions culturellement variables de la science économique » (Mirowski, 2002, 182). En résumé, pour Mirowski, les différences en matière de RO étaient étroitement liées à des conceptions différentes du rôle de l’Etat dans la société civile, et donc aux conceptions de l’économie et de son rôle comme instrument de planification sociale. Morse et ses collègues ont à peine remarqué cette connexion : ce qu’ils ont découvert, c’est que la manière dont le secteur universitaire était organisé, de même que les structures sociales qui enchâssaient l’enseignement supérieur dans les systèmes militaires nationaux, avaient un impact profond sur l’intérêt pour la RO et sur le type de RO mise en œuvre.

  • 17 MIT Archives, MC75, Box 18, Folder NATO/APOR 1963, ‘Report of the NATO Consultant in Operations Res (...)

22C’était notamment le cas de l’Allemagne, qui n’avait pas intégré de scientifiques civils dans la structure militaire de commandement de haut niveau durant la guerre et dont l’establishment militaire n’avait véritablement retrouvé son dynamisme qu’après l'entrée du pays dans l’OTAN en 1955. Dans ce cas, le champ d’action de la RO ne commença à être formellement reconnu qu’au début des années 60 (la société allemande pour la RO fut fondée en 1961). Baumgarten observait que « d’importants segments des groupes de décideurs dans l’armée, l’administration publique et l’industrie n’étaient pas conscients (ou peut-être pas convaincus) de l’applicabilité générale des méthodes scientifiques pour la résolution de problèmes majeurs de commandement ou d’exécution ».17 Les relations entre l’université et l’armée étaient placées principalement sous le signe de la confrontation. Les structures académiques étaient rigides et basées sur les différentes disciplines : un des collègues de Morse au MIT, Joseph Weizenbaum, un pionnier en intelligence artificielle, indiquait en 1965 que les professeurs allemands avaient une vision de type « tunnel », en se méfiaient de toute activité interdisciplinaire, en se basant sur le principe que « tout contact avec un autre domaine [relevait] par définition du dilettantisme et, par conséquent, n’était pas professionnel et avait un effet de « contamination » (Gemelli, 2003, 175).

23En Norvège, à l’inverse, Morse découvrit que les activités de recherche opérationnelle fleurissaient au sein du National Defense Research Establishment, en étroite collaboration avec l’université d’Oslo. Le NDRE avait été créé en 1946 en exploitant les compétences des Norvégiens qui avaient travaillé dans les laboratoires alliés après l’occupation de leur pays par les Allemands en 1940 (Wicken, 1995). Tout au long des années 50, cette instance fut largement financée par le gouvernement, davantage même que l’important programme nucléaire, et bien plus généreusement que les instituts de recherche (Morse put relever à cet égard que la RO industrielle en était encore à ses balbutiements en Norvège). Le NDRE était plus précisément engagé dans le Mutual Weapons Development Program, et mobilisait des ressources considérables pour développer, avec les Etats-Unis, un système d’armes anti-sous-marins, Terne III. Il travaillait en outre sur les fusées de proximité et sur les communications radio dans les régions polaires. Le NDRE était également responsable de l’installation et des essais d’éléments d’un système stratégique de communication pour le quartier général de l’OTAN qui se trouvait alors à Paris. A l’été 1957, un ordinateur Ferranti Mercury fut installé dans l’établissement. Une équipe dirigée par Kristen Nygaard, présent au sein du NDRE depuis 1948 et qui venait d’achever son mémoire de maîtrise en mathématique à l’université d’Oslo sur les aspects théoriques des méthodes de Monte Carlo, se mit à concevoir des programmes de simulation par ordinateur (Holmevik, 1994). Nygaard, avec Ole-Johan Dahl, développèrent ensuite les premiers langages de programmation orientés objet. Morse constata qu’en Norvège, la barrière entre les secteurs civil et militaire était poreuse, et que l’intégration de la recherche universitaire avancée en RO dans un établissement militaire était très proche du « modèle américain ».

24En France aussi, l’armée offrait un lieu essentiel pour le développement de la RO mais la profonde dichotomie entre les grandes écoles et les universités se traduisait par une configuration toute différente (Belhoste et al., 1994). L’armée soutenait les études théoriques en RO. En 1963, le professeur Malavard décrivit à l’OTAN le type de formation qu’il proposait au Centre Interarmée de Recherche Opérationnelle. Le CIRO enseignait les techniques mathématiques aux étudiants d’un niveau adéquat venu des grandes écoles ou possesseurs d’une licence universitaire. Cette formation de sept mois était suivie par une période de deux mois et demi consacrée à un travail par projet sur un problème concret. La formation de base pouvait être complétée en assistant à une série de cours spécialisés d’une semaine sur un sujet particulier – les processus stochastiques, la programmation dynamique, la simulation, etc. Ce système, tout en intégrant au sein de l’armée une théorie scientifique avancée, n’impliquait pas autant que Morse l’aurait espéré d’étudiants et de chercheurs civils. En bref, dans la mesure où les perceptions de Morse sont significatives, elles suggèrent que l’insistance de Mirowski sur le lien étroit entre l’essor, voire la survie de la RO, et l’évolution des « conceptions de l’économie » doit être affinée en apportant la considération voulue aux structures sociales très différentes dans lesquelles la RO était menée en Europe et, en particulier, aux relations entre les milieux universitaires et l’armée, parfois très différentes de celles prévalant au sein du MIT.

  • 18 Final Report of Project AF19(604)5442, op. cit., Appendix E, ‘Excerpts from Comments on Brussels (...)
  • 19 MIT Archives, MC75, Box 19, Folder NATO Corres. Allis/Aparo, ‘Department of Defense Statement with (...)

25Philip Morse et ses collègues se rendirent sur le continent européen pendant l’été de 1959 pour assurer des formations à la recherche opérationnelle dans divers pays de l’OTAN. Ils pensaient que la sécurité de l’Occident était tributaire de la réunion des compétences des scientifiques civils et des officiers de l’armée pour faire le meilleur usage des équipements militaires, et qu’une alliance ne pouvait être efficace que si les officiers de haut rang dans chacun de ses Etats membres savaient comment optimiser les ressources pour réaliser un objectif commun. Ils savaient que l’Europe était un patchwork de nations à des stades différents de développement, mais ils estimèrent que le type de programme qu’ils avaient imaginé avec succès au MIT depuis plus de 5 ans fournirait précisément la base nécessaire pour souder l’Alliance en une unité combattante efficace. Le programme qu’ils proposaient combinait la théorie et la pratique, et, surtout, intégrait leurs conceptions en matière de constitution et gestion des groupes de RO. Le groupe du MIT soulignait ainsi tout particulièrement qu’un groupe de RO ne pouvait réussir que si les scientifiques civils se sentaient libres par rapport aux contraintes d’une hiérarchie militaire, et que si leurs relations avec les militaires étaient celles d’un médecin avec son patient. Cet élément n’était pas secondaire, mais central dans la formation. Morse y insista à plusieurs reprises lors de l’université d’été et dans plusieurs discussions avec les participants. Il s’agissait aussi d’un « sujet central dans les discussions menées dans les différents pays visités durant la seconde phase du cours ».18 Et cette vision était, dans ses grandes lignes, partagée par le département américain de la Défense, qui estimait en 1961 que la recherche opérationnelle s’avérait « la plus efficace lorsque les analystes (a) ont travaillé dans des groupes interdisciplinaires puissants, (b) sur des problèmes essentiels, (c) aux niveaux administratifs où les problèmes surviennent et (d) en ayant directement accès au personnel et aux cadres dirigeants ».19 La recherche opérationnelle n’était pas seulement un ensemble de théories, pas seulement une série de modèles basés sur ordinateur et « appliqués » aux problèmes pratiques. Elle représente aussi un ensemble de relations sociales.

26Les trois semaines passées par l’équipe du MIT en Europe ont illustré le lieu commun selon lequel la diversité et les particularismes caractérisaient la situation de part et d’autre de l’Atlantique. Les Européens, en particulier les Français, possédaient un niveau théorique élevé et de nombreux groupes sur le continent mettaient en œuvre la RO dans des contextes militaires et parfois industriels. Si l’exportation du modèle du MIT s’est avérée difficile, ce n’était pas parce qu’en Europe, les gens auraient manqué de compétences ou d’intérêt pour la RO. La difficulté provenait du fait que la structure des relations sociales dans lesquelles la RO devait être intégrée était fort différente, non seulement entre les Etats-Unis et l’Europe, mais aussi entre les nations européennes elles-mêmes. Un programme interdisciplinaire dans une discipline émergente, qui entendait combiner les compétences d’experts civils et celles de responsables militaires, n’était certes pas une nouveauté pour une institution comme le MIT, située au cœur du complexe militaro-industriel et universitaire. Mais un tel programme était à peine concevable dans de nombreux pays européens. Remodeler le Vieux Continent pour que puisse s’y appliquer le paradigme de Morse n’impliquait pas seulement de « répandre les idées américaines auprès des non-convertis », comme le pensait le général Larkin : cela supposait de transformer le tissu social européen lui-même.

5. Définir ce que devrait être la formation à la RO au sein de l’OTAN : le premier revers

  • 20 MIT Archives, MC75, Box 20, Folder NATO APOR Panel 1960, First Meeting, Seitz à Morse, 10 septembre (...)

27Alors que l’université d’été se tenait à Bruxelles, Morse se rendit au quartier général de l’OTAN à Paris pour s’entretenir avec le Conseiller scientifique Fred Seitz de la manière de prolonger l’impulsion donnée par les deux universités d’été. Seitz conseilla à son collègue américain de mettre sur pied une Commission consultative sur la recherche opérationnelle comprenant cinq ou six des meilleurs scientifiques de ce domaine et placé sous les auspices du Comité scientifique de l’OTAN.20 Lors des mois qui suivirent, un projet vit le jour, basé sur les recommandations de différentes sources, dont l’équipe de Morse, qui venait de rentrer de son tour d’Europe, et du Département américain de la Défense, qui était disposé à assurer une bonne partie du financement.

  • 21 MIT Archives, MC75, Box 20, Folder NATO APOR 10th Anniversary, Informal minutes of the meeting ‘On (...)

28Le panel de Morse se réunit pour la première fois 28 mars 1960.21 Il comptait parmi ses membres Sir Charles Goodeve, le directeur de la British Iron & Steel Research Association, un homme qui a joué un rôle majeur dans la promotion de la RO civile au Royaume-Uni (Kirby, 2000, Kirby et Capey, 1998), et Charles Salzmann (France). Quatre projets de recommandations furent établis, révisés et acceptés par le Comité scientifique lors de sa réunion des 6 et 7 avril. Dix ans plus tard, Morse tenta de minimiser l’importance des révisions. En réalité, elles marquèrent la première étape d’une mise en cause de plus en plus nette de ses conceptions quant à la meilleure manière de renforcer la RO au sein de l’Alliance.

  • 22 MIT Archives, MC75, Box 20, Folder NATO APOR Panel 1960. First Meeting, ‘Recommendations of the Adv (...)

29Les propositions de recommandation du 28 mars 1960 plaçaient l’enseignement supérieur de haut niveau au cœur du processus de formation. Les recommandations révisées qui furent acceptées par le Comité scientifique n’attribuaient plus cette place d’honneur à l’enseignement universitaire dans le programme de formation : un poids égal, sinon supérieur, était accordé à une formation davantage orientée vers la technique et à l’expérience du terrain.22 Même la proposition de faire suivre à une recrue un programme universitaire de RO pendant un an avant une nouvelle période de 9 à 12 mois d’apprentissage auprès d’un groupe de RO fut amendée dans la même perspective : « l’enseignement scientifique de base fourni par des universités et des écoles techniques standard (sic) » offrait des bases suffisantes et qui pouvaient être utilisées pour poursuivre « des études supérieures en RO et/ou (c’est nous qui soulignons) pour travailler avec des groupes bien établis de RO […] » Pour le dire sommairement, le comité scientifique estimait que pour travailler dans le domaine de la RO, une formation universitaire n’était pas vraiment nécessaire : tout ce que l’on demandait, c’était des connaissances scientifiques de base.

30Il existe deux versions de ce qui s’est passé lors de la réunion du Comité scientifique de l’OTAN, lorsque ce document fut discuté pour la première fois : la version de Morse et celle du compte-rendu officiel. Dans son autobiographie, publiée en 1977, Morse écrit qu’Isidor I. Rabi et Sir Solly Zuckerman, les tout-puissants délégués des Etats-Unis et du Royaume-Uni, se montrèrent hostiles à la proposition. Rabi craignait apparemment qu’elle détourne des ressources financières destinées au programme de bourses de l’OTAN, qui se situait au cœur du programme d’enseignement et de formation promu par le Comité scientifique. Une fois que le Conseiller scientifique Fred Seitz eut assuré que l’OTAN ne supporterait pas l’essentiel de la charge financière, et après un appel passionné de Finn Leid, le Directeur du NDRE, en faveur de la proposition, « le vent se mit à tourner », prétend Morse. « Les propositions furent approuvées : elles seraient soumises à révision au bout de trois ans d’expérience » (Morse, 1977, 328).

  • 23 Archives de l’OTAN, ‘Summary Record of Meetings held […] on 6th and 7th April, 1960’, document AC/1 (...)

31Il n’existe aucune trace de cette discussion dans le compte-rendu officiel, dominé par les commentaires du Conseiller scientifique adjoint au SHAPE (Supreme Headquarters Allied Powers Europe).23 Celui-ci développa trois points principaux : il souligna tout d’abord que le SHAPE n’était intéressé que par les aspects militaires de la recherche opérationnelle, puis il indiqua que, « à des fins militaires, la recherche théorique ne revêtait pas une importance vitale – les autorités militaires étant intéressées par les études pratiques » ; il rappela enfin que les frontières entre la RO civile et militaire devaient être délimitées de manière rigoureuse pour des raisons de sécurité. La collaboration internationale devait être découragée pour les mêmes raisons.

  • 24 MIT Archives, MRC 75, Box 20, Folder NATO-APOR Panel, 1960, First Meeting, Seitz à Salzmann, 17 fév (...)
  • 25 Archives de l’OTAN, ‘Summary Record of Meetings held […] on 6th and 7th April, 1960’, document AC/1 (...)

32Les positions du SHAPE allaient totalement à l’encontre des ambitions de Morse et de Seitz et elles ont sans aucun doute pesé sur les modifications apportées aux propositions initiales. Lorsque le conseiller scientifique envoya les invitations à rejoindre l’APOR (Advisory Panel on Operational Research), il prit soin de souligner que « notre instance est d’abord et avant tout intéressée par la science (souligné dans le texte) du terrain et pas nécessairement par ses applications militaires, même si, bien entendu, nous n’ignorons pas les applications dans tous les domaines appropriés »24. Lors de la réunion de mars, Seitz confirma que l’APOR « ne cherchait pas à influencer directement le travail des autorités militaires mais plutôt à établir des institutions renommées, capables de former des scientifiques compétents en vue de servir sur le terrain pratique ».25 Ce que Seitz et Morse proposaient, c’était de la recherche fondamentale, détachée des exigences et des spécificités locales, un programme de formation à des compétences « universelles », capables d’être appliquées à des problèmes pratiques particuliers. Ce n’est pas ce que voulaient les autorités de l’OTAN. Le modèle du MIT défendu par Morse se trouvait déjà remis en cause.

6. Le mandat de Morse à la présidence de l’APOR : la défaite du modèle

  • 26 MIT Archives, MC75, Box 19, NATO Corres. Allis/Aparo, ‘NATO Division of Scientific Affairs. Activit (...)
  • 27 MIT Archives, MC75, Box 19, Folder NATO/APOR, IDA, ‘Memorandum for the Record. Subject : IDA Contra (...)

33Une fois ces propositions officiellement acceptées, Morse et l’APOR allèrent de l’avant en organisant dans plusieurs universités des cours d’« endoctrinement » en matière de RO (ces cours entendaient « susciter l’intérêt et démontrer comment instaurer un enseignement régulier en recherche opérationnelle »), ainsi que des cours de formation dans différents centres de l’OTAN.26 Pour tenir compte de la grande diversité des situations nationales dans les Etats membres de l’OTAN en Europe continentale, des consultants, payés par le Département américain de la Défense, furent recrutés pour travailler de six mois à un an dans des pays précis, en adaptant leurs programmes au contexte national. David Stoller fut libéré par la RAND Corporation pour passer six mois en Italie ; Maurice Sasieni, de la Case Western University, se rendit en Norvège, et Erwin Baumgarten (de l’Operations Evaluation Group de l’U.S. Navy) en Allemagne pour un an.27 Suite à une demande spéciale du Ministère fédéral de la Défense, son détachement fut prolongé pendant un semestre supplémentaire aux frais des Allemands.

  • 28 MIT, MC75 Box 20, NATO/APOR Panel, 1963, Memos to Morse and Rothenberg, 4 April 1962 donne des vers (...)

34Les trois consultants jouèrent un rôle important pour catalyser l’intérêt pour la RO dans le pays qui les accueillait.28 Tous trois ont interagi de manière productive avec des groupes de RO en s’y livrant à des travaux pratiques. Tous signalèrent avoir éprouvé des difficultés à maintenir l’intérêt des étudiants pour la RO en raison des rigidités des structures du système national d’enseignement. C’est Stoller, qui enseigna à l’université de Rome, qui connut le plus de succès : son cours sur la théorie des files d’attente avait attiré au départ une trentaine d’étudiants puis l’assistance tomba à 15 à 20 personnes. Mais il disposait d’un relais idéal en la personne de Pompilj et beaucoup des étudiants de son Institut pour le calcul des probabilités étaient des officiers de l’armée de l’air et des forces terrestres. Sasieni, qui consacrait 50 % de son emploi du temps à donner deux cours à l’université d’Oslo, vit son public fondre des deux tiers, en passant de 50 à 12 dans son cours d’introduction et à 4 ou 5 dans son cours avancé. Baumgartner donna une série de cours d’initiation et de cours avancés aux universités de Bonn et Fribourg. Les cours étaient optionnels et la fréquentation irrégulière. Baumgarten releva des signes d’espoir en Allemagne – une excellente capacité en RO dans l’establishment de la défense, la création d’une chaire d’économétrie à Bonn, la formation d’une société nationale pour la RO, l’identification de la RO comme un Schwerpunkt-programm par la Deutsche Forschungsgemeinschaft, qui a donc privilégié le soutien financier aux activités de recherche. Toutefois, la prolongation de son contrat pour six mois aux frais du Ministère allemand de la Défense n’avait pas pour but de stimuler l’enseignement et la formation, mais de permettre des briefings et des consultations avec l’establishment militaire.

  • 29 Archives de l’OTAN, ‘Operational Research Training Programme. Note by the United Kingdom’, AC/137-D (...)

35En 1962, Morse perdit le contrôle sur l’évolution de son programme – un contrôle rendu possible jusque là grâce à son important contrat avec l’Institute for Defense Analysis du MIT. Le Comité scientifique de l’OTAN commença à consacrer, sur son budget propre, une part croissante de la formation à la RO et la délégation britannique réclama immédiatement des changements. Dans une note datée du 2 février 1962, les Britanniques présentèrent les résultats d’une récente « revue critique » faite au Royaume-Uni, de l’« Operational Research Training Programme » du Comité scientifique de l’OTAN.29 C’était un réquisitoire dévastateur contre les conceptions de la recherche opérationnelle selon Morse et contre le rôle central que celui-ci attribuait dans ce cadre à l’enseignement universitaire.

36La recherche opérationnelle, indiquaient les Britanniques, était « une matière extrêmement pratique ». Il s’agissait « moins d’une science que d’une attitude d’esprit scientifique de la part de ses pratiquants » et « la formation en cours d’emploi était la seule manière d’inculquer l’attitude adéquate à des travailleurs en recherche opérationnelle jeunes et inexpérimentés ». Les recrues pouvaient présenter un large éventail de formation de base – de la botanique aux mathématiques et à la zoologie – et « nous ne croyons pas », poursuivait la note britannique « que l’enseignement d’une sélection aléatoire de techniques mathématiques (sic) puisse transformer un scientifique fraîchement diplômé en un travailleur en recherche opérationnelle pleinement formé ». L’apprentissage devait se faire sur le tas, avec éventuellement, si le besoin s’en faisait sentir, de « brefs cours spécialisés ». Comme cette contribution britannique l’indiquait de manière laborieuse et avec toute la prudence requise : « pendant le cours de son travail, le travailleur moyen en recherche opérationnelle estimera de temps à autre souhaitable d’utiliser une technique avec laquelle il n’est pas familiarisé ; si ses tentatives d’obtenir un éclaircissement auprès d’un collègue, de manuels ou d’autres ouvrages techniques restaient vaines, il aura recours, si l’occasion se présente, à la fréquentation d’un cours spécialisé approprié ». Une formation intellectuelle avancée constituait donc un dernier recours, non une priorité essentielle, et elle devait être extrêmement ciblée.

  • 30 MIT Archives, MC 75, Box 18, Folder NATO/APOR 1963, ‘The Activities of the Advisory Panel on Operat (...)

37L’approche britannique privait la recherche opérationnelle de la crédibilité intellectuelle que lui procuraient l’invocation de techniques mathématiques sophistiquées et l’utilisation des ordinateurs. Elle la privait également de la légitimité qu’elle avait obtenue en devenant une matière au programme d’une maîtrise ou d’un doctorat dans une université prestigieuse. Les conséquences pratiques furent immédiates. A la fin de 1961, le Comité scientifique décida de supprimer le système des consultants OTAN destiné à introduire la RO dans les milieux universitaires. L’OTAN consacrerait plutôt ses ressources financières pour la RO à des universités d’été et à des parcours d’apprentissage de deux ans.30 Surtout, les Britanniques voulaient que les deux années de l’apprentissage soient consacrées à la formation en cours d’emploi, et pas seulement la deuxième année comme Morse l’avait prévu. Pour ce qui était d’encourager « des programmes de troisième cycle en recherche opérationnelle » – ce que l’on trouvait au MIT – la délégation britannique estimait que « leur expérience ne serait pas assez large (sic) pour justifier l’octroi d’un Graduate Apprenticeship […] ». Ceux qui avaient besoin d’enrichir leurs connaissances pouvaient le faire en participant à de brèves formations spécialisées et à des séminaires dédiés à un sujet spécifique et comportant des études de cas et du travail expérimental. Ils pouvaient aussi assister à des conférences biennales au quartier général de l’OTAN sur des thèmes bien définis, civils et/ou militaires.

  • 31 Archives de l’OTAN, ‘Record of Meeting []’ de l’APOR du 19 avril 1963, NATO document AC/137-D172, (...)
  • 32 Archives de l’OTAN, ‘The Activities Sponsored by the Advisory Panel on Operational Research’, NATO (...)
  • 33 The Activities of the Advisory Panel on Operational Research’, par A.L. Oliver, op. cit., Section (...)

38La pression exercée sur l’APOR pour accorder la priorité à la dimension pratique, de service, de la recherche opérationnelle au détriment de la formation de haut niveau de chercheurs scientifiques s’accrut en 1963. En effet, la Division scientifique de l’OTAN désigna Alan L. Oliver comme executive officer auprès de l’APOR. Son travail consistait à entrer en liaison avec toutes les organisations de recherche opérationnelle militaire au sein de l’alliance, et de suggérer comment mieux appliquer la RO aux problèmes militaires.31 Le nouveau bras droit de Morse, qui prit ses fonctions en avril 1963 et qui était on ne peut plus Britannique, avait une conception de la RO très différente de celle de Morse. Oliver souligna que le panel devait réorienter ses objectifs s’il voulait survivre dans le cadre de l’OTAN et le Comité scientifique relaya rapidement ce point de vue.32 L’accent mis sur l’importance de la dimension militaire s’accompagnait de scepticisme quant à la nécessité d’une théorie avancée – « on peut faire de la très bonne recherche opérationnelle avec des mathématiques de niveau scolaire », écrivait Oliver. Si l’on recrutait de nouveau des consultants au niveau national – et il existait une forte demande en ce sens émanant de divers pays de l’OTAN – ils ne devraient pas être avant tout liés au monde universitaire, comme le voulait Morse. Oliver estimait que pour les consultants, l’essentiel devrait consister à travailler avec « les groupes nationaux de recherche opérationnelle » plutôt qu’avec les universités, et qu’une société locale de RO devrait les soutenir financièrement. La formule de l’apprentissage, telle que la concevait Oliver, ne conservait plus la moindre trace de la conception initiale de Morse – une expérience professionnelle destinée à compléter une formation de troisième cycle à l’université. Son but était à présent de « fournir du personnel pour les unités de recherche opérationnelle des départements ministériels […] » dans les pays qui en avaient besoin, autrement dit de produire des fonctionnaires.33

  • 34 MIT Archives, MC75, Box 20, Folder OECD/APOR 1962‑3, Rapport de la réunion du groupe d’experts des (...)

39En 1964, le Département américain de la Défense décida qu’il ne pouvait plus apporter le moindre soutien financier à Morse. Celui-ci avait déjà préparé son départ. En janvier 1963, il avait présidé une réunion d’un groupe d’experts sur la recherche opérationnelle pour l’OCDE, qui entendait promouvoir une formation de troisième cycle au sein d’équipes de RO, et lier une approche RO avec des analyses macroéconomiques.34 En 1965, Morse quitta le cadre de l’OTAN pour continuer à promouvoir en Europe ses conceptions par le biais de l’OCDE.

7. Un discours hégémonique concurrent sur la RO ? Les particularités de la position anglaise

  • 35 Maurice W. Kirby et R. Capey, ‘The Origins and Diffusion of Operational Research in the UK’, Journa (...)

40En Europe, Philip Morse et son équipe rencontrèrent des formes sociales et des pratiques matérielles forts diverses de la recherche opérationnelle. Mais ce furent les Britanniques qui laissèrent une empreinte indélébile sur la structure de la RO telle quelle était promue par le Comité scientifique de l’OTAN, en particulier avec le recrutement d’Oliver. Cette empreinte est symptomatique de l’histoire de la RO (civile) de l’après–guerre dans le pays, et peut être définie par deux caractéristiques essentielles. Tout d’abord, la RO ne jouissait que d’une crédibilité très limitée dans les cercles gouvernementaux, qui la considéraient comme politiquement suspecte et n’étant guère plus que l’application du bon sens commun (Kirby, 2000, Kirby, 2003, Kirby et Capey, 1998).35 L’idée d’utiliser la RO pour rationaliser et optimiser l’économie de l’après-guerre n’avait jamais été accueillie avec enthousiasme par le premier gouvernement travailliste, en particulier après le commencement de la Guerre froide, lorsque l’idée d’une planification centralisée par l’Etat était perçue comme totalitaire. Le passé de gauche de nombreux défenseurs de la RO – notamment Blackett et Zuckerman – ne faisait que renforcer leurs soupçons. Des fonctionnaires du trésor affirmèrent que la lecture d’ouvrages consacrés à la recherche opérationnelle ne faisait que les conforter dans l’idée qu’il ne s’agissait de rien de plus qu’une appellation ronflante pour « toute une série d’activités de bon sens (déjà connues, étudiées et appliquées sous d’autres noms »), et ils avaient en fait dissocié sa pratique de l’association avec la physique et la mathématique observée pendant la guerre. Jusqu’au milieu des années 60, la RO civile au Royaume-Uni était largement limitée de facto aux deux secteurs nationalisés, et cela grâce à l’engagement personnel de quelques personnes clé au sein du National Coal Board et la British Iron and Steel Industry Research Association (BISRA - où Sir Charles Goodeve joua un rôle majeur).

41L’idée selon laquelle la RO n’était rien de plus qu’une version savante du bon sens commun impliquait naturellement que ce n’était pas le genre de sujet qu’il fallait apprendre à l’université. Les praticiens qui avaient développé la RO pour l’armée britannique pendant la guerre, des hommes comme Blackett et Zuckerman, n’avaient pas cherché, à l’inverse de Morse, à l’introduire dans le monde universitaire et ils étaient retournés à leurs activités d’avant-guerre à la cessation des hostilités. Du coup, à la fin des années 50, sil y avait au moins six universités américaines qui proposaient des programmes conduisant à des diplômes de troisième cycle en recherche opérationnelle, la RO au Royaume-Uni restait dominée par cette approche pratique, et « à l’exception d’un ou deux cours dans des universités individuelles, les programmes britanniques de troisième cycle en RO brillaient par leur absence » (Kirby, 2000, 665). Les choses ne changèrent que durant les années 60, avec la création de nouvelles universités et hautes écoles disposées à expérimenter d’autres programmes de cours. On comprend mieux dans ce contexte les attaques hargneuses des Britanniques au sein du Comité scientifique de l’OTAN contre les ambitions de Morse en matière d’enseignement, en février 1962, et leur insistance – comme celle du Conseiller scientifique au SHAPE – à promouvoir la dimension pratique de la RO.

42Il serait faux de prétendre que les efforts de Morse en matière de formation à la RO dans les pays de l’OTAN échouèrent. Au contraire, avant 1965 quelque 500 personnes avaient participé à des conférences et à des symposiums de l’APOR. Près de 30 stagiaires universitaires avaient été placés dans différentes organisations militaires (SHAPE, Canadian Defence Research Board) et civiles (BISRA, le CFRO en France) (Anon., 1973, Table VIII.4). Oliver parvenait à obtenir des groupes nationaux de RO militaire des informations suffisantes sur leurs activités sans violer les consignes de sécurité, ce qui permettait des collaborations transfrontalières. L’APOR réussit à améliorer le niveau de la RO au sein de l’OTAN, mais elle ne forma pas le type de personne que Morse jugeait essentielle pour pouvoir utiliser cette technique de manière adéquate. En effet, au cours des cinq ans où il travailla avec l’OTAN, Morse vit sa conception de la RO évoluer progressivement dans un sens très différent de ce qu’il avait imaginé, tant en termes de contenus que d’organisation sociale. Dans la conception défendue par Morse, un consultant civil, doté d’une formation de pointe et enseignant à l’université, se trouve assis aux côtés d’un officier supérieur qui partage avec lui ses données, et il réfléchit en toute liberté et avance des suggestions dont l’officier saisit le bien-fondé et qu’il utilise pour agir. Cet idéal n’avait aucun sens pour les Britanniques, pas plus apparemment que pour les autorités de l’OTAN au sein du SHAPE. Conjuguées à la dichotomie marquée au sein de l’OTAN entre le civil et le militaire, l’aversion pour les théories sophistiquées et les formations de troisième cycle en recherche opérationnelle et la conviction que la RO était une démarche pratique, non académique, portèrent au modèle de Morse des coups redoutables. L’histoire de la RO au sein de l’OTAN aurait pu être différente si la France avait joui d’une plus grande influence au sein de l’Alliance et du Comité scientifique en particulier. Mais les réticences croissantes du général de Gaulle à l’encontre de la dilution de la souveraineté nationale dans le cadre de la collaboration européenne et ses frustrations face à l’influence des Etats-Unis au sein de l’OTAN isolèrent la délégation française et laissèrent le champ libre aux « Anglo-Saxons » pour imposer leurs politiques. Ce fut particulièrement vrai pour le Comité scientifique, où la délégation française fit l’expérience douloureuse de voir ses suggestions en faveur d’une coordination plus poussée au niveau de l’OTAN en matière de recherche et développement rejetées par Rabi et Zuckerman qui y voyaient des relents de planification socialiste (Krige, 2000).

8. Conclusion

43L’« américanisation » de la RO au sein de l’OTAN ne peut se réduire au simple fait d'exporter des « idées » vers les « non-convertis » par delà l’Atlantique. Ces idées allaient de pair avec les pratiques et les relations sociales dans lesquelles elles étaient enchâssées, et qui étaient un produit de l’évolution spécifique du terrain à l’époque de l’après-guerre : l’Amérique de la Guerre froide. Les exporter supposait le soutien d’alliés partageant les conceptions de Morse et désireux de les implanter au sein de l’OTAN. La frontière hermétique entre le civil et le militaire au sein de l’Organisation – qui reflétait la situation prévalant dans de nombreux pays européens – et le fait que les Britanniques aient réussi à imposer leur conception de la RO dans le cadre de l’OTAN – une démarche peu élaborée sur le plan théorique et orientée vers les questions militaires sur le plan pratique – furent pour le transfert du modèle de Morse autant d’obstacles qu’il fut tout simplement incapable de surmonter. Le succès d’une exportation de la RO américaine en Europe requérait non seulement une transformation des relations entre la science civile universitaire et l’armée, mais aussi la transformation des qualités morales et sociales dont devaient faire preuve les pratiquants de la RO. Pour Morse, la RO devait être pratiquée par des scientifiques créatifs alors que les Européens – en particulier les Britanniques – y voyaient avant tout le travail de techniciens dotés d’un bon sens assez terre-à-terre. Les techniques scientifiques ne voyagent bien que dans certains contextes institutionnels et seulement lorsqu’elles sont relayées par certains des « hommes de science, » comme la souligné Shapin (1994).

44Le peu d’attention accordé par Morse à la situation au Royaume-Uni est l’une des ironies les plus criantes dans cette affaire, en même temps qu’elle témoigne à quel point il ignorait que la RO était organisée différemment hors des Etats-Unis. L’étude de la circulation internationale de la RO – et des obstacles qu’elle a rencontrés – remet clairement en cause la conception impériale de l’hégémonie. Une conception mécanique et à sens unique de l’hégémonie aurait décrit les choses de cette manière : une puissance centrale (les Etats-Unis) ont imposé des valeurs et des techniques identifiées comme « modernes » « rationnelles » et « avancées » à des quasi-colonies périphériques et rétrogrades (l’Europe occidentale). Si l’histoire de la tentative (manquée) d’exporter la RO à l’américaine en Europe démontre une chose, c’est qu’une vision simpliste de l’impérialisme culturel ne peut rendre compte de la circulation des idées entre les Etats-Unis et l’Europe dans l’après-guerre. Tout le prestige et l’éclat de la science américaine aux yeux des Européens ne suffisaient pas pour recomposer le « tissu social » constitué par les pratiques scientifiques et académiques dans les pays d’Europe occidentale.

45Toutefois, il faut remarquer que cette étude de cas a porté exclusivement sur les efforts des Américains pour exporter la RO dans une organisation militaire multinationale, dominée par le commandement américain : l’OTAN. Cette étude s’est donc concentrée sur les différentes relations prévalant au sein du complexe militaro-industriel et scientifique en Europe et aux Etats-Unis. Il n’était donc pas question ici de remettre en cause l’importance que la RO reçue au sein des administrations centrales des Etats européens et des structures de planification économique multinationales (comme l’OCDE) dans l’Europe de l’après-guerre. Mon argumentation suggère par contre qu’il faut, pour apprécier la richesse de l’histoire de la RO en Europe, en particulier vis-à-vis de l’histoire de la discipline économique, non seulement comprendre la place des outils informatiques dans les différents cursus disciplinaires de chaque pays, comme le suggère Mirowski, mais aussi décrire l’état des relations entre secteurs civil et militaire, et de leurs liens avec les systèmes d’enseignement supérieur au sein de chaque nation Moore et Vaudagna, 2003.

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Notes

2 MIT Archives, MC 75, Box 20, Folder OEG, ‘The Growth of Operations Research in the Free World’, conférence donnée par Philip M. Morse au Operations Evaluation Group lors de la 20th Anniversary Conference on Operations Research, 14‑16 mai 1962, Washington D.C.

3 MIT Archives, MC75, Box 20, Folder NATO APOR 10th Anniversary, Philip M. Morse, ‘Background of the NATO O.R. Panel’, présenté lors du symposium du 10e anniversaire de la Commission consultative sur la recherche opérationnelle (APOR), les 18‑20 mars 1970, au quartier général de l’OTAN à Bruxelles, Belgique.

4 MIT Archives, MC75, Box 20, Folder NATO/APOR Reference File, « Training in Operations Research at the Massachusetts Institute of Technology », 3pp., anonyme, sans date, mais sans doute antérieur à 1961.

5 The Growth of Operations Research in the Free World, op. cit.

6 MIT Archives, MC75, Box 18, Folder NATO Report on Est. Adv. Panel on O/R, 1959, ‘Final Report of Project AF19(604)5442, Consultation in Aid of Operations Research in NATO Countries’, Appendice A.

7 Archives de l’OTAN, ‘Note by the United States Delegation Concerning Introductory Courses in Operational Research’, AC/137-D/22, 21 août 1958.

8 Archives de l’OTAN, ‘Policy for Mutual Support in Operational Research Between the United States and its Allies’, AC/137-D/23 joint à la circulaire de Ramsey, 21 août 1958.

9 MIT Archives, MC75, Box 20, Folder NATO APOR 10th Anniversary, ‘Informal Notes of the First Meeting of APOR’.

10 ‘Final Report of Project AF19(604)5442’, op. cit., Appendix D, ‘Comments of Attendees’, Appendix E, ‘Excerpts from Comments on Brussels Course by Team Members’.

11 ‘Final Report of Project AF19(604)5442, op. cit., Conclusions’.

12 ‘Final Report of Project AF19(604)5442’, op. cit., Appendice F, ‘Excerpts from Team Reports on Visits to NATO Countries’, F-14.

13 Pour la France, voir ‘Final Report of Project AF19(604)5442, op. cit., Appendice F, ‘Excerpts from Team Reports on Visits to NATO Countries’, F-1 – F-5.

14 Pour l’Allemagne, voir ‘Final Report of Project AF19(604)5442’, op. cit., Appendice F, ‘Excerpts from Team Reports on Visits to NATO Countries’, F-5 – F6.

15 Pour la Norvège, voir ‘Final Report of Project AF19(604)5442, op. cit., Appendix F, ‘Excerpts from Team Reports on Visits to NATO Countries’, F-10 – F-14.

16 Voir Fourcade-Gourinchas (2001) pour une telle analyse dans le cas de la science économique.

17 MIT Archives, MC75, Box 18, Folder NATO/APOR 1963, ‘Report of the NATO Consultant in Operations Research in the Federal Republic of Germany, 20 September 1961 to 1 July 1963’, 1 juillet 1963, pour le rapport Baumgarten.

18 Final Report of Project AF19(604)5442, op. cit., Appendix E, ‘Excerpts from Comments on Brussels Course by Team Members’, E-1 – E-2.

19 MIT Archives, MC75, Box 19, Folder NATO Corres. Allis/Aparo, ‘Department of Defense Statement with Respect to Operational Research in the Atlantic Alliance’, 17 October 1971, Appendice C à Morse, ‘Review of Operations Research Activities in the Atlantic Alliance’, janvier 1963.

20 MIT Archives, MC75, Box 20, Folder NATO APOR Panel 1960, First Meeting, Seitz à Morse, 10 septembre 1959 et réponse, 1 octobre 1959.

21 MIT Archives, MC75, Box 20, Folder NATO APOR 10th Anniversary, Informal minutes of the meeting ‘On Monday, 28 March […]’.

22 MIT Archives, MC75, Box 20, Folder NATO APOR Panel 1960. First Meeting, ‘Recommendations of the Advisory Panel on Operational Research of the Office of the Science Adviser of NATO’, document NATO SCOM.6‑2-01, 1 avril 1960.

23 Archives de l’OTAN, ‘Summary Record of Meetings held […] on 6th and 7th April, 1960’, document AC/137-R/7, 12‑13.

24 MIT Archives, MRC 75, Box 20, Folder NATO-APOR Panel, 1960, First Meeting, Seitz à Salzmann, 17 février 1960.

25 Archives de l’OTAN, ‘Summary Record of Meetings held […] on 6th and 7th April, 1960’, document AC/137-R/7, 13.

26 MIT Archives, MC75, Box 19, NATO Corres. Allis/Aparo, ‘NATO Division of Scientific Affairs. Activities in Operational Research’, 4 April 1961, Appendice A à Morse, ‘Review of Operations Research Activities […]’, janvier 1963 suggère cette signification d’ “endoctrinement”.

27 MIT Archives, MC75, Box 19, Folder NATO/APOR, IDA, ‘Memorandum for the Record. Subject : IDA Contract SD-72’, 13 juillet 1962, signé D.H. Gould.

28 MIT, MC75 Box 20, NATO/APOR Panel, 1963, Memos to Morse and Rothenberg, 4 April 1962 donne des versions révisées des rapports de Baumgarten, de Sasieini et de Stoller à la réunion de l’APOR de mars 1962. Pour le rapport bien plus important de Baumgarten, voir MC75, Box 18, Folder NATO/APOR 1963, ‘Report of the NATO Consultant in Operations Research in the Federal Republic of Germany, 20 September 1961 to 1 July 1963’, 1 juillet 1963.

29 Archives de l’OTAN, ‘Operational Research Training Programme. Note by the United Kingdom’, AC/137-D/125, 2 février 1962.

30 MIT Archives, MC 75, Box 18, Folder NATO/APOR 1963, ‘The Activities of the Advisory Panel on Operational Research’, par A.L. Oliver, document NATO SA/6‑2-04/APOR, 19 août 1963, 5. En 1963, le budget spécial du Comité scientifique de l’OTAN pour la RO était de 115.000 dollars.

31 Archives de l’OTAN, ‘Record of Meeting []’ de l’APOR du 19 avril 1963, NATO document AC/137-D172, 9 mai 1963.

32 Archives de l’OTAN, ‘The Activities Sponsored by the Advisory Panel on Operational Research’, NATO document AC/137-D192, 8 octobre 1963; MIT Archives, MC75, Box 19, Folder NATO/APOR Corres. Allis & Oliver, ’63‑64, Morse à Oliver 3 janvier 1964, Oliver à Morse, 15 janvier 1964, pour un échange entre Oliver et Morse sur l’importance à accorder aux aspects militaires.

33 The Activities of the Advisory Panel on Operational Research’, par A.L. Oliver, op. cit., Section 3.

34 MIT Archives, MC75, Box 20, Folder OECD/APOR 1962‑3, Rapport de la réunion du groupe d’experts des 14 et 15 janvier 1963, OECD document DAS/BS/63.5, 4 avril 1963.

35 Maurice W. Kirby et R. Capey, ‘The Origins and Diffusion of Operational Research in the UK’, Journal of the Operational Research Society 49 (1998), 307–326; Maurice W. Kirby, ‘Operations Research Trajectories: The Anglo-American Experience from the 1940s to the 1990s’, Operations Research 48:5 (septembre-octobre 2000), 661–670, pour les deux paragraphes suivants.

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Pour citer cet article

Référence papier

John Krige, « Carrying American Ideas to the Unconverted: la tentative manquée du MIT d’exporter la recherche opérationnelle au sein de l’OTAN »Sociologie du travail, Vol. 48 - n° 3 | 2006, 390-411.

Référence électronique

John Krige, « Carrying American Ideas to the Unconverted: la tentative manquée du MIT d’exporter la recherche opérationnelle au sein de l’OTAN »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 48 - n° 3 | Juillet-Septembre 2006, mis en ligne le 21 mars 2008, consulté le 13 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/sdt/24734 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.24734

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Auteur

John Krige

School of History, Technology and Society, Georgia Institute of Technology, Atlanta, GA 30332, USA
john.krige[at]hts.gatech.edu

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