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AccueilNumérosVol. 47 - n° 2Compte renduPhilippe Artières, Pierre Lascoum...

Compte rendu

Philippe Artières, Pierre Lascoumes (Eds.), Gouverner, enfermer. La prison, un modèle indépassable ?

Presses de Sciences Po, Paris, 2004 (361 p.)
Bruno Milly
p. 289-291
Référence(s) :

Philippe Artières et Pierre Lascoumes (dir.), Gouverner, enfermer. La prison, un modèle indépassable ?, Presses de Sciences Po, Paris, 2004, 361 p.

Texte intégral

1Cet ouvrage propose un ensemble de contributions de sociologues et politologues s’intéressant aux politiques pénitentiaires, plus précisément à l’impact des changements politiques sur les politiques d’emprisonnement. Il s’appuie sur un premier constat paradoxal : « [la politique pénitentiaire] est, d’un côté, une politique d’État essentielle qui est directement reliée à la conception et à la défense de l’ordre public. Mais, d’un autre côté, elle reste secondaire, n’est jamais traitée en tant que telle comme une priorité, elle est peu gouvernée par le politique et ses lentes évolutions sont surtout incrémentales, discrètes et menées par les professionnels » (pp. 25–26). La réforme des prisons est ainsi souvent écartée des agendas politiques ; souvent annoncée, parfois commencée, elle s’éteint le plus souvent dans l’indifférence de la société et les routines de l’institution. Que se passe-t-il néanmoins dans les périodes de crise politique, de rupture démocratique, invitant une société à (re)penser son modèle carcéral ?

2Le principal péril de l’exercice — coordonner des contributions issues de séminaires et de colloques et non directement pensées pour s’articuler — n’est pas totalement évité (avec notamment une logique parfois peu lisible de progression d’une communication à une autre et une distinction peu interrogée entre ce qui relèverait des « prisons d’exception », objet de la seconde partie de l’ouvrage, et des « prisons expérimentales », objet de la troisième partie) mais est finalement brillamment contourné, grâce à une préface de Michelle Perrot et une longue introduction des coordonnateurs — Philippe Artières, Pierre Lascoumes, Gregory Salle —, qui mettent clairement en valeur les choix de l’ouvrage et par là l’intérêt croisé des communications.

3Le choix directeur est d’analyser l’impact des changements politiques (notamment les périodes de rupture politique et de transition démocratique) sur les politiques pénitentiaires, en faisant l’hypothèse que « la compréhension de ces moments exceptionnels est susceptible de faire ressortir des traits significatifs des modes d’existence ordinaires de l’emprisonnement dans ses dimensions politiques et sociologiques » (p. 50). C’est ainsi que l’on découvre avec intérêt des contributions sur la prison et la politique pénitentiaire après et/ou avec la réunification allemande (Fabien Jobard), la fin du soviétisme (Gilles Favarel-Garrigues), la fin de l’apartheid en Afrique du Sud (Amanda Dissel et Stephen Ellis), la volonté d’ouverture de la Turquie à l’Europe (Élise Massicard), la fin du régime Duvalier en Haïti (Pierre Delattre), la dite « guerre contre le terrorisme » ouverte par les États-Unis dans les prisons de Guantanamo (Sandra Szurek). Autant de contributions qui insistent généralement sur les permanences de l’institution carcérale, sa faible perméabilité à la démocratisation, voire sa quasi-extraterritorialité, mais qui donnent aussi à voir quelques changements transversaux, sous l’effet notamment des standards pénitentiaires internationaux (étudiés par Laurent Quéro) ou du modèle du marché (dont la diffusion est par exemple explorée par Madeleine Akrich et Michel Callon, à travers l’introduction, en France et à partir de 1986, du secteur privé dans la gestion de certaines prisons). Autant de contributions qui permettent ainsi d’entrevoir les fils et les vertus d’une possible comparaison internationale, ni ethnocentrée, ni polarisée sur la sphère anglophone, des politiques pénitentiaires.

4Un autre choix intéressant de l’ouvrage est de présenter en parallèle des approches historiques, par exemple sur le camp de Rieucros en 1938–1939 (Nicolas Fischer) ou la forteresse de Schlusselbourg de 1880 à 1917 (Philippe Artières). Outre leur intérêt intrinsèque, ces approches donnent de la profondeur au regard sur le présent, évitant cette fois le risque du chronocentrisme, le recul historique permettant notamment de relativiser la force des réformes ou plutôt des volontés réformatrices pourtant souvent ressenties à leur époque comme majeures. On retrouve finalement sans grande surprise, derrière le constat d’une inertie des prisons — » entre réformes et reproduction d’un dispositif institutionnel » selon le titre de la contribution de Gilles Chantraine — l’idée d’une obsession réformatrice mais toujours inaboutie de la prison, ou encore d’une consubstantialité de la prison et de la volonté de réforme de la prison, selon les termes de Michel Foucault.

5À ce sujet, ceux qui s’intéressent à la sociologie de la prison et plus encore à l’histoire de cette sociologie ne manqueront pas de remarquer le nombre de références à M. Foucault dans cet ouvrage. Serait-ce lié au choix d’analyser les dimensions politiques et sociologiques de l’emprisonnement par l’étude des politiques pénitentiaires, un choix « macrosociologique » assurément heuristique, mais qui néglige peut-être exagérément les expériences carcérales, par exemple celles des personnes détenues ou des surveillants ? En 1996, Claude Faugeron, dans un ouvrage éclairant d’autres développements contemporains de la sociologie des prisons, évoquait l’impasse théorique et empirique à laquelle avait pu conduire en sociologie le primat de l’approche foucaldienne « mettant à distance ce qui se passe concrètement à l’intérieur des prisons » et « prenant les discours sur ce que devrait être la peine pour le quotidien de la vie en prison » (Faugeron et al., 1996, pp. 36–37). Dix ans plus tard, cette approche semble ici réhabilitée, ce qui invite à s’interroger sur les raisons historiques et sociales, mais aussi sur les enjeux méthodologiques pour la sociologie des prisons, d’une telle réhabilitation. Comment combiner l’étude des politiques et celle des expériences pénitentiaires ? Voilà une des multiples questions que la lecture de Gouverner, enfermer donne envie d’explorer.

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Bibliographie

Faugeron, C., Chauvenet, A., Combessie, P. (Eds.), 1996. Approches de la prison. Presses de l’Université de Montréal/Presses de l’Université d’Ottawa/De Boeck Université.

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Pour citer cet article

Référence papier

Bruno Milly, « Philippe Artières, Pierre Lascoumes (Eds.), Gouverner, enfermer. La prison, un modèle indépassable ? »Sociologie du travail, Vol. 47 - n° 2 | 2005, 289-291.

Référence électronique

Bruno Milly, « Philippe Artières, Pierre Lascoumes (Eds.), Gouverner, enfermer. La prison, un modèle indépassable ? »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 47 - n° 2 | Avril-Juin 2005, mis en ligne le 07 juillet 2005, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/sdt/26568 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.26568

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Auteur

Bruno Milly

Glysi-Safa, Institut des sciences de l’homme, 14, avenue Berthelot, 69007 Lyon, France
bruno.milly[at]ish-lyon.cnrs.fr

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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