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AccueilNumérosVol. 46 - n° 2Comptes rendusJulien Damon, La question SDF. Cr...

Comptes rendus

Julien Damon, La question SDF. Critique d’une action publique

Presses universitaires de France, coll. « Le lien social », Paris, 2002, 277 p.
Arnaud Mias
p. 271-272
Référence(s) :

Julien Damon, La question SDF. Critique d’une action publique, Presses universitaires de France, coll. « Le lien social », Paris, 2002, 277 p.

Texte intégral

1Dans cet ouvrage, Julien Damon propose un état des recherches qui se sont développées en France depuis une dizaine d’années sur la « question SDF », dont l’auteur est lui-même un animateur très important. Mobilisant son expertise de chercheur (l’ouvrage est issu d’une thèse soutenue en décembre 2001) et son expérience diverse de responsable administratif, l’auteur offre une synthèse stimulante, s’inscrivant dans l’objectif double d’analyse de politiques publiques ciblées et de connaissance d’une population aux contours difficilement appréhensibles. Cet objectif trouve son fondement dans une sociologie simmélienne, également mobilisée par Serge Paugam, définissant le SDF, comme le pauvre, par la relation d’assistance, autrement dit « l’ensemble des relations et des interdépendances qui caractérisent le système de catégorisation et de prise en charge » (p. 9). L’étude se présente comme une critique du ciblage des politiques sociales, entendu comme spécification d’une population et spécialisation de dispositifs pour la prendre en charge. Elle mobilise cet ancrage théorique pour développer une analyse de l’action publique en direction des SDF, témoignant au passage d’une grande maîtrise de la sociologie américaine.

2L’étude s’ouvre sur une mise en perspective historique (chap. 1) tendant à la fois à démontrer l’existence d’une rupture autour des années 1970 dans l’appréciation des phénomènes (« Déclin de la coercition et montée de la thématique de l’exclusion ») et à mettre en évidence des « variables » (ne devrait-on pas parler d’invariants ?) constitutives de la prise en charge des SDF, comme la volonté de classer et de dénombrer, la distinction entre les « bons pauvres » et les « mauvais pauvres », les oscillations entre hostilité et hospitalité, ou encore les tensions entre les responsabilités locales et étatiques dans la prise en charge.

3Dans un second mouvement, l’auteur aborde le thème classique de la mise sur agenda. L’intérêt est alors de ne pas limiter le propos aux politiques publiques stricto sensu, mais d’ouvrir, dans le second chapitre, l’explication à la morphologie sociale et à l’écologie urbaine (ouverture et plus grande accessibilité des espaces publics, dispersion des SDF dans la ville, changement dans les modalités du contrôle des espaces urbains...). La « visibilité accrue » des SDF se comprend alors par la multiplication des interactions sociales, résultat d’une plus grande « porosité » des espaces publics. Le second volet de l’explication (chap. 3) est moins innovant, retraçant l’histoire des premiers plans d’urgence (à partir de 1984) et concentrant l’attention sur le lobbying associatif, les médias et les « entrepreneurs » politiques, dont l’action a abouti au ciblage des politiques de lutte contre l’exclusion sur la « question SDF ». Au terme de ce parcours, l’auteur a expliqué comment les SDF occupent l’espace public, au double sens de l’espace urbain et de la scène médiaticopolitique.

4Le chapitre 4 soulève le problème de la possibilité « d’établir une cible d’action publique à partir des contours flous d’un ensemble hétérogène de situations » (p. 129). Ce faisant, l’auteur porte l’étude sur la population SDF en tant que telle. La variable temps est déterminante ici pour proposer un raisonnement en termes de trajectoires entre différentes situations qui tranche avec l’optique de la catégorisation tendant à cibler une population qui appellerait un traitement spécifique. La « carrière » des SDF est marquée par une circulation plus ou moins oscillante et plus ou moins rapide, mais rarement linéaire, entre trois situations types (la « fragilisation », la « routinisation » et la « sédentarisation »), définies principalement par le rapport entretenu avec le système de prise en charge.

5L’ouvrage s’achève sur une analyse du dispositif d’action publique actuel. Une grande expertise du maillage institutionnel est mobilisée dans un premier temps (chap. 5) pour décrire le système de prise en charge, qualifié par l’auteur de « complexe bureaucratico-assistantiel », soulignant la segmentation des politiques publiques et la tension entre un registre de l’urgence et un registre de l’insertion. Si le propos est parfois redondant avec d’autres chapitres, l’auteur a le mérite de proposer une analyse critique des mots d’ordre politiques de « gouvernance » et de « partenariat », pour souligner « un investissement plus marqué de l’État, enrôlant les autres acteurs de la prise en charge des SDF [...] dans des plans, programmes, schémas ou commissions qui relèvent d’abord d’une production et d’une logique d’organisation et de coopération issues des sphères et des règlements étatiques, même si la pression pour leur mise en place a souvent été d’origine associative » (p. 192). Le dernier chapitre propose une analyse de ce dispositif en action pour en évaluer la performance. L’argumentation, assise pour partie sur des modélisations en forme de jeux collectifs, est moins convaincante. La conclusion prolonge ce dernier chapitre, en invitant les responsables publics à prendre conscience des effets pervers du ciblage sur les « SDF » pour défendre une reconfiguration du système de protection sociale dans une optique plus universaliste. Le propos invite dans ce cadre à prendre la « question SDF » comme un cas exemplaire des évolutions en cours des politiques sociales.

6Au regard du double objectif fixé en introduction, l’approche de J. Damon est particulièrement stimulante lorsqu’il assume une posture sociologique claire en abordant les SDF comme des acteurs sociaux et en affirmant un postulat de rationalité. L’auteur est conduit, particulièrement dans le chapitre 4, à déconstruire un discours répandu, y compris parmi les experts, qui fait des SDF des personnes en situation de « mort sociale », des « dominés », voire des malades mentaux, et à critiquer des analyses en termes de « désocialisation » ou de « désaffiliation ». Sans les considérer comme des stratèges, l’auteur tente de rendre compte de leurs capacités d’action et des formes de domination qu’ils rencontrent. Cela conduit par exemple l’auteur à mettre en évidence les « bonnes raisons » (Raymond Boudon) des non-recours au système de prise en charge (pp. 236–241). On peut regretter l’utilisation récurrente de la notion de « bricolage » (empruntée à S. Paugam) pour rendre compte de ces pratiques, ainsi que du fonctionnement du système de prise en charge lui-même. Une telle posture théorique aurait pu aboutir à une compréhension de l’action sociale qui irait au-delà d’une description en termes de débrouillardise, de tâtonnements et de capacités d’adaptation. Cette réserve invite à s’appuyer sur cette synthèse exhaustive de l’état des recherches pour en tracer les prolongements possibles.

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Pour citer cet article

Référence papier

Arnaud Mias, « Julien Damon, La question SDF. Critique d’une action publique »Sociologie du travail, Vol. 46 - n° 2 | 2004, 271-272.

Référence électronique

Arnaud Mias, « Julien Damon, La question SDF. Critique d’une action publique »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 46 - n° 2 | Avril-Juin 2004, mis en ligne le 01 juillet 2004, consulté le 07 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/sdt/29079 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.29079

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Auteur

Arnaud Mias

Groupe de recherche interdisciplinaire sur les organisations et le travail (Griot), Cnam, 2, rue Conté, 75003 Paris, France
mias[at]idhe.ens-cachan.fr

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