Dominique Memmi, Faire vivre et laisser mourir. Le gouvernement contemporain de la naissance et de la mort
Dominique Memmi, Faire vivre et laisser mourir. Le gouvernement contemporain de la naissance et de la mort, La Découverte, coll. « Textes à l’appui/Politique et société », Paris, 2003, 310 p.
Texte intégral
1Contrôler la vie, recourir à la procréation médicalement assistée, l’avortement ou laisser mourir sont aujourd’hui des pratiques possibles, à l’unique condition d’un entretien préalable entre le demandeur et le corps médical. L’auteur s’interroge sur ce « gouvernement par la parole » autour de trois parties bien distinctes.
2Une première partie est consacrée à la construction de ce dispositif juridico-politique qui vise à encadrer les pratiques autour du vivant. À l’élaboration de règle et d’interdit, l’État préfère une mise en veille sanitaire qui consiste en la surveillance de mécanismes d’autocontrôle qu’il suscite d’abord chez le patient qui doit se plier aux dispositifs (et notamment aux délais stricts autour de l’avortement, désir d’enfant…) mais surtout chez le médecin chargé du recueil autobiographique, ultime barrière contre le libéralisme des pratiques, de sonder et repérer les motivations acceptables. Ainsi se dessinent ces mécanismes de « régulation par la parole ».
3Dans une deuxième partie, l’auteur s’interroge sur ce que devient ce dispositif juridicopolitique face aux contraintes quotidiennes, à travers l’analyse d’entretiens dans des cabinets médicaux. L’auteur met alors en évidence que la régulation par la parole consiste plus en une production de jugements moraux chez les médecins et l’intériorisation des contraintes normatives chez les patients. Ainsi concernant les interruptions volontaires de grossesse, les formes de paroles peuvent être très contrastées selon les lieux, les patientes produisent le discours attendu, mais elles ne modifient pas leur décision initiale. S’agissant de l’interruption médicale de grossesse, l’auteur repère un hiatus entre les préférences des médecins (avortement en cas de handicap physique sévère et retard mental) et des patients (stigmates). Et pourtant, en dernier lieu, le « sujet opine » face à l’avis médical, leur consentement s’obtient par un « redressement de l’imaginaire » :« proposer des mots et des images pour penser la réalité qui les concerne ».
4Dans une troisième partie, l’auteur recherche les raisons pour expliquer la naissance de ce nouveau dispositif juridico-politique axé sur la parole. Partant des analyses de Norbert Élias qui montrent que la dernière étape de notre développement historique est marquée par un double processus de civilisation (intériorisation progressive des injonctions extérieures) et d’individuation (autocontrôle et repli du sujet), l’auteur voit la confirmation de ces évolutions qui se manifestent par une volonté de rationalisation des pratiques et le développement d’un sentiment de honte face à la perte de l’autocontrôle (grossesse non désirée, maladies, mort) qui pourrait faire penser à la naissance prochaine d’un homo medicus sonnant le glas de l’autorité médicale.
5Dominique Memmi propose au travers de cet ouvrage, d’une lecture agréable, une réflexion intéressante et originale sur ces dispositifs de soins qui probablement un jour ou l’autre nous demanderont aussi de nous expliquer. Elle souligne avec pertinence leurs caractéristiques, conséquences et ferments de leur genèse. La démonstration est cependant altérée par le manque de précision qui entoure ces conduites dites « rationnelles ».
6S’agissant des médecins, l’auteur les décrit comme tantôt protecteurs, tantôt accusateurs, mais nous ne savons rien de ce qui les anime véritablement ; ces conduites peuvent être vues aussi bien comme résultantes de capacités d’autocontrôle que structurées par le rapport entre normes institutionnelles et logiques d’action. De même, du côté des patients, la notion d’intériorisation des normes de santé réfère tantôt à une conception prescriptive de normes inscrites dans les personnes par la socialisation, tantôt à une conception performative de normes fonctionnant comme des ressources et des contraintes pour la négociation avec le médecin. Ces deux usages de la notion recouvrent des dimensions très différentes et affaiblissent le poids d’une analyse concluant à l’émergence de conduites rationnelles.
7Mais de toute façon, peut-on véritablement expliquer la régulation de pratiques médicales aussi diversifiées que l’euthanasie ou la procréation médicalement assistée, par une autoréflexion s’exerçant à travers la parole ? La violence du mourir (symbolique ou physique) impose bien souvent le silence.
Pour citer cet article
Référence papier
Elsa Gisquet, « Dominique Memmi, Faire vivre et laisser mourir. Le gouvernement contemporain de la naissance et de la mort », Sociologie du travail, Vol. 46 - n° 3 | 2004, 424-426.
Référence électronique
Elsa Gisquet, « Dominique Memmi, Faire vivre et laisser mourir. Le gouvernement contemporain de la naissance et de la mort », Sociologie du travail [En ligne], Vol. 46 - n° 3 | Juillet-Septembre 2004, mis en ligne le 19 octobre 2004, consulté le 09 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/sdt/29561 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.29561
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