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AccueilNumérosVol. 46 - n° 4Comptes rendusEmmanuel Quenson, L’école d’appre...

Comptes rendus

Emmanuel Quenson, L’école d’apprentissage Renault, 1919–1989

CNRS Éditions, Paris, 2001 (392 p.)
Anne-Sophie Perriaux
p. 544-546
Référence(s) :

Emmanuel Quenson, L’école d’apprentissage Renault, 1919–1989, CNRS Éditions, Paris, 2001, 392 p.

Texte intégral

1C’est un bien curieux livre que propose Emmanuel Quenson, curieux d’abord par son objet : examiner sous tous les angles de sa longue vie — de 1919 à 1989 — l’école d’apprentissage Renault était un choix courageux à l’heure où E. Quenson en décida pour sa thèse de sociologie. La bibliographie, dans son parti franco-français, témoigne du petit nombre d’études disponibles autant que de leur caractère épars. Contrairement à la production en Allemagne, par exemple, l’enseignement professionnel en France s’avérait alors le point aveugle des histoires de l’éducation comme des entreprises.

2Ce manque d’étais a deux effets enthousiasmants. Le premier est tout entier dû à E. Quenson qui, prenant acte, livre, plus souvent qu’à son tour dans une monographie, d’ingénieuses comparaisons avec deux cas d’écoles, par lui établis, ceux de la RATP et de Merlin Guérin. Le second tient à l’incurie dans laquelle était tenu l’esprit du lecteur en matière d’apprentissage, incurie dont il perçoit l’étendue à mesure qu’E. Quenson lui soumet, dûment argumentés, des savoirs neufs. Non, qu’une entreprise décide d’ouvrir son école ne ressort pas d’un simple contrôle à verser au dossier du paternalisme ! Une telle ouverture mobilise en effet un maillage passablement serré d’instances aux non moins divers intérêts : législation, organisations ouvrières et patronales, corps de métiers (en particulier, ici, les ingénieurs), municipalité, etc. C’est un tour de force pour l’auteur de restituer et évaluer tenants, débats et aboutissants qui façonnent l’histoire de l’école d’apprentissage Renault, de sa gestation (première partie) et sa mise en œuvre de 1920 à la fin des années 1940 (deuxième partie) à sa réorientation, vers une formation polyvalente, des années 1950 à sa fermeture en 1989 (troisième partie). Contraint d’abandonner l’imagerie d’un monde clos, le lecteur doit aussi renoncer à un autre misérabilisme. Non, l’apprentissage n’est pas l’antichambre d’un devenir dominé ! Au contraire, prouve E. Quenson sur enquête (quatrième et dernière partie). Si l’origine sociale des élèves a changé (classes populaires dans les années 1930– 1950, moyennes dans les années 1970–1980), les carrières de ceux-ci révèlent que l’école avait vocation à former l’encadrement intermédiaire (techniciens, agents de maîtrise voire cadres). On pourrait aligner ainsi nombre de découvertes que permet ce livre, dont les pages passionnantes (texte, photos et plans) consacrées à l’espace de l’école ou aux activités parascolaires.

3Il est cependant d’autres curiosités auxquelles l’ouvrage répond peu ou de façon maladroite. Ainsi en va-t-il du recrutement. Lorsqu’il examine les conditions d’inscription au concours d’entrée à l’école (pp. 138–139), E. Quenson, signale que, comme la parenté à un salarié Renault, la nationalité française était exigée. Instruit de la consommation que Renault fit de personnel colonial, le lecteur aurait aimé connaître la pratique du recrutement et non ses seules règles. De même, si l’auteur se montre désireux d’incarner l’école (portraiturant directeurs et enseignants, donnant bonne place aux récits d’anciens élèves), la vie collective est rendue avec moins de détails. Un seul conflit est évoqué (entre la direction et l’éphémère association des parents en 1946). Peut-être la vie fût-elle ainsi, lisse, mais on imagine mal ces cohortes de gaillards sans les chahuts qui émaillent l’histoire d’autres institutions éducatives. Là aussi, des questions posées aux sources dans des termes qui n’auraient pas été les leurs (ceux de la discipline ou de la masculinité, par exemple) auraient été bienvenues. Enfin, au chapitre des curiosités déçues, l’une étonne tant il semble acquis que quiconque ouvrant un livre sur Renault se montrera soucieux de sa période collaboratrice, d’autant que la Révolution nationale ne manqua pas de s’intéresser à l’instruction. Or l’école des années sombres est escamotée par le découpage qui place la césure à la fin des années 1940.

4E. Quenson avait sans doute moyen de prouver que la temporalité de son objet était spécifique, comme il en avait posé l’hypothèse dans son introduction, laquelle s’orne d’une belle défense du temps long pour l’analyse sociologique (pp. 15–17). Face à celle-ci, toutefois, la charpente de l’ouvrage prend figure d’aporie, qui condense en une dernière partie l’étude des profils et carrières des élèves des années 1930 aux années 1980. Ne pas en avoir distribué les résultats dans les parties précédentes — chronologique — laisse l’impression que les trois-quarts du livre eurent pour fonction de constituer un vaste « contexte » au dernier quart ! Sur cette notion de contexte, la parution du volume dans la collection « Histoire du CNRS » invite à prendre date pour une réflexion entre sociologues et historiens. Aux yeux des derniers, « la mise en perspective historique », telle que la défend E. Quenson, se traduit souvent, y compris ici, par la disposition, préalable à l’étude de chaque moment de l’objet, d’un tableau, dressé du point de vue de Dieu (ainsi, l’ouverture de la première partie sur l’expansion de l’industrie automobile ou de la deuxième sur la Reconstruction). Or pour les historiens, secoués dans leur positivisme par les leçons du linguistic turn, de telles fresques ne sauraient tenir lieu de contexte lequel dépend… du texte, i.e. de l’objet étudié. Le contexte, dès lors, résulte de l’étude, composé des éléments extérieurs à l’objet que celui-ci a mobilisés dans une configuration originale, porteuse d’un nouvel éclairage sur la période. Le contexte-décor, fameuse « scène de l’histoire », semble trouver une planche de salut dans les travaux des autres sciences sociales à mesure que l’histoire s’en déprend. D’aucuns diront qu’il ne s’agit là que d’ordre du discours ; certes, mais avec quoi d’autre fabriquons-nous du sens ?

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Pour citer cet article

Référence papier

Anne-Sophie Perriaux, « Emmanuel Quenson, L’école d’apprentissage Renault, 1919–1989 »Sociologie du travail, Vol. 46 - n° 4 | 2004, 544-546.

Référence électronique

Anne-Sophie Perriaux, « Emmanuel Quenson, L’école d’apprentissage Renault, 1919–1989 »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 46 - n° 4 | Octobre-Décembre 2004, mis en ligne le 24 décembre 2004, consulté le 18 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/sdt/29891 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.29891

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Auteur

Anne-Sophie Perriaux

UFR des lettres et sciences sociales, département d’histoire, université de Rouen, 76821 Mont-Saint-Aignan cedex, France
PerriauxAS[at]aol.com

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont susceptibles d’être soumis à des autorisations d’usage spécifiques.

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